La réunion

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Mardi 26 juin 2018

La séance est ouverte à dix heures.

Présidence de M. Alexandre Freschi, président de la commission d'enquête

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La commission d'enquête procède à l'audition de Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé.

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Mes chers collègues, nous avons à présent l'honneur de recevoir Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé, accompagnée de membres de son cabinet, M. Jacques-Olivier Dauberton et Mme Margaux Bonneau ainsi que de Mme Eve Robert, membre de l'inspection générale des affaires sociales (IGAS).

Nous vous remercions, madame la ministre, d'avoir trouvé un créneau dans votre emploi du temps surchargé pour répondre aux interrogations de notre commission d'enquête. Je vous informe que nous avons décidé de rendre publiques nos auditions et que, par conséquent, celles-ci sont ouvertes à la presse et diffusées en direct sur un canal de télévision interne, puis consultables en vidéo sur le site internet de l'Assemblée nationale.

Je vous rappelle que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête d'enquêtes de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever à main droite et à dire : « Je le jure. »

Mme Agnès Buzyn prête serment.

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Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé

Il existe de fortes disparités territoriales dans l'accès aux soins, et la très grande majorité des territoires, même en zone urbaine, commencent à être en tension, même si certains territoires ruraux ou péri-urbains le sont déjà depuis quelques années.

J'ai constaté, dès mon arrivée au ministère, que la situation sur le terrain était très dégradée, raison pour laquelle j'ai tout de suite lancé un plan d'accès aux soins. Ce constat est le résultat de très mauvaises décisions prises par les gouvernements successifs, il y a vingt ou trente ans : pour réduire le déficit de la sécurité sociale, on a, à l'époque, choisi de réduire le nombre de médecins, ce qui a abouti à la catastrophe que nous connaissons aujourd'hui. Nous n'avons pas anticipé les besoins en termes de nombre de médecins, et le numerus clausus a fortement baissé de 1977 à 2001, date à laquelle il était inférieur à 4 000 médecins formés par an. Depuis 2001, il remonte progressivement, et nous sommes, depuis 2008, à plus de 8 000 médecins formés par an, ce qui nous met au niveau des années précédant 1977 ; mais, pendant trente ans, nous avons formé moitié moins de médecins qu'aujourd'hui, et nous en subissons évidemment les conséquences dramatiques.

À cette baisse du nombre de médecins s'ajoute une baisse considérable du temps médical accessible, liée à la fois à la féminisation de la profession et au fait que les hommes comme les femmes ont désormais la volonté de mieux concilier vie personnelle et professionnelle.

Cette baisse du temps médical accessible est encore plus importante que la baisse du nombre de médecins. Les chiffres de la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (DREES) indiquent en effet que le nombre de médecins n'est pas vraiment en diminution : relativement stable pour les spécialistes, il est en légère baisse pour les généralistes, car on a proportionnellement formé trop de spécialistes, sans se préoccuper de la médecine de premier recours, ce qui aboutit à la pénurie que nous connaissons aujourd'hui.

Ces chiffres devraient certes repartir à la hausse à partir de 2025, année qui correspond à la sortie de l'université des médecins ayant intégré le cursus de médecine après la réouverture du numerus clausus, dans les années 2005 à 2010. Entre-temps, les dix à quinze ans qu'il faut pour former un médecin introduisent de l'inertie dans le système et font que la situation va être très compliquée à gérer d'ici à 2025.

Une fois ce constat fait, nous avons évidemment souhaité prendre le taureau par les cornes. Jusqu'à présent, les différentes politiques menées étaient quasi exclusivement axées sur l'incitation à l'installation, au moyen de bonus pour ceux qui s'installaient en zone rurale, ou de bourses aux étudiants qui acceptaient d'exercer en zones sous dotées, bref, de mesures relevant uniquement de l'aide financière.

C'était un mauvais calcul. Non que ce ne soit pas utile, dans certains cas du moins, mais cela a également créé beaucoup d'effets d'aubaine, en attirant notamment des médecins étrangers, qui venaient s'installer pour un ou deux ans dans un territoire puis repartaient, empêchant toute fidélisation des patients.

Le plan d'accès aux soins sur lequel j'ai travaillé tout l'été avec les différents partenaires – fédérations hospitalières, syndicats de médecins, ordres nationaux– vise à changer de paradigme. Il s'agit de ne plus agir sur l'installation des médecins, sachant qu'il en manque et que, par ailleurs, une femme qui termine son internat, mariée et mère de famille, n'ira pas s'installer à 200 kilomètres de la ville où réside la famille, quelles que soient les incitations. Nous devons désormais raisonner, d'une part, en temps médical accessible – ce qui compte, en effet, ce n'est pas que le médecin habite le village mais qu'il lui donne du temps régulièrement – et, d'autre part, en termes de coopération interprofessionnelle.

En effet, notre système de soins actuel a été pensé dans les années 1970, autour de la distinction binaire entre soins primaires, visant à traiter des maladies peu graves, et soins hospitaliers, visant à traiter les accidents et les maladies graves ou contagieuses. Or, avec le vieillissement de la population, la typologie des pathologies a largement évolué. Nous avons maintenant des pathologies chroniques et complexes qui nécessitent une bien meilleure articulation entre les différents professionnels, notamment les professionnels paramédicaux, qui participent à la prise en charge de ces pathologies chroniques, ce qui n'était pas le cas quand le médecin généraliste était juste là pour soigner une grippe ou une entorse.

Le plan d'accès aux soins comporte, dans cette perspective, trois types de mesures.

