La réunion débute à 15 heures.
Présidence de Mme Yaël Braun-Pivet, Présidente
La Commission procède à l'audition de M. Gérard Collomb, ministre d'État, ministre de l'Intérieur, puis à la discussion générale sur le projet de loi, adopté par le Sénat après engagement de la procédure accélérée, renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme (n° 104) (M. Raphaël Gauvain, rapporteur).
Notre dernière réunion, le 9 août, portait sur les deux lois pour la confiance dans la vie politique ; ces textes ont, pour l'essentiel, été validés par le Conseil constitutionnel la semaine dernière.
Je vous invite, chers collègues, à reprendre nos travaux avec l'examen du projet de loi pour la sécurité intérieure et renforçant la lutte contre le terrorisme, adopté par le Sénat en première lecture le 18 juillet dernier.
Nous avons le plaisir d'accueillir pour la deuxième fois de cette législature M. Gérard Collomb, ministre d'État, ministre de l'intérieur, que je remercie de sa présence parmi nous, et pour la première fois Mme Jacqueline Gourault, ministre placée auprès de lui, à laquelle je souhaite la bienvenue. Nous allons vous entendre, monsieur le ministre, et procéder dans le même temps à la discussion générale avant d'examiner demain les articles de ce projet de loi qui s'inscrit évidemment dans le contexte particulier de la menace terroriste.
Je sais que tous les commissaires aux lois s'associeront à moi pour saluer ceux qui ont souffert des attaques terroristes dont notre pays a fait l'objet et rendre un hommage appuyé aux forces de l'ordre qui exercent un métier difficile et dangereux pour assurer la sécurité des Français.
Permettez-moi, monsieur le ministre, deux communications avant de vous donner la parole.
En premier lieu, M. Raphaël Gauvain, notre rapporteur, a organisé la semaine dernière de nombreuses auditions auxquelles beaucoup d'entre vous ont activement participé. Je mesure le travail que cela a représenté et je l'en remercie particulièrement. L'état d'avancement de ses travaux a été adressé aux commissaires dès vendredi, par mail.
D'autre part, conformément au mandat qui nous a été confié en juillet, MM. Raphaël Gauvain, Éric Ciotti et moi-même avons poursuivi le contrôle de l'état d'urgence initié sous la précédente législature. Nous nous sommes rendus mardi dernier à la préfecture de police de Paris pour évaluer l'efficacité des mesures administratives prises à l'échelon de la zone de défense et de sécurité de Paris. Les dernières données chiffrées relatives à l'état d'urgence ont été mises en ligne vendredi sur la page web de la commission des Lois. Je remercie M. Éric Ciotti, avec lequel nous avons travaillé utilement.
Je vous remercie, madame la présidente, et je salue le rapporteur de votre commission ainsi que le rapporteur pour avis de la commission de la Défense. Comme nul ne l'ignore, les attaques terroristes se multiplient, partout dans le monde ; les attentats récemment commis à Barcelone et à Manchester montrent que toutes nos sociétés sont visées. Un sujet d'une telle gravité nous impose de démontrer notre unité face à celles et ceux qui voudraient détruire la cohésion de notre pays. Il nous est loisible d'avoir des avis divergents à de nombreux propos et nous aurons peut-être des expressions différentes lors de ce débat. Mais nous devons montrer que, quelle que soit notre sensibilité politique, nous sommes les uns et les autres convaincus qu'il nous faut avec un même élan lutter contre le terrorisme et combattre une idéologie qui voudrait s'imposer par le crime et par le sang. Dans cet esprit, j'ai reçu ou je recevrai tous les groupes politiques représentés à l'Assemblée nationale. Le sujet qui nous occupe aujourd'hui est au-delà des analyses éventuellement divergentes sur les évolutions de notre société et il nous faut, pour résister, montrer notre unité de vues et faire la preuve que nous voulons combattre le terrorisme ensemble.
Bien entendu, la question dont nous traitons aujourd'hui n'épuise pas la totalité des questions relatives à la sécurité dont je serai amené à discuter avec vous. J'ai eu l'occasion de vous exposer au début de la législature les grandes orientations que nous voulons suivre. Nous débattrons si vous le souhaitez de tous les points dont le ministère traitera, qu'il s'agisse de la sécurité quotidienne ou de la réforme de la procédure pénale en préparation avec ma collègue Mme Nicole Belloubet, ministre de la justice, des sujets qui, bien qu'ils ne figurent pas dans ce projet de loi, n'en appellent pas moins des réponses urgentes pour aplanir les difficultés que connaît notre société.
En matière de sécurité, je mesure l'impatience de nos concitoyens. Ils sont indisposés par les incivilités et surpris puis fâchés de croiser, le lendemain du jour où une agression a été commise, son auteur dans leur quartier en sachant qu'il ne devra se soumettre à une sanction éventuelle qu'après plusieurs mois sinon quelques années alors que toute sanction doit, pour avoir un effet, être prononcée et appliquée le plus vite possible.
Nous parlerons aussi des réponses propres à satisfaire les attentes des policiers et des gendarmes, qui estiment consacrer beaucoup de leur temps aux procédures écrites et, en corollaire, trop peu de temps au travail de terrain pour lequel ils se sont engagés afin de combattre l'insécurité.
Je vois aussi à quel point les actes de violence ont augmenté en certains lieux où des bandes s'affrontent sur la voie publique pour le contrôle de tous les trafics. À ce phénomène aussi nous apporterons une réponse.
Sans, je le redis, épuiser tous les sujets, ce projet de loi répond à une situation aussi préoccupante pour la France qu'elle l'est pour les autres pays européens et beaucoup d'autres dans le monde.
Vous avez voté la loi qui mettra fin à l'état d'urgence le 1er novembre 2017. Pourquoi, se demandera-t-on, sortir de l'état d'urgence si le danger continue d'exister ? C'est que la menace persistera longtemps encore et que la France ne peut se déclarer continûment soumise à un régime d'exception. Après le putsch des généraux, à Alger, en avril 1961, le général de Gaulle avait décrété l'état d'urgence sur l'ensemble du territoire français ; la situation était grave et ce régime avait duré dix-huit mois. Actuellement, l'état d'urgence est en vigueur depuis vingt-deux mois ; la France ne peut continuer de vivre sous un régime d'exception qui nuit à son rayonnement. Il est évident qu'une entreprise chinoise, japonaise ou américaine qui veut s'installer en Europe sera tentée de s'implanter ailleurs que dans un pays qui se déclare en état d'urgence. De même, certains touristes sont dissuadés, pour cette raison, de visiter la France, d'autant que des compagnies d'assurance américaines refusent d'assurer, pour ce motif, ceux qui veulent se rendre dans notre pays. Il nous fallait donc mettre fin à l'état d'urgence et nous adapter à la nouvelle conjoncture. Quelle est-elle ?
Dans un premier temps, les actes terroristes étaient téléguidés par les troupes de Daech à partir du front irako-syrien. À présent, des villes ont été reprises au prétendu État islamique et son périmètre d'intervention a été réduit à une zone plus étroite, si bien qu'il ne peut plus, ou qu'il peut moins, téléguider directement des actes terroristes ; mais sa propagande continue d'influencer certains esprits sur notre territoire. En d'autres termes, d'exogène qu'elle était, la menace est devenue endogène. Nous devons nous adapter à cette évolution, et telle est notre intention.
La menace reste forte : depuis le début de l'année 2017, pas moins de douze tentatives d'attentats ont été déjouées, dont voici le détail. Le 23 janvier, il était mis fin à un projet d'attentat visant une caserne, un commissariat de police ou un supermarché, avec prise d'otages. Le 10 février était déjoué un projet d'attaque kamikaze dans un lieu touristique parisien ou un lieu festif montpelliérain. Le 14 février, une attaque violente devait être menée contre les forces de sécurité ou des civils dans le métro de Lille. Le 21 février, trois individus étaient interpelés, qui avaient évoqué sur les réseaux sociaux un projet d'attentat sans en définir la nature. Le 18 avril, dans le contexte de l'élection présidentielle, un attentat était projeté lors d'un meeting politique, qui visait à dresser les Français les uns contre les autres, à les faire s'affronter, à diviser la communauté nationale comme le veut Daech – c'est précisément le piège dans lequel nous ne devons pas tomber. Le 2 mai, un attentat était projeté contre l'École de l'air de Salon-de-Provence, et le 5 mai contre la base aérienne d'Evreux. Le 21 juin, une attaque à l'arme blanche devait être commise sur la voie publique. Un projet d'actions violentes devait être perpétré le 5 juillet, sans que le but en soit encore défini. Le 22 août, un projet d'action violente à l'encontre de boîtes de nuit parisiennes, visant en particulier des établissements gays, a été empêché. Le 4 septembre, c'est le projet d'attaquer un fonctionnaire de police à la kalachnikov qui a été déjoué. Le 6 septembre enfin, la vigilance d'un de nos concitoyens a permis la découverte d'un atelier de fabrication d'un explosif, le TATP, dans un appartement situé à Villejuif.
J'observe à ce sujet que s'il y a moins de projets d'attentats télécommandés par Daech, des vidéos sont rendues accessibles – et consultées – qui détaillent la manière de fabriquer du TATP. Par chance, cette substance instable explose facilement si elle est manipulée dans un environnement trop sec ou trop humide. C'est ainsi que le groupe qui projetait initialement de commettre un attentat devant la basilique de la Sagrada Família de Barcelone a provoqué une explosion prématurée. Considérant que cent bonbonnes de gaz étaient stockées dans la maison qui s'est effondrée à la suite de l'explosion, imaginez ce qu'il serait advenu si ce projet avait été mené à son terme : sans doute des morts par centaines.
Telle est la réalité qu'il nous faut combattre. Nous avons voulu mettre fin à l'état d'urgence et, à cette fin, nous avons préparé le texte qui vous est soumis aujourd'hui après avoir été examiné par le Sénat. Dans le même temps, nous renforçons l'ensemble de nos services. Ainsi, après les attentats de Paris, l'effectif de la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) est passé de 3 300 à 4 000 personnes et il sera de 4 400 agents d'ici à 2018. La composition de l'effectif a évolué par le recrutement d'analystes, de spécialistes des nouvelles technologies, d'universitaires et de chercheurs, ce qui doit nous permettre d'aboutir à ce que nos homologues britanniques et américains font actuellement beaucoup mieux que nous : la concordance et l'unité d'action entre les agents de terrain, les chercheurs et les analystes.
Je vous rappelle les grandes lignes du texte qui vous est soumis. L'article 1er vise à permettre l'institution de périmètres de protection, sans lesquels il serait désormais impossible d'organiser de grands rassemblements. La braderie de Lille a eu lieu la semaine dernière ; nos services, la préfecture et les élus étaient assez inquiets, et nous avons veillé à l'installation d'un dispositif de sécurité renforcé. Il nous faudra toujours disposer demain des instruments permettant d'organiser des manifestations de cette ampleur tout en garantissant la sécurité de celles et ceux qui y assistent. C'est pourquoi nous prévoyons la possibilité de palpations de sécurité, étant précisé qu'elles auront lieu sous le contrôle de policiers ou de gendarmes et que ceux qui refuseront les fouilles pourront quitter les lieux.
Avec votre accord, le Gouvernement souhaite modifier le texte issu du Sénat, qui limite le périmètre de protection aux « abords immédiats » des lieux soumis à la menace terroriste. La notion est excessivement restrictive : ainsi, à Lyon, la Fête des Lumières est organisée au centre-ville, mais c'est sur les ponts que sont installés les éléments de sécurité, ce qui est autrement plus facile que de sécuriser toutes les ruelles du centre-ville. Il en est ainsi en bien d'autres lieux.
L'article 2 prévoit la possibilité pour le représentant de l'État de prononcer la fermeture de lieux de culte. Nous devons pouvoir prévenir la menace en fermant les lieux où seraient prônées la radicalisation et l'incitation au passage à l'acte terroriste. Cette possibilité qui existe sous le régime de l'état d'urgence a été utilisée précautionneusement puisque dix-sept lieux de culte seulement ont été fermés dans l'ensemble du pays. Les mesures peuvent consister à fermer le lieu de culte et à modifier la composition de l'association cultuelle qui le gère pour en évincer les éléments radicalisés et la reconstruire sur des bases compatibles avec l'ordre républicain.
