Intervention de Pierre Meneton

Réunion du mardi 26 juin 2018 à 11h00
Commission d'enquête sur l'alimentation industrielle : qualité nutritionnelle, rôle dans l'émergence de pathologies chroniques, impact social et environnemental de sa provenance

Pierre Meneton, chercheur épidémiologiste :

Vous n'êtes pas la seule à ne pas savoir où vous en êtes en termes de consommation de sel. Moi-même, je ne le sais pas. Les enquêtes de consommation alimentaire menée par l'ANSES montrent de manière très claire que le pourcentage de consommateurs qui déclarent faire attention à leur consommation de sel est d'environ 10 à 15 % en France. Cette proportion est très inférieure à celle des gens déclarant faire attention à leur consommation de sucre ou de graisses qui atteint environ 30 à 50 % des consommateurs.

Il est remarquable que ce pourcentage autour de 15 % soit totalement invariable dans la population, quelle que soit la consommation de sel : ceux qui consomment énormément de sel et ceux qui en consomment peu déclarent la même chose. Autrement dit, il n'y a aucune corrélation entre le fait de faire attention à sa consommation de sel et sa consommation réelle de sel ! Cela n'est pas du tout étonnant puisque, en l'absence d'un étiquetage systématique, le consommateur n'a aucun moyen de contrôler sa consommation.

Cela dit, les choses deviendraient invivables s'il fallait en permanence faire attention à sa consommation de sel, de sucre et de graisse. Ce serait intenable !

L'offre alimentaire est tellement sur-salée, et les solutions alternatives sont à ce point marginales, qu'il n'y a aucun choix : tout le monde consomme, en moyenne, beaucoup trop de sel. Évidemment, selon votre profil de consommation, il y a des différences : les jeunes femmes végétariennes qui ont tendance à cuisiner consomment en moyenne moins de sel que les hommes qui mangent beaucoup d'aliments transformés. Il est clair que ce type de comportement a une influence sur la consommation de sel. Il reste qu'actuellement, on peut dire qu'aucune alternative digne de ce nom n'est proposée à la population.

Cette remarque m'amène à évoquer un point auquel j'ai tenté, sans résultat, de sensibiliser les associations. Je considère que le problème de santé publique lié à l'excès de consommation de sel est légèrement différent, par exemple, des problèmes liés au tabagisme ou à l'alcoolisme. En effet, l'absorption excessive de sel, qui est à l'origine de problèmes de santé, est largement imposée aux gens, plus ou moins à leur insu. Si nous mesurions la consommation de sel des personnes présentes dans cette salle, nous constaterions sans doute que nous en consommons tous beaucoup trop par rapport à nos besoins physiologiques, et que cela peut se traduire par des problèmes de santé pour chacun d'entre nous. Pourtant, la plupart d'entre nous n'ont pas choisi de consommer du sel. Il en est autrement lorsque vous choisissez de fumer une cigarette ou de boire un verre d'alcool. Dans le cadre du droit français, il me semble que cela frise la tromperie aggravée : quelqu'un est exposé à son insu à un risque avéré. Malheureusement, comme je vous le disais, personne n'a vraiment exploré cette voie jusqu'à présent.

La question de l'excès de sel n'est que l'un des problèmes de l'alimentation. Le sujet a le mérite d'être relativement simple : le produit concerné est chimiquement bien défini, il est facile à doser et à mesurer. Cela fait une très grosse différence avec les graisses ou les sucres qui sont pluriels et sont plus difficiles à contrôler.

En France, le pain est le principal pourvoyeur de sel. Pour la population, 20 % de l'apport journalier de sel provient du pain. Cet aliment contient des quantités de sel relativement importantes, ajoutées pour les deux tiers par le secteur artisanal, les 30 000 artisans boulangers, et pour un tiers par les industriels. Les Français consomment quotidiennement une grande quantité de pain. Lors des travaux de l'AFSSA, nous étions en contact avec l'Institut national de la boulangerie-pâtisserie (INBP) de Rouen, qui représente une partie des artisans boulangers-pâtissiers. Ils nous ont dit qu'ils étaient parfaitement conscients du problème mais ils expliquent eux-mêmes que, dans un cadre non réglementaire, il est difficile pour un artisan boulanger de réduire la teneur en sel de son pain alors que son concurrent, à cent mètres de là, ne fait pas de même. Dans un tel contexte, on comprend bien qu'aucune spirale vertueuse ne s'amorce.

Cela fait vingt ans que la situation dure. On pourrait parfaitement imaginer qu'un décret réglemente à la baisse la teneur en sel du pain. Il s'agirait d'une disposition relativement simple, et les contrôles à effectuer le seraient également. Elle n'est pas irréaliste et elle permettrait de réduire un peu la surconsommation de sel de la population française.

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