Commission d'enquête sur l'alimentation industrielle : qualité nutritionnelle, rôle dans l'émergence de pathologies chroniques, impact social et environnemental de sa provenance

Réunion du mardi 26 juin 2018 à 11h00

Résumé de la réunion

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La réunion

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La séance est ouverte à onze heures dix.

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Nous accueillons M. Pierre Meneton, chercheur en santé publique à l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM). Il travaille dans l'unité mixte de recherche en santé 1142, au laboratoire d'informatique médicale et d'ingénierie des connaissances en e-santé. M. Meneton est docteur en biologie. Il a publié de nombreux articles scientifiques et a notamment apporté son expertise au sein d'organisations telle que l'Organisation mondiale de la santé (OMS).

La commission a souhaité entendre M. Meneton en tant que grand témoin. Sa carrière a, en effet, été marquée par un événement qui nous interroge. Au début des années 2000, M. Meneton a transmis à l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (AFSSA), devenue l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES), un dossier sur les effets délétères de l'excès de sel sur la santé. Il a alors été poursuivi en diffamation par le lobby du sel, notamment par le Comité des salines de France (CSF). Ce n'est qu'en 2008, au terme d'un parcours judiciaire éprouvant, qu'il a obtenu une relaxe. M. Meneton n'est pas un lanceur d'alerte parmi d'autres, il est un scientifique reconnu dont l'honneur et l'intégrité professionnelle ont été injustement mis en cause.

Ses conclusions concernaient le sel ajouté, généralement comme exhausteur de goût, dans les préparations industrielles. Cette pratique nous amène insidieusement à consommer de cinq à dix fois plus de sel que nécessaire aux besoins physiologiques. Même si la situation diffère selon les individus, il est néanmoins possible de parler d'une exposition chronique à la surconsommation de sel au long de la vie. Le sel est massivement utilisé par l'industrie car il reste un produit bon marché. Les conséquences pathologiques de l'excès de sel, du point de vue cardio-vasculaire mais aussi pour le développement des déminéralisations osseuses ou des cancers de l'estomac, font pourtant l'objet d'un consensus scientifique.

Cette affaire met en lumière les moyens à la disposition de certains lobbies de l'agroalimentaire pour désinformer les professionnels de la santé mais aussi les médias et, en conséquence, le grand public.

Monsieur Meneton, je vais vous donner la parole pour un exposé liminaire d'une dizaine de minutes. Nous passerons ensuite à un échange à partir de questions que nous aurons à vous poser, Michèle Crouzet, notre rapporteure, les collègues de la commission et moi-même.

Mais, au préalable, conformément aux dispositions de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958, je dois vous demander de prêter serment.

M. Pierre Meneton prête serment.

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Pierre Meneton, chercheur épidémiologiste

Merci, mesdames et messieurs les députés, de m'avoir invité à participer à vos travaux.

En tout premier lieu, je voudrais dire que je suis un peu gêné par la notion d'alimentation industrielle retenue dans le titre de votre commission. Si l'on s'intéresse aux relations possibles entre l'état de santé de la population et le secteur agroalimentaire, il faut inclure l'ensemble des quelque 10 000 entreprises existant en France, dont certaines sont loin d'atteindre une taille industrielle. Aux petites et moyennes entreprises (PME), parfois familiales, il faut ajouter les artisans, notamment cette spécificité française que représentent les quelque 30 000 boulangers. Ces derniers fabriquent et vendent des produits qui contiennent tout autant d'intrants indésirables ou déséquilibrés sur un plan nutritionnel, et qui sont consommés en quantité tout aussi importante que les produits industriels. Si l'on s'intéresse aux relations entre l'alimentation et la santé, il faut prendre en considération tout le secteur agroalimentaire et pas seulement les grandes entreprises.

Qu'en est-il de l'offre proposée à la population française par le secteur ? Elle repose sur la transformation de quelques centaines – en tout cas moins d'un millier – d'aliments de base en plus de 500 000 produits différents, dont 30 % ne tiennent pas le choc plus d'un an, malgré les multiples publicités, mais sont remplacés par de nouveaux produits chaque année. Il est difficile de fabriquer 500 000 produits à partir d'un petit millier d'ingrédients de base sans faire un peu n'importe quoi.

Les ingrédients de base ne sont pas exempts de problèmes, dus aux polluants divers ou à leur composition nutritionnelle parfois déséquilibrée en raison des conditions de culture ou d'élevage. Cependant, leur transformation induit deux problèmes centraux : une perte plus ou moins importante d'éléments nutritifs présents naturellement dans les aliments et qui ont généralement un rôle protecteur vis-à-vis des pathologies ; un ajout plus ou moins massif d'éléments exogènes – sucres, graisses, sel – qui ont plutôt des effets délétères sur la santé.

Les effets en question sont des maladies chroniques qui se développent sur le long terme, suite à une exposition tout au long de la vie, dès le plus jeune âge. L'exposition peut avoir lieu in utero, mais elle commence surtout au sevrage, c'est-à-dire à l'âge de trois mois, en moyenne, dans notre pays. Les pathologies apparaissent plus ou moins tard au cours de la vie, à différents degrés de sévérité en fonction du patrimoine génétique des personnes et d'autres facteurs de risque auxquels elles sont exposées. Ce sont, en effet, des maladies multifactorielles dans le développement desquelles n'intervient pas seulement l'alimentation. Pour l'essentiel, il s'agit de problèmes cardiovasculaires, de certains cancers et de phénomènes de fragilisation osseuse. Ces trois grands types représentent 95 % des problèmes chroniques de santé liés à l'alimentation.

