Intervention de Benjamin Dirx

Séance en hémicycle du jeudi 5 juillet 2018 à 9h30
Érosion de la base d'imposition et transfert de bénéfices — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaBenjamin Dirx, rapporteur de la commission des affaires étrangères :

Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, madame la présidente de la commission des affaires étrangères, madame la rapporteure pour avis, mes chers collègues, nous sommes amenés à nous prononcer sur le projet de loi autorisant la ratification de la convention multilatérale pour la mise en oeuvre des mesures relatives aux conventions fiscales pour prévenir l'érosion de la base d'imposition et le transfert de bénéfices. Cette convention multilatérale, qui constitue l'un des volets du projet BEPS, a pour objet principal de fournir aux États de nouveaux moyens pour répondre aux pratiques d'évasion et de fraude fiscales de certaines entreprises, qui recherchent une imposition faible ou nulle, notamment en transférant leurs bénéfices vers des territoires à fiscalité privilégiée, alors qu'elles n'y exercent que des activités limitées ou inexistantes. La principale avancée de cette convention est de réunir en un seul texte les quelque 1 300 conventions bilatérales des 78 États déjà signataires. Pour la France, signataire de 121 conventions bilatérales, il aurait fallu vingt à trente ans pour renégocier chacune d'elles.

Au-delà du temps gagné en négociation, les pays signataires montrent une unité contre les sociétés pratiquant l'évasion fiscale, en redéfinissant les règles du jeu. En effet, jusqu'à présent, la multiplicité des conventions bilatérales, sans base commune, rendait impossible une unité d'action. Aujourd'hui, sans revenir sur ces conventions, l'outil multilatéral offre la possibilité d'établir une base commune, qui définit des standards minimums devant être adoptés par l'ensemble des États. Ces standards minimums sont au nombre de trois.

En premier lieu, le 1 de l'article 6 de la convention modifie le préambule de l'ensemble des conventions fiscales pour préciser que celles-ci doivent permettre d'éliminer les doubles impositions sans créer de possibilités de non-imposition via l'évasion ou la fraude fiscales.

En deuxième lieu, la clause anti-abus, définie à l'article 7, est véritablement la clé de voûte de cette convention. Son principe est simple : selon la règle dite du « critère des objets principaux » retenue par la France, si l'on démontre que l'un des objets principaux d'une transaction est d'obtenir un avantage fiscal, le bénéfice de la convention fiscale pourra tout simplement être refusé. Il s'agit d'une réponse extrêmement puissante à la pratique dite du « chalandage fiscal ». Je citerai un exemple simple pour illustrer l'importance de l'apport de cet article. Une société française peu scrupuleuse voulant travailler en Inde pourrait être amenée, à l'heure actuelle, à créer une société sur l'île Maurice. En effet, la convention liant l'île Maurice à l'Inde permet à une entreprise basée à l'île Maurice d'échapper à l'impôt indien. De plus, la convention liant l'île Maurice à la France dispose que cette société ne paie pas l'impôt en France mais à l'île Maurice, où il se trouve qu'elle n'est pas taxée. On se trouve là dans une situation de double non-imposition. L'application de la convention BEPS permettra de mettre fin à ce type de montage.

En troisième lieu, l'article 16 définit un standard minimum favorable aux entreprises puisqu'il améliore les processus de règlement des différends – question très importante – et donc l'élimination des doubles impositions.

Au-delà de ces standards minimums, la France, qui aspire à être à la pointe de la lutte contre l'évasion et la fraude fiscales, s'est voulue vertueuse en émettant peu de réserves. Cette approche est en cohérence avec la priorité accordée par le Gouvernement à la lutte contre la fraude et l'évasion fiscales, et avec le rôle moteur que notre pays entend jouer dans ce domaine. Nous partageons totalement cette volonté. En effet, si nous entendons mettre en place un système favorable au développement des entreprises, nous n'en voulons pas moins lutter contre celles qui trichent en utilisant les stratagèmes déjà évoqués. C'est dans le but de ne pas pénaliser nos entreprises tout en étant moteurs dans la mise en place de cette convention que nous avons, madame la secrétaire d'État, émis trois souhaits.

