Intervention de Pierre Meneton

Réunion du mardi 26 juin 2018 à 11h00
Commission d'enquête sur l'alimentation industrielle : qualité nutritionnelle, rôle dans l'émergence de pathologies chroniques, impact social et environnemental de sa provenance

Pierre Meneton, chercheur épidémiologiste :

En tant que chercheur, je soutiens tout à fait la démarche du Nutri-Score à laquelle j'ai d'ailleurs participé durant les trois dernières années, aux côtés de Serge Hercberg que vous avez auditionné et qui a dû vous faire part des difficultés de mise en place de cet étiquetage volontaire. Le Nutri-Score a été amorcé dans le secteur agroalimentaire français mais il est très loin d'avoir été adopté par tous. Certaines entreprises font tout pour éviter cet étiquetage ou pour en proposer un autre, beaucoup moins défavorable aux produits qu'ils fabriquent.

Des étiquetages de ce type existent depuis quelques années en Grande-Bretagne et en Australie. Ces expériences tendent à montrer que leur effet passe davantage par la compétition entre les industriels que par un changement de comportement des consommateurs. Les industriels dont les produits sont étiquetés « orange » vont essayer de s'aligner sur leurs concurrents dont les produits sont étiquetés « verts ». Il y aurait donc un intérêt intrinsèque à cet étiquetage. En revanche, les données disponibles montrent que les effets sont très limités sur le consommateur, à l'instar de ce que l'on observe en matière d'étiquetage sur les paquets de cigarettes.

Lors des débats parlementaires sur le projet de loi pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire, dit « EGALIM », un amendement visait à étendre le Nutri-Score aux produits non emballés. Répétons-le, le secteur agroalimentaire ne se limite pas aux produits industriels emballés et le secteur de la boulangerie-pâtisserie, en particulier, fournit une quantité d'aliments qui peuvent présenter des problèmes potentiels très importants pour la population française. Or ces produits échappent totalement au Nutri-Score puisqu'ils ne sont pas emballés. Malheureusement, l'amendement en question a été retoqué : il n'y aura pas d'étiquetage nutritionnel sur les produits non emballés.

Vous m'avez interrogé sur une substitution par le chlorure de potassium. Vous avez entendu le discours des industriels à propos de l'excès de sel : ils disent qu'ils essayent de faire ce qu'ils peuvent, mais que c'est très difficile parce que le consommateur se détourne du produit dont on réduit les teneurs en sel. Ce discours est contredit par de multiples études qui montrent que l'on peut réduire progressivement jusqu'à 50 % la teneur en sel sans que le consommateur s'en rende compte. L'accoutumance au sel, qui est réelle, se développe tout au long de l'enfance, précisément parce que le secteur agroalimentaire propose des aliments salés. Ce sont donc les industriels qui créent l'accoutumance au sel. Ils se défendent comme ils peuvent.

Certains ont sauté sur l'occasion pour proposer des produits moins salés, suivant une logique qui avait déjà fait apparaître des produits moins gras ou moins sucrés. Il existe désormais des produits – une gamme de charcuterie, par exemple – à teneur en sel réduite de 20 % ou de 30 %, et certains supermarchés leur réservent même des rayons. Ces initiatives montrent qu'il est possible de réduire la teneur en sel, mais elles présentent un problème majeur : ces produits sont plus vendus cher que les produits classiques. Or, contrairement à ce qui se passe pour le gras ou le sucre, il n'y a pas de gradient social en matière de surconsommation de sel en France. Les personnes socialement favorisées consomment autant de sel que le reste de la population. Avec cette niche de produits moins salés et plus chers, les industriels créent un gradient social qui n'existait pas. Quoi qu'il en soit et malgré la communication importante dont ils font l'objet, ces produits représentent un volume extrêmement marginal, pour ne pas dire négligeable, par rapport à l'offre alimentaire globale.

Certains industriels développent des sels de substitution tels que le potassium. Depuis une vingtaine d'années, la Finlande a entrepris d'utiliser ce biais pour réduire la consommation moyenne de sel, qui était très élevée, bien plus qu'elle ne l'est actuellement en France. L'usage d'un sel de substitution, relativement complexe mais principalement à base de chlorure de potassium, a permis de réduire d'environ 30 % les teneurs en chlorure de sodium de l'offre alimentaire en Finlande.

À ma connaissance, aucune agence nationale ou internationale ne recommande ce type de stratégie, qui pourrait pourtant être étayée par un argumentaire scientifique : les Occidentaux, notamment les Français, ne consomment pas assez de potassium, l'un des éléments nutritifs qui sont perdus en raison de la transformation des aliments. On peut imaginer qu'augmenter la consommation de potassium – comme de calcium, de magnésium et autres – pourrait présenter un intérêt en santé publique. Encore faudrait-il que tout cela soit évalué par une agence d'expertise qui prenne en compte toutes les études actuellement disponibles donc faire le point sur ce type de démarche. Seul l'Institut de médecine américain a émis, il y a quelques années, une recommandation sur la consommation de potassium mais sans l'envisager comme un substitut au sodium. Les agences préconisent une réduction nette de la teneur en chlorure de sodium dans les aliments.

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