Nous ne pouvons que souscrire à ce que vous disiez dans votre propos introductif, monsieur le ministre d'État, lorsque vous rappeliez la nécessité d'afficher une unité de tous les instants face au terrorisme islamiste. Guillaume Larrivé a souligné que cette attitude a toujours inspiré notre groupe depuis les attentats tragiques qui ont frappé notre pays, notamment celui du 7 janvier 2015 contre Charlie Hebdo et l'Hyper Casher. Nous avons ainsi voté 13 textes, y compris les prorogations successives de l'état d'urgence, sous votre égide pour la dernière d'entre elles, visant à protéger davantage nos concitoyens contre le terrorisme. J'ai aussi voté pour la proposition de révision constitutionnelle concernant la déchéance de nationalité, qui n'a pas abouti.
Depuis le début de cette législature, j'ai malheureusement un peu le sentiment d'une occasion manquée. Nous aurions pu nous retrouver pour franchir une étape supplémentaire dans la nécessaire protection de nos concitoyens, mais ce texte ne répond qu'à une question, simple, que vous avez ainsi posée : devons-nous demeurer dans l'état d'urgence ?
Vous avez dressé un diagnostic très lucide et en même temps très inquiétant. Vous avez rappelé l'état de la menace, notamment les attentats qui ont frappé Barcelone, en soulignant leur gravité et le réseau d'une dizaine de personnes qui avait été constitué pour causer le plus de morts possibles, ainsi que les douze attentats déjoués depuis le début de l'année en France, ce dont nous devons féliciter nos services. On doit reconnaître leur qualité. Vous avez dit qu'ils ont été un peu frappés de sidération au moment des attentats, analyse que je ne partagerai peut-être pas complètement : nos services ont toujours fait preuve d'une compétence et d'une efficacité qui sont reconnues au plan international. Nous avons la chance d'avoir des services de renseignement, intérieur comme extérieur, et de police judiciaire particulièrement performants. On leur doit ces succès.
Vous avez aussi déclaré, dans d'autres interventions, que plus de 18 000 de nos concitoyens sont désormais inscrits dans le fichier des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste. Je crois que cela représente une augmentation de près de 60 % depuis que ce fichier a été créé par M. Bernard Cazeneuve.
La menace est maximale. Vous l'avez rappelé et nous partageons bien entendu ce constat. Or c'est à ce moment, de façon un peu paradoxale, que vous dégradez nos outils de protection en les portant à un niveau inférieur. Vous avez décidé de sortir de l'état d'urgence et vous prenez des mesures de substitution que nous ne considérons pas, nous y reviendrons, comme étant à la hauteur de la protection que nous apportait l'état d'urgence.
Celui-ci doit permet de répondre à un péril imminent. Votre diagnostic montre que nous y sommes toujours confrontés. Le rapporteur a également souligné que l'état d'urgence ne signifie pas la fin de l'état de droit : il s'inscrit bien au contraire dans ce cadre. L'état de droit n'est pas suspendu. Les mesures de police administrative ont toutes pu être contestées devant des juridictions administratives qui, selon nos principes constitutionnels, sont autant garantes des libertés fondamentales que le juge judiciaire. Il n'y a pas de parenthèse : l'état d'urgence s'inscrit dans le droit positif et des dispositions garantissent les libertés.
À ce stade, nous ne partageons pas – et nous sommes cet après-midi les seuls à le faire – la conclusion que vous tirez d'une analyse pourtant lucide quand vous proposez la sortie de l'état d'urgence. L'attentat de Nice a été évoqué tout à l'heure : le 14 juillet 2016, à treize heures, le précédent Président de la République indiquait qu'il souhaitait sortir de l'état d'urgence, mais l'événement tragique qui a suivi l'a contraint à y rester. Et peut-être que certains attentats ont pu être prévenus avec les dispositions de l'état d'urgence. Le préfet de police, que nous avons rencontré dans le cadre du suivi de l'état d'urgence, avec la présidente de la Commission et le rapporteur, nous a notamment indiqué comment les perquisitions administratives sur des centaines de casiers d'agents de l'aéroport international de Roissy Charles-de-Gaulle ont permis de lever des doutes extrêmement importants, même si elles n'ont pas été concluantes en elles-mêmes.
Pour la première fois depuis 2012 et toutes les lois portées par le précédent gouvernement, que nous avons renforcées par voie d'amendements et soutenues, malgré leur manque d'anticipation, nous allons reculer et affaiblir nos dispositifs de protection. Les mesures de substitution que vous introduisez n'ont en effet rien à voir avec celles de l'état d'urgence.
Les perquisitions administratives, qui deviennent des visites domiciliaires, ont été qualifiées de « monstruosité juridique » par le syndicat des commissaires de la police nationale lorsque nous l'avons auditionné : il y aura désormais l'intervention du juge judiciaire et une complexification avec la présence d'un avocat, ce qui apparente ces mesures à une perquisition judiciaire. Celle-ci existe en droit, elle a sa vertu et elle doit être utilisée dans le cadre qui est le sien. Je ne vois donc pas l'utilité d'une autre forme de perquisition hybridant le judiciaire et l'administratif. Pourquoi ne pas recourir tout simplement à la perquisition judiciaire ? Je suis quasiment convaincu que la nouvelle procédure de visite domiciliaire n'aura jamais de traduction dans les faits.
Le même syndicat des commissaires de police a évoqué une « assignation à résidence du pauvre ». Domiciliaire et durant huit heures à l'origine, puis douze après l'adoption d'un amendement que je portais, l'assignation à résidence aura désormais une ville pour périmètre. Cela veut dire qu'elle sera de fait inopérante.
Troisième exemple, vous avez des outils administratifs pour fermer des lieux de culte, monsieur le ministre d'État. Il n'est pas nécessaire de légiférer au-delà.
Par ailleurs, les contrôles d'identité et les fouilles de véhicules autorisés par les préfets dans un cadre administratif sont totalement supprimés de ce texte, sauf les contrôles aux frontières dans les périmètres nouveaux que vous avez évoqués. Je crois que c'est aussi une erreur. Comment nos concitoyens peuvent-ils comprendre que face à la menace terroriste, face à cette guerre qui nous a été déclarée, nos forces de l'ordre n'aient pas systématiquement le droit de procéder à des fouilles de véhicules et à des contrôles d'identité ?
Voilà les raisons du scepticisme qui nous anime au début de l'examen de ce texte, mais peut-être entendrez-vous nos propositions et accepterez-vous d'enrichir le projet de loi. J'ai pour ma part déposé une proposition de loi d'orientation et de programmation pour la sécurité intérieure et la justice, qui comprend 56 articles et embrasse toutes les perspectives : la question des moyens et du financement à long terme, que vous auriez dû poser, l'organisation des services – on sait qu'il y a aujourd'hui des problèmes de coordination et ce n'est pas la dernière structure que vous avez créée qui les simplifie, bien au contraire, selon ce qui remonte de votre ministère –, les problèmes relevant de la réforme pénale, même si un nouveau texte va arriver, notamment le fait que la peine pour les atteintes délictuelles en matière de terrorisme soit restée à dix ans alors que certains magistrats réclament que l'on passe à quinze, et l'absence de volet préventif.
Vous auriez pu porter un grand texte fondateur pour mieux lutter contre le terrorisme islamiste, mais vous passez à côté d'une occasion qui nous aurait permis de vous soutenir. Peut-être les débats vous feront-ils changer d'avis.