En cette matière, je me réfère à la loi du 9 décembre 1905 adoptée sur le rapport d'Aristide Briand, qui est une loi établissant la liberté de culte, c'est-à-dire la liberté de croire ou de ne pas croire et celle de pratiquer une religion pourvu que cela ne porte pas atteinte à l'ordre républicain. Par ces mots tout a été dit, et il nous faut maintenir la position républicaine dans laquelle nous vivons depuis cette époque, position qui fait qu'en France les diverses religions et ceux qui ne sont pas croyants peuvent vivre selon leurs convictions philosophiques et spirituelles et se respecter mutuellement.
Sur l'article 2, nous avons également souhaité revenir sur la rédaction adoptée par le Sénat et rétablir la notion d'idées diffusées par oral ou par écrit. Compte tenu du renforcement de la surveillance, il est en effet plus difficile aujourd'hui de prôner directement le passage à l'acte ; on peut en revanche renvoyer, en les citant, à des théoriciens, des philosophes ou des religieux, dont les ouvrages sont une incitation à la radicalisation ou au passage à l'acte. Lorsqu'un faisceau d'indices permet à nos services de penser qu'un lieu de culte est un foyer de radicalisation, ils doivent pouvoir agir avant que la diffusion de ces idées ait convaincu des individus de commettre de nouveaux attentats.
Avant d'aborder dans le détail les articles 3 et 4, qui peuvent à juste titre susciter certaines interrogations, je reviendrai sur l'évolution de l'application des mesures individuelles dans le cadre de l'état d'urgence.
Les premiers attentats commis à Paris avaient provoqué dans la population, mais aussi dans nos services, un véritable effet de sidération, convaincus que nous étions que de tels attentats n'étaient pas possibles dans notre pays. Si l'affaire « Merah » confortait la théorie du loup solitaire, nous avons dû admettre, avec ces attentats, que nous étions face à des réseaux organisés, parfois transnationaux, et qu'il convenait dès lors de prendre des dispositions spécifiques.
Cela explique que, lors des trois premières phases de l'état d'urgence, il ait été procédé à 3 600 perquisitions, chiffre tombé à 21 dans la sixième phase, c'est-à-dire depuis le début du mois de juillet dernier. C'est dire qu'il ne s'agit plus de contrôler le plus grand nombre de personnes possible mais de mieux cibler les perquisitions. En termes de résultats, cela se traduit par le fait que nous sommes passés d'un taux de 5 % de gardes à vue à l'issue de ces perquisitions à un taux de 50 % aujourd'hui. Grâce à leur expérience, nos services atteignent mieux leurs objectifs, et les perquisitions concernent désormais des individus véritablement susceptibles de passer à l'acte.
Pour ce qui est des assignations, leur nombre est passé de 460 dans la première phase de l'état d'urgence à 35 dans la phase 6, et l'article 3 du projet de loi prévoit que ces mesures de surveillance individuelles ne sont applicables que lorsque sont réunis des faits d'une particulière gravité. Elles ne pourront être mises en oeuvre qu'« aux seules fins de prévenir des actes de terrorisme », ce qui signifie que ce ne sont plus, comme dans l'état d'urgence, des mesures d'ordre public et qu'elles ne pourront plus, par exemple, concerner de simples manifestants.
Aux termes de la loi, seule pourra être soumise à assignation « toute personne à l'égard de laquelle il existe des raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace d'une particulière gravité pour la sécurité et l'ordre publics et qui, soit entre en relation de manière habituelle avec des personnes ou des organisations incitant, facilitant ou participant à des actes de terrorisme, soit soutient ou adhère à des thèses incitant à la commission d'actes de terrorisme ou faisant l'apologie de tels actes ». Peu de Français, me semble-il, sont susceptibles de réunir l'ensemble de ces conditions.
En outre, nous avons décidé qu'une personne assignée à résidence ne pourrait plus être confinée dans un périmètre inférieur à celui de la commune et qu'elle pourrait même, le cas échéant, être équipée d'un bracelet électronique pour être autorisée, en raison de motifs professionnels ou personnels, à sortir de ce périmètre, l'objectif étant de ne jamais perdre de vue des individus qui risqueraient, s'ils échappaient à notre surveillance, de commettre les actes barbares que nous savons.
Par ailleurs, nous souhaitons limiter à un pointage quotidien au commissariat ou à la gendarmerie les obligations imposées à la personne assignée, là où elle devait pointer trois fois par jour sous le régime de l'état d'urgence. Nous ne souhaitons pas cependant suivre le Sénat, qui limite le contrôle à trois pointages par semaine, car cela ne garantit pas à nos yeux un degré de surveillance suffisant : je rappelle que l'individu qui a décapité son patron dans la métropole lyonnaise et accroché sa tête aux grilles de l'usine Seveso qu'il s'apprêtait à faire exploser résidait dans l'Est, était fiché et surveillé, et que ce n'est que parce qu'il a pu échapper à cette surveillance qu'il a pu commettre son crime.
Le Sénat proposait également que la personne assignée à résidence dispose de trois jours pour saisir le juge des référés et que celui-ci statue dans les deux jours. Nous souhaitons inverser ces délais, estimant que la personne assignée demandera rapidement à son avocat la saisine du juge mais qu'en revanche ce dernier, s'il veut se prononcer en toute connaissance de cause, peut avoir besoin de trois jours pour appréhender les faits avec exactitude.
En ce qui concerne les numéros de téléphone et les identifiants techniques des personnes faisant l'objet d'une mesure de surveillance, le Sénat n'a pas souhaité qu'il leur soit fait obligation de les communiquer aux autorités. Nous considérons au contraire que c'est indispensable et que toute personne tentant de contourner cette obligation en changeant de puce ou de téléphone doit être immédiatement punie de trois ans de prison. Une telle sanction devrait faire réfléchir celles et ceux qui voudraient procéder ainsi.
Après l'article 3, qui porte sur les mesures restrictives de liberté, l'article 4, quant à lui, concerne les mesures privatives de liberté, dans la mesure où il traite des visites à domicile, lequel est réputé inviolable en droit français. Ces mesures justifient donc des précautions plus importantes. C'est pour cela que, toujours aux seules fins de prévenir des actes de terrorisme, l'autorité administrative, c'est-à-dire le préfet, ne pourra ordonner de visite qu'après en avoir préalablement informé le procureur de la République de Paris ainsi que le procureur territorialement compétent, de manière que le premier n'agisse pas en contradiction avec le second.
La grande innovation de ce texte est que nous proposons que soit saisi le juge des libertés et de la détention (JLD) du tribunal de grande instance de Paris, magistrat dont la pratique en matière de terrorisme est nécessairement plus poussée que celle de certains JLD de province, dont ce type d'affaires est loin d'être le lot quotidien.
Le Sénat a voulu subordonner la retenue de l'occupant des lieux à l'accord exprès du JLD. Or il est difficile pour le JLD de Paris de pouvoir statuer en quatre heures – durée légale que ne peut excéder la retenue d'un suspect – sur une affaire se déroulant en province. Nous proposons donc de rétablir la version originale du texte, qui prévoyait simplement l'information du JLD. Il est impératif en effet de pouvoir disposer de ce délai de quatre heures pour empêcher les personnes mises en cause de prévenir d'éventuels complices.
En ce qui concerne la prévention de la radicalisation, qui devrait être un point important de nos débats, nous sommes disposés à accepter tout amendement qui améliorerait la rédaction proposée par le Sénat.
Le dispositif maritime, qui doit faire pendant au PNR (Passenger Name Record) de l'aviation civile, fait encore l'objet d'une réflexion de nos services, qui étudient la pertinence de mettre en place soit un service de gestion unique, soit un service de gestion dédié à la Méditerranée et un autre à la façade atlantique.
L'article 7 bis, introduit par le Sénat, autorise le recours à des agences de sécurité privées dans les hôpitaux privés. On voit mal pourquoi ne sont concernés que ces seuls lieux. Le sujet mérite un approfondissement, et il nous faut réfléchir plus globalement à l'articulation entre les forces de sécurité nationale, la police municipale et les acteurs de la sécurité privée, de manière à bâtir des dispositifs cohérents.
Le projet de loi comporte également deux articles portant sur le régime de surveillance applicable aux communications hertziennes ouvertes lorsqu'elles touchent à l'action de nos services et de nos armées sur le front extérieur.
Certains de vos amendements proposent de renforcer l'anonymat des policiers impliqués dans les procédures de contrôle en les désignant par leur matricule plutôt que par leur identité ; nous sommes d'accord.
Concernant également les forces de l'ordre, nous voulons tirer les conséquences d'enquêtes administratives ayant montré que des personnels étaient en voie de radicalisation. Or il est évidemment essentiel que nos policiers, nos gendarmes ou nos militaires, qui disposent d'informations confidentielles, échappent à toute forme de radicalisation.
De même, nous tirons les conséquences d'une décision du Conseil constitutionnel exigeant qu'en matière d'accès en temps réel aux données de connexion, la notion d'entourage soit mieux circonscrite.
Une des lois votées sous la précédente législature autorisait à titre expérimental et jusqu'à la fin de l'année 2018 l'usage d'un algorithme de détection des profils suspects. J'ai constaté, lors de mon arrivée au ministère, que cette expérimentation n'avait pas encore été lancée, et je sollicite donc une nouvelle autorisation qui coure jusqu'en 2019.
Un mot également sur la disposition qui prévoit que les personnes appelées à témoigner dans des affaires de terrorisme puissent le faire à huis clos, pour les raisons que vous imaginez.
Enfin, nous voulons étendre les « techniques spéciales d'enquête » aux infractions relevant des atteintes aux intérêts fondamentaux de la nation, de l'espionnage et de la trahison, de la compromission avec les services de renseignements étrangers, ou de l'atteinte à la sécurité de la nation.
Ce projet de loi, j'en suis conscient, est loin d'épuiser le sujet, et j'entends les chercheurs et les intellectuels qui démontrent que les causes de la radicalisation sont diverses, qu'elle puise notamment sa source dans la paupérisation de certains territoires, où l'on assiste à une montée de la violence et où il est possible de glisser de la petite délinquance vers la grande délinquance, puis vers le terrorisme. Nous aurons l'occasion d'aborder ces problématiques dans les mois qui viennent, et j'espère qu'ensemble nous résoudrons les problèmes graves que connaît aujourd'hui la société française. (Applaudissements sur les bancs des commissaires de La République en Marche.)
Les terribles attentats qui ont endeuillé Barcelone cet été nous rappellent avec vigueur la réalité et la persistance durable de la menace terroriste. La menace est aujourd'hui singulièrement élevée, et notre priorité absolue doit être la lutte contre le terrorisme.
Le 13 novembre 2015, au soir des attentats du Bataclan, des terrasses parisiennes et du stade de France, le précédent Président de la République a décrété l'état d'urgence, qui permet la mise en oeuvre de mesures très dérogatoires au droit commun face à un péril imminent.
Les autorités administratives ont alors la possibilité de prendre des mesures exceptionnelles, parmi lesquelles l'interdiction de circulation, l'interdiction de séjour, la dissolution d'associations, l'interdiction des manifestations, la remise des armes, la réquisition de personnes, l'institution de zones de protection, la fermeture provisoire des salles de spectacles, des débits de boissons et lieux de réunion et enfin l'assignation à résidence des personnes représentant une menace ou les perquisitions administratives.
Il faut ici souligner que ce régime exceptionnel de l'état d'urgence ne veut pas dire fin de l'état de droit, et le juge français, depuis près de deux ans, a parfaitement rempli son office de contrôle, donnant lieu à une jurisprudence fournie.
Il faut également souligner que si, dans un premier temps, le recours aux mesures permises par l'état d'urgence a été massif, depuis lors, et notamment ces derniers mois, l'administration fait de ces mesures une utilisation beaucoup plus parcimonieuse et ciblée, notamment pour ce qui concerne les perquisitions administratives et les assignations à résidence.
À cet égard, deux chiffres sont évocateurs : aujourd'hui, 35 personnes en France sont assignées à résidence, tandis que depuis janvier dernier, seules 189 perquisitions administratives sur un total de 4 500 ont été ordonnées.
J'ajouterai également que, si la menace terroriste est aujourd'hui persistante et durable, elle n'a cessé d'évoluer depuis deux ans. D'une menace essentiellement exogène, qui se caractérise par la projection de commandos depuis les théâtres d'opérations de l'EI, nous sommes passés à une menace davantage endogène, avec des individus préparant des attentats depuis notre territoire. Le démantèlement de la cellule de Villejuif la semaine dernière en est la parfaite illustration.