En premier lieu, des mesures permettant de dégager du temps médical sur les territoires. Cela inclut évidemment des aides à l'installation, car je ne renonce pas à faire en sorte que les gens s'installent, mais ça n'est pas l'unique vecteur. Nous augmentons également de 25 % le tarif de consultations des spécialistes ou des généralistes installés en zones sous dotées ; nous mettons en place des obligations de temps partagé entre les hôpitaux locaux et la médecine de ville, par exemple en maison de santé pluri-professionnelle (MSP), sachant que nous renforçons les dispositifs d'aide à destination de ces MSP ; nous facilitons enfin l'organisation de cabinet multiples – auxquels étaient jusqu'à présent assez hostiles les conseils de l'ordre départementaux –, pour permettre aux praticiens d'exercer dans deux ou trois cabinets et de donner du temps médical à différents territoires.

En second lieu, un paquet de mesures a pour but de développer la télémédecine. Outre que celle-ci va rentrer dans le droit commun, les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) seront tous équipés, ce qui évitera des hospitalisations aux urgences et aidera les professionnels. Au lieu qu'un patient doive attendre plusieurs mois avant d'obtenir un rendez-vous chez un spécialiste, son médecin généraliste pourra demander par téléconsultation un avis auprès d'un confrère spécialiste – par exemple, un dermatologue ou un cardiologue. Ces téléconsultations seront prises en charge par la sécurité sociale dès l'automne.

Un troisième paquet de mesures vise enfin à renforcer les coopérations interprofessionnelles. Beaucoup de pathologies chroniques aujourd'hui n'ont pas besoin d'être exclusivement suivies par un généraliste ; c'est le cas notamment du diabète – qui fait également appel à la podologie, à la diététique ou aux soins infirmiers pour la glycémie – mais également de l'insuffisance cardiaque.

Nous allons donc demander à la Haute Autorité de santé (HAS) de produire des référentiels de bonnes pratiques de prise en charge coordonnée, à partir desquels seront organisées sur le terrain des coopérations avec des délégations de tâches.

À cet égard, les infirmières ne sont pas les seules à pouvoir assumer des délégations de tâches, et de nombreux actes médicaux peuvent être pris en charge par d'autres professionnels : les pharmaciens, par exemple, peuvent pratiquer la vaccination, ce qui est aussi un moyen de dégager du temps médical.

Je pense réellement que l'exercice isolé en cabinet va devenir l'exception dans les années qui viennent, au profit d'un exercice coordonné, que ce soit en réseau ou dans des maisons de santé. C'est également dans cette perspective, que j'entends développer enfin la pratique avancée pour les infirmières, mais également pour d'autres professionnels. Dès la rentrée 2018, les universités seront ainsi obligées de proposer des masters de pratique avancée pour que nous ayons des infirmières aptes à la coordination et à la prise en charge des soins.

Telles sont donc les grandes lignes de ce plan d'accès aux soins. Il doit faire l'objet d'un comité de suivi, qui se réunira tous les six mois et associera des parlementaires et des élus territoriaux, pour rendre des comptes sur la base d'un certain nombre d'indicateurs.

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Madame la ministre, merci d'avoir accepté de venir devant cette commission d'enquête. Vous l'avez dit, vous n'êtes pas responsable de mauvaises décisions remontant à plus de trente ans, mais le fait même que nous soyons ici réunis montre le désarroi que nous partageons.

Vous avez en votre possession tous les éléments pour évaluer à la fois les besoins de nos compatriotes, l'évolution des pratiques médicales et les ressources dont nous disposons. Or celles-ci apparaissent d'emblée limitées par l'organisation même du cycle des études médicales.

Pour gérer l'urgence, il n'y a pas, comme vous l'avez dit, trente-six solutions.

Il y a les délégations de tâches et l'intervention, sur les pathologies chroniques, d'autres professionnels de santé que les médecins. Dans ce domaine, allez-vous vous montrer suffisamment offensive pour institutionnaliser dans les semaines qui viennent ces délégations de tâches, sachant que certains des représentants de médecins que nous avons auditionnés n'ont pas caché leurs réticences ?

Nous avons également compris que les infirmiers avaient quelques revendications tarifaires concernant les actes médicaux qu'ils seraient amenés à effectuer dans le cadre de ces délégations de tâches. Or la directrice de la sécurité sociale, que nous avons auditionnée la semaine dernière, ne nous a pas apporté de réponses très précises. Il faut pourtant aller vite, car cela peut permettre de dégager immédiatement du temps médical accessible.

Par ailleurs, il existe un formidable vivier de temps médical accessible, c'est celui des douze mille médecins remplaçants. De même que nous avons réussi à convaincre votre prédécesseure de créer un statut pour les médecins adjoints, envisagez-vous de doter les médecins remplaçants d'un statut qui ne les place plus sous la seule tutelle du médecin qu'ils remplacent et qui leur permette éventuellement de travailler en même temps que le généraliste sans problème d'inscription ordinale ?

Enfin, la mise en place des communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) est une expérience qui me semble pouvoir offrir de formidables gains de temps, grâce à l'association de professionnels qui se parlent et travaillent ensemble. Je partage votre sévérité sur les aides financières, mais, pour faire vivre une CPTS, il suffit de 50 000 euros par an, soit ce que coûte aux agences régionales de santé (ARS) l'installation d'un praticien dans une maison de santé. Le bénéfice peut donc être considérable, et j'y insiste d'autant plus que je n'oublie pas cette généraliste que nous avons entendue et qui nous expliquait qu'elle avait besoin d'aide pour participer aux travaux préalables à la constitution d'une CPTS.

