Intervention de Sabine Thillaye

Réunion du jeudi 28 juin 2018 à 9h30
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSabine Thillaye, rapporteure :

La présentation du rapport qui m'a été confié s'inscrit dans le cadre d'une double réflexion sur les questions européennes : une réflexion initiée par le Président Juncker lors de son discours sur l'État de l'Union en septembre dernier, qui vise à redéfinir le rôle des parlements nationaux sur la scène européenne ; une réflexion sur la révision constitutionnelle dont l'Assemblée nationale vient d'être saisie et qui nous donne l'occasion de réfléchir à une meilleure prise en compte des enjeux européens par nos assemblées.

Le moment est particulièrement opportun pour réfléchir au rôle des parlements nationaux et plus particulièrement au rôle du Parlement français dans le processus décisionnel européen. Tout d'abord, le groupe de travail sur la subsidiarité conduit par Frans Timmermans doit présenter ses conclusions dans le courant du mois de juillet. Le présent rapport entend contribuer à cette réflexion. Ensuite, le projet de loi constitutionnelle vise à moderniser les procédures et le fonctionnement du Parlement français. Le rapport établit un diagnostic et des propositions d'amélioration du traitement des questions européennes dans les deux assemblées.

Sur le plan de la méthode, j'ai adressé aux 40 chambres de l'Union européenne un questionnaire, afin de faire un état des lieux des pratiques existantes. J'ai eu des entretiens avec Frans Timmermans, Danuta Hübner, la présidente de la commission AFCO du Parlement européen, Klaus Welle, son secrétaire général, les présidents des groupes PPE et ADLE, Manfred Weber et Guy Verhofstadt. Je me suis rendue en République tchèque et en Allemagne pour rencontrer les responsables politiques et administratifs en charge des questions européennes. J'ai souhaité que mon rapport soit le plus concret possible et je l'ai assorti d'une liste de propositions.

Au plan européen, tout d'abord, il nous faut repenser le rôle des parlements nationaux dans leur interaction avec les trois institutions européennes chargées de la législation : le Parlement, la Commission et le Conseil.

Nos relations avec le Parlement européen sont marquées par le très grand nombre de réunions interparlementaires. Elles sont utiles, mais n'ont aucun pouvoir décisionnel et ceux de nos collègues qui ont pu y participer ont mesuré le côté frustrant de ces rencontres, qui se traduisent le plus souvent par une succession de discours. Je suis consciente de la difficulté d'améliorer le fonctionnement de ces rencontres, mais je pense que les commissions des affaires européennes ont un rôle moteur à jouer. Je propose par conséquent que la COSAC, qui réunit toutes les commissions des affaires européennes de l'Union européenne, devienne un laboratoire de l'inter parlementarisme. Chaque présidence devrait ainsi remettre ses projets de conclusion un mois avant la Conférence, de telle sorte que toutes les commissions puissent en débattre et que les délégations soient mandatées pour négocier un texte final. Celui-ci pourrait de la sorte être plus politique et relayer davantage au niveau européen les préoccupations de nos concitoyens.

Nous devrons également renforcer les échanges avec nos collègues français du Parlement européen. Nous avons des réunions régulières pendant les semaines de circonscription du Parlement européen, mais la participation de nos collègues eurodéputés demeure faible. Je propose qu'après les élections européennes de 2019, chaque groupe politique composant la délégation française au Parlement européen, désigne un correspondant en charge du dialogue politique avec les assemblées. Un tel dispositif devrait permettre d'améliorer la participation des eurodéputés à nos réunions conjointes et d'identifier les sujets de préoccupation communs.

S'agissant des relations des parlements nationaux avec la Commission européenne, nous entrons dans le champ de réflexion initié par le Président Juncker dans son discours sur l'État de l'Union du 17 septembre dernier. Il a souhaité que les parlements nationaux soient les garants d'une Union européenne intervenant dans les seuls domaines où son intervention présente une valeur ajoutée. Or les mécanismes existants prévus par le Traité de Lisbonne sont incomplets : le dialogue politique, qui permet aux parlements nationaux d'exprimer leur position sur les projets de législation européenne, demeure très informel et dépourvu de visibilité ; le contrôle de la subsidiarité, pour sa part, cantonne les parlements nationaux dans un rôle de défense des compétences nationales face à l'Union européenne.

À l'heure actuelle, lorsqu'un tiers des parlements nationaux adoptent dans un délai de huit semaines un avis de subsidiarité, la Commission doit revoir sa copie sans obligation de la modifier (c'est la procédure du carton jaune) ; lorsque la moitié des parlements nationaux adoptent un tel avis, les règles de majorité qualifiée sont modifiées et le Conseil peut rejeter le texte à la majorité de 55 % et le Parlement à la majorité simple (c'est le carton orange). Seuls trois textes ont donné lieu à un carton jaune depuis l'entrée en vigueur du Traité de Lisbonne : le règlement concernant l'exercice du droit de mener des actions collectives en mai 2012 ; le règlement instaurant un parquet européen en octobre 2013 ; la directive sur le détachement des travailleurs en mai 2016. Dans les trois cas, il n'y avait pas de problème avéré de subsidiarité, mais les parlements nationaux se sont saisis de cette procédure pour peser dans la décision européenne.