Devons-nous alors rester éternellement en état d'urgence ? Je ne le crois pas. L'état d'urgence est par nature temporaire et par essence exceptionnel. Les menaces durables doivent être traitées, dans le cadre de l'État de droit, par des instruments permanents de la lutte contre le terrorisme.
C'est l'objectif de ce projet de loi. Il s'agit d'accorder à nos forces de sécurité intérieure les moyens de continuer de combattre efficacement le terrorisme sur notre sol. Loin des caricatures qui présentent généralement ce texte comme une simple transposition de l'état d'urgence dans le droit commun, ce projet de loi s'inspire de quatre – et seulement quatre – des mesures autorisées dans le cadre de l'état d'urgence. Par ailleurs, le texte ne se borne pas à transférer ces mesures dans notre droit commun, mais les adapte aux nécessités du droit commun, en les entourant de garanties importantes, au premier rang desquelles l'inscription de la seule finalité de la lutte contre le terrorisme.
Les quatre principales mesures du projet de loi, qui mobiliseront sans aucun doute l'essentiel de nos débats, sont les périmètres de protection, la fermeture administrative des lieux de culte, les mesures individuelles – ex-assignations à résidence – et les visites domiciliaires – ex-perquisitions administratives. Le ministre les a largement présentées, je n'y reviendrai pas.
J'ajouterai seulement que les nombreuses auditions que j'ai conduites depuis le mois de juillet, en présence de certains d'entre vous, m'ont convaincu de la nécessité opérationnelle, pour nos services de sécurité, de continuer à disposer de ces outils pour lutter contre le terrorisme sur notre sol. Je veux parler ici de ces situations, de ces « zones d'ombre », où il n'existe encore aucune suspicion d'infraction pénale, mais bien une menace caractérisée pour l'ordre et la sécurité publique, de ces situations très concrètes où nos services disposent d'informations, en provenance d'une source unique fiable ou de renseignements donnés par un service étranger, mais qui ne peuvent être révélées. Il s'agit alors de pouvoir protéger efficacement nos compatriotes.
Mais, protéger efficacement les Français, c'est aussi préserver leurs libertés individuelles et ne pas sombrer dans l'escalade et la surenchère sécuritaires. Le texte initial me paraît à cet égard opérer une juste conciliation, permettant de contribuer à assurer en même temps la sécurité des Français, l'efficacité opérationnelle et la préservation des libertés individuelles.
Je présenterai un certain nombre d'amendements visant à enrichir ce texte, qui concerneront principalement la limitation dans le temps des mesures individuelles, l'exécution des visites domiciliaires – et notamment l'amélioration des garanties pour les personnes présentes dans les lieux – et, enfin, la limitation à trois ans – au lieu de quatre– de l'utilisation qui pourra être faite des mesures les plus restrictives.
Je souhaite que la discussion qui s'ouvre permette d'apaiser les inquiétudes qui ont pu naître dans le débat public sur certaines de ces dispositions. Nous le savons tous, l'état de droit est par nature fragile, et, à cet égard, personne n'a de prérogative dans la défense des libertés publiques. C'est l'affaire de tous. Je crois qu'il faut s'épargner les caricatures en la matière : droite contre gauche, laxiste contre sécuritaire, policier contre magistrat, ou même magistrat contre avocat.
Comme des générations de parlementaires avant nous, notre mission est de définir un équilibre, un équilibre délicat entre impératif de protection de l'ordre public et préservation des libertés individuelles, avec un seul point de mire : protéger efficacement les Français.
Je vais à présent donner la parole à un orateur de chaque groupe, puis au rapporteur d'application du projet de loi.
Monsieur le ministre d'État, monsieur le rapporteur, je vous remercie pour cette présentation. Au nom du groupe La République en Marche, je souhaiterais vous poser quelques questions complémentaires. Pour les raisons qui viennent d'être évoquées, notre groupe est convaincu de la nécessité de sortir de l'état d'urgence : ces mesures dérogatoires du droit commun ne peuvent en effet perdurer dans le temps ; en outre, les conséquences de ces mesures sur l'image de la France dans le reste du monde, les investissements étrangers et le tourisme posent un problème extrêmement concret.
Pour autant, au regard de la menace terroriste actuelle et de sa persistance, notre groupe considère également que les Français sont en droit d'exiger un haut niveau de sécurité. Le projet de loi y répond en partie. En partie, car j'aimerais avoir la confirmation que les articles 1 à 4 du texte contiennent bien les dispositifs qui, dans le cadre de l'état d'urgence, ont été les plus opérationnels et les mieux à même d'assurer la sécurité des Français. Plus concrètement, pourriez-vous nous dire un mot sur les périmètres de protection et leur utilisation au cours des derniers mois ? Quelle est leur efficacité ? De même, la durée de fermeture des lieux de culte, fixée à six mois, vous semble-t-elle suffisante pour assainir une situation ? Enfin, vous avez évoqué l'évolution de la menace terroriste et son caractère endogène, pourriez-vous être un peu plus précis ? Quels types de profils et d'individus sont visés par les articles 3 et 4 du projet de loi ?
Je tiens à saluer ici le courage et la responsabilité qui sont les vôtres. Courage d'abord car l'opinion publique est très favorable au maintien de l'état d'urgence. Or, en tant que responsables politiques, nous ne pouvons laisser perdurer cette situation d'exception. Responsabilité également car courage ne signifie pas aveuglement. C'est ce que l'on constate à la lecture de ce projet de loi : il prend la mesure du niveau d'insécurité et de menace qui pèse sur les Français.
Au nom du groupe Les Républicains, je ferai quatre séries de remarques.
Un mot tout d'abord sur notre état d'esprit, Monsieur le ministre d'État : notre préoccupation et, au fond, notre seule obsession, est de faire oeuvre utile pour mieux protéger les Français face à l'accélération et à l'amplification de la menace terroriste islamiste. Vous l'avez évoqué, en mentionnant explicitement l'État islamiste. Nous savons que cette organisation et d'autres, comme Al-Qaïda, se livrent à une sorte de concurrence. La menace est très élevée, protéiforme. Face à ce constat, notre devoir – celui du Gouvernement et celui du Parlement – est de donner aux forces de sécurité tous les moyens juridiques, opérationnels, budgétaires dont elles ont besoin pour protéger les Français. Nous avons un devoir d'action et d'efficacité. C'est notre responsabilité. Nous l'avons déjà prouvé, nous ne partons pas de rien. Nous sommes un certain nombre, MM. Eric Ciotti, Olivier Marleix et d'autres, à avoir participé très directement – comme vous, alors au Sénat – à la préparation des lois sous la précédente législature. Nous les avons souvent amendées et votées. Nous avons pris nos responsabilités lorsque ces textes allaient dans la bonne direction. Nous avons ainsi, en juillet dernier, approuvé la prorogation de l'état d'urgence. L'état d'esprit est le même aujourd'hui.
C'est la raison pour laquelle nous ne pouvons, à ce stade, approuver le projet de loi que vous nous soumettez. Après avoir participé aux auditions organisées par le rapporteur et travaillé sur ce texte, nous avons en effet aujourd'hui la conviction qu'il diminue le niveau de protection des Français par rapport au droit existant. Je le dis, au nom de mon groupe, avec une certaine gravité. Article après article, amendement après amendement, nous aurons bien entendu une discussion technique. À ce stade, je ne soulignerai que deux points qui montrent que vous allez priver vos propres services d'instruments utiles pour la protection des Français.
Ainsi, les perquisitions administratives ont certes diminué en volume mais, si une seule d'entre elles peut avoir pour effet d'éviter un attentat massif, pourquoi s'en priver ? Ce serait déraisonnable… Or c'est hélas ce que vous faites en substituant aux perquisitions administratives prévues par le régime de l'état d'urgence une perquisition quasi judiciaire : elle doit être préalablement autorisée par l'autorité judiciaire, en l'occurrence le juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de Paris. C'est un premier recul.
Le second recul concerne les assignations à résidence : même si elles ne touchent aujourd'hui que trente-cinq personnes, elles permettent des assignations à domicile, de jour comme de nuit, dans la limite de douze heures. Le régime de surveillance que vous vous apprêtez à faire voter est beaucoup plus vague, sur un périmètre extrêmement large, pouvant aller jusqu'à l'ensemble des vingt arrondissements de Paris. Concrètement, quelle sera la portée opérationnelle d'une telle assignation, dans un périmètre aussi étendu ? Cette mesure sera d'une efficacité faible, pour ne pas dire totalement inopérante. Je pourrais multiplier les exemples. Nous le ferons au fil des articles.
Face à ces lacunes, notre groupe – premier groupe d'opposition – formule des propositions. Nous voulons principalement maintenir et renforcer un véritable état d'urgence, juridique et opérationnel, jusqu'à ce que la France gagne la guerre contre le terrorisme islamiste. Nous pensons de notre devoir de vous proposer un grand nombre d'amendements, cosignés par MM. Eric Ciotti, Jean-Louis Masson, Olivier Marleix et d'autres collègues ici présents, pour mettre hors d'état de nuire les individus les plus dangereux, ceux qui veulent détruire ce que nous sommes et notre société. Nous proposerons des mesures de police administrative renforcées, non seulement le maintien des perquisitions et des assignations à résidence déjà évoquées, mais également des mesures de facilitation des expulsions d'étrangers troublant gravement l'ordre public, ainsi qu'une base juridique plus solide pour permettre la fermeture durable des mosquées salafistes.
Nous vous proposerons également de créer, sous le contrôle du juge administratif, un régime de rétention administrative des individus dont la judiciarisation du dossier n'est pas encore possible mais dont il nous semble important de restreindre très fortement la liberté de circulation, en les plaçant dans des centres de rétention.
Nous vous proposerons par ailleurs un volet judiciaire et pénitentiaire, en vous incitant à modifier l'échelle des peines d'un certain nombre d'infractions, en vous appelant à supprimer un certain nombre de régimes d'aménagement et de réduction de peines, en vous incitant à créer un régime de double isolement – des autres détenus, mais aussi les uns des autres – pour les individus les plus dangereux. Enfin, nous vous inviterons à adopter un régime de rétention post-peine pour les criminels terroristes.
Nous vous inviterons aussi, monsieur le ministre d'État, à prendre une initiative européenne pour que les dispositions du code frontières Schengen, tel qu'il a été – mal – renégocié par le gouvernement précédent en mars 2016, ne nous empêchent pas de maintenir de vrais contrôles aux frontières intérieures de l'espace Schengen à compter de novembre prochain.
Ces amendements et ces mesures de renforcement de la sécurité des Français s'inscrivent bien, dans notre esprit, dans le cadre d'un état d'urgence renforcé. Cela implique naturellement une clause de rendez-vous avec le Parlement. Nous ne proposons pas des dispositions définitives, mais, en application de la théorie classique des circonstances exceptionnelles, des mesures de renforcement de l'état d'urgence soumises à cette clause de rendez-vous.
Vous le voyez, notre approche est très différente de celle du Gouvernement. Nous avons la conviction que le moment est venu non pas de sortir de l'état d'urgence, mais bien au contraire de le proroger par une batterie de mesures administratives et judiciaires permettant de mieux protéger la France et les Français.
Au nom du groupe MODEM je ferai quelques observations sur ce projet de loi, sur lequel beaucoup d'entre nous ont travaillé de façon intense, en participant à l'ensemble des auditions du rapporteur et en s'appuyant sur les travaux de la commission des Lois du Sénat, celui-ci nous ayant précédé dans l'examen du texte.
Monsieur le ministre d'État, nous ne pouvons que souscrire à l'approche du Gouvernement. Nous devons en effet sortir de l'état d'urgence, qui, par définition, ne peut pas être pérenne, en nous dotant d'outils efficaces pour faire face à la menace terroriste. À cet égard, nous vous soutenons sans aucune réserve, car les mesures proposées nous paraissent nécessaires et utiles, justifiées et proportionnées. Même les dix-sept amendements transmis hier par le Gouvernement, et que nous avons dû examiner assez rapidement, recueillent notre assentiment, sans difficultés majeures – certains améliorent le texte tandis que d'autres introduisent davantage de fermeté.