La littérature scientifique qui sous-tend ce discours ne se résume pas à l'étude récemment publiée par l'équipe de Bobigny dont je n'ignore pas qu'elle est à l'origine de la création de cette commission d'enquête. Depuis le début du XXe siècle, plusieurs milliers d'études ont été publiées sur l'ajout de sel au cours de la transformation des aliments et ses effets sur la santé. La première étude a été réalisée par les Hôpitaux de Paris en 1904 et la première expertise collective a été effectuée en 1969 aux États-Unis. Depuis, plusieurs dizaines d'expertises collectives ont été réalisées à travers le monde par des organismes nationaux et internationaux.

En France, j'ai participé aux études qui ont donné lieu aux recommandations de l'AFSSA en 2002. Toutes ces expertises, sans exception, aboutissent à la même conclusion : l'excès chronique de sel provoque des problèmes de santé ; les populations – en particulier les populations occidentales – consomment trop de sel en moyenne et il serait souhaitable de faire baisser cette consommation. Ce type de constat unanime se retrouve pour nombre d'autres aspects nutritionnels liés à l'alimentation.

Quels ont été les effets de ces recommandations qui, pour les premières, datent de cinquante ans ? En France, nous pouvons les mesurer grâce aux trois études individuelles nationales des consommations alimentaires (INCA) réalisées par l'ANSES en 1999, 2007 et 2015, et par les études sur la teneur en sel des aliments réalisées, au cours de la même période, par des associations comme l'Union fédérale des consommateurs-Que choisir (UFC-Que choisir) et 60 millions de consommateurs. Toutes ces études montrent qu'il n'y a pas eu de changement notable dans la consommation moyenne de sel dans la population française. En France – mais c'est la même chose dans les autres pays –, les recommandations n'ont servi à rien.

Dans les dernières recommandations de l'OMS sur l'excès de sel, qui datent de 2007 et auxquelles j'ai également participé, il est clairement indiqué que les politiques basées sur le volontariat ne peuvent aboutir qu'à des résultats marginaux et que seule une politique intégrant une législation peut donner des résultats significatifs à condition de pouvoir l'implémenter. Il ne s'agit pas d'une position de principe : l'analyse de tous les problèmes de santé publique historiques – amiante, plomb, tabac, alcool – montre que le volontariat ne donne pas de résultat.

Ce n'est pas vraiment une surprise, car les responsabilités sont diluées pour au moins deux raisons ; les effets ne sont pas immédiats et ils surviennent même très longtemps après le début de l'exposition au risque ; il est pratiquement impossible d'établir une relation de cause à effet pour un individu donné car les maladies ont des causes multifactorielles. Dans ces conditions, on voit mal ce qui pourrait pousser le secteur agroalimentaire à changer ses habitudes, sans compter qu'il paraît difficile que cela puisse se faire sans une réduction globale de son chiffre d'affaires.

Quelle a été la position des pouvoirs publics ? Dans l'exemple du sel, qui est très représentatif des problèmes alimentaires auxquels nous sommes confrontés, elle a toujours la même et elle est parfaitement résumée dans une lettre qui m'avait été envoyée en 2008, au moment de mes démêlés judiciaires avec le lobby du sel, par Roselyne Bachelot, ministre de la santé à l'époque : « La réduction de la consommation en sel est un enjeu majeur de santé publique mais toute la stratégie est orientée vers une démarche volontaire des acteurs économiques de réduire la quantité de sel dans les préparations industrielles ou artisanales. » Elle est également illustrée par le plan de prévention présenté, il y a quelques mois, par le comité interministériel pour la santé, dont l'un des objectifs est d'agir sur l'excès de sel alimentaire. Il est indiqué : « En cohérence avec les États généraux de l'alimentation, il faut inciter les industriels, par des mécanismes d'autorégulation, à réduire la teneur en sel des aliments et à améliorer en complément le contenu en autres nutriments d'intérêt pour la santé. »

En conclusion, la situation peut évidemment perdurer encore longtemps, à l'image de ce qui s'est produit dans le passé. Il faut quand même rappeler les cinquante années perdues dans le cas du tabac, de l'amiante ou du plomb qui ont fait tant de victimes.

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Au moment de vos démêlés avec les lobbyistes du sel, quelles ont été les réactions de la communauté scientifique et des grands organismes de recherche, notamment l'INSERM ? Votre hiérarchie vous a-t-elle suffisamment protégé ?

À votre connaissance, y a-t-il eu d'autres tentatives de déstabilisation de chercheurs à l'étranger concernant des travaux qui déplaisaient au secteur agroalimentaire, par le biais de campagnes de dénigrement ou de poursuites judiciaires ?

