Je m'associe à tout ce qui peut se dire sur la nécessité d'aborder la question avec sérieux et esprit de responsabilité. C'est la raison pour laquelle nous avons participé activement aux auditions, organisant même nos propres auditions en parallèle, pour avoir une vision complète du sujet.
Je ferai plusieurs remarques.
Il faut mettre en échec nos ennemis qui préparent ou envisagent de préparer et de commettre des actes de terrorisme sur le territoire national, et dont l'objectif, comme vous l'avez dit, monsieur le ministre d'État, consiste aussi à diviser les Français, à porter atteinte à la cohésion nationale, et à nous faire renoncer à nos principes.
Les différents articles de ce projet permettent-ils de répondre à ces deux préoccupations ?
L'article 1er sur les périmètres de protection appelle un certain nombre de remarques. Vous disiez, monsieur le rapporteur, que les mesures ici prévues n'étaient pas une simple transposition des dispositions de l'état d'urgence dans le droit commun, et qu'elles étaient adaptées à nos principes. De fait, l'article 1er offre à l'autorité administrative davantage de droits et de moyens que dans le cadre de l'état d'urgence. Le texte permet même parfois d'aller au-delà, par exemple en accordant des prérogatives d'ordre public à des agents de sécurité privée.
Je mets en garde contre une potentielle dérive : demain, 170 000 agents de sécurité privée au moins pourront se voir confier des missions de service public. Ne seront-ils pas armés ? Le ministre nous donnera peut-être des précisions sur le sujet. En tout cas, le directeur de la gendarmerie nationale s'est dit favorable à titre personnel – il s'est bien gardé d'avoir une opinion en tant que directeur général – à l'armement des agents de sécurité privée, estimant logique, ceux-ci devenant des cibles potentielles pour les terroristes dans des périmètres de protection, qu'ils puissent répliquer.
C'est une fuite en avant : depuis une dizaine d'années les textes s'enchaînent et le phénomène se précise depuis maintenant trois ans, avec les événements que vous connaissez.
L'article 2 concerne la fermeture des lieux de culte. Au cours des auditions, j'ai suivi attentivement ce qui a été dit sur nos techniques de renseignement et sur l'utilité de la fermeture des lieux de culte. J'ai remarqué que la plupart des acteurs du renseignement n'étaient pas forcément demandeurs de cette disposition. Ils avouaient même à demi-mot que la fermeture des lieux de culte constituerait une perte de renseignements dans la mesure où c'est là que se transmettent les informations – et non pas se préparent les actes terroristes. Aux dires du DGSI, il n'y a eu aucune préparation d'actes de terrorisme dans un lieu de culte. Par contre, on y a fait du recrutement, et plein d'autres choses…
Cet article est-il directement proportionné à nos objectifs ? Je m'interroge. La fermeture des lieux de culte peut en revanche avoir un effet contreproductif : constituer une sorte de punition collective, et pointer du doigt une religion plutôt que les actes et les discours qui peuvent y être prononcés. En procédant ainsi, ne risque-t-on pas de conforter les arguments de nos ennemis ?
L'article 3, qui concerne les assignations à résidence, aujourd'hui appelées « mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance », fait apparaître une contradiction. Il faudra en effet fournir des éléments nouveaux pour renouveler la décision d'assignation à résidence. Or, la personne assignée à résidence se tenant sur ses gardes, il sera difficile d'en trouver et cela posera des problèmes aux services de renseignement.
Il est question de faire intervenir le JLD, d'allonger la durée de la mesure… Et si, en fin de compte, cette mesure était inutile ? Certes, elle permet de « neutraliser » un individu, mais elle ne permet pas d'améliorer pour autant le renseignement, et donc d'éviter la commission d'actes terroristes.
L'article 4 traite de la perquisition administrative, renommée « visites et saisies », une sorte de copier-coller de ce qui se fait en matière douanière. Le JLD devient, en quelque sorte, un alibi, puisqu'il va se fonder sur les mêmes notes blanches que le juge administratif pour se prononcer.
Il est tout de même étrange, au moment où l'on parle de confiance réciproque et de cohésion nationale, de se dire que les magistrats doivent, par principe, faire confiance aux enquêtes des services de renseignement - d'ailleurs, on nous a parlé de leur faire suivre des stages sur les méthodes de renseignement, pour pouvoir lire les notes blanches. En revanche, par principe, les policiers ne font pas confiance aux juges et refusent de leur transmettre les informations, hormis entre la DGSI et le tribunal de grande instance de Paris avec le procureur de la République de Paris, M. Molins, qui a accès aux dossiers classés « confidentiel défense ».
Il y a donc bien un problème de confiance. Pour renforcer celle-ci, on pourrait, par exemple, permettre à des juges spécialisés en matière antiterroriste d'avoir accès aux techniques de renseignement.
Enfin, l'article 10 traite du contrôle aux frontières. On s'apprête à renforcer les mesures de contrôle sur les êtres humains, mais pas sur les marchandises. Ainsi, quand il s'agit de nos grands principes et des libertés fondamentales, nous n'hésitons pas à commettre quelques entorses ponctuelles, dans un cadre particulier. Mais lorsqu'il est question de la libre circulation des marchandises, cela nous semble tout de suite plus compliqué ! Pourtant, un certain nombre d'armes sont entrées sur le territoire national, et ont été utilisées pour commettre des actes terroristes – pas pour « tenter » d'en commettre. Nous devons donc être à la hauteur s'agissant de la circulation d'un certain nombre de marchandises. Voilà pourquoi nous considérons que les douanes constituent un véritable enjeu.
Au fil de ces observations, vous aurez remarqué que notre objectif est non pas de dire qu'il ne faut rien faire contre les actes de terrorisme, mais qu'il faut envisager d'autres améliorations, non pas par des articles de loi mais par une meilleure organisation des services. On voit bien d'ailleurs qu'il y a là un vrai sujet, puisque l'on continue de recruter – je pense aux analystes de la DGSI. À cet égard, il faudra être attentif au fait qu'il y a une proportion importante de contractuels dans nos services de renseignements.
Oui, il faut agir, mais pas par un nouveau texte, et pas au prix de ce flou artistique entretenu entre l'autorité judiciaire et l'autorité administrative – et plutôt au détriment de la première.
Monsieur le ministre d'État, il y a quelques semaines, devant la presse, alors que l'on vous demandait si l'on n'était pas en train de tomber dans un « despotisme doux », vous avez répondu nonchalamment : « oui, peut-être ». Puis vous avez ajouté : « mais des vies sont en jeu ! », balayant toute discussion sur le sujet, comme s'il fallait choisir entre la vie de nos concitoyens et le texte qui nous est présenté.
Oui, il faut agir : nous proposerons ainsi par un amendement de punir les entreprises qui participent au financement direct ou indirect du terrorisme. Nous avons rappelé à plusieurs reprises le cas de l'entreprise Lafarge. Qu'allez-vous faire en la matière ?
Les mesures relatives à la sécurité privée soulèvent également de nombreuses questions.
Bref, tous ces textes qui remettent finalement en cause la séparation des pouvoirs, nous faisant sans doute basculer dans un début de ce que j'appellerai la « démocrature », nous permettront-ils de contrer nos ennemis ?
Je vous vois sourire, monsieur le ministre d'État. Je ne pense pas que ce soit l'attitude à avoir sur ce genre de textes…