Nous avons pour notre part déposé des amendements qui durcissent l'article 2 relatif à la fermeture des lieux de culte, en supprimant le délai suspensif que vous avez prévu en cas de recours, pour en revenir au régime de droit commun de la fermeture d'office. Nous sommes bien sûr attachés à la liberté des cultes – de tous les cultes – qui doit s'exercer sous les lois de la République – vous avez rappelé la loi du 9 décembre 1905. Nous proposons même un durcissement des sanctions, les peines que vous avez prévues dans le cas où un juge d'instruction serait saisi ne permettant pas le placement en détention provisoire. Or nous pensons que nous devons nous doter de cet outil plus répressif, parfois efficace.
En revanche, sur l'article 3, nous formulons une réserve majeure, qui tient à nos équilibres institutionnels. Cet article propose en effet d'attribuer au ministre de l'intérieur le pouvoir de prendre des mesures restrictives de liberté, qui, dans un système politique fondé sur la séparation des pouvoirs, devraient être confiées au juge judiciaire. Nous avons donc déposé un amendement, conscients cependant que l'efficacité doit continuer à prévaloir. Notre amendement vise à maintenir l'initiative de la décision initiale au ministre de l'intérieur – pour une durée de trois mois pour les mesures les plus restrictives de liberté –, mais confie la prolongation de ces mesures au JLD, dont la compétence est prévue à l'article 4 pour les visites administratives et les saisies. Ce dispositif permet de trouver le bon compromis entre l'efficacité et le respect de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et l'article 66 de notre Constitution. Ce régime fonctionne d'ailleurs en matière d'internement psychiatrique et de rétention des étrangers. Il n'y a jamais de chevauchement, le juge judiciaire n'ayant pas à connaitre d'un acte administratif, ni de difficultés dans l'application de ces mesures.
Je souhaite que mes collègues soient convaincus de la nécessité d'une telle évolution pour une mesure aussi restrictive des libertés individuelles. Il ne faut pas attendre la détention arbitraire pour remettre la protection de la liberté individuelle sous l'autorité judiciaire. C'est une question d'équilibre institutionnel et de principe, et non une position de défiance vis-à-vis des mesures proposées par ce projet de loi, qui recueillent très largement l'accord de notre groupe. Nous en discuterons plus précisément lors de l'examen des amendements que vous avez déposés très récemment et que vous pourriez peut-être encore déposer au cours des prochains jours.
Au nom du groupe de la Nouvelle Gauche, je dirai quelques mots de notre état d'esprit. Nous avons la volonté d'être cohérents par rapport aux positions observées au sein de notre groupe depuis le début de cette législature, mais plus encore sous la précédente législature. Neuf textes relatifs à la lutte contre le crime organisé ou le terrorisme et pour la sécurité ont été adoptés entre décembre 2012 et février 2017, dont la loi du 24 juillet 2015 relative au renseignement et la loi du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l'efficacité et les garanties de la procédure pénale. Nous avons également soutenu les cinq prorogations de l'état d'urgence, après les douze premiers jours qui ont fait l'objet du décret du Président de la République, à la suite des attentats de novembre 2015.
Nous abordons ce texte avec un impératif et un devoir. L'impératif, partagé par tous, est d'assurer la sécurité des Français et le devoir, qui nous habite tous également, est celui de garantir les libertés individuelles et collectives.
Aujourd'hui, vous nous proposez un chemin, celui de la sortie de l'état d'urgence. Cette solution est préconisée par de nombreuses personnalités, notamment M. Jean-Jacques Urvoas, l'ancien président de notre commission. Pour autant, celui-ci considérait, comme d'autres, que les différentes dispositions adoptées, notamment celles de la loi du 3 juin 2016, permettaient cette sortie de l'état d'urgence, en donnant à nos services de sécurité des moyens supérieurs. Vous considérez qu'il est nécessaire de renforcer encore l'arsenal juridique en transposant certaines dispositions de l'état d'urgence dans le droit commun. C'est l'objet des quatre premiers articles du projet de loi, même si nous avons noté que l'état d'urgence s'appliquait à toutes les situations et que la transposition proposée ne concerne que la prévention du terrorisme – en aucun cas le maintien de l'ordre public. Cela signifie qu'un certain nombre de décisions prises à l'occasion des manifestations en marge de grands événements internationaux, notamment celles relatives à l'interdiction de paraître, ne pourront plus être prises dans le nouveau cadre juridique.
Nous allons entamer l'examen des articles et des amendements dans cet état d'esprit, un esprit d'ouverture et de responsabilité, qui m'amène à vous faire part de certaines interrogations.
En premier lieu, nous nous interrogeons à propos des amendements qui ont été adoptés au Sénat.
Le sénateur Michel Mercier a écrit dans son rapport que « le projet de loi emporte un renforcement important de l'autorité administrative, susceptible de fragiliser l'équilibre essentiel à toute démocratie entre le pouvoir exécutif et l'autorité judiciaire ». Voilà pourquoi le Sénat a adopté un certain nombre d'amendements visant à préciser certaines dispositions, notamment sur la place du juge ou les délais de recours.
Vous nous avez indiqué, monsieur le ministre d'État, les principales modifications que vous souhaitez voir apporter à la rédaction du Sénat. Je tiens à vous dire que nous sommes particulièrement attachés aux grands équilibres qui en ressortent. Nous n'avons pas le sentiment, à ce stade, que vous vouliez les remettre en cause. Sachez néanmoins que nous serons très vigilants.
Notre deuxième interrogation est d'ordre plus pratique.
Concrètement, comment envisagez-vous d'articuler la sortie de l'état d'urgence avec la mise en application de ce texte ? Nous partons en effet du principe que celui-ci sera voté par notre assemblée, et qu'il pourra être appliqué dans les délais que vous escomptez, c'est-à-dire avant le 1er novembre, date de la fin de l'état d'urgence prévue par le texte que nous avons adopté en juillet dernier.
Quelle sera la situation des personnes actuellement assignées à résidence dans le cadre des dispositions de l'état d'urgence et qui pourraient, selon la nature des faits qui leur sont reprochés, être soumises aux dispositions de l'article 3 de ce projet de loi ?
Certaines personnes sont-elles assignées à résidence depuis la proclamation de l'état d'urgence en 2015 ? Envisage-t-on de leur appliquer les nouvelles dispositions du texte, notamment celles qui visent à encadrer la durée des assignations à résidence ?
Par ailleurs, nous souhaitons que l'examen des amendements et des articles permette de répondre aux interrogations et aux inquiétudes qui ont été relayées par la société civile. Je pense notamment aux interpellations de la Cimade sur les conditions dans lesquelles des contrôles d'identité pourraient être effectués jusqu'à 20 km des frontières.
Il semble que votre projet de loi encadre ces contrôles dans le temps et dans l'espace. Afin de rassurer les uns et les autres, pouvez-vous nous assurer que ces dispositions n'ont pas un caractère permanent, et qu'elles ne s'appliquent que dans le cadre de la lutte contre le terrorisme ?
Nous avons également en tête les interrogations de « Reporters sans frontières ». J'aimerais donc connaître la position du Gouvernement sur les amendements déposés par notre rapporteur à l'article 4, et qui concernent les professions ou les fonctions protégées en matière de perquisitions – ou « visites domiciliaires ». Ces amendements visent à faire en sorte que non seulement le lieu de travail, mais également le domicile – des journalistes, des avocats et des parlementaires comme le prévoit le texte adopté par le Sénat – ne puissent pas faire l'objet de telles perquisitions.
Monsieur le ministre d'État, madame la ministre, j'ai débuté mon intervention en disant que nous voulions adopter une position cohérente par rapport aux textes que nous avons soutenus dans le mandat précédent. J'ai cité à dessein le texte de juin 2016 sur le crime organisé et la lutte contre le terrorisme, et les six prorogations de l'état d'urgence : cinq lors de la précédente législature, et une sixième en juillet dernier, sur proposition de votre gouvernement.
C'est au nom de cette cohérence que nous tenons à exprimer notre attachement au contrôle parlementaire et au débat démocratique qui pourront avoir lieu autour de telles dispositions – et qui détermineront, au terme de nos débats, la position de notre groupe en faveur, ou non, de l'adoption de ce texte.
Un amendement adopté par le Sénat nous a semblé particulièrement pertinent. Il vise à introduire un article additionnel prévoyant que les dispositions des articles 1er à 4 auraient un caractère expérimental jusqu'à la fin de 2021. Nous préférerions ramener cette date à 2020. À notre sens, nous pourrons en effet débattre plus sereinement des dispositions et des outils mis à la disposition de nos forces de sécurité pour prévenir le terrorisme en 2020 qu'en 2021, en pleine campagne présidentielle. Reste que cet article additionnel introduit par nos collègues sénateurs a un immense mérite : nous amener à organiser collectivement un débat politique et démocratique pour savoir si l'état de la menace terroriste, que personne ne peut prévoir aujourd'hui, justifie le maintien dans le droit commun de dispositions qui – qu'on le veuille ou non – ont un caractère exceptionnel. Un tel débat sera utile. Envisagez-vous de conserver cet article additionnel ? Et accepteriez-vous de le modifier pour en ramener le délai à 2020 ?
Enfin, à l'occasion de chacune des prorogations de l'état d'urgence, nous avons apporté des modifications à la loi de 1955 pour adapter celle-ci aux évolutions en matière de télécommunications et prendre en compte les moyens techniques dont disposent aujourd'hui nos services, et qu'utilisent malheureusement les terroristes qui nous menacent.
Mais les prorogations de l'état d'urgence ont apporté des modifications d'une autre nature. En effet, nous avons mis en place un contrôle parlementaire de l'état d'urgence, puis voté, en juillet 2016, contre l'avis du gouvernement de l'époque, la disposition suivante : « les autorités administratives » amenées à mettre en oeuvre les dispositions relatives à l'état d'urgence doivent transmettre « sans délai », à l'Assemblée nationale et au Sénat, « copie de tous les actes qu'elles prennent en application » de la loi de 1955, de manière que nous puissions évaluer l'impact et l'utilisation de ces dispositions. C'est ce qui nous permet de connaître de manière précise et avant même l'examen de ce texte le nombre de perquisitions, d'assignations à résidence et d'interdictions de paraître.
Nous proposerons un amendement identique car nous considérons qu'à mesures exceptionnelles, il faut un contrôle particulier. Le débat que nous espérons en 2020 ou en 2021 sera utilement nourri si les commissions des Lois sont informées en temps réel de l'application des dispositions de ce texte. Et si vous acceptez, par ailleurs, de donner un caractère expérimental à ces décisions afin que l'on puisse avoir un débat politique, le maintien d'un contrôle parlementaire de cette nature nous paraît encore plus justifié.
Je m'associe à tout ce qui peut se dire sur la nécessité d'aborder la question avec sérieux et esprit de responsabilité. C'est la raison pour laquelle nous avons participé activement aux auditions, organisant même nos propres auditions en parallèle, pour avoir une vision complète du sujet.
Je ferai plusieurs remarques.
Il faut mettre en échec nos ennemis qui préparent ou envisagent de préparer et de commettre des actes de terrorisme sur le territoire national, et dont l'objectif, comme vous l'avez dit, monsieur le ministre d'État, consiste aussi à diviser les Français, à porter atteinte à la cohésion nationale, et à nous faire renoncer à nos principes.
Les différents articles de ce projet permettent-ils de répondre à ces deux préoccupations ?
L'article 1er sur les périmètres de protection appelle un certain nombre de remarques. Vous disiez, monsieur le rapporteur, que les mesures ici prévues n'étaient pas une simple transposition des dispositions de l'état d'urgence dans le droit commun, et qu'elles étaient adaptées à nos principes. De fait, l'article 1er offre à l'autorité administrative davantage de droits et de moyens que dans le cadre de l'état d'urgence. Le texte permet même parfois d'aller au-delà, par exemple en accordant des prérogatives d'ordre public à des agents de sécurité privée.
Je mets en garde contre une potentielle dérive : demain, 170 000 agents de sécurité privée au moins pourront se voir confier des missions de service public. Ne seront-ils pas armés ? Le ministre nous donnera peut-être des précisions sur le sujet. En tout cas, le directeur de la gendarmerie nationale s'est dit favorable à titre personnel – il s'est bien gardé d'avoir une opinion en tant que directeur général – à l'armement des agents de sécurité privée, estimant logique, ceux-ci devenant des cibles potentielles pour les terroristes dans des périmètres de protection, qu'ils puissent répliquer.