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Pierre Meneton, chercheur épidémiologiste

Personnellement j'ai été confronté à diverses pressions depuis 1998. Cette année-là, le magazine La Recherche avait publié le premier article sur l'excès de sel, que j'avais écrit avec mon collègue Joël Ménard, qui était alors directeur général de la santé. Joël Ménard avait voulu sensibiliser le ministère français de la santé dès 1982, suite aux premières recommandations de l'OMS sur l'excès de sel, auxquelles il avait participé.

Après 1998, j'ai connu quelques péripéties. Des courriers ont été envoyés à l'INSERM, qui sont restés lettre morte. On en trouve certains sur internet. Je n'ai jamais eu de problème avec la direction de l'institut. Je n'ai pas non plus reçu d'aide très marquée de sa part mais je me mets tout à fait à sa place. À l'époque, nous avions voulu monter au créneau car l'excès de sel était ignoré en France, contrairement à l'excès de sucre ou de graisse. En l'état des connaissances et des recommandations internationales, cela nous semblait d'autant plus être une anomalie qu'il y avait un lobbying très actif en faveur du sel, auquel participait un chercheur de l'INSERM. Avec deux de ses chercheurs s'affrontant sur le sujet, on peut imaginer que l'institut ait eu du mal à adopter une ligne de conduite. L'INSERM a opté pour une position neutre, laissant chacun s'exprimer et les gens juger sur pièces, ce qui était probablement une bonne façon de faire. À plusieurs reprises, l'INSERM m'a d'ailleurs rappelé que, comme tout chercheur de l'institut, je bénéficiais d'une totale liberté d'expression concernant mes recherches ou mes connaissances.

En 2008, le lobby du sel m'a fait un procès en diffamation, suite à des propos tenus dans la presse. Je disais que ce lobby désinformait les professionnels de la santé. Il m'a été facile de démontrer, sur pièces, que c'était le cas depuis une trentaine d'années. Je ne suis plus leur activité mais, à mon avis, la situation n'a pas dû beaucoup changer.

En 2002, des journalistes d'investigation de l'hebdomadaire Le Point avaient publié un article semblant indiquer que nous avions fait l'objet, Joël Ménard et moi-même, d'écoutes administratives. C'est assez surprenant.

Pour ce qui me concerne, tout cela a eu peu de répercussions : je n'ai pas du tout été gêné dans ma recherche, et mon statut de fonctionnaire d'État d'un institut public m'a mis à l'abri de divers problèmes qu'ont pu rencontrer des gens qui travaillent dans un cadre privé ou semi-privé en France ou ailleurs. André Cicolella, un chercheur en toxicologie qui a dénoncé les effets des éthers de glycol, a été licencié de l'Institut national de l'environnement industriel et des risques (INERIS), un organisme semi-public, à la suite de pressions diverses. Des chercheurs, travaillant en Grande-Bretagne ou aux États-Unis sur les organismes génétiquement modifiés (OGM) ont connu le même type de mésaventure.

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J'en reviens à l'amélioration du contenu de notre assiette et aux engagements volontaires dont vous avez parlé. Le Programme national nutrition santé (PNNS) révisé, qui couvre la période allant de 2017 à 2021, part du constat que les politiques basées sur le volontariat ont été inefficaces. Il préconise des mesures contraignantes à l'égard des industriels. Dans ce contexte, que pensez-vous de la mise en place progressive et sur la base du volontariat du Nutri-Score comme mode d'information du consommateur ? Cet indicateur peut-il être opérant s'agissant de la teneur en sel ?

Un industriel nous a indiqué que certains de ses concurrents, qui mettent en avant une diminution du sel dans leurs charcuteries, les alourdissent en chlorure de potassium. Cette substitution vous semble-t-elle acceptable ?

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Pierre Meneton, chercheur épidémiologiste

En tant que chercheur, je soutiens tout à fait la démarche du Nutri-Score à laquelle j'ai d'ailleurs participé durant les trois dernières années, aux côtés de Serge Hercberg que vous avez auditionné et qui a dû vous faire part des difficultés de mise en place de cet étiquetage volontaire. Le Nutri-Score a été amorcé dans le secteur agroalimentaire français mais il est très loin d'avoir été adopté par tous. Certaines entreprises font tout pour éviter cet étiquetage ou pour en proposer un autre, beaucoup moins défavorable aux produits qu'ils fabriquent.

Des étiquetages de ce type existent depuis quelques années en Grande-Bretagne et en Australie. Ces expériences tendent à montrer que leur effet passe davantage par la compétition entre les industriels que par un changement de comportement des consommateurs. Les industriels dont les produits sont étiquetés « orange » vont essayer de s'aligner sur leurs concurrents dont les produits sont étiquetés « verts ». Il y aurait donc un intérêt intrinsèque à cet étiquetage. En revanche, les données disponibles montrent que les effets sont très limités sur le consommateur, à l'instar de ce que l'on observe en matière d'étiquetage sur les paquets de cigarettes.

Lors des débats parlementaires sur le projet de loi pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire, dit « EGALIM », un amendement visait à étendre le Nutri-Score aux produits non emballés. Répétons-le, le secteur agroalimentaire ne se limite pas aux produits industriels emballés et le secteur de la boulangerie-pâtisserie, en particulier, fournit une quantité d'aliments qui peuvent présenter des problèmes potentiels très importants pour la population française. Or ces produits échappent totalement au Nutri-Score puisqu'ils ne sont pas emballés. Malheureusement, l'amendement en question a été retoqué : il n'y aura pas d'étiquetage nutritionnel sur les produits non emballés.