Pour ce qui concerne ensuite les mesures à moyen terme, je ne vous ai pas entendue sur le numerus clausus ou l'internat régional. Vous n'avez pas évoqué non plus les contrats d'engagement de service public (CESP) : êtes-vous favorable à cette idée, qui permettrait de remédier au manque de médecins dans les années qui viennent et qui peut, pour le praticien, être un élément attractif ? Je pense que la ministre et le médecin que vous êtes ne peuvent se satisfaire de voir nombre de nos étudiants partir se former à l'étranger pour en revenir avec un niveau de qualification inférieur à ce qu'il pourrait être.

Enfin, j'ai une requête à vous faire, celle que les groupements hospitaliers de territoire (GHT) puissent s'ouvrir au privé. Comme vous le disiez en octobre dernier, lors de votre visite à Châlus avec le Premier ministre, les ARS ne doivent pas plaquer des schémas d'organisation préfabriqués sur les territoires mais s'adapter à leurs demandes, à leurs initiatives et à leurs ressources.

Quel jugement global portez-vous d'ailleurs sur ces agences de santé ? Comment jugez-vous l'influence qu'elles ont sur la mise en place des GHT et des plans régionaux de santé ?

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Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé

En ce qui concerne les médecins remplaçants, nous venons de prévoir le statut de médecin adjoint, ce qui correspond bien à cela. La mesure nécessite à présent un vecteur législatif, mais elle est déjà mise en place sur certains territoires, grâce à l'action facilitatrice de l'Ordre et des préfectures.

Nous voulons cependant aller plus loin. Aujourd'hui, dans le cadre du plan d'accès aux soins, a été mis en place dans toutes les ARS un guichet unique d'installation et de suivi de carrière en lien avec les caisses primaires d'assurance maladie (CPAM). Ce guichet unique permet de mieux accompagner les médecins qui souhaitent s'installer, changer d'exercice ou faire évoluer leur carrière. Cela devrait permet de réduire largement les délais et les difficultés d'installation que rencontrent notamment les jeunes médecins.

En ce qui concerne la délégation de tâches et notamment les actes délégués aux infirmières, je ne veux pas tomber d'un excès dans l'autre, c'est-à-dire passer d'une période où on a gelé le numerus clausus pour réduire les dépenses d'assurance maladie à un système où on libère ce numerus clausus et où les dépenses d'assurance maladie explosent. Or ce risque d'explosion existe parce que notre système est inflationniste, c'est-à-dire que, plus il y a de professionnels, plus il y a d'actes. Mon objectif, avec la délégation de tâches n'est donc surtout pas d'augmenter la rémunération à l'acte – ou à l'activité, s'agissant de l'hôpital. Mon objectif est de mettre en place d'autres modes de rémunération, qui obligent aux coopérations ; en d'autres termes, des rémunérations forfaitaires ou des rémunérations au parcours, qui permettent de bien rémunérer les professionnels mais n'induisent pas une inflation systématique d'actes dès qu'un professionnel entre dans la boucle.

La transformation du système de santé que nous sommes en train de mettre en place comporte un volet sur les parcours coordonnés et les parcours de prise en charge des pathologies chroniques. Des tarifications idoines seront adossées à ces parcours, comme cela se pratique en Belgique depuis quatre ans, mais également aux États-Unis. C'est une approche très pertinente, car elle oblige les professionnels à se coordonner autour d'un parcours qui prend en compte les besoins en soins du malade chronique et évite que chaque intervenant voie le malade indépendamment des autres avec, à la clef, une multiplication indue du nombre d'actes. Je suis donc très claire : je n'ai pas l'intention de mieux valoriser les actes médicaux mais d'inventer de nouvelles tarifications.

Vous avez évoqué les CPTS, qui sont un outil extrêmement intéressant. Il y en a encore très peu, et nous avons donc l'intention de les valoriser, même si elles sont assez peu abordées dans le plan d'accès aux soins. La transformation du système de santé qui va être annoncée dans le courant de l'été comportera un volet consacré à l'offre de soins de proximité, et les CPTS feront évidemment partie du dispositif. Nous avons en effet besoin de ces organisations territoriales dans lesquelles coopèrent différentes professions de santé. C'est en somme le modèle idéal, et il va donc falloir les soutenir, de la même façon qu'il faut soutenir les médecins installés, en les aidant à dégager du temps médical grâce à des ressources en secrétariat ou en auxiliaires. Nous travaillons donc avec les différents acteurs sur la manière de permettre aux CPTS d'accéder à ces ressources.

Les ARS ont dix ans d'âge ; ce sont donc des structures assez jeunes. Issues de la fusion de différentes administrations, notamment les Directions départementales des affaires sanitaires et sociales (DDASS), elles ont été pensées comme des agences de régulation et de contrôle. Elles vérifient les autorisations, sont chargées du contrôle de l'eau, bref : leurs missions sont nombreuses, trop nombreuses. Depuis huit mois, nous menons donc, avec les ARS, une réflexion sur le recentrage de ces missions, dont certaines sont inutiles et redondantes avec celles d'organismes nationaux. Depuis ma prise de fonctions, je rencontre, chaque mois, au ministère, les directeurs généraux des ARS, pour leur transmettre la nouvelle philosophie de la politique que je veux mener. Je leur demande ainsi, premièrement, de concevoir l'ARS, non plus comme un corps de contrôle, mais comme un corps d'accompagnement et, deuxièmement, d'être plus proches des élus. Depuis l'annonce du plan d'accès aux soins, les directions départementales des ARS ont donc organisé, dans les régions, plus de 300 réunions auxquelles plus de 1 000 élus ont participé. J'ai demandé aux directeurs généraux d'établir un tableau de suivi du nombre de réunions organisées et des élus invités. Certains d'entre eux ont entrepris une démarche proactive et ont rencontré les présidents des conseils départementaux pour leur expliquer le plan d'accès aux soins. C'est un changement de posture que j'encourage et que je pilote, en exigeant un compte rendu régulier de la manière dont ce plan est animé dans les régions.

