Merci, monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, de m'accueillir ce matin. J'en suis doublement honoré : c'est la première fois que je m'exprime devant une commission parlementaire depuis le début de la législature, et il s'agit de votre première réunion avant l'ouverture de la session extraordinaire.
Avant de répondre à vos questions, je voudrais partager avec vous quatre convictions : premièrement, l'État actionnaire a vu son action beaucoup progresser depuis la création de l'Agence des participations de l'État (APE) ; deuxièmement, contrairement à une idée reçue, nous gérons notre portefeuille de manière assez dynamique ; troisièmement, l'État doit être un actionnaire responsable, décomplexé et exemplaire ; quatrièmement, nous devons faire évoluer notre doctrine d'investissement et le périmètre du portefeuille. Cette introduction me permettra de brosser un bref historique et un état des lieux de l'action menée par l'État actionnaire au travers de l'APE, et de vous présenter nos perspectives d'évolution.
Première conviction, qui est aussi un constat, le rôle de l'État actionnaire a beaucoup progressé depuis la création de l'APE. Je vous ferai un rapide historique. En 2004, les pouvoirs publics ont décidé de créer l'APE pour identifier le rôle de l'État actionnaire, c'est-à-dire la défense de ses intérêts patrimoniaux, au milieu d'une multitude de fonctions remplies par l'État. Celui-ci est effectivement tuteur, régulateur, préleveur d'impôts, mais aussi client et fournisseur d'un certain nombre d'entreprises du portefeuille. Il est apparu nécessaire, à la suite du rapport rendu par René Barbier de La Serre, d'identifier cette fonction de défense des intérêts patrimoniaux. L'APE fut donc créée sous la forme d'un service à compétence nationale, à l'époque inclus au sein de la direction générale du Trésor.
Après ce moment fondateur, la deuxième étape a été l'autonomisation, en quelque sorte, de l'APE, lorsqu'elle est sortie de la direction générale du Trésor. Cette dernière remplissant des fonctions de régulation dans un certain nombre de secteurs, notamment le secteur financier mais pas seulement, il est apparu nécessaire que l'entité qui incarne le rôle de l'État actionnaire en soit séparée. C'est alors que l'APE a été dotée d'un directeur général, devenu depuis lors commissaire aux participations de l'État, rattaché directement au ministre – depuis le mois de mai dernier, je rends compte directement au ministre de l'économie et des finances.
Troisième étape, qui a touché au fond comme celle de 2004, une doctrine d'investissement a été formalisée pour la première fois et adoptée en Conseil des ministres au début de l'année 2014. Elle a permis de formaliser les raisons pour lesquelles l'État investit dans des entreprises.
Quatrième étape, à l'été 2014, une ordonnance a été prise par le Gouvernement, avant d'être ratifiée par le Parlement, qui a en quelque sorte « banalisé » le mode d'action de l'État au sein des entreprises où il est représenté, notamment en ce qui concerne la nomination des administrateurs et la participation aux organes de gouvernance, et clarifié certains points relatifs aux règles applicables en matière de cessions. Du point de vue de sa représentation dans la gouvernance des entreprises, cette réforme a fait de l'État un actionnaire proche d'un actionnaire privé, le plus près possible du code de commerce.
C'est donc aujourd'hui, en 2017, un parcours de treize ans qui a permis à l'APE de mûrir et de devenir un actionnaire exerçant ses prérogatives en grande partie comme un actionnaire normal, comme un actionnaire privé.
Deuxième conviction : l'État actionnaire dispose aujourd'hui de leviers puissants qui permettent une gestion très dynamique de notre portefeuille. Le portefeuille géré par l'APE représente environ 100 milliards d'euros d'actifs. Le chiffre d'affaires cumulé des quatre-vingt-une entreprises du portefeuille est de plus de 400 milliards d'euros et elles comptent plus de 1,8 million de collaborateurs en France et à l'étranger. Pour gérer ce portefeuille considérable, notre équipe est très réduite : cinquante-cinq personnes, très en deçà des normes d'effectifs des gestionnaires de portefeuille, que ce soit à l'étranger ou en France. Environ les deux tiers de ces collaborateurs sont des cadres et des chargés de participation, un tiers est affecté à des pôles transversaux – juridique, comptable, d'audit, financier ou de communication – qui appuient les équipes de gestion de portefeuille. En majorité, ce sont des fonctionnaires, des fonctionnaires issus d'autres ministères que Bercy mais aussi beaucoup de fonctionnaires de la direction générale du Trésor. J'ai souhaité, en particulier depuis l'été 2015, accroître le recrutement de collaborateurs ayant une expérience mixte, dans l'entreprise et dans l'administration, pour que nous soyons aussi efficaces et proches des entreprises que possible.