Vous m'avez interrogé sur une substitution par le chlorure de potassium. Vous avez entendu le discours des industriels à propos de l'excès de sel : ils disent qu'ils essayent de faire ce qu'ils peuvent, mais que c'est très difficile parce que le consommateur se détourne du produit dont on réduit les teneurs en sel. Ce discours est contredit par de multiples études qui montrent que l'on peut réduire progressivement jusqu'à 50 % la teneur en sel sans que le consommateur s'en rende compte. L'accoutumance au sel, qui est réelle, se développe tout au long de l'enfance, précisément parce que le secteur agroalimentaire propose des aliments salés. Ce sont donc les industriels qui créent l'accoutumance au sel. Ils se défendent comme ils peuvent.

Certains ont sauté sur l'occasion pour proposer des produits moins salés, suivant une logique qui avait déjà fait apparaître des produits moins gras ou moins sucrés. Il existe désormais des produits – une gamme de charcuterie, par exemple – à teneur en sel réduite de 20 % ou de 30 %, et certains supermarchés leur réservent même des rayons. Ces initiatives montrent qu'il est possible de réduire la teneur en sel, mais elles présentent un problème majeur : ces produits sont plus vendus cher que les produits classiques. Or, contrairement à ce qui se passe pour le gras ou le sucre, il n'y a pas de gradient social en matière de surconsommation de sel en France. Les personnes socialement favorisées consomment autant de sel que le reste de la population. Avec cette niche de produits moins salés et plus chers, les industriels créent un gradient social qui n'existait pas. Quoi qu'il en soit et malgré la communication importante dont ils font l'objet, ces produits représentent un volume extrêmement marginal, pour ne pas dire négligeable, par rapport à l'offre alimentaire globale.

Certains industriels développent des sels de substitution tels que le potassium. Depuis une vingtaine d'années, la Finlande a entrepris d'utiliser ce biais pour réduire la consommation moyenne de sel, qui était très élevée, bien plus qu'elle ne l'est actuellement en France. L'usage d'un sel de substitution, relativement complexe mais principalement à base de chlorure de potassium, a permis de réduire d'environ 30 % les teneurs en chlorure de sodium de l'offre alimentaire en Finlande.

À ma connaissance, aucune agence nationale ou internationale ne recommande ce type de stratégie, qui pourrait pourtant être étayée par un argumentaire scientifique : les Occidentaux, notamment les Français, ne consomment pas assez de potassium, l'un des éléments nutritifs qui sont perdus en raison de la transformation des aliments. On peut imaginer qu'augmenter la consommation de potassium – comme de calcium, de magnésium et autres – pourrait présenter un intérêt en santé publique. Encore faudrait-il que tout cela soit évalué par une agence d'expertise qui prenne en compte toutes les études actuellement disponibles donc faire le point sur ce type de démarche. Seul l'Institut de médecine américain a émis, il y a quelques années, une recommandation sur la consommation de potassium mais sans l'envisager comme un substitut au sodium. Les agences préconisent une réduction nette de la teneur en chlorure de sodium dans les aliments.

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Pour les produits à teneur en sel réduite, le problème est souvent le niveau de départ. Quel serait le cadre contraignant pour s'assurer que, à terme, on arrive à une consommation conforme aux recommandations ? Faut-il envisager une baisse en pourcentage de la teneur en sel de tous les aliments ? Comment amorcer cette baisse et sortir de cette accoutumance ? Quel peut être le dispositif technique ?

Les aliments à forte teneur en sel poussent à boire davantage de sodas, d'eaux minérales embouteillées et autres. Pensez-vous qu'il existe une sorte de collusion entre les deux types d'industries qui peuvent appartenir aux mêmes multinationales ?

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Pierre Meneton, chercheur épidémiologiste

Au regard des teneurs en sel, l'offre alimentaire est extrêmement hétérogène. De manière générale, du sel est ajouté dans un nombre extraordinaire d'aliments transformés : ceux dans lesquels il n'y a pas de sel ajouté sont très minoritaires.

En l'absence de réglementation et de critères, quels qu'ils soient, cette hétérogénéité concerne des produits identiques. Le rapport de l'AFSSA de 2002 avait mis en évidence que pour un même type d'aliment de fromagerie ou de charcuterie, la teneur en sel pouvait varier de deux à trois – c'était par exemple le cas pour deux camemberts au lait cru vendus sur le marché. Cela montre en tout cas que les modes de fabrication sont différents d'un producteur à l'autre, et que des marges de manoeuvre existent qui ne sont pas utilisées.

S'agissant des modes de fabrication, il faut avoir conscience que la production ne repose pas uniquement sur des grosses entreprises aux procédures bien calibrées. Le secteur compte également de nombreuses PME, certaines plutôt petites, au sein desquelles les normes appliquées ne sont pas très restrictives. Le contrôle précis des teneurs en sel n'est alors pas évident. Et je ne parle même pas des artisans boulangers qui ajoutent le sel sans mesure précise !

