Intervention de Agnès Buzyn

Réunion du mardi 26 juin 2018 à 10h00
Commission d'enquête sur l'égal accès aux soins des français sur l'ensemble du territoire et sur l'efficacité des politiques publiques mises en œuvre pour lutter contre la désertification médicale en milieux rural et urbain

Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé :

Il existe de fortes disparités territoriales dans l'accès aux soins, et la très grande majorité des territoires, même en zone urbaine, commencent à être en tension, même si certains territoires ruraux ou péri-urbains le sont déjà depuis quelques années.

J'ai constaté, dès mon arrivée au ministère, que la situation sur le terrain était très dégradée, raison pour laquelle j'ai tout de suite lancé un plan d'accès aux soins. Ce constat est le résultat de très mauvaises décisions prises par les gouvernements successifs, il y a vingt ou trente ans : pour réduire le déficit de la sécurité sociale, on a, à l'époque, choisi de réduire le nombre de médecins, ce qui a abouti à la catastrophe que nous connaissons aujourd'hui. Nous n'avons pas anticipé les besoins en termes de nombre de médecins, et le numerus clausus a fortement baissé de 1977 à 2001, date à laquelle il était inférieur à 4 000 médecins formés par an. Depuis 2001, il remonte progressivement, et nous sommes, depuis 2008, à plus de 8 000 médecins formés par an, ce qui nous met au niveau des années précédant 1977 ; mais, pendant trente ans, nous avons formé moitié moins de médecins qu'aujourd'hui, et nous en subissons évidemment les conséquences dramatiques.

À cette baisse du nombre de médecins s'ajoute une baisse considérable du temps médical accessible, liée à la fois à la féminisation de la profession et au fait que les hommes comme les femmes ont désormais la volonté de mieux concilier vie personnelle et professionnelle.

Cette baisse du temps médical accessible est encore plus importante que la baisse du nombre de médecins. Les chiffres de la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (DREES) indiquent en effet que le nombre de médecins n'est pas vraiment en diminution : relativement stable pour les spécialistes, il est en légère baisse pour les généralistes, car on a proportionnellement formé trop de spécialistes, sans se préoccuper de la médecine de premier recours, ce qui aboutit à la pénurie que nous connaissons aujourd'hui.

Ces chiffres devraient certes repartir à la hausse à partir de 2025, année qui correspond à la sortie de l'université des médecins ayant intégré le cursus de médecine après la réouverture du numerus clausus, dans les années 2005 à 2010. Entre-temps, les dix à quinze ans qu'il faut pour former un médecin introduisent de l'inertie dans le système et font que la situation va être très compliquée à gérer d'ici à 2025.

Une fois ce constat fait, nous avons évidemment souhaité prendre le taureau par les cornes. Jusqu'à présent, les différentes politiques menées étaient quasi exclusivement axées sur l'incitation à l'installation, au moyen de bonus pour ceux qui s'installaient en zone rurale, ou de bourses aux étudiants qui acceptaient d'exercer en zones sous dotées, bref, de mesures relevant uniquement de l'aide financière.

C'était un mauvais calcul. Non que ce ne soit pas utile, dans certains cas du moins, mais cela a également créé beaucoup d'effets d'aubaine, en attirant notamment des médecins étrangers, qui venaient s'installer pour un ou deux ans dans un territoire puis repartaient, empêchant toute fidélisation des patients.

Le plan d'accès aux soins sur lequel j'ai travaillé tout l'été avec les différents partenaires – fédérations hospitalières, syndicats de médecins, ordres nationaux– vise à changer de paradigme. Il s'agit de ne plus agir sur l'installation des médecins, sachant qu'il en manque et que, par ailleurs, une femme qui termine son internat, mariée et mère de famille, n'ira pas s'installer à 200 kilomètres de la ville où réside la famille, quelles que soient les incitations. Nous devons désormais raisonner, d'une part, en temps médical accessible – ce qui compte, en effet, ce n'est pas que le médecin habite le village mais qu'il lui donne du temps régulièrement – et, d'autre part, en termes de coopération interprofessionnelle.

