Intervention de Agnès Buzyn

Réunion du mardi 26 juin 2018 à 10h00
Commission d'enquête sur l'égal accès aux soins des français sur l'ensemble du territoire et sur l'efficacité des politiques publiques mises en œuvre pour lutter contre la désertification médicale en milieux rural et urbain

Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé :

En ce qui concerne les médecins remplaçants, nous venons de prévoir le statut de médecin adjoint, ce qui correspond bien à cela. La mesure nécessite à présent un vecteur législatif, mais elle est déjà mise en place sur certains territoires, grâce à l'action facilitatrice de l'Ordre et des préfectures.

Nous voulons cependant aller plus loin. Aujourd'hui, dans le cadre du plan d'accès aux soins, a été mis en place dans toutes les ARS un guichet unique d'installation et de suivi de carrière en lien avec les caisses primaires d'assurance maladie (CPAM). Ce guichet unique permet de mieux accompagner les médecins qui souhaitent s'installer, changer d'exercice ou faire évoluer leur carrière. Cela devrait permet de réduire largement les délais et les difficultés d'installation que rencontrent notamment les jeunes médecins.

En ce qui concerne la délégation de tâches et notamment les actes délégués aux infirmières, je ne veux pas tomber d'un excès dans l'autre, c'est-à-dire passer d'une période où on a gelé le numerus clausus pour réduire les dépenses d'assurance maladie à un système où on libère ce numerus clausus et où les dépenses d'assurance maladie explosent. Or ce risque d'explosion existe parce que notre système est inflationniste, c'est-à-dire que, plus il y a de professionnels, plus il y a d'actes. Mon objectif, avec la délégation de tâches n'est donc surtout pas d'augmenter la rémunération à l'acte – ou à l'activité, s'agissant de l'hôpital. Mon objectif est de mettre en place d'autres modes de rémunération, qui obligent aux coopérations ; en d'autres termes, des rémunérations forfaitaires ou des rémunérations au parcours, qui permettent de bien rémunérer les professionnels mais n'induisent pas une inflation systématique d'actes dès qu'un professionnel entre dans la boucle.

La transformation du système de santé que nous sommes en train de mettre en place comporte un volet sur les parcours coordonnés et les parcours de prise en charge des pathologies chroniques. Des tarifications idoines seront adossées à ces parcours, comme cela se pratique en Belgique depuis quatre ans, mais également aux États-Unis. C'est une approche très pertinente, car elle oblige les professionnels à se coordonner autour d'un parcours qui prend en compte les besoins en soins du malade chronique et évite que chaque intervenant voie le malade indépendamment des autres avec, à la clef, une multiplication indue du nombre d'actes. Je suis donc très claire : je n'ai pas l'intention de mieux valoriser les actes médicaux mais d'inventer de nouvelles tarifications.

Vous avez évoqué les CPTS, qui sont un outil extrêmement intéressant. Il y en a encore très peu, et nous avons donc l'intention de les valoriser, même si elles sont assez peu abordées dans le plan d'accès aux soins. La transformation du système de santé qui va être annoncée dans le courant de l'été comportera un volet consacré à l'offre de soins de proximité, et les CPTS feront évidemment partie du dispositif. Nous avons en effet besoin de ces organisations territoriales dans lesquelles coopèrent différentes professions de santé. C'est en somme le modèle idéal, et il va donc falloir les soutenir, de la même façon qu'il faut soutenir les médecins installés, en les aidant à dégager du temps médical grâce à des ressources en secrétariat ou en auxiliaires. Nous travaillons donc avec les différents acteurs sur la manière de permettre aux CPTS d'accéder à ces ressources.

Les ARS ont dix ans d'âge ; ce sont donc des structures assez jeunes. Issues de la fusion de différentes administrations, notamment les Directions départementales des affaires sanitaires et sociales (DDASS), elles ont été pensées comme des agences de régulation et de contrôle. Elles vérifient les autorisations, sont chargées du contrôle de l'eau, bref : leurs missions sont nombreuses, trop nombreuses. Depuis huit mois, nous menons donc, avec les ARS, une réflexion sur le recentrage de ces missions, dont certaines sont inutiles et redondantes avec celles d'organismes nationaux. Depuis ma prise de fonctions, je rencontre, chaque mois, au ministère, les directeurs généraux des ARS, pour leur transmettre la nouvelle philosophie de la politique que je veux mener. Je leur demande ainsi, premièrement, de concevoir l'ARS, non plus comme un corps de contrôle, mais comme un corps d'accompagnement et, deuxièmement, d'être plus proches des élus. Depuis l'annonce du plan d'accès aux soins, les directions départementales des ARS ont donc organisé, dans les régions, plus de 300 réunions auxquelles plus de 1 000 élus ont participé. J'ai demandé aux directeurs généraux d'établir un tableau de suivi du nombre de réunions organisées et des élus invités. Certains d'entre eux ont entrepris une démarche proactive et ont rencontré les présidents des conseils départementaux pour leur expliquer le plan d'accès aux soins. C'est un changement de posture que j'encourage et que je pilote, en exigeant un compte rendu régulier de la manière dont ce plan est animé dans les régions.