Vous m'avez également interrogée sur les Groupements hospitaliers de territoire (GHT). Actuellement, 135 d'entre eux sont opérationnels. Il est d'ores et déjà possible d'y associer les offreurs privés. Des conventions ont ainsi été conclues, dans certains territoires, avec des cliniques privées, mais cela dépend de l'offre de soins locale. Certains territoires sont très riches en offre publique, de sorte que la coordination avec l'offre privée ne revêt pas un caractère urgent ; dans d'autres, la coopération entre le public et le privé est, à l'évidence, nécessaire pour assurer une offre de soins complète.

Je souhaite bien entendu que cette coopération se développe. La transformation du système de santé, qui sera lancée dans le courant de l'été, comprend donc un volet consacré à l'organisation territoriale. Pour ce qui est de la proximité, nous allons surtout nous reposer sur les CPTS ; au niveau hospitalier, nous allons demander à chaque territoire de recenser l'offre de soins disponible et de s'organiser pour éviter sa dispersion en faisant en sorte que les plateaux techniques soient partagés.

Une telle organisation suppose cependant un changement du mode de tarification des établissements car, tant que ceux-ci sont financés par la tarification à l'activité (T2A), ils se font concurrence, chacun cherchant à récupérer l'activité pour survivre, ce qui est délétère pour la coopération que je souhaite promouvoir. Nous nous dirigeons donc vers un moindre financement par la T2A et vers une augmentation de la tarification dans le cadre de coopérations entre la ville et l'hôpital ou entre différents établissements. Des propositions de tarification innovantes seront donc faites dans le cadre de la transformation du système de santé.

Quant au numerus clausus, il a déjà été augmenté : le nombre de postes se situe actuellement aux alentours de 8 500. Conformément aux annonces du Président de la République, nous réfléchissons à son ouverture. Tout d'abord, il faut être certain que la tarification ne se fera plus exclusivement à l'acte ; elle doit être forfaitaire, faute de quoi nous risquons, compte tenu de la convention médicale qui a été signée, de tomber dans l'excès inverse et de voir le déficit se creuser. Ensuite, nous devons anticiper ce que sera la médecine de demain. Nous savons en effet que des professions vont considérablement se transformer, notamment celles qui disposeront d'algorithmes décisionnels bien plus performants que le médecin lui-même. Je pense aux technologies de l'imagerie utilisées en ophtalmologie, en dermatologie, puisque le diagnostic des mélanomes peut désormais être établi par l'intelligence artificielle, ou en anatomo-pathologie, les micro-métastases étant désormais mieux analysées par des machines que par l'oeil humain. Nous pouvons former 9 000 ou 10 000 médecins par an, encore faut-il avoir la certitude qu'ils ne seront pas au chômage dans trente ans ! Je dois penser aux jeunes générations et éviter l'erreur inverse de celle qui a été commise il y a trente ans, lorsqu'il a été décidé de former moins de 4 000 médecins par an. Les pratiques médicales se transforment – la chirurgie, par exemple, est de moins en moins interventionnelle. Il faut donc certainement renforcer l'offre de premier recours mais, dans les spécialités, les besoins vont évoluer.

Ce travail est en cours – nous ne sommes pas à une année près. De toute façon, je souhaite réformer les études dans le cadre du plan de transformation du système de santé. Celles-ci doivent favoriser davantage la rencontre des différentes professions de santé, pour qu'elles se connaissent. Actuellement, en effet, les formations sont organisées en silo : un étudiant en médecine ne rencontre jamais un étudiant en kinésithérapie, encore moins un étudiant en ergothérapie ou en psychomotricité. Or, si nous voulons créer des parcours de soins coordonnés, les uns et les autres doivent connaître leurs pratiques respectives. Nous pourrions éventuellement mettre sur pied des modules d'apprentissage communs autour des valeurs ou de l'éthique, par exemple. Bien entendu, la question du numerus clausus se posera dans le cadre de la réforme globale de la formation des professions de santé.

Enfin, l'internat doit-il être régional ? Actuellement, nous nous efforçons de promouvoir l'ouverture d'un nombre de places d'internes cohérent avec la démographie médicale des régions. À cet égard, il est sans doute plus facile de nommer des internes dans des régions sous-dotées en y ouvrant des postes dans le cadre d'un internat national. J'ai moi-même passé l'internat ancienne formule, qui laissait le choix entre trois régions : étant mariée et ayant des enfants, je ne voulais vivre qu'à Paris ; je n'ai donc passé que l'internat de Paris. Si l'internat était régional, le risque serait donc que les étudiants ne passent l'internat que dans la région où ils veulent s'installer. Mieux vaut donc un internat national qui permet une répartition des internes en fonction des places ouvertes en région. En tout cas, un internat régional serait beaucoup plus coûteux et renforcerait, je le crains, les inégalités territoriales. Mais nous pourrons en rediscuter, bien entendu.

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Madame la ministre, je vous en donne acte, les manquements remontent à plusieurs années – ils ne vous sont donc pas imputables – et, dès votre arrivée au ministère, vous avez pris la mesure des difficultés de nos territoires.

