Intervention de Olivier Dussopt

Réunion du mardi 12 septembre 2017 à 15h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaOlivier Dussopt :

Au nom du groupe de la Nouvelle Gauche, je dirai quelques mots de notre état d'esprit. Nous avons la volonté d'être cohérents par rapport aux positions observées au sein de notre groupe depuis le début de cette législature, mais plus encore sous la précédente législature. Neuf textes relatifs à la lutte contre le crime organisé ou le terrorisme et pour la sécurité ont été adoptés entre décembre 2012 et février 2017, dont la loi du 24 juillet 2015 relative au renseignement et la loi du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l'efficacité et les garanties de la procédure pénale. Nous avons également soutenu les cinq prorogations de l'état d'urgence, après les douze premiers jours qui ont fait l'objet du décret du Président de la République, à la suite des attentats de novembre 2015.

Nous abordons ce texte avec un impératif et un devoir. L'impératif, partagé par tous, est d'assurer la sécurité des Français et le devoir, qui nous habite tous également, est celui de garantir les libertés individuelles et collectives.

Aujourd'hui, vous nous proposez un chemin, celui de la sortie de l'état d'urgence. Cette solution est préconisée par de nombreuses personnalités, notamment M. Jean-Jacques Urvoas, l'ancien président de notre commission. Pour autant, celui-ci considérait, comme d'autres, que les différentes dispositions adoptées, notamment celles de la loi du 3 juin 2016, permettaient cette sortie de l'état d'urgence, en donnant à nos services de sécurité des moyens supérieurs. Vous considérez qu'il est nécessaire de renforcer encore l'arsenal juridique en transposant certaines dispositions de l'état d'urgence dans le droit commun. C'est l'objet des quatre premiers articles du projet de loi, même si nous avons noté que l'état d'urgence s'appliquait à toutes les situations et que la transposition proposée ne concerne que la prévention du terrorisme – en aucun cas le maintien de l'ordre public. Cela signifie qu'un certain nombre de décisions prises à l'occasion des manifestations en marge de grands événements internationaux, notamment celles relatives à l'interdiction de paraître, ne pourront plus être prises dans le nouveau cadre juridique.

Nous allons entamer l'examen des articles et des amendements dans cet état d'esprit, un esprit d'ouverture et de responsabilité, qui m'amène à vous faire part de certaines interrogations.

En premier lieu, nous nous interrogeons à propos des amendements qui ont été adoptés au Sénat.

Le sénateur Michel Mercier a écrit dans son rapport que « le projet de loi emporte un renforcement important de l'autorité administrative, susceptible de fragiliser l'équilibre essentiel à toute démocratie entre le pouvoir exécutif et l'autorité judiciaire ». Voilà pourquoi le Sénat a adopté un certain nombre d'amendements visant à préciser certaines dispositions, notamment sur la place du juge ou les délais de recours.

Vous nous avez indiqué, monsieur le ministre d'État, les principales modifications que vous souhaitez voir apporter à la rédaction du Sénat. Je tiens à vous dire que nous sommes particulièrement attachés aux grands équilibres qui en ressortent. Nous n'avons pas le sentiment, à ce stade, que vous vouliez les remettre en cause. Sachez néanmoins que nous serons très vigilants.

Notre deuxième interrogation est d'ordre plus pratique.

Concrètement, comment envisagez-vous d'articuler la sortie de l'état d'urgence avec la mise en application de ce texte ? Nous partons en effet du principe que celui-ci sera voté par notre assemblée, et qu'il pourra être appliqué dans les délais que vous escomptez, c'est-à-dire avant le 1er novembre, date de la fin de l'état d'urgence prévue par le texte que nous avons adopté en juillet dernier.

Quelle sera la situation des personnes actuellement assignées à résidence dans le cadre des dispositions de l'état d'urgence et qui pourraient, selon la nature des faits qui leur sont reprochés, être soumises aux dispositions de l'article 3 de ce projet de loi ?

Certaines personnes sont-elles assignées à résidence depuis la proclamation de l'état d'urgence en 2015 ? Envisage-t-on de leur appliquer les nouvelles dispositions du texte, notamment celles qui visent à encadrer la durée des assignations à résidence ?