Nous ne sommes évidemment pas les seuls intervenants dans le secteur public. La Banque publique d'investissement (Bpifrance), détenue à 50 % par l'État via l'APE et à 50 % par la Caisse des dépôts et consignations (CDC), gère un portefeuille d'actifs de 18 milliards d'euros. Elle est le premier acteur en termes de fonds propres, avec un portefeuille de gestion de participation d'environ 26 milliards d'euros, sans compter ses propres filiales. Le Commissariat général à l'investissement (CGI) gère pour sa part un peu moins de 6 milliards d'euros de participation au travers du programme d'investissements d'avenir. La coordination est perfectible, notamment avec le CGI, et nous devons encore y travailler, mais nous travaillons en lien très étroit avec la CDC, dans Bpifrance mais aussi à propos d'autres participations communes, dont La Poste. Nous avons également un dialogue quotidien avec Bpifrance en tant que tel.
Contrairement à une idée reçue, la rotation de notre portefeuille a été très importante. On accuse l'État de se montrer très statique dans sa gestion, mais ce n'est pas conforme à la réalité. En 2004, le portefeuille de l'APE comportait 66 entreprises, et son portefeuille coté pesait environ 43 milliards d'euros. Aujourd'hui, les douze lignes cotées de notre portefeuille représentent 67 milliards d'euros, et nous avons réalisé plus de 30 milliards d'euros de cessions entre 2004 et 2016. Depuis deux ans, le rythme de la rotation du portefeuille s'est plutôt accéléré. Nous aurons effectivement réalisé plus de 9 milliards d'euros de cessions depuis 2015 et 11,5 milliards d'euros d'investissements, retracés sur le compte d'affectation spéciale Participations financières de l'État.
Nous avons ainsi été amenés à privatiser les sociétés aéroportuaires de Nice et de Lyon, et nous avons cédé une partie de nos participations dans l'aéroport de Toulouse ; au printemps dernier, nous avons cédé à Bpifrance notre participation dans le groupe PSA ; nous avons cédé pour environ 2 milliards d'euros de titres Safran depuis 2015 ; nous aurons cédé environ 3 milliards d'euros de titres Engie dans le même temps ; nous avons acquis pour 1,2 milliard d'euros de titres Renault en 2015, et quelques dizaines de millions d'euros de titres Air France. Nous avons également investi massivement dans la filière nucléaire, en contribuant à la recapitalisation d'EDF, à hauteur de 3 milliards d'euros, et dans le groupe Areva à hauteur de 4,8 milliards d'euros. Dans EDF, nous aurons aussi investi plus de 4 milliards d'euros sur trois ans, avec l'encaissement des dividendes en titres, qui a également permis de recapitaliser EDF.
Les performances de notre portefeuille sont clairement surdéterminées par la structure de celui-ci et par le poids relatif des entreprises énergétiques : nos participations dans EDF, Engie et Areva représentaient environ 50 % du portefeuille jusqu'à cette année. Cette surpondération des entreprises du secteur de l'énergie a évidemment pesé sur la performance boursière. La performance globale du portefeuille – c'est-à-dire l'appréciation de la valeur du portefeuille – aura diminué de 11 % sur la période 2015-2016, alors que le CAC40 progressait de 5 %. À long terme, hors énergie, c'est l'inverse. Le portefeuille hors énergie a progressé de 74 % depuis 2008, en intégrant donc les suites de la crise causée par la faillite de Lehman Brothers, alors que le CAC 40 a progressé d'environ 51 %. Il est évident qu'il n'était évidemment pas question de se séparer des titres d'EDF, le Parlement a d'ailleurs instauré un seuil de détention publique de 70 %, ni bien sûr des titres d'Areva – il s'agit en quelque sorte d'une « entreprise souveraine ». La performance est donc clairement affectée par le poids des entreprises énergétiques dans notre portefeuille, mais le phénomène n'est pas spécifiquement français : la crise dans le domaine énergétique a frappé de plein fouet les entreprises énergétiques européennes. Ainsi, en Allemagne, la baisse des prix du pétrole, de l'électricité, du gaz a réduit de moitié en un peu moins de trois ans la valeur d'entreprises comme E.ON ou RWE, les plus puissantes en Europe.
En revanche, le rendement de ce portefeuille d'environ 100 milliards d'euros est supérieur à celui du CAC 40, puisqu'il atteint environ 4 %, et même 6 % hors énergie, tandis que le rendement du CAC 40 est de 3,5 %. La politique de dividendes de l'État a beaucoup évolué, notamment au cours de la dernière période. Dans le cadre de la réforme de l'ordonnance de 2014 et dans la pratique de l'État, les dividendes sont fixés, dans les entreprises cotées comme dans les entreprises non cotées, en fonction des capacités distributrices, des comparaisons sectorielles et de la soutenabilité à long terme des taux de distribution. Le taux de prélèvement sur les entreprises du portefeuille est donc moindre qu'il ne l'était en vertu de pratiques antérieures, et les dividendes continueront de diminuer, parce que les entreprises les plus importantes du point de vue des dividendes distribués réduisent leur taux de distributions et parce que, au fil des cessions d'actifs, la base elle-même diminue.
Qu'en est-il de l'avenir ?
