Intervention de Agnès Buzyn

Réunion du mardi 26 juin 2018 à 10h00
Commission d'enquête sur l'égal accès aux soins des français sur l'ensemble du territoire et sur l'efficacité des politiques publiques mises en œuvre pour lutter contre la désertification médicale en milieux rural et urbain

Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé :

Monsieur Grelier, il n'y a pas de modèle unique. Les MSP fonctionnent mieux dans certains types de territoires. Dans les zones périurbaines et dans les banlieues, sans doute faut-il privilégier les centres de santé avec des médecins salariés. Les CPTS reposent sur un travail en réseau et nous financerons et valoriserons tout ce qui contribue à la coopération interprofessionnelle.

Vous soulignez que la délégation de tâches suppose une organisation verticale. Il est vrai qu'elle est conçue comme allant des médecins vers les professionnels paramédicaux. Il importe toutefois de prendre en compte d'autres modes de valorisation des actes effectués par ces professionnels. Je pense en particulier aux pratiques avancées, qui sont dans l'air du temps depuis 2011. En prenant mes fonctions de ministre, en 2017, je me suis rendu compte que celles que j'avais inscrites dans le deuxième plan cancer de 2014, lorsque j'étais présidente de l'Institut national du cancer (INCa), n'avaient toujours pas été mises en oeuvre. C'est la raison pour laquelle j'ai exigé qu'un accord soit trouvé à la rentrée 2018. Les négociations avec le corps infirmier et le corps médical ont été très complexes. Elles ont abouti à un consensus mou qui n'est peut-être pas à la hauteur des ambitions initiales mais au moins, il nous a permis de démarrer. Nous verrons ensuite comment cela évolue. Notons que ce mode de prise en charge contribue à la diversification des pratiques. Il se distingue de la délégation de tâches : les infirmiers de pratique avancée (IPA) doivent être dotés d'un master.

S'agissant de la PACES, sachez que ce gâchis atroce nous meurtrit, Frédérique Vidal et moi. Le groupe de travail sur la formation des professionnels de santé, dont Stéphanie Rist, Antoine Tesnière et Isabelle Riom, interne en médecine générale, ont la charge, repose la question du mode de sélection. Celui qui prévaut actuellement participe au désespoir des jeunes étudiants en médecine et alimente dépressions et tentatives de suicide. Après deux années de travail acharné, seuls 10 % à 15 % sont sélectionnés alors qu'ils sont pratiquement tous titulaires d'un bac S avec mention bien ou très bien. Extrêmement performants et rigoureux, animés du souci de bien faire, ils se trouvent projetés dans le monde hospitalier : confrontés à des difficultés relationnelles, à une hiérarchie qu'ils ne comprennent pas toujours, ils sont soumis à la nécessité de s'adapter en permanence. On parle de l'art médical, je ne suis pas sûre que la médecine soit un art mais il est certain que pour la pratiquer, il faut savoir développer des qualités d'écoute et d'empathie, or les critères de sélection reposent uniquement sur les mathématiques et la physique.

Il importe d'encourager la porosité avec d'autres filières, peut-être avec les humanités au sens large, les sciences humaines et sociales, d'autant que beaucoup d'étudiants en médecine ne veulent pas terminer leurs études et souhaitent se tourner vers d'autres formations.

Le groupe de travail a formulé des préconisations et nous allons faire des propositions innovantes dans le cadre de la transformation du système de santé. Nous ne pouvons nous satisfaire du gâchis absolu engendré par un mode de sélection qui ne correspond même pas aux besoins de la pratique médicale.

Quant à la régionalisation des ARS, je n'y suis pas favorable. Je considère que l'État doit être garant du résultat final et assurer une régulation à l'échelle de la France entière. La décentralisation convient pour la mise en oeuvre des politiques publiques mais pas pour leur conception, qui doit être pensée au niveau national. En Belgique, la régionalisation a abouti à une catastrophe : la prévention et les dépistages sont à la main des régions qui décident chacune séparément des priorités ; il n'y a aucune politique nationale de dépistage des cancers.

Monsieur Garot, l'incitation financière n'est pas le seul mode de régulation. Certes, pour encourager les médecins à donner du temps médical dans les territoires en tension, nous avons revalorisé les consultations de 25 % et nous avons multiplié par quatre le plafond d'autorisation du cumul emploi-retraite pour permettre à des médecins retraités de continuer à exercer à quart temps ou à mi-temps. Toutefois, le plan d'accès aux soins insiste sur d'autres leviers, comme le développement des stages dans les territoires. Nous avons demandé aux doyens de délocaliser des stages d'internes ou d'externes pour que les jeunes médecins découvrent l'exercice libéral dans diverses structures de soins, notamment les MSP. Nous avons sollicité les élus pour qu'ils favorisent leur accueil en mettant à leur disposition des chambres ou des petits campus où retrouver infirmières, médecins et kinésithérapeutes. Les ARS ont été mobilisées à cette fin.

Un rapport du Sénat a montré les limites de la coercition. Au Canada et en Allemagne, comme le souligne un rapport de la DREES, ces politiques ont connu un échec complet : les médecins se sont installés à la limite des zones sous-dotées, ce qui a contribué à vider le coeur des villes pour peupler leur périphérie sans que la situation des zones rurales s'en trouve améliorée.

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