Premièrement, dans notre rapport, nous avons exprimé une interrogation concernant le choix de la France de ne pas émettre de réserve sur l'article 14, qui vise à lutter contre la fragmentation artificielle des contrats sur un même chantier, dans le seul but d'échapper à la qualification d'« établissement stable ». En effet, des représentants des entreprises et des experts entendus dans le cadre de la préparation de ce rapport s'inquiètent du risque que, dans le cadre de l'application de cette clause anti-abus, certaines administrations fiscales étrangères soient tentées de s'approprier une base taxable accrue. Certains pays pourraient ainsi, par une interprétation extensive des dispositions, s'approprier indûment de la matière imposable. Je me félicite que le Gouvernement ait entendu cette remarque et ait décidé d'adopter, à l'instar de la plupart des pays européens, dont l'Allemagne, une position plus prudente, en formulant une réserve sur cet article. Cette position, si elle n'empêche pas le Gouvernement – bien au contraire – de lever la réserve, permet néanmoins de ne pas rester prisonnier d'un choix qui serait irréversible en raison de l'effet cliquet de la convention. Nous pensons effectivement qu'une analyse approfondie de cette question sera de matière à rassurer les entreprises. Il conviendra alors de lever cette réserve si le risque est mineur. La mise en place d'une réserve a posteriori étant impossible, il me semble que le Gouvernement propose là une mesure de sagesse.

Le deuxième sujet qui nous paraît important, pour ne pas dire primordial, est l'information relative à cette convention et la lecture qui en sera faite. Le Gouvernement s'est d'ores et déjà engagé à assurer une lisibilité et une sécurité juridique maximales pour les opérateurs en publiant des versions consolidées des conventions bilatérales et en répondant systématiquement aux demandes de rescrits. Mais plus encore, dans la lignée des réformes entreprises par la majorité parlementaire, nous souhaitons que l'administration fiscale adopte une démarche beaucoup plus proactive, développe une approche d'accompagnement des entreprises françaises présentes à l'international, en particulier les PME et TPE – petites et moyennes entreprises, et très petites entreprises – , afin de les sensibiliser aux enjeux de la convention, de les assister le plus en amont possible et de les informer de l'évolution de cette convention vivante dans la durée.

Troisièmement, puisque la convention présente la spécificité de laisser de très importantes marges de manoeuvre aux États signataires, l'anticipation de ses effets n'est pas chose aisée. L'information du Parlement est donc essentielle. Dès lors, le Gouvernement s'est engagé à informer chaque année le Parlement, dans le cadre du débat relatif à la loi de finances, sur le réseau fiscal conventionnel.

Plus généralement, cette convention doit être considérée comme une base, une première pierre dans la lutte contre l'évasion et la fraude fiscales – évidemment, il faudra, demain, aller encore plus loin – , posant les fondements d'une nouvelle ère pour la fiscalité internationale, qu'il sera désormais beaucoup plus aisé de faire évoluer.

Ainsi, la question de la fiscalité du numérique pourra être appréhendée. En effet, il ne faut pas oublier que, si la convention à l'étude ne contient pas de stipulations ciblant spécifiquement la fiscalité du numérique, les géants d'internet n'en restent pas moins des sociétés comme les autres et se verront appliquer les clauses définies par ces différents articles. C'est le cas, notamment, à l'article 7, avec la clause anti-abus, ou encore à l'article 12, qui vise à lutter contre les accords de commissionnaires et d'autres stratégies visant à éviter artificiellement le statut d'établissement stable. Il faudra néanmoins que les États où siègent ces entreprises aient signé les mêmes clauses que nous pour que ces dispositions entrent en vigueur. Une position commune d'une majorité des États européens serait donc de nature à faire pression sur les pays les moins réceptifs à cette convention et permettrait ainsi d'optimiser – nous sommes en effet très favorables à cette forme d'optimisation – la lutte contre la fraude fiscale.

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