Intervention de Caroline Fiat

Réunion du mercredi 5 juillet 2017 à 16h15
Commission des affaires sociales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaCaroline Fiat :

L'article 1er vise à habiliter le Gouvernement à réécrire la totalité des dispositions du code du travail pour consacrer la primauté des accords d'entreprise sur les conventions et accords de branche nationaux, professionnels et interprofessionnels, au détriment des salariés. Le renversement de la hiérarchie des normes que pourrait opérer le Gouvernement en se fondant sur cet article, qui l'habilite à faire de l'entreprise le centre de la négociation sociale, plonge les salariés dans une incertitude juridique qui leur est dommageable.

En s'appuyant sur cet article, le Gouvernement pourrait également placer les petites et moyennes entreprises dans une situation concurrentielle interne au territoire national en leur supprimant la possibilité de se référer à un droit conventionnel de branche commun à leur secteur. Il s'agit d'une aggravation de l'inégalité des droits entre salariés, alors que la loi se doit de protéger et promouvoir leur égalité.

Par ailleurs, cet article aboutit à un désarmement des services de l'État dans le contrôle de l'application des normes du travail en créant un droit du travail différent par entreprise que les services compétents ne pourraient intégralement appréhender et contrôler.

Cet article va à l'encontre d'autres dispositions du projet de loi d'habilitation, notamment celle qui, au 2° d, habiliterait le Gouvernement à accélérer la procédure de restructuration de branches professionnelles en modifiant des éléments de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016. Or l'exposé des motifs de l'article 13 du projet de loi « El Khomri » de cette loi précise que l'objectif est de renforcer la place essentielle de la branche dans le droit du travail.

La restructuration des branches tend notamment à renforcer les possibilités de négociation à cet échelon, à créer un socle commun de droits applicables aux salariés et à réguler la concurrence entre les entreprises. Reconnaître et attribuer une place centrale à la négociation collective d'entreprise au détriment de la négociation de branche et nationale introduit une incohérence profonde dans le projet de loi et annule le bénéfice de la restructuration.

Les branches représentent l'échelon le plus approprié de la négociation collective, permettant d'atteindre un équilibre entre le général et le particulier adapté à la réalité d'un secteur.

Au contraire, la suprématie de l'accord d'entreprise consacre le triomphe du particulier sur le général dont les salariés seront les premières victimes. Le droit du travail, né de la nécessité de rétablir l'équilibre dans le rapport de force nécessairement inégal entre le salarié et l'employeur, est ici affaibli. Inscrire dans la loi la primauté de l'accord d'entreprise est un pied-de-nez à l'histoire, les parties prenantes à la négociation n'étant pas sur un pied d'égalité, cela ne peut déboucher que sur l'avènement d'un droit du travail à géométrie variable. Au contraire, renforcer le poids des branches, afin que chacune d'entre elle atteigne une masse critique, permettrait d'enrichir notre droit du travail en élargissant le champ de la négociation.

La logique libérale qui préside à l'élaboration de cet article, et de ce texte en général, repose sur un postulat idéologique nullement démontré empiriquement, selon lequel assouplir les contraintes sociales pesant sur les entreprises faciliterait l'embauche. Les toutes dernières études, notamment celle de l'INSEE de juin 2017, tendent même à démontrer le contraire puisque les barrières liées à la réglementation – et pas seulement celle du travail – ne sont citées que dans 18 % des cas et arrivent en quatrième position. Sans garantie aucune du bénéfice économique d'une telle politique de l'emploi, cet article, à l'image du projet de loi d'habilitation, organise la course au moins-disant social, y compris entre les entreprises françaises d'un même secteur.

Le présent amendement restaure le principe de la hiérarchie des normes sociales suivant le principe de faveur dans le cadre des différents niveaux de négociations collectives, afin de maintenir l'existence d'un ordre public social. Cette hiérarchie implique que les accords et conventions ne puissent déroger, dans un sens moins favorable au salarié, aux accords ou conventions de niveau supérieur selon l'ordre croissant suivant : accords d'entreprises, accords ou conventions de branche, accords nationaux professionnels, accords nationaux interprofessionnels.

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