L'obstacle principal que rencontrera la stratégie que vous évoquiez tient à la difficulté de l'implémentation d'une éventuelle législation dans un secteur aussi éclaté. Il ne pas suffira de voter une loi ou de rédiger un décret pour qu'une norme soit véritablement appliquée…

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Pierre Meneton, chercheur épidémiologiste

Je ne sais ce qu'il en est aujourd'hui des moyens qui seraient nécessaires à l'application de telles mesures – je pense au rôle de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) –, mais ce que j'entends ne me paraît pas très positif.

La faisabilité strictement matérielle d'une réduction des teneurs en sel des aliments allant jusqu'à 50 % a été démontrée par de multiples études dans différents pays. Cette réduction ne rencontre aucun obstacle – cela se vérifie, par exemple, en termes d'accoutumance du consommateur – à une exception près s'agissant du chiffre d'affaires de l'industrie agroalimentaire. En effet, comme les graisses et les sucres, le sel ajouté dans l'alimentation constitue un puissant moteur de consommation.

Cela concerne la consommation de boissons, vous avez raison, monsieur le président. Pour tous les mammifères terrestres, la relation directe entre la consommation de sel et l'absorption de boissons a été parfaitement démontrée. Plusieurs études montrent que l'ajout de sel dans les aliments par le secteur agroalimentaire fait en moyenne boire un demi-litre supplémentaire par jour et par personne dans un pays comme la France. Sur 1,6 litre bu chaque jour par un individu type, 0,5 litre l'est en raison de l'ajout de sel. Les boissons concernées sont aussi bien l'eau du robinet, l'eau minérale que des boissons sucrées…

Très honnêtement, je ne pense pas qu'il y ait une collusion entre les industries de l'agroalimentaire et celles qui produisent les boissons. En général les fabricants de produits alimentaires transformés ne sont pas producteurs de boissons. Qu'il y ait une collusion de fait…

Du côté des fabricants de boissons, on trouve relativement peu de PME et beaucoup de très grandes entreprises qui sont parfaitement au courant de ce que nous disons ce matin sur le sel, et depuis très longtemps. Ils voient d'un très mauvais oeil toute diminution de la consommation de sel dans la population française, car ils savent que, d'une certaine façon, cela entraînerait la diminution de la consommation de boissons. On peut donc imaginer que ces entreprises font tout pour éviter la mise en place d'une législation comme celle dont nous avons parlé.

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Même si nous étions déjà au courant, ce que vous dites est alarmant. Nous devons trouver une solution pour réduire la consommation de sel.

Considérez-vous que les consommateurs soient suffisamment renseignés pour déterminer l'impact que peut avoir cette consommation sur leur santé ? Les référentiels institutionnels mis à leur disposition, par exemple les apports journaliers recommandés, sont-ils pertinents et suffisamment adaptés ?

J'ai lu un article de presse qui indiquait qu'en passant d'une consommation quotidienne de dix grammes de sel à une consommation de cinq grammes, on pourrait sauver 850 000 vies par an. Certes, mais nous n'avons aucune idée de ce que représentent les cinq grammes de sel en question. Pour ma part, je suis totalement incapable de vous dire si ma consommation de sel dépasse ou non la dose recommandée. Comment évaluer cela ? Nous avons besoin d'un référentiel ou d'un indice qui nous permette d'y voir plus clair. Je ne pense pas au cas du Nutri-Score qui peut parfaitement attribuer la couleur verte à un produit salé – on sait que la charcuterie est salée, mais il n'est pas mauvais non plus d'en consommer un peu. Alors, avec quel outil sensibiliser les consommateurs à leur propre consommation ?

Vous avez cité les pays nordiques : ils savent faire du jambon blanc sans nitrites. C'est donc possible ! Demain, ceux qui produiront sans nitrites rafleront peut-être les meilleurs marchés. Les opportunités sont aujourd'hui multiples, comment pousser les industriels à les saisir ?

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Pierre Meneton, chercheur épidémiologiste

Vous n'êtes pas la seule à ne pas savoir où vous en êtes en termes de consommation de sel. Moi-même, je ne le sais pas. Les enquêtes de consommation alimentaire menée par l'ANSES montrent de manière très claire que le pourcentage de consommateurs qui déclarent faire attention à leur consommation de sel est d'environ 10 à 15 % en France. Cette proportion est très inférieure à celle des gens déclarant faire attention à leur consommation de sucre ou de graisses qui atteint environ 30 à 50 % des consommateurs.

Il est remarquable que ce pourcentage autour de 15 % soit totalement invariable dans la population, quelle que soit la consommation de sel : ceux qui consomment énormément de sel et ceux qui en consomment peu déclarent la même chose. Autrement dit, il n'y a aucune corrélation entre le fait de faire attention à sa consommation de sel et sa consommation réelle de sel ! Cela n'est pas du tout étonnant puisque, en l'absence d'un étiquetage systématique, le consommateur n'a aucun moyen de contrôler sa consommation.

Cela dit, les choses deviendraient invivables s'il fallait en permanence faire attention à sa consommation de sel, de sucre et de graisse. Ce serait intenable !