Je partage également votre analyse lorsque vous jugez nécessaire de favoriser la coopération des professionnels de santé. Je m'étonnais, à cet égard, que des dispositifs tels que les CPTS ne soient pas davantage encouragés, mais vous venez de me rassurer sur ce point. En effet, je préfère, je ne vous le cache pas, que l'on développe les CPTS, qui permettent aux professionnels de santé de rester là où ils exercent, plutôt que de doubler le nombre des MSP, qui les concentrent en un seul et même lieu et assèchent ainsi les territoires, notamment ruraux. Mais ne craignez-vous pas que cette coopération soit compliquée par la délégation de tâches ? Peut-être le nouveau paradigme que vous appelez de vos voeux nécessiterait-il en effet une lecture plus horizontale de l'organisation du système de santé, sur le modèle de ce qui se fait depuis plusieurs années dans le cadre des dispositifs Action de santé libérale en équipe (ASALEE).

Ensuite, je crois que des professionnels de pratique avancée, notamment des infirmiers et des infirmières, pourraient être utiles. Or, j'estime, pour ma part, que le résultat des négociations est assez peu ambitieux. En tout cas, il ne laisse pas penser que le dispositif est soutenu, encouragé et amené à se développer.

Enfin, j'aurais souhaité vous entendre – mais cela viendra peut-être au cours de l'été – à propos de la première année commune aux études de santé (PACES) et de la manière dont les étudiants en médecine sont sélectionnés, voire de l'examen classant national, qui explique, pour partie, le peu d'appétence des étudiants pour la médecine générale. Avoir des médecins dans les territoires, c'est bien ; encore faut-il qu'ils en fassent le choix.

Ma dernière question sera un peu provocatrice. Ne pensez-vous pas que, la décentralisation ayant fait ses preuves dans de nombreux domaines, il est temps d'envisager une régionalisation de l'administration de la santé ?

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Je vous remercie, madame la ministre, pour la clarté de votre analyse des raisons qui font que des départements entiers manquent actuellement de médecins. Je veux, du reste, témoigner de l'inquiétude de ceux de nos concitoyens qui vivent dans ces territoires, voire de leur détresse, car le fait de ne pas avoir accès à un médecin près de chez soi crée un sentiment d'insécurité très fort.

Vous nous avez indiqué – à juste raison, je crois – qu'en resserrant excessivement le numerus clausus, la maîtrise comptable des dépenses était une des causes majeures de la situation actuelle. Vous avez également été lucide en nous mettant en garde contre les effets d'aubaine des politiques d'incitation financière. Du reste, pour les médecins, quelle que soit leur génération, la question qui se pose n'est pas tant celle de leur revenu que celle de la qualité de leur travail. Vous avez ajouté que toutes les politiques d'incitation menées au cours des dernières années avaient trouvé leurs limites et qu'il fallait changer de paradigme. Je vous rejoins sur ce point.

Néanmoins, je dois dire que, même si elles vont dans le bon sens, les mesures que vous nous avez présentées me laissent sceptique. En effet, depuis des années, les solutions que les collectivités locales, les instances ordinales et les ARS se sont efforcées de développer étaient toutes fondées sur l'incitation, et aucune n'a produit d'effet. Or, les mesures proposées relèvent encore de l'incitation ; en tout cas, c'est ainsi que je les ai comprises. Je ne suis donc pas certain qu'elles produiront les effets que nous attendons, en permettant à chacun d'avoir accès à une offre de soins près de chez soi, et que nous apaiserons ainsi l'inquiétude et la détresse de nos concitoyens.

S'agissant de l'installation des médecins, vous n'avez pas prononcé le mot « régulation ». Or, celle-ci existe, pour d'autres professions de santé, notamment les infirmiers et infirmières, dont les représentants nous ont dit qu'elle fonctionnait. Pourquoi s'interdit-on de penser à une régulation de l'installation des médecins ? Ce n'est pas simple, bien entendu. Mais c'est une voie d'avenir, me semble-t-il. Philippe Vigier et vous-même l'avez dit, il est urgent d'agir. En définitive, ne doit-on pas envisager très sérieusement d'appliquer la régulation territoriale de l'offre de soins à toutes les spécialités et à tous les métiers de la santé ?

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Madame la ministre, le problème que je vais évoquer concerne d'autres départements que le mien. Dans le Gers, nous manquons de médecins urgentistes. La ligne du service médical d'urgence et de réanimation (SMUR) de l'hôpital de Condom, dont je préside le conseil de surveillance, n'est ouverte que douze heures en journée. Les médecins urgentistes, et on peut le comprendre, ne veulent donc pas venir à Condom, et nous sommes très inquiets quant à la pérennité de ce service d'urgence.

Vous avez confié au professeur Carly la mission de réaliser un audit des urgences dans le département du Gers, l'hôpital de Condom et celui d'Auch étant associés dans une fédération. Dans son rapport, il préconisait que l'hôpital de Condom fonctionne de manière autonome. Nous avions suivi cette préconisation et trouvé des médecins pour que l'hôpital fonctionne 24 heures sur 24. Mais le couperet est tombé la semaine dernière : l'ARS refuse un tel fonctionnement. Nous sommes donc revenus à l'organisation antérieure, d'où les difficultés que nous rencontrons. Par ailleurs, le département disposait d'un plateau technique destiné à la régulation, avec le service départemental d'incendie et de secours du Gers (SDIS 32) et le SAMU. Après avoir été assurée par le 31, elle l'est désormais par le 47. Nous regrettons beaucoup de ne pas pouvoir maintenir l'ancienne organisation, à cause du manque de médecins.