C'est une fuite en avant : depuis une dizaine d'années les textes s'enchaînent et le phénomène se précise depuis maintenant trois ans, avec les événements que vous connaissez.
L'article 2 concerne la fermeture des lieux de culte. Au cours des auditions, j'ai suivi attentivement ce qui a été dit sur nos techniques de renseignement et sur l'utilité de la fermeture des lieux de culte. J'ai remarqué que la plupart des acteurs du renseignement n'étaient pas forcément demandeurs de cette disposition. Ils avouaient même à demi-mot que la fermeture des lieux de culte constituerait une perte de renseignements dans la mesure où c'est là que se transmettent les informations – et non pas se préparent les actes terroristes. Aux dires du DGSI, il n'y a eu aucune préparation d'actes de terrorisme dans un lieu de culte. Par contre, on y a fait du recrutement, et plein d'autres choses…
Cet article est-il directement proportionné à nos objectifs ? Je m'interroge. La fermeture des lieux de culte peut en revanche avoir un effet contreproductif : constituer une sorte de punition collective, et pointer du doigt une religion plutôt que les actes et les discours qui peuvent y être prononcés. En procédant ainsi, ne risque-t-on pas de conforter les arguments de nos ennemis ?
L'article 3, qui concerne les assignations à résidence, aujourd'hui appelées « mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance », fait apparaître une contradiction. Il faudra en effet fournir des éléments nouveaux pour renouveler la décision d'assignation à résidence. Or, la personne assignée à résidence se tenant sur ses gardes, il sera difficile d'en trouver et cela posera des problèmes aux services de renseignement.
Il est question de faire intervenir le JLD, d'allonger la durée de la mesure… Et si, en fin de compte, cette mesure était inutile ? Certes, elle permet de « neutraliser » un individu, mais elle ne permet pas d'améliorer pour autant le renseignement, et donc d'éviter la commission d'actes terroristes.
L'article 4 traite de la perquisition administrative, renommée « visites et saisies », une sorte de copier-coller de ce qui se fait en matière douanière. Le JLD devient, en quelque sorte, un alibi, puisqu'il va se fonder sur les mêmes notes blanches que le juge administratif pour se prononcer.
Il est tout de même étrange, au moment où l'on parle de confiance réciproque et de cohésion nationale, de se dire que les magistrats doivent, par principe, faire confiance aux enquêtes des services de renseignement - d'ailleurs, on nous a parlé de leur faire suivre des stages sur les méthodes de renseignement, pour pouvoir lire les notes blanches. En revanche, par principe, les policiers ne font pas confiance aux juges et refusent de leur transmettre les informations, hormis entre la DGSI et le tribunal de grande instance de Paris avec le procureur de la République de Paris, M. Molins, qui a accès aux dossiers classés « confidentiel défense ».
Il y a donc bien un problème de confiance. Pour renforcer celle-ci, on pourrait, par exemple, permettre à des juges spécialisés en matière antiterroriste d'avoir accès aux techniques de renseignement.
Enfin, l'article 10 traite du contrôle aux frontières. On s'apprête à renforcer les mesures de contrôle sur les êtres humains, mais pas sur les marchandises. Ainsi, quand il s'agit de nos grands principes et des libertés fondamentales, nous n'hésitons pas à commettre quelques entorses ponctuelles, dans un cadre particulier. Mais lorsqu'il est question de la libre circulation des marchandises, cela nous semble tout de suite plus compliqué ! Pourtant, un certain nombre d'armes sont entrées sur le territoire national, et ont été utilisées pour commettre des actes terroristes – pas pour « tenter » d'en commettre. Nous devons donc être à la hauteur s'agissant de la circulation d'un certain nombre de marchandises. Voilà pourquoi nous considérons que les douanes constituent un véritable enjeu.
Au fil de ces observations, vous aurez remarqué que notre objectif est non pas de dire qu'il ne faut rien faire contre les actes de terrorisme, mais qu'il faut envisager d'autres améliorations, non pas par des articles de loi mais par une meilleure organisation des services. On voit bien d'ailleurs qu'il y a là un vrai sujet, puisque l'on continue de recruter – je pense aux analystes de la DGSI. À cet égard, il faudra être attentif au fait qu'il y a une proportion importante de contractuels dans nos services de renseignements.
Oui, il faut agir, mais pas par un nouveau texte, et pas au prix de ce flou artistique entretenu entre l'autorité judiciaire et l'autorité administrative – et plutôt au détriment de la première.
Monsieur le ministre d'État, il y a quelques semaines, devant la presse, alors que l'on vous demandait si l'on n'était pas en train de tomber dans un « despotisme doux », vous avez répondu nonchalamment : « oui, peut-être ». Puis vous avez ajouté : « mais des vies sont en jeu ! », balayant toute discussion sur le sujet, comme s'il fallait choisir entre la vie de nos concitoyens et le texte qui nous est présenté.
Oui, il faut agir : nous proposerons ainsi par un amendement de punir les entreprises qui participent au financement direct ou indirect du terrorisme. Nous avons rappelé à plusieurs reprises le cas de l'entreprise Lafarge. Qu'allez-vous faire en la matière ?
Les mesures relatives à la sécurité privée soulèvent également de nombreuses questions.
Bref, tous ces textes qui remettent finalement en cause la séparation des pouvoirs, nous faisant sans doute basculer dans un début de ce que j'appellerai la « démocrature », nous permettront-ils de contrer nos ennemis ?
Je vous vois sourire, monsieur le ministre d'État. Je ne pense pas que ce soit l'attitude à avoir sur ce genre de textes…
C'est la « démocrature » qui me fait sourire…
Soit…
Merci pour vos réponses à venir. J'espère que la discussion va se poursuivre, notamment sur la police de sécurité quotidienne. J'ai cru comprendre que vous souhaitiez en parler à la suite de cette première série de questions. Pour nous, le renseignement de proximité, qui permet d'être opérationnels sur le terrain, est essentiel. On l'a vu, de nombreuses perquisitions administratives ont été annulées par le juge administratif parce que les informations n'avaient pas été suffisamment vérifiées. Il y a sans doute là une piste d'amélioration pour les services du renseignement territorial, la DGSI et ses antennes locales.
Tout d'abord, je voudrais vous donner l'information suivante : les deux porte-parole du groupe GDR seront mon collègue Hubert Wulfranc, qui a été jusqu'au mois de juin dernier maire de Saint-Etienne-du-Rouvray et moi-même, qui était maire-adjoint de Saint-Denis au moment des attentats au Stade de France et de l'interpellation des terroristes par le RAID. Nous avons suivi de près, jusqu'il y a encore quelques mois, ces dossiers, en lien avec les administrations et les services. On ne peut donc soupçonner ni Hubert Wulfranc ni moi-même – ni aucun député du groupe, du reste – de méconnaître les problèmes qui se posent, d'y être insensibles ou, voyant cela de tellement loin, d'être tentés par un certain laxisme.
Ensuite, je rappellerai qu'au mois de juillet, nous nous étions opposés à la prorogation de l'état d'urgence. Nous ne pouvons donc que nous réjouir que l'on sorte enfin de ce régime qui, par définition, ne peut être qu'exceptionnel. On ne peut pas, dans un pays comme la France, maintenir de manière permanente ce qui doit rester un état d'exception, et qui a peut-être déjà duré trop longtemps.
Enfin, on ne peut pas non plus, dans un pays comme le nôtre et au regard de nos valeurs, ne pas tenir compte des remarques émanant d'horizons très divers – Union européenne, monde judiciaire, représentants d'un certain nombre d'ONG, du syndicat majoritaire des magistrats, etc. – et qui toutes nous alertent sur le fait que, depuis le début des années 2000, les nombreux textes qui se sont accumulés ont tendance, s'agissant des libertés individuelles, à restreindre le pouvoir judiciaire au profit du pouvoir administratif. En outre, et comme l'a dit Ugo Bernalicis, alors que nos ennemis s'attaquent à notre modèle, on ne doit pas céder un pouce de terrain sur la question de l'État de droit, de la séparation des pouvoirs et de tout ce qui fait la force de notre démocratie.
Ces mises en garde qui nous sont adressées de toutes parts et de milieux très divers ne peuvent pas être balayées d'un revers de main. Ces propos n'ont rien d'exagéré et méritent notre considération.
J'évoquerai à présent l'ensemble des articles, sans rentrer dans le détail puisque nous y reviendrons en examinant les amendements. Je ferai quatre remarques rapides.
Premièrement, bien qu'il y ait eu une étude d'impact, je pense que l'on manque parfois un peu d'évaluations sur ces sujets. J'ai vécu à Saint-Denis l'organisation de l'Euro 2016, qui a eu lieu quelques mois après les attentats. Par expérience, je peux vous dire que les périmètres de sécurité auraient pu être mis en place sous l'autorité d'un juge, avec possibilité de former des recours dans des délais compatibles avec l'organisation de cette manifestation. Nous y aurions gagné en efficacité et les commerçants de Saint-Denis, qui avaient déjà subi les attentats du 13 novembre, auraient été dispensés de ce que l'on pourrait qualifier de « double peine » : ils n'ont pas pu bénéficier de l'Euro 2016. L'UEFA était devenue quasiment l'ordonnateur des périmètres de sécurité – et pour des raisons surtout commerciales. Je pourrais vous donner des exemples précis concernant l'Euro 2016 et sur d'autres manifestations qui se sont déroulées au Stade de France.
Par ailleurs, je regrette – mais j'aurais pu en faire la proposition – que nous n'ayons pas auditionné les représentants des principaux cultes en France : il aurait été intéressant de recueillir leur avis sur l'article 2. Il n'est cependant pas trop tard et je vais m'efforcer, quant à moi, de les interpeller dans les jours qui viennent. Je pense que l'article 2 est à la fois inefficace, contre-productif et dangereux, mais j'aurai l'occasion d'y revenir avec des amendements. Dans une période où nous faisons face à ce que certains appellent une guerre, et où nous avons en tout cas un ennemi, nous devons tout faire pour fabriquer de l'unité nationale, qui consiste à rassembler et non à stigmatiser une partie de la population. Elle a d'ailleurs compté parmi les premières victimes des attentats des terrasses, du Bataclan et du Stade de France le 13 novembre 2015.
Je souscris à ce que disait Ugo Bernalicis sur le renforcement de notre législation en matière de lutte contre le financement du terrorisme, qui manque dans ce texte. Personne ne peut dire que ce financement ne concerne pas notre territoire : il y a le cas de Lafarge, mais beaucoup d'autres exemples pourraient être cités. On ne peut pas considérer que notre législation est suffisamment efficace.
Il y a eu plusieurs milliers de victimes, directes ou indirectes, du terrorisme en France depuis le 13 novembre 2015. Elles ont la compassion de la communauté nationale, mais pas l'efficacité qui leur est due en ce qui concerne la prise en considération de leur statut de victimes du terrorisme et leur prise en charge. Les victimes des attentats du 13 novembre attendent encore la reconnaissance effective des préjudices subis. Si nous en sommes là, c'est que notre dispositif législatif n'est pas suffisant. Il aurait donc été utile de profiter de cette loi pour le renforcer.
En tant que députée d'une circonscription comprenant Nice, permettez-moi tout d'abord de remercier mes collègues du groupe Les Constructifs de m'avoir confié la mission d'être leur porte-parole sur ce texte qui a pour moi, comme pour tous ceux que j'ai l'honneur de représenter ici, une portée tout à fait particulière. Il y a maintenant plus d'un an, Nice et, avec elle, la France, connaissaient l'une de leurs tragédies les plus terribles. La Promenade des Anglais devenait le théâtre des horreurs causées par ce terrorisme islamiste qui ravage la France, l'Europe et le monde depuis plusieurs années. Le 14 juillet 2016 à Nice, puis le 26 juillet suivant à Saint-Etienne-du-Rouvray, la France était en état d'urgence.
Monsieur le ministre, nous nous accordons sur un point non négligeable : l'état d'urgence ne peut pas perdurer, pour une raison simple : tel qu'il a été créé, il a une vocation temporaire. Ce régime exceptionnel, issu d'une loi de 1955, ne peut pas nous permettre d'assurer de manière pérenne la sécurité de nos concitoyens. Nous ne connaissions pas la menace du terrorisme islamiste lorsque l'état d'urgence a vu le jour, même si ses dispositions ont quelque peu évolué depuis. Les enjeux ne sont plus les mêmes et je ne crois pas que l'on puisse garantir à nos concitoyens que ces drames ne se reproduiront plus sur notre sol.