L'offre alimentaire est tellement sur-salée, et les solutions alternatives sont à ce point marginales, qu'il n'y a aucun choix : tout le monde consomme, en moyenne, beaucoup trop de sel. Évidemment, selon votre profil de consommation, il y a des différences : les jeunes femmes végétariennes qui ont tendance à cuisiner consomment en moyenne moins de sel que les hommes qui mangent beaucoup d'aliments transformés. Il est clair que ce type de comportement a une influence sur la consommation de sel. Il reste qu'actuellement, on peut dire qu'aucune alternative digne de ce nom n'est proposée à la population.

Cette remarque m'amène à évoquer un point auquel j'ai tenté, sans résultat, de sensibiliser les associations. Je considère que le problème de santé publique lié à l'excès de consommation de sel est légèrement différent, par exemple, des problèmes liés au tabagisme ou à l'alcoolisme. En effet, l'absorption excessive de sel, qui est à l'origine de problèmes de santé, est largement imposée aux gens, plus ou moins à leur insu. Si nous mesurions la consommation de sel des personnes présentes dans cette salle, nous constaterions sans doute que nous en consommons tous beaucoup trop par rapport à nos besoins physiologiques, et que cela peut se traduire par des problèmes de santé pour chacun d'entre nous. Pourtant, la plupart d'entre nous n'ont pas choisi de consommer du sel. Il en est autrement lorsque vous choisissez de fumer une cigarette ou de boire un verre d'alcool. Dans le cadre du droit français, il me semble que cela frise la tromperie aggravée : quelqu'un est exposé à son insu à un risque avéré. Malheureusement, comme je vous le disais, personne n'a vraiment exploré cette voie jusqu'à présent.

La question de l'excès de sel n'est que l'un des problèmes de l'alimentation. Le sujet a le mérite d'être relativement simple : le produit concerné est chimiquement bien défini, il est facile à doser et à mesurer. Cela fait une très grosse différence avec les graisses ou les sucres qui sont pluriels et sont plus difficiles à contrôler.

En France, le pain est le principal pourvoyeur de sel. Pour la population, 20 % de l'apport journalier de sel provient du pain. Cet aliment contient des quantités de sel relativement importantes, ajoutées pour les deux tiers par le secteur artisanal, les 30 000 artisans boulangers, et pour un tiers par les industriels. Les Français consomment quotidiennement une grande quantité de pain. Lors des travaux de l'AFSSA, nous étions en contact avec l'Institut national de la boulangerie-pâtisserie (INBP) de Rouen, qui représente une partie des artisans boulangers-pâtissiers. Ils nous ont dit qu'ils étaient parfaitement conscients du problème mais ils expliquent eux-mêmes que, dans un cadre non réglementaire, il est difficile pour un artisan boulanger de réduire la teneur en sel de son pain alors que son concurrent, à cent mètres de là, ne fait pas de même. Dans un tel contexte, on comprend bien qu'aucune spirale vertueuse ne s'amorce.

Cela fait vingt ans que la situation dure. On pourrait parfaitement imaginer qu'un décret réglemente à la baisse la teneur en sel du pain. Il s'agirait d'une disposition relativement simple, et les contrôles à effectuer le seraient également. Elle n'est pas irréaliste et elle permettrait de réduire un peu la surconsommation de sel de la population française.

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Historiquement, la France a connu une période durant laquelle le sel était rare et extrêmement cher : on en consommait alors très peu. Une augmentation réelle du prix du sel permettrait peut-être d'obtenir des résultats en termes de consommation. On a constaté que l'augmentation du prix des cigarettes permettait de réduire fortement la consommation de tabac ou qu'elle empêchait des non-fumeurs de passer à l'acte. Peut-être, s'agissant du sel, faudrait-il utiliser l'argument financier, qui est toujours celui qui porte le plus, mais cela ne serait pas facile à mettre en place ?

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Pierre Meneton, chercheur épidémiologiste

Pourquoi pas ? Des taxes ont bien été mises en place sur les boissons sucrées ! Une taxe pourrait s'appliquer au sel ajouté dans les aliments.

Il faudrait tout de même étudier les conséquences sur le coût final des produits. Les aliments très salés deviendraient plus chers, ce qui aurait tendance à pousser le secteur à produire plutôt moins salé pour rester compétitif tout en bénéficiant d'une image positive auprès des consommateurs. Cela ne me paraît pas déraisonnable.

Immanquablement, le secteur agroalimentaire et certaines personnes évoqueront le retour de la gabelle, mais, d'un point de vue strictement économique, je ne pense pas que ce soit une proposition délirante. À ma connaissance, une telle démarche n'a jamais été entreprise dans le monde.

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Il me semble que le cas du sel est exemplaire ou emblématique en matière d'offre alimentaire. Comme vous le constatez, il y a aujourd'hui peu d'alternatives. Cela vaut pour le sel, mais également pour de nombreux autres aliments. La prépondérance de l'alimentation transformée ou ultra-transformée crée une dépendance en même temps qu'elle répond à notre mode de vie, qui ne nous laisse plus le temps de cuisiner, sans que nous soit proposée aujourd'hui une offre alternative suffisante.