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Je souhaitais revenir sur la question du numerus clausus. Je comprends qu'un temps d'analyse soit nécessaire avant de prendre une décision sur son augmentation ou sa libéralisation complète. Mais, dans les deux cas, deux questions se posent. Quel sera le mode de sélection ? Quel degré de contrainte peut-on imposer aux médecins dans le cadre de leur installation ?

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Tout d'abord, ne cédons pas à la sinistrose. Depuis l'annonce du plan d'accès aux soins, les innovations sont de plus en plus nombreuses, parmi lesquelles je pourrais citer l'ouverture d'un cabinet de consultation éphémère à Pontarlier et d'une maison universitaire de santé et de soins primaires à Dijon ou l'opération « Installe-toi, doc » dans la région Centre-Val-de-Loire. Il faut favoriser la société de confiance et raisonner en fonction des bassins de vie.

Selon le directeur général de l'ARS Grand-Est, que nous venons d'auditionner, le bon échelon pour nommer des référents dans le cadre des CPTS et organiser au mieux l'offre de soins serait l'Établissement public de coopération intercommunale (EPCI). Qu'en pensez-vous ?

Par ailleurs, la demande existe d'une réforme profonde du système de santé. Le Conseil de l'ordre, la Confédération des syndicats médicaux français (CSMF) applaudissent les mesures que vous proposez, notamment en matière de prévention. Mais nous sommes confrontés à une crise des vocations et de l'engagement, chez les jeunes. En ce qui concerne le numerus clausus, quels critères qualitatifs allez-vous appliquer ? En Australie, où je me rends très régulièrement, les étudiants en médecine sont sélectionnés dès la première et la terminale. Peut-être faut-il s'inspirer des pays dont le système fonctionne.

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Madame la ministre, vous avez évoqué la nécessité de gagner du temps médical. Estimez-vous possible d'y parvenir en passant par les usagers, les patients, notamment grâce aux nouveaux usages numériques qui, au-delà du dossier médical personnel, pourraient contribuer à améliorer la prévention ?

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Madame la ministre, je vous remercie pour votre proposition de développer, dès la formation, les pratiques de travail coordonnées entre les différents professionnels de santé. À ce propos, les infirmières libérales souhaitent prendre leur part dans la satisfaction des nouveaux besoins de santé de nos territoires. Elles s'étonnent donc de la proposition de l'assurance maladie de reporter à 2020 l'entrée en vigueur du suivi clinique et de l'accompagnement post-opératoire ainsi que du suivi de la prise médicamenteuse. Elles se plaignent également que l'assurance maladie n'ait pas avancé de propositions innovantes en matière de suivi des maladies chroniques.

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Ma question porte sur la profession d'infirmière. Dans nos territoires, nous avons bien souvent besoin d'une meilleure régulation pour éviter que les personnes âgées dépendantes n'aillent trop rapidement en EHPAD. Le rôle de coordination que joue l'infirmière, qui est une soignante quotidiennement présente aux côtés de ces personnes, peut y contribuer. Or, à ce jour, ce travail de coordination n'est pas correctement valorisé. Les infirmières assument cette tâche, par conscience professionnelle, mais sa valorisation permettrait d'éviter l'intervention d'autres strates.

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Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé

Monsieur Grelier, il n'y a pas de modèle unique. Les MSP fonctionnent mieux dans certains types de territoires. Dans les zones périurbaines et dans les banlieues, sans doute faut-il privilégier les centres de santé avec des médecins salariés. Les CPTS reposent sur un travail en réseau et nous financerons et valoriserons tout ce qui contribue à la coopération interprofessionnelle.

Vous soulignez que la délégation de tâches suppose une organisation verticale. Il est vrai qu'elle est conçue comme allant des médecins vers les professionnels paramédicaux. Il importe toutefois de prendre en compte d'autres modes de valorisation des actes effectués par ces professionnels. Je pense en particulier aux pratiques avancées, qui sont dans l'air du temps depuis 2011. En prenant mes fonctions de ministre, en 2017, je me suis rendu compte que celles que j'avais inscrites dans le deuxième plan cancer de 2014, lorsque j'étais présidente de l'Institut national du cancer (INCa), n'avaient toujours pas été mises en oeuvre. C'est la raison pour laquelle j'ai exigé qu'un accord soit trouvé à la rentrée 2018. Les négociations avec le corps infirmier et le corps médical ont été très complexes. Elles ont abouti à un consensus mou qui n'est peut-être pas à la hauteur des ambitions initiales mais au moins, il nous a permis de démarrer. Nous verrons ensuite comment cela évolue. Notons que ce mode de prise en charge contribue à la diversification des pratiques. Il se distingue de la délégation de tâches : les infirmiers de pratique avancée (IPA) doivent être dotés d'un master.

S'agissant de la PACES, sachez que ce gâchis atroce nous meurtrit, Frédérique Vidal et moi. Le groupe de travail sur la formation des professionnels de santé, dont Stéphanie Rist, Antoine Tesnière et Isabelle Riom, interne en médecine générale, ont la charge, repose la question du mode de sélection. Celui qui prévaut actuellement participe au désespoir des jeunes étudiants en médecine et alimente dépressions et tentatives de suicide. Après deux années de travail acharné, seuls 10 % à 15 % sont sélectionnés alors qu'ils sont pratiquement tous titulaires d'un bac S avec mention bien ou très bien. Extrêmement performants et rigoureux, animés du souci de bien faire, ils se trouvent projetés dans le monde hospitalier : confrontés à des difficultés relationnelles, à une hiérarchie qu'ils ne comprennent pas toujours, ils sont soumis à la nécessité de s'adapter en permanence. On parle de l'art médical, je ne suis pas sûre que la médecine soit un art mais il est certain que pour la pratiquer, il faut savoir développer des qualités d'écoute et d'empathie, or les critères de sélection reposent uniquement sur les mathématiques et la physique.

