Madame la présidente, madame la ministre, madame la rapporteure, chers collègues, la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République, dite loi NOTRe, a suscité bien des débats dans les rangs de cet hémicycle et, plus de deux ans après son adoption, force est de constater qu'elle soulève encore des questions et des doutes.
L'appréhension suscitée par la loi NOTRe n'est pas anodine, puisqu'elle prévoit notamment une profonde réorganisation de la gestion locale de l'eau et de l'assainissement en transformant, d'ici à 2020, cette compétence, jusqu'alors optionnelle pour les communautés de communes et les communautés d'agglomération, en une compétence obligatoire.
On compte aujourd'hui, dans notre pays, près de 35 000 services d'eau et d'assainissement, gérés par 24 000 collectivités. Au 1er janvier 2020, il ne devrait plus y en avoir que 1 500 à 3 500 selon les estimations, soit une réduction impressionnante, et ce, semble-t-il, pour un service public de l'eau plus efficient.
L'objectif affiché par la loi NOTRe est en effet de réduire l'émiettement des services en mutualisant les moyens, notamment ceux des petites communes, pour réaliser des économies d'échelle, augmenter les capacités d'investissement et ainsi harmoniser les prix. Si ces avantages ne sont pas négligeables, ils n'ont cependant pas suffi à rassurer les acteurs concernés. Tant s'en faut.
Le débat s'est cristallisé, je dirais même crispé, sur l'aspect contraint du transfert de compétences qui a été souvent mal perçu sur le terrain – et c'est l'ancien président d'une communauté de communes qui vous le dit. C'est d'ailleurs dans ce genre de discussion que l'on regrettera cruellement l'apport d'élus exécutifs locaux expérimentés dans notre assemblée – mais là n'est pas le débat.
Imposer une obligation aux collectivités est apparu, pour beaucoup de maires, comme antinomique au principe constitutionnel de libre administration des communes.
Vous l'avez compris, je suis profondément persuadé qu'il faut laisser aux élus locaux une certaine liberté, non seulement parce qu'ils sont légitimes du fait de leur élection, mais surtout parce qu'eux seuls ont une connaissance suffisante du terrain pour déterminer la meilleure option à retenir.
Il y a en effet, dans notre pays, une réalité, celle de territoires disparates, avec leurs propres spécificités et leurs particularismes géographiques, topographiques et démographiques. Comment peut-on prétendre qu'un dispositif qui fonctionne dans une zone dense comme une métropole fonctionnera également pour des petites communes dans une zone périurbaine, rurale et montagneuse ? L'uniformité n'est ni envisageable, ni souhaitable en l'espèce. De nombreux élus locaux ont donc contesté, et contestent encore, les avantages hypothétiques du transfert en regrettant qu'une nouvelle compétence leur soit retirée.
Ils soulèvent également, à juste titre, la complexité de mutualiser des services qui diffèrent par leurs modes de gestion, la durée des contrats, le prix de l'eau ou la qualité des infrastructures.
Ces inquiétudes locales ne pouvaient rester sans réponse. Des parlementaires s'en sont donc émus et ont choisi de revenir sur les dispositions de la loi NOTRe. Un nouveau et long débat s'en est ouvert…
Cela génère chez moi d'ailleurs une autre réflexion à portée législative. Des propositions de loi ont-elles vocation, tels des amendements « arrivés après la bataille », à revenir sur les grands principes adoptés peu de temps avant dans un projet de loi ? Pour le dire de façon moins diplomatique et le traduire concrètement, les intercommunalités qui ont appliqué ce transfert obligatoire de compétence eau et assainissement se retrouvent, c'est le cas de le dire, le bec dans l'eau.
Car ces intercommunalités qui, soit par réactivité, soit par un souci stratégique de se conformer à la loi NOTRe imposant l'exercice de neuf compétences parmi douze pour conserver le bénéfice de la dotation globale de fonctionnement bonifiée, ces intercommunalités qui ont « pris des coups », car ce transfert de compétence ne plaisait pas à tout le monde, en particulier à de nombreux maires ruraux, ne comprennent pas qu'on puisse changer les règles du jeu en cours de route.
L'annulation ou, en l'occurrence ici dans cette proposition, le décalage dans le temps – à 2026 – de l'obligation d'intégrer cette compétence fait de ces élus intercommunaux réactifs des « cocus de la République » – pardonnez-moi cette expression triviale. Après tout, si nous ne sommes pas prêts en 2026, pourquoi ne pas reporter en 2036 ?
Imaginez que l'on tienne le même raisonnement pour ce qui concerne la limitation de la vitesse à 80 kmh et que, finalement, pour apaiser la bronca généralisée devant cette décision impopulaire, l'on n'applique pas immédiatement cette réglementation, que l'on range les panneaux dans le garage et que l'on laisse aux départements jusqu'en 2026 pour les implanter et faire respecter cette nouvelle réglementation !
Tout cela n'est pas sérieux, mais c'est à l'image du feuilleton à rebondissements que l'on a vécu sur ce sujet depuis le début. En effet, pour la troisième fois depuis le début de cette législature, nous nous réunissons en séance pour discuter du transfert de cette compétence « eau » et « assainissement » des communes aux intercommunalités.
Notre premier débat remonte au mois d'octobre 2017, à l'occasion de la « niche » du groupe Les Républicains. Notre collègue Fabrice Brun avait alors porté un texte, déjà adopté en première lecture par le Sénat, visant à maintenir les compétences eau et assainissement dans les compétences optionnelles des communautés de communes et des communautés d'agglomération. La majorité parlementaire a cependant préféré renvoyer le texte en commission pour en présenter sa propre version quelques mois plus tard. Une version qui, sur le papier, se voulait plus concertée.
C'est ainsi qu'un groupe de travail transpartisan, réunissant sénateurs et députés, a été constitué sous votre égide, madame la ministre, pour aboutir à un texte consensuel, même si plusieurs sensibilités politiques ayant participé à la rédaction de ce texte en ont été purement écartées au moment de son dépôt.