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Pierre Meneton, chercheur épidémiologiste

Le sel est en effet un très bon révélateur des problèmes liés à l'alimentation transformée. Même si ce n'est pas l'unique problème posé, il est archétypal de ceux rencontrés par exemple avec les sucres ou les graisses.

Je vous avoue que je reste extrêmement sceptique sur les possibilités de modification de l'offre alimentaire telle qu'elle existe en France actuellement. Les acteurs économiques vous ont rappelé que nous avions affaire à la première activité économique du pays, avec les emplois correspondants. Je vois mal comment fabriquer 500 000 produits transformés différents sans que cela pose problème. C'est délirant dans son principe même ! À part la solution consistant à réduire le nombre de ces produits, je ne vois pas de solution. Je rappelle que cela se traduirait par une réduction de la principale activité économique du pays – et qui est aussi celle des autres pays occidentaux. Je ne vous cache donc pas mon scepticisme.

Je verrais plutôt la mise en place d'incitations sur le modèle de ce que nous venons de discuter, comme une taxe sur le sel ou, éventuellement une réglementation relative à certaines catégories d'aliments permettant de mener de manière plus ou moins réaliste des actions ciblées. En s'accumulant, elles permettraient peut-être d'améliorer un peu la situation. Sinon, j'ai beaucoup de mal à voir comment les choses pourraient évoluer de manière très importante.

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Il faut sans doute passer par un cadre réglementaire pour que l'offre évolue. Nous y réfléchissons. On voit bien que les engagements volontaires échouent les uns après les autres.

Sachant que toutes les entreprises seraient sur un pied d'égalité face à une réglementation, pourquoi pensez-vous qu'une production plus vertueuse prenant en compte des enjeux de santé porterait atteinte économiquement à la première activité du pays ?

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Pierre Meneton, chercheur épidémiologiste

Parce que, de mon point de vue, il est matériellement impossible de fabriquer 500 000 produits différents à partir d'un millier d'aliments de base sans que cette production soit déséquilibrée sur le plan nutritionnel et méconnaisse les besoins physiologiques de l'organisme. Ce n'est pas possible. Le problème de fond tient à la fabrication de masse d'un nombre de produits absolument délirant, ayant subi un nombre de transformations tout aussi délirant !

Des normes pourraient effectivement être adoptées en matière de teneur en sel, encore faudrait-il avoir la possibilité matérielle de les mettre en oeuvre ! Je vois mal une évolution économique du secteur dans un contexte économique mondialement intégré. Nous parlions jusqu'à maintenant des entreprises françaises, mais, évidemment, il faut compter avec le secteur agroalimentaire international. Il est très difficile d'envisager des actions ciblées uniquement nationales sans prendre aussi en compte les importations et les exportations.

J'avoue que j'ai énormément de mal, peut-être en raison de mes connaissances limitées dans le domaine, à imaginer une évolution positive notable de l'offre alimentaire telle qu'elle existe actuellement. Je me trompe peut-être.

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Quelles sont les principales raisons pour lesquelles du sel est ajouté aux produits alimentaires transformés ? Est-ce pour augmenter le poids des aliments qui contiennent de l'eau ? Est-ce parce que le sel est un exhausteur de goût ?

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Pierre Meneton, chercheur épidémiologiste

L'ajout de sel dans les aliments se pratiquait déjà chez les Égyptiens il y a trois mille ans ; il a continué à se pratiquer jusqu'à nos jours. C'est un véritable héritage culturel et historique. Les vertus antiseptiques du sel expliquent en particulier son usage jusqu'à la mise en place de la chaîne du froid, dans les années 1960, car le sel permettait d'améliorer les conditions bactériologiques de stockage des aliments.

Depuis cette époque, le secteur agroalimentaire continue d'ajouter du sel dans les dans les aliments, malgré les problèmes que cela peut occasionner sur le plan de la santé, pour des raisons multiples.

Il y a d'abord tout simplement une question d'habitude. Lorsque de petites ou moyennes entreprises, et encore plus des artisans, ont une recette qui plaît aux consommateurs, ils ne veulent pas prendre le risque d'en changer. Ils ne le feront pas sans qu'on les pousse à le faire.

Il y a ensuite une utilisation du sel comme exhausteur de goût des autres aliments. De multiples études ont par exemple montré que le sel rehausse les saveurs sucrées et inhibe les saveurs amères. C'est la raison pour laquelle on trouve du sel dans les produits sucrés.

L'adjonction de sel ne constitue pas le seul moyen d'augmenter le poids des aliments contenant de l'eau – on peut également utiliser les nitrates ou les nitrites par exemple –, mais cet usage existe bel et bien. Lorsque je travaillais sur ces questions, des représentants du secteur de l'industrie de la charcuterie m'ont expliqué, en off, que cette pratique leur permettait de dégager 15 % de leur chiffre d'affaires.

Enfin l'accoutumance aux produits salés constitue tout simplement un moteur de consommation : mangez salé amène à consommer plus de produits salés, voire plus de boissons.