Par ailleurs, nous souhaitons que l'examen des amendements et des articles permette de répondre aux interrogations et aux inquiétudes qui ont été relayées par la société civile. Je pense notamment aux interpellations de la Cimade sur les conditions dans lesquelles des contrôles d'identité pourraient être effectués jusqu'à 20 km des frontières.

Il semble que votre projet de loi encadre ces contrôles dans le temps et dans l'espace. Afin de rassurer les uns et les autres, pouvez-vous nous assurer que ces dispositions n'ont pas un caractère permanent, et qu'elles ne s'appliquent que dans le cadre de la lutte contre le terrorisme ?

Nous avons également en tête les interrogations de « Reporters sans frontières ». J'aimerais donc connaître la position du Gouvernement sur les amendements déposés par notre rapporteur à l'article 4, et qui concernent les professions ou les fonctions protégées en matière de perquisitions – ou « visites domiciliaires ». Ces amendements visent à faire en sorte que non seulement le lieu de travail, mais également le domicile – des journalistes, des avocats et des parlementaires comme le prévoit le texte adopté par le Sénat – ne puissent pas faire l'objet de telles perquisitions.

Monsieur le ministre d'État, madame la ministre, j'ai débuté mon intervention en disant que nous voulions adopter une position cohérente par rapport aux textes que nous avons soutenus dans le mandat précédent. J'ai cité à dessein le texte de juin 2016 sur le crime organisé et la lutte contre le terrorisme, et les six prorogations de l'état d'urgence : cinq lors de la précédente législature, et une sixième en juillet dernier, sur proposition de votre gouvernement.

C'est au nom de cette cohérence que nous tenons à exprimer notre attachement au contrôle parlementaire et au débat démocratique qui pourront avoir lieu autour de telles dispositions – et qui détermineront, au terme de nos débats, la position de notre groupe en faveur, ou non, de l'adoption de ce texte.

Un amendement adopté par le Sénat nous a semblé particulièrement pertinent. Il vise à introduire un article additionnel prévoyant que les dispositions des articles 1er à 4 auraient un caractère expérimental jusqu'à la fin de 2021. Nous préférerions ramener cette date à 2020. À notre sens, nous pourrons en effet débattre plus sereinement des dispositions et des outils mis à la disposition de nos forces de sécurité pour prévenir le terrorisme en 2020 qu'en 2021, en pleine campagne présidentielle. Reste que cet article additionnel introduit par nos collègues sénateurs a un immense mérite : nous amener à organiser collectivement un débat politique et démocratique pour savoir si l'état de la menace terroriste, que personne ne peut prévoir aujourd'hui, justifie le maintien dans le droit commun de dispositions qui – qu'on le veuille ou non – ont un caractère exceptionnel. Un tel débat sera utile. Envisagez-vous de conserver cet article additionnel ? Et accepteriez-vous de le modifier pour en ramener le délai à 2020 ?

Enfin, à l'occasion de chacune des prorogations de l'état d'urgence, nous avons apporté des modifications à la loi de 1955 pour adapter celle-ci aux évolutions en matière de télécommunications et prendre en compte les moyens techniques dont disposent aujourd'hui nos services, et qu'utilisent malheureusement les terroristes qui nous menacent.

Mais les prorogations de l'état d'urgence ont apporté des modifications d'une autre nature. En effet, nous avons mis en place un contrôle parlementaire de l'état d'urgence, puis voté, en juillet 2016, contre l'avis du gouvernement de l'époque, la disposition suivante : « les autorités administratives » amenées à mettre en oeuvre les dispositions relatives à l'état d'urgence doivent transmettre « sans délai », à l'Assemblée nationale et au Sénat, « copie de tous les actes qu'elles prennent en application » de la loi de 1955, de manière que nous puissions évaluer l'impact et l'utilisation de ces dispositions. C'est ce qui nous permet de connaître de manière précise et avant même l'examen de ce texte le nombre de perquisitions, d'assignations à résidence et d'interdictions de paraître.

Nous proposerons un amendement identique car nous considérons qu'à mesures exceptionnelles, il faut un contrôle particulier. Le débat que nous espérons en 2020 ou en 2021 sera utilement nourri si les commissions des Lois sont informées en temps réel de l'application des dispositions de ce texte. Et si vous acceptez, par ailleurs, de donner un caractère expérimental à ces décisions afin que l'on puisse avoir un débat politique, le maintien d'un contrôle parlementaire de cette nature nous paraît encore plus justifié.

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