Il importe d'encourager la porosité avec d'autres filières, peut-être avec les humanités au sens large, les sciences humaines et sociales, d'autant que beaucoup d'étudiants en médecine ne veulent pas terminer leurs études et souhaitent se tourner vers d'autres formations.

Le groupe de travail a formulé des préconisations et nous allons faire des propositions innovantes dans le cadre de la transformation du système de santé. Nous ne pouvons nous satisfaire du gâchis absolu engendré par un mode de sélection qui ne correspond même pas aux besoins de la pratique médicale.

Quant à la régionalisation des ARS, je n'y suis pas favorable. Je considère que l'État doit être garant du résultat final et assurer une régulation à l'échelle de la France entière. La décentralisation convient pour la mise en oeuvre des politiques publiques mais pas pour leur conception, qui doit être pensée au niveau national. En Belgique, la régionalisation a abouti à une catastrophe : la prévention et les dépistages sont à la main des régions qui décident chacune séparément des priorités ; il n'y a aucune politique nationale de dépistage des cancers.

Monsieur Garot, l'incitation financière n'est pas le seul mode de régulation. Certes, pour encourager les médecins à donner du temps médical dans les territoires en tension, nous avons revalorisé les consultations de 25 % et nous avons multiplié par quatre le plafond d'autorisation du cumul emploi-retraite pour permettre à des médecins retraités de continuer à exercer à quart temps ou à mi-temps. Toutefois, le plan d'accès aux soins insiste sur d'autres leviers, comme le développement des stages dans les territoires. Nous avons demandé aux doyens de délocaliser des stages d'internes ou d'externes pour que les jeunes médecins découvrent l'exercice libéral dans diverses structures de soins, notamment les MSP. Nous avons sollicité les élus pour qu'ils favorisent leur accueil en mettant à leur disposition des chambres ou des petits campus où retrouver infirmières, médecins et kinésithérapeutes. Les ARS ont été mobilisées à cette fin.

Un rapport du Sénat a montré les limites de la coercition. Au Canada et en Allemagne, comme le souligne un rapport de la DREES, ces politiques ont connu un échec complet : les médecins se sont installés à la limite des zones sous-dotées, ce qui a contribué à vider le coeur des villes pour peupler leur périphérie sans que la situation des zones rurales s'en trouve améliorée.

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Madame la ministre, j'ai parlé de régulation et non de coercition. Ne pourrions-nous faire en sorte de ne plus autoriser les installations dans les zones où les besoins de santé sont déjà pourvus ?

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Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé

Le Conseil économique, social et environnemental (CESE) a fait une proposition intéressante : subordonner le conventionnement à la réalisation de consultations dans les zones sous-denses, dans un hôpital de proximité ou dans une MSP, par exemple.

Le corps infirmier est sur-doté tandis que le corps médical est sous-doté, et ce partout en France. Il n'y a plus aucun territoire sur-doté en généralistes. Il y a encore quelques villes sur-dotées en spécialistes, mais ce n'est pas en vidant Nice de ses cardiologues qu'on aboutira à un maillage territorial équilibré.

Si nous imposons les installations, nous ne ferons qu'augmenter la proportion de jeunes médecins qui ne pratiquent pas alors qu'ils sont déjà 20 % dans ce cas et qu'il y a un grand nombre de postes de salariés vacants, qu'il s'agisse de la médecine du travail, de la médecine scolaire, des industries de santé ou des ARS.

Madame Biémouret, les urgences connaissent également des problèmes de pénurie. La médecine d'urgence est devenue une spécialité médicale avec la réforme du troisième cycle et la première cohorte d'internes ayant choisi cette voie, au nombre de 400, est en formation depuis 2017 : il faudra attendre que leur cursus soit achevé. Pour faire tourner un service d'urgence, où que ce soit, il faut huit professionnels. Or certains services reçoivent moins de dix personnes entre huit heures du soir et huit heures du matin. Je comprends que les maires s'émeuvent de la fermeture de services d'urgence mais il n'est plus possible de les faire tourner sans activité. Nous devrons mutualiser les forces et autoriser les équipes des SMUR à assurer des soins d'urgence. Nous ne disposons pas aujourd'hui d'urgentistes en nombre suffisant pour faire fonctionner les 650 services d'urgence existants, et je ne sais pas où les trouver. Les autres pays européens sont confrontés aux mêmes difficultés, l'Allemagne souffre même d'une pénurie d'infirmières. C'est une tendance générale dans les pays occidentaux : la fréquentation des urgences a doublé partout en Europe en quinze ans. Nous essayons de réorganiser les services avec l'appui des fédérations de SAMU, les syndicats et les urgentistes eux-mêmes.

Monsieur Baichère, la réforme des études de médecine comportera une refonte de la PACES et du numerus clausus. Je crois avoir déjà répondu aux questions touchant au mode de sélection.

