Intervention de Clémentine Autain

Séance en hémicycle du jeudi 5 juillet 2018 à 9h30
Érosion de la base d'imposition et transfert de bénéfices — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaClémentine Autain :

Aujourd'hui, la fraude prend une multiplicité de formes. Les mécanismes complexes de l'évasion et de l'optimisation fiscales utilisés par les multinationales sont un défi lancé aux administrations nationales, qui doivent démêler et déchiffrer des montages tentaculaires, dans un contexte financier particulièrement contraint. Le nombre d'agents de la direction générale des finances publiques a significativement baissé : depuis 2010, près de 3 100 emplois ont été supprimés, alors que la fraude ne cessait de se complexifier et de se diversifier. Les agents n'ont plus les moyens nécessaires pour détecter et combattre la fraude fiscale et, avec votre obsession de la règle d'or, ce mouvement risque de s'amplifier.

La ratification de la convention multilatérale pour la mise en oeuvre des mesures relatives aux conventions fiscales pour prévenir l'érosion de la base d'imposition et le transfert de bénéfices, doit apporter une réponse au problème de l'impunité fiscale des entreprises transnationales. Elle vise à lutter contre les stratégies de planification fiscale qui exploitent les failles et les différences entre les règles fiscales et internationales en vue de transférer artificiellement des bénéfices dans des pays ou des territoires où l'entreprise n'exerce aucune activité réelle, mais où ils sont faiblement taxés, selon la définition donnée par l'OCDE. Les entreprises se mondialisent mais la fiscalité reste nationale. Les pertes imputables à ce phénomène sont considérables : on les estime entre 100 milliards et 240 milliards d'euros par an. Cette convention vise donc à taxer les bénéfices là où ils sont réalisés.

La ratification de cette convention est un premier pas, petit, mais bienvenu. Néanmoins, il faut se dire les choses franchement : elle ne permettra absolument pas de lutter en profondeur contre le phénomène. Nous soutenons les objectifs de ce plan. Toutefois, j'émettrai des réserves fortes sur certains points précis.

Tout d'abord, pourquoi ne pas organiser la lutte contre l'impunité fiscale au niveau de l'ONU – l'Organisation des Nations unies – , sous la forme d'un accord-cadre mondial, plutôt qu'à celui du G20 et de l'OCDE ? Tous les pays doivent s'impliquer, ce qui n'est pas toujours le cas avec cette convention, que les États-Unis et certains paradis fiscaux ne ratifieront pas.

Par ailleurs, elle s'apparente à un menu à la carte, car chaque pays peut sélectionner les actions du plan qu'il inscrit dans les conventions bilatérales dont il est signataire. L'application de la convention est donc extrêmement flexible. Autrement dit, pour que l'accord s'applique, il faudra que les pays aient coché les mêmes cases.

Je prendrai un exemple précis, celui de la notion d'établissement stable, c'est-à-dire l'adresse de l'entreprise. C'est l'absence d'établissement stable qui permet aux GAFA, les géants du numérique, d'échapper à l'impôt dans les pays où ils sont présents. L'Irlande, qui a choisi de ne pas appliquer l'action de la convention portant sur ce point, sera exemptée des dispositions en la matière. Les GAFA pourront donc y poursuivre leur entreprise d'évasion fiscale à grande échelle. La ratification par l'Irlande de la convention ne changera rien à la fiscalité des géants du numérique, installés dans le pays pour échapper à l'impôt français.

D'autant que la définition du périmètre des travaux exclut la question du régime fiscal applicable au secteur numérique, ce que je regrette. La contribution de l'économie numérique à l'impôt n'est abordée que par le biais d'un rapport prévu dans l'action 1. Il s'agit de l'un des points les plus importants de la convention, dont il n'est pourtant que l'un des angles morts. En outre, l'application du texte est fondée sur le volontariat des États signataires, ce qui pose un problème évident d'asymétrie.

En réalité, la convention ne s'attaque pas au principal problème, à savoir la course au moins-disant fiscal entre les États de la planète. Le scandale des LuxLeaks, qui mettait en lumière les facilités accordées par le Luxembourg à certaines multinationales, n'a visiblement pas fait changer les mentalités. Pourtant, le nombre de rescrits fiscaux – ces accords secrets conclus entre les autorités fiscales et les entreprises en matière de taxation – a augmenté de 64 % en 2016, soit deux ans après l'affaire.

Au demeurant, notre pays n'est pas en reste : en abaissant l'impôt sur les sociétés de 33,3 à 25 % d'ici à 2022, ce gouvernement s'inspire directement de la pratique des paradis fiscaux.

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