Les maires de plusieurs grandes villes européennes, notamment celles touchées par les attentats, se retrouveront à Nice le 29 septembre prochain pour débattre des dispositifs de sécurité mis en place dans leur commune et des législations nationales. Vous connaissez un certain nombre de leurs revendications, toutes légitimes : une information, par les préfets, sur les individus fichés S résidant dans la commune, les aides qui doivent être accordées par l'État pour accroître la sécurité dans les lieux accueillant du public, le renforcement des prérogatives des polices municipales, qui sont la troisième force de sécurité en France, et enfin la reconnaissance faciale. Vous connaissez, monsieur le ministre d'État, ce dispositif qui a été testé à Nice.
Si nous partageons avec vous l'impérieuse nécessité de mettre fin à l'état d'urgence, le texte qui nous est présenté ne nous donne pas suffisamment de garanties. Il doit aller encore plus loin sur des questions importantes telles que l'interdiction des images des victimes ou encore l'anonymisation des terroristes dans les médias. Comptez sur nous pour amender ce projet de loi, comme nous comptons sur vous pour retenir nos amendements dans la démarche constructive qui est la nôtre.
Nous ne pouvons que souscrire à ce que vous disiez dans votre propos introductif, monsieur le ministre d'État, lorsque vous rappeliez la nécessité d'afficher une unité de tous les instants face au terrorisme islamiste. Guillaume Larrivé a souligné que cette attitude a toujours inspiré notre groupe depuis les attentats tragiques qui ont frappé notre pays, notamment celui du 7 janvier 2015 contre Charlie Hebdo et l'Hyper Casher. Nous avons ainsi voté 13 textes, y compris les prorogations successives de l'état d'urgence, sous votre égide pour la dernière d'entre elles, visant à protéger davantage nos concitoyens contre le terrorisme. J'ai aussi voté pour la proposition de révision constitutionnelle concernant la déchéance de nationalité, qui n'a pas abouti.
Depuis le début de cette législature, j'ai malheureusement un peu le sentiment d'une occasion manquée. Nous aurions pu nous retrouver pour franchir une étape supplémentaire dans la nécessaire protection de nos concitoyens, mais ce texte ne répond qu'à une question, simple, que vous avez ainsi posée : devons-nous demeurer dans l'état d'urgence ?
Vous avez dressé un diagnostic très lucide et en même temps très inquiétant. Vous avez rappelé l'état de la menace, notamment les attentats qui ont frappé Barcelone, en soulignant leur gravité et le réseau d'une dizaine de personnes qui avait été constitué pour causer le plus de morts possibles, ainsi que les douze attentats déjoués depuis le début de l'année en France, ce dont nous devons féliciter nos services. On doit reconnaître leur qualité. Vous avez dit qu'ils ont été un peu frappés de sidération au moment des attentats, analyse que je ne partagerai peut-être pas complètement : nos services ont toujours fait preuve d'une compétence et d'une efficacité qui sont reconnues au plan international. Nous avons la chance d'avoir des services de renseignement, intérieur comme extérieur, et de police judiciaire particulièrement performants. On leur doit ces succès.
Vous avez aussi déclaré, dans d'autres interventions, que plus de 18 000 de nos concitoyens sont désormais inscrits dans le fichier des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste. Je crois que cela représente une augmentation de près de 60 % depuis que ce fichier a été créé par M. Bernard Cazeneuve.
La menace est maximale. Vous l'avez rappelé et nous partageons bien entendu ce constat. Or c'est à ce moment, de façon un peu paradoxale, que vous dégradez nos outils de protection en les portant à un niveau inférieur. Vous avez décidé de sortir de l'état d'urgence et vous prenez des mesures de substitution que nous ne considérons pas, nous y reviendrons, comme étant à la hauteur de la protection que nous apportait l'état d'urgence.
Celui-ci doit permet de répondre à un péril imminent. Votre diagnostic montre que nous y sommes toujours confrontés. Le rapporteur a également souligné que l'état d'urgence ne signifie pas la fin de l'état de droit : il s'inscrit bien au contraire dans ce cadre. L'état de droit n'est pas suspendu. Les mesures de police administrative ont toutes pu être contestées devant des juridictions administratives qui, selon nos principes constitutionnels, sont autant garantes des libertés fondamentales que le juge judiciaire. Il n'y a pas de parenthèse : l'état d'urgence s'inscrit dans le droit positif et des dispositions garantissent les libertés.
À ce stade, nous ne partageons pas – et nous sommes cet après-midi les seuls à le faire – la conclusion que vous tirez d'une analyse pourtant lucide quand vous proposez la sortie de l'état d'urgence. L'attentat de Nice a été évoqué tout à l'heure : le 14 juillet 2016, à treize heures, le précédent Président de la République indiquait qu'il souhaitait sortir de l'état d'urgence, mais l'événement tragique qui a suivi l'a contraint à y rester. Et peut-être que certains attentats ont pu être prévenus avec les dispositions de l'état d'urgence. Le préfet de police, que nous avons rencontré dans le cadre du suivi de l'état d'urgence, avec la présidente de la Commission et le rapporteur, nous a notamment indiqué comment les perquisitions administratives sur des centaines de casiers d'agents de l'aéroport international de Roissy Charles-de-Gaulle ont permis de lever des doutes extrêmement importants, même si elles n'ont pas été concluantes en elles-mêmes.
Pour la première fois depuis 2012 et toutes les lois portées par le précédent gouvernement, que nous avons renforcées par voie d'amendements et soutenues, malgré leur manque d'anticipation, nous allons reculer et affaiblir nos dispositifs de protection. Les mesures de substitution que vous introduisez n'ont en effet rien à voir avec celles de l'état d'urgence.
Les perquisitions administratives, qui deviennent des visites domiciliaires, ont été qualifiées de « monstruosité juridique » par le syndicat des commissaires de la police nationale lorsque nous l'avons auditionné : il y aura désormais l'intervention du juge judiciaire et une complexification avec la présence d'un avocat, ce qui apparente ces mesures à une perquisition judiciaire. Celle-ci existe en droit, elle a sa vertu et elle doit être utilisée dans le cadre qui est le sien. Je ne vois donc pas l'utilité d'une autre forme de perquisition hybridant le judiciaire et l'administratif. Pourquoi ne pas recourir tout simplement à la perquisition judiciaire ? Je suis quasiment convaincu que la nouvelle procédure de visite domiciliaire n'aura jamais de traduction dans les faits.
Le même syndicat des commissaires de police a évoqué une « assignation à résidence du pauvre ». Domiciliaire et durant huit heures à l'origine, puis douze après l'adoption d'un amendement que je portais, l'assignation à résidence aura désormais une ville pour périmètre. Cela veut dire qu'elle sera de fait inopérante.
Troisième exemple, vous avez des outils administratifs pour fermer des lieux de culte, monsieur le ministre d'État. Il n'est pas nécessaire de légiférer au-delà.
Par ailleurs, les contrôles d'identité et les fouilles de véhicules autorisés par les préfets dans un cadre administratif sont totalement supprimés de ce texte, sauf les contrôles aux frontières dans les périmètres nouveaux que vous avez évoqués. Je crois que c'est aussi une erreur. Comment nos concitoyens peuvent-ils comprendre que face à la menace terroriste, face à cette guerre qui nous a été déclarée, nos forces de l'ordre n'aient pas systématiquement le droit de procéder à des fouilles de véhicules et à des contrôles d'identité ?
Voilà les raisons du scepticisme qui nous anime au début de l'examen de ce texte, mais peut-être entendrez-vous nos propositions et accepterez-vous d'enrichir le projet de loi. J'ai pour ma part déposé une proposition de loi d'orientation et de programmation pour la sécurité intérieure et la justice, qui comprend 56 articles et embrasse toutes les perspectives : la question des moyens et du financement à long terme, que vous auriez dû poser, l'organisation des services – on sait qu'il y a aujourd'hui des problèmes de coordination et ce n'est pas la dernière structure que vous avez créée qui les simplifie, bien au contraire, selon ce qui remonte de votre ministère –, les problèmes relevant de la réforme pénale, même si un nouveau texte va arriver, notamment le fait que la peine pour les atteintes délictuelles en matière de terrorisme soit restée à dix ans alors que certains magistrats réclament que l'on passe à quinze, et l'absence de volet préventif.
Vous auriez pu porter un grand texte fondateur pour mieux lutter contre le terrorisme islamiste, mais vous passez à côté d'une occasion qui nous aurait permis de vous soutenir. Peut-être les débats vous feront-ils changer d'avis.
Je voudrais saluer votre courtoisie, votre simplicité et la précision de votre exposé, monsieur le ministre d'État. Je m'associe également à l'éloge de nos forces de l'ordre, qui ont déjoué un certain nombre d'attentats depuis le début de l'année, apparemment une douzaine, peut-être grâce au dispositif de l'état d'urgence.
Nos collègues Guillaume Larrivé et Éric Ciotti ont précisé la position du groupe Les Républicains ; j'ai pour ma part quelques observations à formuler sur des points que vous avez survolés en renvoyant à d'autres dispositions législatives qui seraient en préparation.
Ma première observation concerne la criminalité organisée, sur fond du trafic de drogue qui sévit dans les quartiers urbains et périurbains depuis de nombreuses années, les transformant souvent en zones de non-droit où les fonctionnaires de l'État et les représentants de l'autorité ont des difficultés à intervenir et où les réponses judiciaires sont rarement à la hauteur des difficultés. Autour de cette criminalité organisée, il y a aussi une délinquance de voie publique qui sert fréquemment d'apprentissage pour les futurs criminels, lesquels reviennent bien souvent auréolés de titres de gloire après une garde à vue ou une mise en détention, avant de devenir des petits caïds, puis des grands. Cela fait très longtemps qu'il n'y a pas de réponse à la criminalité organisée et à la déshérence de ces quartiers. La question est écartée du projet de loi, mais j'espère que des dispositifs complémentaires viendront rapidement remédier à cette situation.
En ce qui concerne le code de procédure pénale, vous avez évoqué les difficultés : sur une garde à vue de 24 heures, les officiers de police judiciaire ont au maximum deux heures d'audition avec les personnes appréhendées, le reste allant aux obligations fixées par le code, avec tous les risques de nullité qui existent si elles ne sont pas respectées, et aux lourdeurs administratives.
Vous n'avez pas abordé la question de la surpopulation carcérale, qui est de nature à répandre des situations de radicalisation. Certains délinquants entrés en prison pour des délits de droit commun ressortent en effet radicalisés. C'est un problème important.
À cela s'ajoutent deux questions qui restent sans véritable réponse pour le moment : la politique menée en matière d'immigration et la vision européenne de la lutte contre le terrorisme.
Je remercie le ministre d'État pour son exposé. Je partage tout à fait le regret que les représentants des cultes n'aient pas été entendus lors des auditions. Il aurait été opportun de recueillir leur éclairage, notamment sur l'article relatif à la fermeture des lieux de culte.
On peut toujours s'inquiéter de la prolifération législative en matière de sécurité, les textes se succédant depuis plusieurs années, mais celui-ci a un objectif, présenté comme un double avantage : sortir de l'état d'urgence, qui ne peut pas être permanent et je crois que chacun en convient, tout en conservant des moyens d'action pour lutter efficacement contre le terrorisme. Le risque est d'aboutir à deux inconvénients : les moyens d'action se réduiront en pratique, car il n'y aura plus toutes les mesures disponibles avec l'état d'urgence, et nous allons faire rentrer dans le droit commun des mesures restrictives de liberté de manière beaucoup plus durable.
L'intégration de ces dispositions, concernant le périmètre des manifestations, la fermeture des lieux de culte ou des mesures individuelles telles que les visites domiciliaires, sera-t-elle permanente ou provisoire, en fonction du contexte terroriste ? Si nous devions rentrer dans une logique de restriction des libertés de droit commun, cela nous poserait problème; s'il s'agissait au contraire d'un état d'exception qui n'en porte pas le nom, on pourrait s'interroger sur l'affichage de cette loi.
Monsieur le ministre, votre discours est fait de didactisme et d'intelligence. Il s'adresse donc au meilleur de ce que nous pouvons avoir.