Pourquoi le boulanger du coin, ajoute-t-il en moyenne cinq ou six grammes de sel dans sa baguette ? Uniquement parce qu'il a toujours fait comme cela, et que personne ne lui a dit de faire autrement. Pourtant, toutes les expériences de réduction de la teneur en sel menées par les artisans boulangers prouvent que cette option est parfaitement jouable. Il n'y a aucun problème en termes de goût. L'INBP a fait des tests auprès de panels de consommateurs, qui ont montré qu'avec 20 % ou 30 % de sel en moins, certains arômes de la farine ressortent et que le pain est même davantage apprécié. Le problème, c'est que personne n'est allé expliquer cela aux 30 000 artisans boulangers qui continuent à faire exactement ce qu'ils font depuis qu'ils ont appris leur métier.

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Certains sels de table et de cuisine peuvent être enrichis en iode. Le PNNS 2015 proposait de faire la promotion de la consommation de sel iodé, tout en souhaitant une limitation de la consommation de sel, ce qui semble peu cohérent. Qu'en est-il selon vous, sachant que le sel iodé résiste très mal à la cuisson et à l'humidité ?

Les industriels ajoutent-ils du sel iodé dans leurs produits ? Sommes-nous en manque d'iode ? Nous pouvons en consommer grâce aux poissons qu'il faudrait cependant aussi éviter car ils posent d'autres problèmes. Tous les sels doivent-ils être enrichis en iode ?

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Pierre Meneton, chercheur épidémiologiste

L'argument de l'apport en iode est depuis très longtemps avancé par les producteurs de sel pour vanter les mérites potentiels de la consommation de leur produit.

Les aliments transformés par le secteur agroalimentaire constituent 80 % de l'apport journalier de sel dans l'alimentation des Français comme des autres populations occidentales. Les 20 % restants sont ajoutés par les consommateurs eux-mêmes, à table ou lorsqu'ils cuisinent. On peut donc très bien promouvoir un sel de table éventuellement iodé, tout en réduisant la surconsommation de sel : il faut pour cela agir sur la quantité de sel ajouté dans les aliments transformés par le secteur agroalimentaire.

À ma connaissance, aujourd'hui, il n'y a plus vraiment de problème de déficience en iode dans notre pays, grâce à la diversification alimentaire en produits de la mer – qu'il s'agisse de produits directs ou indirects ou encore de produits dérivés. Les déficiences en iode sont désormais extrêmement marginales, même si je crois savoir que dans certaines catégories de la population, comme les sans domicile fixe, le problème peut exister.

Globalement, la question de l'apport en iode n'est donc pas vraiment un problème de santé publique aujourd'hui en France. On peut promouvoir le sel iodé comme sel de table – sachant que le sel de table ne représente qu'une part marginale du sel consommé quotidiennement. C'est en effet préférable au sel non iodé. Cependant, le gros problème vient du sel non iodé que le secteur agroalimentaire ajoute dans ses produits : il représente 80 % de notre apport quotidien.

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Est-il pertinent que le PNNS encourage la consommation de sel iodé alors que l'on ne constate pas de carence en iode ?

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Pierre Meneton, chercheur épidémiologiste

S'agissant des sans-domicile fixe, qui représentent une très faible fraction de la population et qui ont des déficiences en iode, il est préférable, s'ils consomment du sel, que ce soit du sel iodé. Au-delà, en termes de santé publique globale, je crois que cette option n'a que peu d'intérêt aujourd'hui en France.

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En vous remerciant vivement pour toutes les informations que vous nous avez communiquées, nous vous laissons conclure, si vous le souhaitez.

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Pierre Meneton, chercheur épidémiologiste

Je vous remercie à mon tour de m'avoir auditionné. Je travaille actuellement sur des thématiques de recherche différentes, relatives à l'état de santé des chômeurs et à l'état de santé en lien avec les conditions de travail, qui posent aussi de gros problèmes.

Je suis vraiment heureux qu'une commission d'enquête parlementaire se soit constituée sur le sujet qui est le vôtre. Depuis vingt ans, j'ai constaté l'inertie presque totale des pouvoirs publics en la matière ; j'espère que vos travaux auront plus de succès que les tentatives passées. Je travaille avec un collègue qui a vingt ans de plus que moi. Il avait lui-même essayé d'agir autrefois sans y parvenir : nous avons donc maintenant un recul de quarante ans. On constate que, de quelque manière que ce soit, il est extrêmement difficile de faire bouger les choses. Peut-être aurez-vous plus de chance que nous. Je crois que vous êtes la première commission d'enquête parlementaire sur ce sujet.

Il reste que, s'agissant de l'excès de sel ou des autres problèmes alimentaires, les recommandations de l'AFSSA remontent à 2002, et qu'elles ont été répétées depuis. Les travaux scientifiques présentés dans les recommandations internationales, innombrables et convaincants, sont presque devenus des évidences

J'estime que la balle est aujourd'hui davantage du côté des pouvoirs publics que du côté du secteur agroalimentaire, car, à défaut d'un contrôle, comme les autres secteurs économiques, il n'a comme curseur que son taux de profit.

La séance est levée à douze heures quinze.

Membres présents ou excusés

Réunion du mardi 26 juin 2018 à 11 heures

Présents. - Mme Fannette Charvier, Mme Michèle Crouzet, M. Loïc Prud'homme

Excusés. - M. Julien Aubert, M. Christophe Bouillon, Mme Bérengère Poletti