Intervention de Bruno Bilde

Séance en hémicycle du jeudi 5 juillet 2018 à 9h30
Érosion de la base d'imposition et transfert de bénéfices — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaBruno Bilde :

Force est de constater que, sous la Ve République, a fortiori sous le règne d'Emmanuel Macron, l'Assemblée nationale a remplacé le Président de la République dans la catégorie des organes superflus.

En effet, il n'aura échappé à personne que la convention multilatérale de l'OCDE pour lutter contre l'évasion fiscale est entrée en vigueur le 1er juillet dernier et que c'est seulement le 5 juillet que les députés sont invités à en débattre et à se prononcer. Vous l'aurez compris : il ne s'agit pas seulement d'un petit problème de calendrier. Cette situation soulève une question de fond qui devrait tous nous interpeller, que l'on siège sur les bancs de la majorité ou de l'opposition : quel est le sens de notre mandat si nous ne sommes bons qu'à valider des conventions déjà appliquées ? Le sujet mérite pourtant un vrai débat de fond plutôt que des palabres stériles.

En effet, l'évasion fiscale est l'un des problèmes majeurs de notre époque. C'est l'un des corollaires de la mondialisation ultralibérale qui a consacré le règne de la libre circulation des hommes, des marchandises et des flux financiers. Sans régulation ni contrôle, les effets pervers de ce modèle sont très vite apparus : la submersion migratoire, le dumping social, le détachement des travailleurs, la concurrence sauvage et déloyale, et, bien évidemment, l'évasion fiscale.

Les révélations des affaires dites Offshore Leaks, LuxLeaks, Panama papers et Paradise papers ont mis en lumière les pratiques, déjà bien connues et souvent parfaitement légales, d'optimisation fiscale de la part de multinationales et de célébrités comme la reine d'Angleterre ou la chanteuse Shakira. Le concept est relativement simple et bien rodé : on déplace les bénéfices taxables dans les pays dans lesquels ils sont faiblement imposés, communément appelés paradis fiscaux. Les GAFA, nouvelles puissances mondiales hors sol, s'en sont fait une spécialité.

Les paradis fiscaux ne se cachent pas tous dans des contrées lointaines et exotiques. Je le rappelle, l'ancien Premier ministre du Luxembourg et actuel président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, est coupable d'avoir accordé des indulgences fiscales aux multinationales. L'Union européenne n'a donc aucune leçon à donner en la matière.

L'évasion fiscale coûte cher, très cher. D'après le FMI – le Fonds monétaire international – , pour l'année 2012, le montant des transactions mondiales transitant par les paradis fiscaux s'est élevé à 5 500 milliards d'euros. Selon les dernières études, la France perd chaque année entre 60 milliards et 80 milliards d'euros, une somme perdue pour la solidarité nationale, une somme d'euros qui ne sert pas l'intérêt général mais qui enrichit des multinationales ou des stars du show-business.

La convention multilatérale de l'OCDE, adoptée le 7 juin 2017 à Paris par 78 pays, vise à modifier les conventions fiscales bilatérales des pays signataires pour y intégrer les préconisations du plan BEPS contre l'optimisation fiscale agressive.

Si cette convention-cadre semble aller dans le bon sens et poser quelques règles dans la jungle de la fiscalité internationale, il ne faudrait pas que la France soit la grande candide du système. En clair, si la France doit porter l'étendard de la lutte contre l'évasion fiscale, nos entreprises ne doivent pas être pénalisées et nos fleurons industriels être davantage imposés à l'étranger, sans que nous puissions, en retour, taxer davantage les groupes étrangers installés chez nous. Je partage donc les réserves de M. le rapporteur et son souhait d'une évaluation par le Gouvernement de l'impact de la convention. Il nous faut des garanties et non des bons sentiments car nous faisons face à des États déterminés à défendre leurs intérêts et leurs avantages fiscaux.

Mme la secrétaire d'État, chers collègues, cette convention est un effort louable qui témoigne d'une véritable volonté politique de réparer les méfaits de la mondialisation, mais elle ne sera efficiente que si et seulement si les États voyous adhérent aux règles du jeu et coopèrent.

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