Vous m'avez également interrogée sur les Groupements hospitaliers de territoire (GHT). Actuellement, 135 d'entre eux sont opérationnels. Il est d'ores et déjà possible d'y associer les offreurs privés. Des conventions ont ainsi été conclues, dans certains territoires, avec des cliniques privées, mais cela dépend de l'offre de soins locale. Certains territoires sont très riches en offre publique, de sorte que la coordination avec l'offre privée ne revêt pas un caractère urgent ; dans d'autres, la coopération entre le public et le privé est, à l'évidence, nécessaire pour assurer une offre de soins complète.

Je souhaite bien entendu que cette coopération se développe. La transformation du système de santé, qui sera lancée dans le courant de l'été, comprend donc un volet consacré à l'organisation territoriale. Pour ce qui est de la proximité, nous allons surtout nous reposer sur les CPTS ; au niveau hospitalier, nous allons demander à chaque territoire de recenser l'offre de soins disponible et de s'organiser pour éviter sa dispersion en faisant en sorte que les plateaux techniques soient partagés.

Une telle organisation suppose cependant un changement du mode de tarification des établissements car, tant que ceux-ci sont financés par la tarification à l'activité (T2A), ils se font concurrence, chacun cherchant à récupérer l'activité pour survivre, ce qui est délétère pour la coopération que je souhaite promouvoir. Nous nous dirigeons donc vers un moindre financement par la T2A et vers une augmentation de la tarification dans le cadre de coopérations entre la ville et l'hôpital ou entre différents établissements. Des propositions de tarification innovantes seront donc faites dans le cadre de la transformation du système de santé.

Quant au numerus clausus, il a déjà été augmenté : le nombre de postes se situe actuellement aux alentours de 8 500. Conformément aux annonces du Président de la République, nous réfléchissons à son ouverture. Tout d'abord, il faut être certain que la tarification ne se fera plus exclusivement à l'acte ; elle doit être forfaitaire, faute de quoi nous risquons, compte tenu de la convention médicale qui a été signée, de tomber dans l'excès inverse et de voir le déficit se creuser. Ensuite, nous devons anticiper ce que sera la médecine de demain. Nous savons en effet que des professions vont considérablement se transformer, notamment celles qui disposeront d'algorithmes décisionnels bien plus performants que le médecin lui-même. Je pense aux technologies de l'imagerie utilisées en ophtalmologie, en dermatologie, puisque le diagnostic des mélanomes peut désormais être établi par l'intelligence artificielle, ou en anatomo-pathologie, les micro-métastases étant désormais mieux analysées par des machines que par l'oeil humain. Nous pouvons former 9 000 ou 10 000 médecins par an, encore faut-il avoir la certitude qu'ils ne seront pas au chômage dans trente ans ! Je dois penser aux jeunes générations et éviter l'erreur inverse de celle qui a été commise il y a trente ans, lorsqu'il a été décidé de former moins de 4 000 médecins par an. Les pratiques médicales se transforment – la chirurgie, par exemple, est de moins en moins interventionnelle. Il faut donc certainement renforcer l'offre de premier recours mais, dans les spécialités, les besoins vont évoluer.

Ce travail est en cours – nous ne sommes pas à une année près. De toute façon, je souhaite réformer les études dans le cadre du plan de transformation du système de santé. Celles-ci doivent favoriser davantage la rencontre des différentes professions de santé, pour qu'elles se connaissent. Actuellement, en effet, les formations sont organisées en silo : un étudiant en médecine ne rencontre jamais un étudiant en kinésithérapie, encore moins un étudiant en ergothérapie ou en psychomotricité. Or, si nous voulons créer des parcours de soins coordonnés, les uns et les autres doivent connaître leurs pratiques respectives. Nous pourrions éventuellement mettre sur pied des modules d'apprentissage communs autour des valeurs ou de l'éthique, par exemple. Bien entendu, la question du numerus clausus se posera dans le cadre de la réforme globale de la formation des professions de santé.

Enfin, l'internat doit-il être régional ? Actuellement, nous nous efforçons de promouvoir l'ouverture d'un nombre de places d'internes cohérent avec la démographie médicale des régions. À cet égard, il est sans doute plus facile de nommer des internes dans des régions sous-dotées en y ouvrant des postes dans le cadre d'un internat national. J'ai moi-même passé l'internat ancienne formule, qui laissait le choix entre trois régions : étant mariée et ayant des enfants, je ne voulais vivre qu'à Paris ; je n'ai donc passé que l'internat de Paris. Si l'internat était régional, le risque serait donc que les étudiants ne passent l'internat que dans la région où ils veulent s'installer. Mieux vaut donc un internat national qui permet une répartition des internes en fonction des places ouvertes en région. En tout cas, un internat régional serait beaucoup plus coûteux et renforcerait, je le crains, les inégalités territoriales. Mais nous pourrons en rediscuter, bien entendu.

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