Vous aviez à répondre à deux impératifs. D'abord, mettre fin à l'état d'urgence, ce dont j'avais été convaincu par un excellent article signé par le vice-président du Conseil d'État, M. Jean-Marc Sauvé, et par un article tout aussi excellent dans Ouest France, un journal qui m'est cher, de notre ancien président de la commission des Lois, M. Jean-Jacques Urvoas. Il n'est donc pas nécessaire d'y revenir.
Mettre fin à l'état d'urgence, cela implique obligatoirement de sortir de l'état d'urgence. C'est le plus difficile. De façon simple, on pourrait dire que la première des libertés est la sécurité mais nous devons toujours résoudre l'antagonisme entre les libertés individuelles, les libertés fondamentales, les libertés collectives et la sécurité. Antique antagonisme entre Antigone et Créon, entre liberté de l'individu et pouvoir de la cité.
Cette sécurité est d'abord celle des personnes – il n'est pas difficile de le comprendre – mais c'est également celle des textes juridiques, monsieur le ministre d'État. Et sur ce point, je suis particulièrement inquiet. Depuis 2012 que je siège à la commission des Lois, j'ai eu à connaître huit textes sur la sécurité et la lutte contre le terrorisme, soit près de deux chaque année. Or il n'y a pas pire que l'insécurité juridique, c'est l'ennemie de la sécurité. Je reprends les arguments développés par Guy Braibant dans son article « L'État face aux crises », bien connu des juristes : « les crises laissent derrière elles comme une marée d'épais sédiments de pollution juridique ».
Que va-t-il se passer ? Des textes de loi vont venir en contradiction les uns avec les autres puisque nous n'avons pas pu les passer au crible pour savoir ce qu'ils apportaient et en quoi ils étaient contradictoires. S'ensuivront des nullités qui aboutiront à la remise en liberté de dangereux terroristes.
Plus les textes s'amoncellent, plus l'insécurité juridique croît, moins la sécurité des personnes peut être assurée.
Ma question est la suivante, monsieur le ministre : combien de textes seront encore présentés sur ces sujets durant le quinquennat ? S'ils sont encore au nombre de huit, je dois vous avouer que je ne pourrai plus suivre. Réfléchissons à cela. J'attends bien évidemment une réponse de votre part.
L'arsenal juridique dont nous disposons à ce jour me semble complet, comme le souligne aussi notre collègue du Sénat M. Michel Mercier dans son rapport.
M. Olivier Dussopt a insisté sur l'apport qu'a constitué le contrôle parlementaire de l'état d'urgence. Plus l'exceptionnel devient l'ordinaire, plus ce contrôle est indispensable. Il reviendra aux commissions des Lois des deux assemblées de l'exercer pour ce qui est du nouveau dispositif.
Je terminerai, monsieur le ministre d'État, en vous disant que c'est avec les armes de la République que l'on lutte contre le terrorisme. Chaque fois que l'on renoncera à l'État de droit, nous ferons la part belle aux terroristes.
À MM. Larrivé et Ciotti, je rappellerai cette phrase de Benjamin Franklin : « Un peuple prêt à sacrifier un peu de liberté pour un peu de sécurité ne mérite ni l'une ni l'autre et finit par perdre les deux ».
Monsieur le ministre, je ne suis pas sûre de l'utilité de certaines dispositions du projet de loi, en particulier celles de l'article 4 tel qu'il est rédigé actuellement. En revanche, je suis sûre de la nécessité de sortir de l'état d'urgence, conclusion à laquelle avait abouti M. Jean-Jacques Urvoas, précédent président de la commission des Lois, à la suite de rapports et de divers contrôles parlementaires. Ce qui nous rassemble, c'est la volonté de lutter contre le terrorisme et, au-delà, de faire émerger une culture efficace du renseignement, de la prévention du risque, de la condamnation et de la réparation.
J'ai une série de questions à vous poser.
Premièrement, que devient la loi du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence ? Rappelons que nous avions réfléchi lors de la précédente législature à la nécessité d'inscrire l'état d'urgence et son contrôle dans la Constitution.
Deuxièmement, comme d'autres, j'aimerais insister sur un contrôle parlementaire exigeant et de qualité de la mise en oeuvre des dispositions du projet de loi, équivalent à celui qui a été exercé pendant l'état d'urgence proprement dit.
Troisièmement, s'agissant de l'expérimentation, je dois dire que j'y vois souvent la marque d'un manque de courage politique et un facteur d'insécurité juridique pour ceux qui auront à mettre en oeuvre le nouveau dispositif. Le groupe Nouvelle Gauche estime que toute expérimentation doit s'appuyer sur un bilan de la nouvelle culture de lutte contre le terrorisme, qui associe de manière inédite le juge administratif et le juge judiciaire. Il importe de s'interroger ensemble sur la pertinence de ce dispositif. Nous défendrons un amendement visant à créer un comité au niveau du tribunal de grande instance – ou d'un autre périmètre – réunissant le président du tribunal, le procureur, le préfet, la gendarmerie et la police ainsi que les services pénitentiaires afin que s'instaure un dialogue, dimension qui manque beaucoup aux différentes politiques de justice et de sécurité.
Quatrièmement, je m'interroge sur la limitation dans le temps des mesures individuelles. Quelle est l'utilité des assignations sinon de prévenir à un moment donné les risques d'attentat ? Dans la durée, quel en est le bénéfice ? Est-ce utile en termes de déradicalisation ? Quelles sont les marges de manoeuvre du juge judiciaire ?
Enfin, j'aimerais vous entendre, monsieur le ministre d'État, sur les moyens d'associer à la mise en oeuvre des dispositions de l'article 4 les JLD, dont nous avons renforcé le rôle lors de la précédente législature.
Je saisis l'occasion de cette discussion générale pour évoquer un sujet laissé pour l'instant de côté : la contribution des services des douanes à la lutte contre le terrorisme. À la fin de l'année 2015, le président de la République M. François Hollande a lancé un pacte de sécurité qui prévoyait la formation et le recrutement de 1000 douaniers sur une durée de deux ans afin de venir spécifiquement en renfort de leurs collègues policiers et gendarmes. Les missions de ces fonctionnaires, qui relèvent du ministère des finances, les mettent quotidiennement au contact de dangereux trafiquants mais aussi de terroristes. Ce sont des douaniers qui ont intercepté M. Mehdi Nemmouche après l'attaque du Musée juif de Belgique. Deux d'entre eux ont perdu la vie dans les attentats de 2015. Au total, les services des douanes ont prononcé plus de 400 interdictions de territoire depuis 2016.
Il me semble que ce texte pourrait donner lieu à une reconnaissance du travail indispensable, voire vital, qu'ils effectuent en matière de lutte contre le terrorisme. Je souhaite appeler l'attention du Gouvernement sur cet enjeu et vous demander votre avis sur l'anonymisation des rapports d'intervention des douaniers ou plutôt leur identification par leur seul matricule comme il en est question pour les policiers et les gendarmes. Le Gouvernement serait-il prêt à déposer ou à soutenir un amendement en ce sens ?
Une remarque d'ordre général tout d'abord : le seul fait de ne pas être d'accord entre nous n'implique pas qu'il y aurait d'un côté ceux qui seraient soucieux de la sécurité de nos concitoyens, et de l'autre, ceux qui ne le seraient pas. Il est nécessaire, lorsque nous examinons des textes fondateurs comme celui-ci, que le Gouvernement prenne toutes ses responsabilités pour trouver un terrain d'entente. Des avancées utiles doivent aboutir à un point d'équilibre. C'est ainsi que la représentation nationale pourra sortir collectivement renforcée de l'examen de ce projet de loi. Cela dépend autant des parlementaires que nous sommes que du ministre que vous êtes.
Comme mes collègues MM. Éric Ciotti et Guillaume Larrivé l'ont souligné avant moi, nous nous accordons sur le constat alarmant que vous avez établi, monsieur le ministre d'État. En revanche, je ne vous suis pas du tout lorsque vous avancez que l'état d'urgence aurait des effets contre-productifs sur le tourisme. Ce qui peut nous motiver à sortir de l'état d'urgence, ce n'est pas ce genre de contingences mais la conviction que nous pourrons plus efficacement préserver la sécurité de nos concitoyens. Pardonnez-moi d'être un peu brutal mais qu'importe ce que les compagnies d'assurance américaines en penseront !
Il y a une disposition du projet de loi dont je ne parviens pas à trouver la cohérence : le changement du régime de l'assignation à résidence. L'assignation ne sera plus « à résidence » mais à l'échelon de la commune. Or dans des grandes villes comme Paris ou Marseille, les services de sécurité perdront très vite de vue l'individu faisant l'objet d'une surveillance dans les méandres de leurs rues. Un tel changement est motivé par la volonté de préserver les intérêts professionnels et familiaux de l'individu concerné. J'aimerais que vous nous disiez combien de personnes ont pâti de la mesure d'assignation dans leur vie professionnelle ou familiale. Je pense que bien peu se sont heurtées à des contraintes. Il me semble que vous desserrez dangereusement l'étau.
De deux choses l'une : ou bien ces individus sont véritablement dangereux et il convient de les assigner à résidence car ils risquent sinon de profiter des failles du nouveau dispositif en essayant d'entrer en contact avec d'autres personnes dans la ville où ils ont leur domicile en invoquant des liens familiaux ; ou bien vous considérez qu'il est nécessaire de leur laisser une certaine liberté pour mieux les suivre et glaner des renseignements, comme le suggéraient certains membres de l'extrême-gauche, et, à ce moment-là, autant renoncer à l'assignation à l'échelon de la commune et lâcher totalement la bride.
Le texte que nous examinons a pour but de lutter contre le terrorisme, le seul terrorisme, et non pas la criminalité organisée. Celle-ci s'insinue dans les interstices de notre système pour en tirer profit. Le terrorisme lui – et je suis toujours ému quand il est en question car j'y ai été directement confronté comme vous le savez – frappe partout dans le monde, s'attaque aux fondements de notre société, à ses murs porteurs, à ses valeurs démocratiques auxquelles nous sommes tous attachés ; il veut tuer nos enfants, les enfants de nos enfants ; il veut nous faire disparaître. Je soulignerai au passage que c'est dans les pays arabes que les victimes sont les plus nombreuses.
La majorité présidentielle, adoptant une attitude courageuse et responsable, veut sortir de l'état d'urgence – qui pourra toujours être rétabli si la situation l'impose. Pour cela, il faut se doter de moyens adaptés tout en revenant aux règles du droit commun. Il faut respecter le droit, c'est un flic qui vous le dit, un flic qui a toujours servi le droit, comme ses collègues policiers et gendarmes. Et je dois ici vous remercier des propos aimables que vous avez eus pour les forces de l'ordre. Cela n'a pas toujours été le cas ici. Je me rappelle qu'il y a un peu plus d'un an, dans cette salle de réunion même, mes collègues et moi n'avions guère été épargnés par les députés membres de la commission d'enquête sur les attentats de 2015.
Certains ont dénoncé l'inflation législative, les normes qui se font et qui se défont. Mais ces pratiques qui consistent à défaire ce que la majorité précédente a fait, ce sont celles de nos prédécesseurs. Nous adoptons une autre attitude, de courage et de responsabilité, comme je l'ai dit.
La sécurité, je peux vous le dire après trente-neuf ans d'expérience, se fait à plusieurs : police nationale, polices municipales, gendarmerie nationale, mais aussi de plus en plus, que vous le vouliez ou non, sociétés privées de sécurité auxquelles il va falloir faire de plus en plus confiance, avec des agents mieux formés.
Je finirai par une question. Dans son programme de campagne, M. Emmanuel Macron proposait l'isolement des individus radicalisés en milieu carcéral et l'augmentation de certaines peines à l'encontre des terroristes, dispositions avancées par d'autres partis. Sont-elles toujours à l'ordre du jour, monsieur le ministre ?
Monsieur le ministre d'État, mes chers collègues, j'ai une question très importante à vous poser. Elle porte sur l'isolement des prisonniers radicalisés. Une telle décision, vous le savez, repose sur différents critères dont le principal est la dangerosité de l'individu, laquelle est déterminée par plusieurs éléments du dossier du détenu et non pas par le type de délit ou de crime qu'il a commis. Des petits délinquants, parce qu'ils ont un comportement violent, sont placés en isolement, auquel échappent des assassins parce qu'ils se conduisent très bien. D'autres critères peuvent jouer. Je connais le cas d'un individu ayant travaillé dans les carrières qui a été placé en isolement car il risquait de partager ses connaissances pyrotechniques avec d'autres détenus.