Ma troisième conviction est précisément que l'État doit être un actionnaire responsable, décomplexé et, bien sûr, exemplaire. La responsabilité implique que notre pratique se détache de plus en plus d'une mentalité historique de tutelle et que nous options pour une mentalité d'actionnaire. Nous sommes minoritaires au capital de nombreuses entreprises, et quand nous sommes majoritaires, les entreprises sont cotées ou n'en comptent pas moins d'autres actionnaires minoritaires. Nous tendons à prendre en compte, de plus en plus, l'intérêt social et l'ensemble des parties prenantes – les autres actionnaires, les salariés, les clients, les fournisseurs, tout l'environnement économique des entreprises. Ce changement de mentalité, extrêmement positif, est nécessaire.
L'État actionnaire doit aussi être décomplexé. Ce n'est pas parce qu'il est un intervenant public qu'il n'a pas droit à la même considération, sur la forme et sur le fond, qu'un actionnaire privé. Une entreprise cotée doit prendre en compte le poids de l'actionnaire de référence. C'est la raison pour laquelle nous avons été amenés à intervenir lorsqu'en tant qu'actionnaire de référence nous avons souhaité faire respecter la loi du 29 mars 2014 visant à reconquérir l'économie réelle, dite « loi Florange », en augmentant provisoirement notre participation dans le capital de Renault et d'Air France pour que ces entreprises inscrivent l'exercice du droit de vote double dans les statuts de l'entreprise. Cela nous a amenés à intervenir en assemblée générale pour qu'ils soient modifiés en ce sens.
Enfin, l'État doit être exemplaire. L'État n'est pas un actionnaire banal, car il porte un intérêt général. À travers ses prises de participation, il mène une politique de défense des intérêts stratégiques du pays, une stratégie industrielle. Notre comportement doit donc être exemplaire. J'évoquerai simplement la question de la diversité et la féminisation des conseils d'administration. Nous avons beaucoup progressé : en 2012, le taux de féminisation des conseils d'administration du portefeuille était de 16,2 % ; il est aujourd'hui de 31,8 %. En ce qui concerne les douze sociétés cotées du portefeuille, le taux est évidemment supérieur à 40 % – il est d'environ 42 %. Le mouvement va se poursuivre, et le taux de féminisation des entreprises non cotées de notre portefeuille, auxquelles la loi n'impose pas d'obligation en la matière, est supérieur au taux de féminisation des entreprises composant l'indice SBF 120 ou des entreprises européennes les plus importantes.
Dans ce même souci d'exemplarité, nous avons entamé un travail sur la responsabilité sociale et environnementale des entreprises du portefeuille, pour lequel nous allons nous faire aider. Ma conviction est très simple : l'empreinte sociale et sociétale des entreprises commerciales, des entreprises qui font du profit, doit dorénavant être positive, et les externalités négatives, autrefois distribuées autour de l'entreprise, doivent dorénavant être prises en charge par elle. Nous souhaitons que l'ensemble des entreprises du portefeuille soient, de ce point de vue, aux meilleurs standards, et nous allons essayer de faire en sorte que celles qui en sont le plus éloignées s'en rapprochent.
Quatrième conviction : nous allons à la fois changer la doctrine d'investissement et faire évoluer le périmètre des participations financières de l'État. L'environnement a changé, sous la pression de la dérégulation, de la disruption numérique et sous l'effet d'un contexte bouleversé en matière de finances publiques. Au lendemain de sa nomination, le Gouvernement a très clairement exprimé le souhait, à travers la déclaration faite par M. Bruno Le Maire au mois de juillet, de lancer un programme de 10 milliards d'euros de cessions de participations pour alimenter un fonds pour l'innovation disruptive. Nous serons évidemment un vecteur très important de cette démarche et, dans cette perspective, nous allons faire évoluer la doctrine d'investissement. Celle-ci sera définie et formalisée par le Gouvernement au cours des prochains mois autour des entreprises les plus stratégiques pour la souveraineté, pour les intérêts industriels du pays, pour les services publics. Dans le cadre de cette évolution de la doctrine souhaitée par le Gouvernement, nous ferons évoluer le périmètre des participations de l'État. Tout cela sera évidemment défini par le Gouvernement dans les prochaines semaines ou les prochains mois et sera bien sûr présenté et discuté au Parlement.
La tâche est complexe. L'État n'est pas un actionnaire « lambda ». Il exerce une responsabilité particulière, au travers de la politique industrielle, de la défense ou de la promotion des intérêts stratégiques économiques du pays. En même temps, il doit adopter certains comportements tels qu'on les connaît et tels qu'ils sont fixés par le code de commerce. C'est cette double nature, cette double fonction que nous exerçons qui rend la tâche objectivement complexe, mais qui témoigne du progrès accompli par rapport à une vision historique très directoriale, une vision de tutelle. L'état d'esprit a beaucoup changé. Nous souhaitons dorénavant être de plus en plus au service de l'économie, de l'innovation et, bien sûr, de la promotion de la croissance et du bien-être économique du pays.