En effet, notre système de soins actuel a été pensé dans les années 1970, autour de la distinction binaire entre soins primaires, visant à traiter des maladies peu graves, et soins hospitaliers, visant à traiter les accidents et les maladies graves ou contagieuses. Or, avec le vieillissement de la population, la typologie des pathologies a largement évolué. Nous avons maintenant des pathologies chroniques et complexes qui nécessitent une bien meilleure articulation entre les différents professionnels, notamment les professionnels paramédicaux, qui participent à la prise en charge de ces pathologies chroniques, ce qui n'était pas le cas quand le médecin généraliste était juste là pour soigner une grippe ou une entorse.

Le plan d'accès aux soins comporte, dans cette perspective, trois types de mesures.

En premier lieu, des mesures permettant de dégager du temps médical sur les territoires. Cela inclut évidemment des aides à l'installation, car je ne renonce pas à faire en sorte que les gens s'installent, mais ça n'est pas l'unique vecteur. Nous augmentons également de 25 % le tarif de consultations des spécialistes ou des généralistes installés en zones sous dotées ; nous mettons en place des obligations de temps partagé entre les hôpitaux locaux et la médecine de ville, par exemple en maison de santé pluri-professionnelle (MSP), sachant que nous renforçons les dispositifs d'aide à destination de ces MSP ; nous facilitons enfin l'organisation de cabinet multiples – auxquels étaient jusqu'à présent assez hostiles les conseils de l'ordre départementaux –, pour permettre aux praticiens d'exercer dans deux ou trois cabinets et de donner du temps médical à différents territoires.

En second lieu, un paquet de mesures a pour but de développer la télémédecine. Outre que celle-ci va rentrer dans le droit commun, les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) seront tous équipés, ce qui évitera des hospitalisations aux urgences et aidera les professionnels. Au lieu qu'un patient doive attendre plusieurs mois avant d'obtenir un rendez-vous chez un spécialiste, son médecin généraliste pourra demander par téléconsultation un avis auprès d'un confrère spécialiste – par exemple, un dermatologue ou un cardiologue. Ces téléconsultations seront prises en charge par la sécurité sociale dès l'automne.

Un troisième paquet de mesures vise enfin à renforcer les coopérations interprofessionnelles. Beaucoup de pathologies chroniques aujourd'hui n'ont pas besoin d'être exclusivement suivies par un généraliste ; c'est le cas notamment du diabète – qui fait également appel à la podologie, à la diététique ou aux soins infirmiers pour la glycémie – mais également de l'insuffisance cardiaque.

Nous allons donc demander à la Haute Autorité de santé (HAS) de produire des référentiels de bonnes pratiques de prise en charge coordonnée, à partir desquels seront organisées sur le terrain des coopérations avec des délégations de tâches.

À cet égard, les infirmières ne sont pas les seules à pouvoir assumer des délégations de tâches, et de nombreux actes médicaux peuvent être pris en charge par d'autres professionnels : les pharmaciens, par exemple, peuvent pratiquer la vaccination, ce qui est aussi un moyen de dégager du temps médical.

Je pense réellement que l'exercice isolé en cabinet va devenir l'exception dans les années qui viennent, au profit d'un exercice coordonné, que ce soit en réseau ou dans des maisons de santé. C'est également dans cette perspective, que j'entends développer enfin la pratique avancée pour les infirmières, mais également pour d'autres professionnels. Dès la rentrée 2018, les universités seront ainsi obligées de proposer des masters de pratique avancée pour que nous ayons des infirmières aptes à la coordination et à la prise en charge des soins.

Telles sont donc les grandes lignes de ce plan d'accès aux soins. Il doit faire l'objet d'un comité de suivi, qui se réunira tous les six mois et associera des parlementaires et des élus territoriaux, pour rendre des comptes sur la base d'un certain nombre d'indicateurs.

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