Vous avez raison, monsieur Delatte : nous avons tendance à voir tout en noir alors qu'il existe beaucoup d'innovations en matière organisationnelle. Nous comptons les développer et les financer, notamment grâce à l'article 51 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2018. Je suis très favorable aux stages en ambulatoire. Il y a moyen de donner envie aux jeunes médecins d'aller dans les territoires. L'expérience montre que lorsqu'ils découvrent le fonctionnement des MSP, ils y adhèrent. Nous avons instauré une prime de 200 euros par mois à destination des internes réalisant un stage ambulatoire en zone sous-dense. Nous avons également revalorisé la rémunération des maîtres de stages pour inciter les professionnels libéraux de ces zones à s'impliquer dans la formation, en nous appuyant sur des contrats dédiés. Nous avons en outre demandé aux doyens d'université d'identifier des lieux possibles de stages. Par ailleurs, nous avons créé des postes d'assistants partagés qui passeront la moitié de leur temps dans les hôpitaux locaux et l'autre moitié dans des cabinets de ville.

La place des usagers est en effet une question importante, madame Rist. Il y a un devoir de mieux former les citoyens afin de les rendre davantage acteurs de leur propre santé. À Taiwan, les patients alimentent eux-mêmes en données leur dossier médical partagé. Nous pourrions encourager une véritable interactivité. Les difficultés auxquelles l'offre de santé est confrontée nécessitent de faire montre de pédagogie. Pour la grande majorité de nos concitoyens, le réflexe premier est de consulter un médecin alors que, pour beaucoup de prises en charge, ils pourraient voir d'autres professionnels. Il en va de même pour les urgences. Leur engorgement s'explique par le manque d'accès aux soins de proximité, mais aussi par le besoin d'immédiateté : le fait d'avoir une radio ou des analyses biologiques tout de suite, puis un diagnostic, même s'il faut attendre quatre heures, rassure. Les gens n'ont plus envie d'attendre et de voir un médecin généraliste pour se faire prescrire une radio. Et si tout le monde se faisait vacciner contre la grippe, les urgences ne seraient pas engorgées au mois de décembre.

Madame Dubois, dans le cadre de la transformation des études de médecine, nous allons encourager l'exercice coordonné. Le service sanitaire sera un formidable outil pour ce faire. Pendant trois mois, les étudiants apprendront à se connaître pour mettre en oeuvre des projets partagés dans les territoires.

S'agissant de la revalorisation de la rémunération des infirmières libérales, je m'en tiens à la position que j'ai indiquée aux syndicats d'infirmières : une convention médicale augmentant la valorisation des consultations conduirait à promouvoir une tarification à l'acte de nature inflationniste. Pour toutes les pathologies chroniques, nous travaillons à des propositions de tarifications construites autour de parcours de soins coordonnés. Cela répond à votre question, monsieur Jacques : dans le cadre des parcours coordonnés, il y aura une valorisation pour le temps dédié à la coordination, à laquelle est attachée une très forte valeur ajoutée.

Nous essayons de repenser le système dans toutes ses composantes – la formation, les organisations territoriales, la tarification – en étant le plus innovants possible, sans tabou.

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Je vous remercie, madame la ministre ; nous aurions pu continuer nos échanges encore longtemps. Je ne peux que souhaiter votre succès mais je ne suis pas complètement convaincu que nous parvenions à améliorer la situation. Prenons le cas de la médecine du travail qui subit un véritable naufrage ou encore des EPHAD, sur lesquels notre collègue Agnès Firmin Le Bodo a beaucoup travaillé.

Ne pensez-vous pas que de nouveaux métiers sont en train d'émerger avec la télémédecine et les plateformes réunissant le 15 et le 18 autour d'infirmiers et de médecins régulateurs ? Cette évolution me semble correspondre aux aspirations des jeunes médecins dont nous avons reçu des syndicats. Le dossier médical partagé occupe à cet égard une position clef et nous pouvons espérer que certaines anomalies seront corrigées, qu'il s'agisse de le rendre accessible à des services comme SOS Médecins ou de généraliser le mode dégradé de secours. La rencontre de la médecine et du numérique constituera une source d'économies formidable et générera du temps médical disponible à l'heure où les besoins de soins vont croissant.

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Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé

Il y a une forme de consensus pour dire qu'une meilleure régulation, associée à la télémédecine et au dossier médical partagé, contribuerait à désengorger les urgences. Nous travaillons en ce sens avec les urgentistes.

Nous avons tiré les leçons du passé et l'assurance maladie s'est engagée à mettre à disposition de tous les citoyens un dossier médical partagé en octobre. Toutes les structures y auront accès, y compris SOS Médecins ou les plateformes de régulation.

Pour la télémédecine, il y a aussi, vous le savez, une volonté d'aller très vite. La tarification des actes pratiqués dans ce cadre sera accessible dès octobre et dégagera beaucoup de temps médical.

Pour finir, je précise que le plan d'accès aux soins n'a rien de figé. Si de nouvelles idées ou de nouveaux besoins apparaissent, nous le ferons évoluer.

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Merci, madame la ministre, pour votre disponibilité et pour vos réponses.

L'audition se termine à onze heures cinq.

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Membres présents ou excusés

Réunion du mardi 26 juin 2018 à 10h

Présents. – M. Didier Baichère, Mme Gisèle Biémouret, M. Jean-Pierre Cubertafon, M. Marc Delatte, Mme Jacqueline Dubois, Mme Agnès Firmin Le Bodo, Mme Emmanuelle Fontaine-Domeizel, M. Alexandre Freschi, M. Guillaume Garot, M. Jean-Carles Grelier, M. Jean-Michel Jacques, M. Thomas Mesnier, Mme Monica Michel, Mme Stéphanie Rist, Mme Mireille Robert, M. Stéphane Testé, M. Jean-Louis Touraine, M. Philippe Vigier