Le sort des individus radicalisés en prison pose question, nous le savons. S'ils sont placés dans des quartiers dédiés, leur déradicalisation est rendue difficile. S'ils sont placés avec d'autres détenus, ils peuvent tenter de les radicaliser. En réalité, la décision relève du directeur de chaque prison au vu des éléments des dossiers individuels. La situation varie donc d'un établissement à l'autre. Ne pensez-vous pas qu'il appartiendrait au législateur de décider d'une politique commune à appliquer aux individus radicalisés en prison ?
Les différentes interventions montrent que les membres de la Commission ont étudié le projet de loi et ont pesé le pour et le contre de chacune de ses dispositions. J'espère que nous parviendrons à un compromis avec un texte très équilibré.
Vous avez évoqué, Monsieur le ministre d'État, des sujets importants qui ne figuraient pas dans le projet de loi mais dont il convenait de se saisir rapidement. Vous avez aussi rappelé l'esprit de la loi de 1905 : la République garantit le libre exercice des cultes s'il ne porte pas atteinte à l'ordre républicain. Pouvez-vous nous éclairer sur les actions que le Gouvernement entend mener en matière de lutte contre la radicalisation ? Qu'en est-il notamment de la formation des imams ?
Monsieur le ministre d'État, vous avez la parole, les orateurs vous pardonneront si vous ne répondez pas de façon exhaustive à chacune de leurs nombreuses interrogations.
Sur le plan général, il est très difficile de déterminer l'exact équilibre entre liberté et sécurité, deux principes qui se contredisent parfois. J'espère que nous y parviendrons ensemble, mais s'il existait une recette miracle permettant de soupeser les deux plateaux de la balance si finement que l'on trouve l'équilibre juste, elle serait appliquée depuis longtemps.
C'est aussi que tout dépend des circonstances. Une série de lois a certes été adoptée, mais notre société a profondément évolué au cours des deux décennies écoulées : jamais, il y a vingt ans, nous ne nous serions posé les questions dont nous débattons aujourd'hui. Nous devons donc inventer des réponses nouvelles aux problèmes que connaît notre pays. En ma qualité de ministre de l'intérieur, j'essayerai de le faire en recherchant le maximum de convergences. Parce qu'elles donnent à chacun l'envie de faire avancer la société, j'ai toujours pensé, dans mes anciennes fonctions, qu'elles étaient nécessaires à l'aboutissement des projets. Si nous nous figeons dans nos contradictions, nous échouerons sur tous les plans : dans les domaines économique et social comme dans la lutte contre le terrorisme.
Ce combat est d'une grande complexité. M. Jean-Michel Fauvergue l'a rappelé en soulignant que c'est dans les pays arabes que le nombre des victimes du terrorisme est le plus élevé, des conceptions assez différentes de ce qu'est l'islam coexistant au sein des populations musulmanes. Dans notre pays, où beaucoup de nos concitoyens sont musulmans, nous devons nous appuyer sur celles et ceux qui ont de l'islam une conception marquée par les traditions historiques françaises et européennes nées d'une culture ancienne – la démocratie.
J'ai entendu prononcer le mot « démocrature », une notion dont j'ignore tout. Je sais en revanche que les penseurs grecs ont construit un équilibre difficile. L'Europe, au Moyen-Âge, s'était déprise de la pensée hellénique ; les philosophes arabes, eux, ne l'avaient pas perdue et ce sont eux qui, en nous la réapprenant, ont permis la naissance de l'humanisme du XVIe siècle. C'est cette volonté d'humanisme que nous devons faire renaître autour du bassin méditerranéen. Si la pensée athénienne a traversé les siècles, c'est qu'Athènes était une société ouverte. Si Sparte la guerrière – dont il n'est pas resté d'écrits mais dont on peut imaginer qu'elle aurait organisé son droit de manière plus radicale – n'a pas traversé le temps, c'est que l'attachement à une société seulement sécuritaire et guerrière ne permet pas de rayonner. C'est dire que si nous devons prendre pleinement en compte les questions de sécurité, nous devons aussi les dépasser.
M. Alain Tourret nous a judicieusement rappelé le conflit opposant Antigone à Créon. L'une et l'autre détenant une part de vérité, un juste équilibre doit être trouvé entre eux puisqu'en penchant entièrement d'un côté, on opte soit pour une société abrupte et inhumaine, soit pour une société ingérable.
Au sujet de la sortie de l'état d'urgence, le Conseil d'État a rappelé que « les renouvellements ne sauraient se succéder indéfiniment et que l'état d'urgence doit demeurer temporaire. » Dans certains pays du bassin méditerranéen, un état d'exception est en vigueur de manière continue depuis une trentaine d'années. Nous pourrions décider d'en faire autant, mais je doute qu'agir de la sorte participerait du rayonnement de la France et assurerait sa sécurité. Aussi voulons-nous mettre fin à ce régime d'exception et, en même temps, ne pas laisser les forces de sécurité dépourvues.
J'ai trouvé, en arrivant au ministère de l'intérieur, des équipes extraordinaires, et j'ai été bluffé par le professionnalisme de la plupart d'entre elles. Des problèmes d'organisation peuvent se poser, mais c'est aux politiques qu'il revient de les régler, en commençant par ne pas désorganiser ce qui fonctionne, comme cela a pu se produire. Pour ma part, je suis plus favorable aux continuités infléchissantes qu'aux ruptures brutales. Vous souriez, monsieur Ciotti. Il se trouve pourtant que, dans mes précédentes fonctions, j'ai préféré infléchir la course du navire sans rompre avec les politiques antérieures, convaincu que j'étais que cette manière de procéder serait source de difficultés certaines.
Comment sortir de l'état d'urgence ? Nous travaillons avec les services aux nécessaires transitions vers le nouveau dispositif qui vous est proposé, notamment pour les assignations à résidence.
Madame Guévenoux, les Français sont en effet plutôt favorables à l'état d'urgence, parce qu'ils ont une forte demande de protection face à un risque qu'ils savent important. Je me battrai toujours pour assurer leur protection et, si je pensais que les mesures que l'on vous propose aujourd'hui étaient inefficaces en termes de sécurité, je ne les défendrais pas. Cela étant, nul ne peut affirmer que ces mesures empêcheront de nouveaux attentats, pas plus qu'on ne peut promettre qu'il ne sera pas nécessaire demain de rétablir l'état d'urgence, car l'évolution de la situation dépend de multiples facteurs, et notamment de ce qui se passe au Proche-Orient, voire au Sahel. C'est l'une des raisons pour lesquelles le Président de la République s'efforce de conduire une politique étrangère propice au rétablissement de la stabilité et à la fin des affrontements dans ces régions.
Mais renouveler indéfiniment des mesures comme les assignations à résidence nous mènerait au-devant de graves difficultés car plusieurs de ces assignés finiraient par devenir « enragés » et prêts à tout plutôt que de vivre dans ces conditions. Assouplir le dispositif me paraît donc une mesure qui n'est en rien contradictoire avec la sécurité des Français.
Nous devons travailler à déradicaliser les esprits, ce qui est un combat de tous les instants, plus facile dans certains cas que dans d'autres. C'est ainsi que, la plupart du temps, les returnees de Syrie sont judiciarisés et condamnés à des peines de prison. On sait en effet qu'ils sont passés par des zones de combats d'une rare violence, et on ne peut, après avoir vécu dans un tel état de barbarie, regagner normalement la civilisation.
Assouplir le régime de l'état d'urgence ne doit donc nullement signifier que nous relâchons notre contrôle et, si je pensais qu'une seule des mesures de ce texte prive nos services de leurs moyens de contrôle, je ne la défendrais pas.
La rumeur publique me prête de nombreux défauts mais également quelques qualités, au premier rang desquelles le courage, la volonté et la détermination à poursuivre mon action dans le temps. Je ne me ferai jamais dicter les mesures à prendre par l'actualité immédiate, car bâtir un texte de loi sur un événement survenu il y a un quart d'heure est la pire des solutions. Il faut inscrire son action dans la durée, sans céder à la pression de l'opinion, que les réseaux sociaux ne font qu'amplifier.
Le texte que nous vous proposons est équilibré, ce qui n'empêche pas que nous soyons prêts à en débattre point par point. La loi montrera ses résultats concrets sur le terrain dans les deux ans qui viennent. Nous nous sommes fixé un but mais sans être simplistes, et nous saurons corriger la trajectoire à la marge si la réalité exige des inflexions. Mais jamais de manière brutale et irréfléchie.
Malgré l'austérité du sujet, la multiplication des lois qu'il a inspiré lui confère une ampleur toute proustienne. Loin de moi néanmoins l'idée de livrer ma version de la Recherche du temps perdu sur la sécurité ! D'où un projet de loi relativement court et ciblé, qui se garde bien d'aborder l'ensemble des problématiques sécuritaires qui traversent notre société. Il nous faudra certes réformer la procédure pénale ou traiter des questions d'asile et d'immigration, mais il conviendra de le faire dans des textes dédiés et non en saupoudrant ce texte consacré à l'antiterrorisme de mesures éparses.
J'ai entendu les remarques des uns et des autres sur les lieux de culte. Je suis de ceux qui pensent que la société est diverse et qu'il faut être à l'écoute des différentes sensibilités – je pense en particulier aux grandes religions – qui la composent. Sans être moi-même pratiquant, je considère qu'il faut écouter celles et ceux qui portent un discours spirituel.
Je défendrai ce projet de loi en restant à votre écoute et en acceptant ceux de vos amendements qui améliorent le texte sans déconstruire sa logique. Vous aurez noté qu'entre le rapport initial de la commission des Lois du Sénat et le texte adopté il y a eu des évolutions et qu'ont in fine été adoptées des mesures qu'avait rejetées la Commission. Sans doute est-ce parce que nous avons su dialoguer pour parvenir au juste équilibre, ce qui ne va pas toujours sans mal tant les lignes peuvent être fluctuantes selon les parlementaires au sein d'un même parti. Pour ma part, équilibre et cohérence sont les deux ambitions qui guident ma démarche. Oui, nous sommes toujours en marche !
Nous allons suspendre nos travaux. Je vous donne rendez-vous demain à neuf heures trente pour l'examen des articles du projet de loi.
La réunion s'achève à 18 heures.
Membres présents ou excusés
Présents. - Mme Caroline Abadie, Mme Laetitia Avia, M. Erwan Balanant, M. Ugo Bernalicis, M. Florent Boudié, Mme Yaël Braun-Pivet, M. Xavier Breton, M. Vincent Bru, Mme Émilie Chalas, M. Éric Ciotti, Mme Typhanie Degois, M. Éric Diard, Mme Coralie Dubost, M. Olivier Dussopt, Mme Élise Fajgeles, M. Jean-Michel Fauvergue, Mme Isabelle Florennes, Mme Paula Forteza, M. Raphaël Gauvain, Mme Marie Guévenoux, M. Sacha Houlié, Mme Élodie Jacquier-Laforge, M. Mansour Kamardine, Mme Catherine Kamowski, M. Guillaume Larrivé, M. Philippe Latombe, Mme Alexandra Louis, M. Olivier Marleix, M. Jean-Louis Masson, M. Fabien Matras, M. Stéphane Mazars, M. Jean-Michel Mis, Mme Naïma Moutchou, Mme Danièle Obono, M. Didier Paris, M. Stéphane Peu, M. Éric Poulliat, M. Aurélien Pradié, M. Bruno Questel, M. Robin Reda, M. Thomas Rudigoz, M. Jean Terlier, Mme Alice Thourot, M. Alain Tourret, Mme Cécile Untermaier, Mme Laurence Vichnievsky, M. Jean-Luc Warsmann, Mme Hélène Zannier
Excusés. - Mme Huguette Bello, M. Philippe Dunoyer, M. Philippe Gosselin, M. Jean-Pierre Pont, M. Rémy Rebeyrotte, M. François de Rugy, Mme Maina Sage, M. Guillaume Vuilletet
Assistaient également à la réunion. - M. Thibault Bazin, Mme Marine Brenier, M. Jean-Jacques Bridey, M. Jean-François Eliaou, M. Guillaume Gouffier-Cha, Mme Constance Le Grip, Mme Natalia Pouzyreff