Intervention de Jean-Paul Lecoq

Séance en hémicycle du jeudi 5 juillet 2018 à 9h30
Érosion de la base d'imposition et transfert de bénéfices — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Paul Lecoq :

Il s'avère néanmoins urgent de prendre des mesures fortes, tant sur le plan financier que sur le plan diplomatique, tout en étant très vigilant. Veillons à cibler les acteurs qui tirent profit des paradis fiscaux – entreprises, multinationales, tricheurs fiscaux – et non les populations locales, qui paient bien souvent un lourd tribut à ces pratiques fiscales de pirates.

Sur le plan financier, nous pourrions pénaliser davantage encore, voire interdire, les flux financiers qui transitent par ces territoires. Interdisons également aux banques françaises d'y ouvrir des filiales ! Exigeons enfin la mise en place progressive d'un registre mondial des détenteurs d'actifs ! La transparence est une arme d'une redoutable efficacité pour replacer – enfin ! – la démocratie et les peuples à leur juste place.

Sur le plan des relations internationales, notre diplomatie doit être pleinement consciente qu'elle traite parfois avec des États ou des territoires dont les pratiques fiscales nous causent de lourds préjudices. Elle doit agir en toute indépendance, conformément aux intérêts supérieurs de la nation – j'insiste sur l'expression, car on l'a souvent oubliée – et ne saurait être sujette à des arrangements susceptibles de lui porter préjudice.

Près de dix ans après l'explosion de la crise financière, il faut bien constater que les choses ont changé, sous la pression de l'opinion publique. Alors que les salariés, les précaires, les chômeurs, les retraités et les jeunes, en France, en Europe, dans le monde, ont dû payer le prix fort d'une crise dont ils ne sont pourtant pas responsables, il est apparu insupportable que certains continuent à échapper à l'impôt en toute impunité.

Dans ce cadre, le G20 a confié à l'OCDE, club des grandes économies libérales, le mandat d'agir contre l'érosion des bases fiscales, autrement dit de lutter contre l'évasion fiscale. L'OCDE a donc dévoilé le fameux plan BEPS, composé de quinze grandes actions, qu'il convient, pour partie, de ratifier aujourd'hui. L'outil qu'il nous est proposé d'entériner s'intitule « convention multilatérale pour la mise en oeuvre des mesures relatives aux conventions fiscales pour prévenir l'érosion de la base d'imposition et le transfert de bénéfices ». Derrière ce titre abscons se cachent des enjeux tout à fait fondamentaux. Cet outil multilatéral ambitionne de nettoyer les conventions fiscales bilatérales de leurs dispositions les plus nocives.

Les conventions fiscales bilatérales – nous les connaissons bien, à la commission des affaires étrangères – sont, rappelons-le, des accords passés entre États en vue notamment d'éviter des dysfonctionnements fiscaux, notamment la double imposition des entreprises ou des particuliers. Elles sont problématiques à plus d'un titre.

Tout d'abord, elles reflètent l'état des relations diplomatiques. La puissance de l'une des parties peut avoir des conséquences déplorables pour l'autre. Ainsi, certains États utilisent cet outil pour faire pression sur d'autres afin que leurs acteurs économiques nationaux bénéficient d'avantages fiscaux particuliers : imposition sur les bénéfices réduite, voire nulle, et plus généralement une fiscalité a minima en échange d'hypothétiques investissements.

Elles tendent in fine à faire de certains États des mini-paradis fiscaux, occupant des microniches, des petits secteurs économiques, toujours au détriment des populations locales. À ce petit jeu, bien entendu, les pays en développement sont les grands perdants. Qu'on se le dise : ce sont eux, les grandes victimes de la fraude et de l'évasion fiscales. Comme l'a récemment rappelé le Fonds monétaire international, l'impact de l'évasion fiscale sur ces pays est supérieur de 30 % à celui subi par les pays membres de l'OCDE, et les conventions fiscales bilatérales y sont pour quelque chose.

Rappelons également que celles-ci peuvent être utilisées en cascade à des fins de non-imposition. Cette pratique, appelée treaty shopping, est mise en oeuvre par des multinationales devenues expertes en optimisation fiscale. Le cas le plus emblématique – évoqué tout à l'heure par le rapporteur – est celui de l'île Maurice, devenue une plateforme particulièrement attractive pour qui souhaite investir en Inde en payant un impôt le plus faible possible. Ainsi, par le jeu des conventions fiscales, un Français investissant en Inde en passant par Maurice ne paiera aucun impôt. S'il avait directement investi en Inde depuis la France, il aurait été soumis à l'impôt en vertu de la convention fiscale franco-indienne. Voilà un exemple concret des dérives dues aux conventions fiscales bilatérales, dont les dispositions ont parfois des conséquences macroéconomiques très concrètes.

Ainsi, la convention bilatérale France-Qatar – il n'est pas interdit de l'évoquer – fait de notre pays un paradis fiscal pour les Qataris, ces derniers bénéficiant d'une fiscalité aménagée dans les secteurs de l'art et de l'immobilier.

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