Je souhaite que les parlements nationaux puissent jouer à l'avenir un rôle plus constructif et qu'ils puissent devenir force de proposition. Pour ce faire, il faudrait muscler la procédure de dialogue politique. Je propose la mise en place d'un droit d'évocation européen pour les parlements nationaux : à la demande d'un tiers d'entre eux, un conseil des ministres extraordinaire serait réuni pour donner la position du Conseil sur le texte en cause et le Parlement européen devrait convoquer dans la foulée une réunion interparlementaire en présence du Commissaire en charge. Je souhaite également qu'en cas de plus-value européenne manifeste, les parlements nationaux puissent solliciter l'intervention législative de l'Union. Je propose d'instaurer un droit d'initiative parlementaire comparable dans ses effets au droit d'initiative citoyenne. On pourrait imaginer qu'à la demande d'un tiers des parlements nationaux, la Commission européenne soit obligée de motiver son refus de donner suite à la demande d'initiative ; à la demande de la moitié des parlements, elle serait dans l'obligation de déposer un acte législatif dans le délai d'un an.

À l'issue de notre réunion, je ferai part de ces propositions au groupe de travail conduit par Frans Timmermans. Je pense qu'elles sont de nature à renforcer la dimension parlementaire de l'Union et à favoriser son rapprochement avec les citoyens.

Enfin, je souhaite aborder la question des relations entre les parlements nationaux et le Conseil. Les responsables du Parlement européen que j'ai rencontrés considèrent que le rôle premier des parlements nationaux dans le processus décisionnel européen est de contrôler les prises de position de leur Exécutif au Conseil. Chaque gouvernement agit en effet au niveau européen comme législateur et un contrôle démocratique doit s'exercer sur ses prises de position. La difficulté principale réside dans l'existence de traditions constitutionnelles très hétérogènes, chaque pays réglant différemment le contrôle exercé sur son Exécutif.

Le questionnaire adressé aux 40 chambres montre deux catégories de systèmes. La première catégorie départage des systèmes impératifs, comme les pays scandinaves où le Parlement définit un mandat de négociation pour le Gouvernement siégeant au Conseil ; les systèmes informatifs, où les prises de position des assemblées n'ont qu'une portée indicative. La seconde catégorie distingue d'une part les systèmes centralisés, où la commission des affaires européennes examine en première instance les projets d'actes législatifs européens ; d'autre part les systèmes décentralisés, où chaque commission sectorielle suit la législation européenne relevant de son domaine de compétence. Dans certains cas, comme en République tchèque, la commission des affaires européennes représente même l'Assemblée tout entière et prend des positions en son nom. Il serait souhaitable de définir des standards minimums communs et d'améliorer l'échange d'informations entre parlements nationaux sur les mécanismes de contrôle des Exécutifs siégeant au Conseil.

Cette réflexion sur le contrôle parlementaire au niveau européen nous invite à réfléchir aux améliorations à apporter à la prise en compte des questions européennes par le Parlement français.

Il me semble tout d'abord souhaitable que la commission des affaires européennes devienne commission permanente. Elle aurait ainsi la possibilité de se saisir pour avis des projets et propositions de loi, de déposer des amendements et d'intervenir dans le processus de transposition des directives. Je souhaite par conséquent que l'on supprime le plafond de huit commissions permanentes prévu par l'article 43 de la Constitution et que l'on précise à l'article 88-4 le caractère permanent de la commission chargée des affaires européennes. Pour votre information, la moyenne du nombre de commissions permanentes des chambres basses de l'Union se situe à 19, la France étant avec la Grèce le pays comportant le moins de commissions permanentes avec respectivement 8 et 6, le Bundestag allemand en comportant 23 et la Chambre des Communes britannique, 20.

Je propose également de revoir les procédures d'examen des actes législatifs européens à l'Assemblée en inversant la procédure actuellement en vigueur. Chaque commission sectorielle instruirait la législation européenne entrant dans ses attributions et les éventuelles propositions de résolution adoptées seraient renvoyées pour examen à la commission des affaires européennes. Celle-ci jouerait un rôle de vigie européenne en examinant l'ensemble des résolutions européennes et ce serait la version adoptée par notre commission qui serait examinée en séance plénière ou deviendrait la position de l'Assemblée. Elle serait ensuite chargée de suivre la prise en compte de ces résolutions par le gouvernement français et par les institutions européennes. Elle pourrait enfin par ses avis et ses amendements s'assurer de la prise en compte du droit européen par le législateur national.

Je souhaite également améliorer l'information du Parlement sur les questions européennes. Actuellement, les obligations d'information du Gouvernement sont définies par une circulaire du Premier ministre en date du 21 juin 2010. Un tel instrument juridique me semble inadapté et n'est pas à la hauteur de l'enjeu dans une matière relevant de la Constitution et des Traités européens. Je propose par conséquent de modifier l'article 88-4 de la Constitution pour renvoyer à une loi organique le soin de définir les obligations d'information incombant au Gouvernement en matière européenne. Nous pourrions ainsi systématiser les auditions des ministres pré Conseil et prévoir des mécanismes d'information post Conseil par écrit ou sous forme d'auditions.

Je souhaite également que les questions européennes retrouvent dans l'Hémicycle la place qui leur revient. Je propose que la séance de questions au gouvernement du mercredi précédant le Conseil européen soit remplacée par un débat européen en forme solennelle suivi d'un vote selon les formes prévues par l'article 50-1 de la Constitution. Le Premier ministre présenterait les positions de l'Exécutif avant le Conseil européen, un représentant par groupe interviendrait avant la réponse du Chef du gouvernement. Chaque groupe politique serait ainsi amené à se prononcer une fois par semestre sur les grands enjeux européens. Enfin, je propose d'organiser davantage de séances consacrées aux questions européennes, que ce soit en invitant à débattre des chefs de gouvernement d'États membres ou des membres de la Commission européenne.

Je présenterai trois amendements au projet de loi constitutionnel reprenant ces propositions et j'espère pouvoir compter sur votre soutien. Je vous remercie.

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