Intervention de Gilles Fumey

Réunion du mercredi 27 juin 2018 à 11h00
Commission d'enquête sur l'alimentation industrielle : qualité nutritionnelle, rôle dans l'émergence de pathologies chroniques, impact social et environnemental de sa provenance

Gilles Fumey, professeur de géographie culturelle à l'Université Paris Sorbonne IV Lettres, Pôle alimentation, risques et santé :

La question de l'engagement volontaire est extrêmement importante. On y pense depuis 1714 : Mandeville, dans sa Fable des abeilles, défendait déjà l'idée que la richesse va ruisseler depuis les riches. On a suffisamment de recul pour se rendre compte que ce n'est pas toujours le cas. J'ai été frappé de constater, et les médias aussi – je suis chercheur à l'Institut des sciences de la communication –, que les sénateurs ont complètement vidé, au nom de ce principe, la loi que vous avez adoptée en première lecture : vous aviez alors prévu quelque chose d'un peu contraignant. Sans appareil législatif, l'industrie et la grande distribution sont tentées par le profit – je crois qu'il n'y a pas besoin de faire un dessin… On a bien vu qu'il faut constamment encadrer la production et la distribution, et que l'on doit donc passer par la loi. Vos choix étaient donc, à mon avis, ceux qu'il fallait faire. Après l'intervention du Sénat, on a l'impression que le seul secteur dans lequel M. Macron ne fera pas ce qu'il a dit est l'alimentation : presque toute la loi a été vidée de son sens. J'ai vu hier qu'un sénateur s'est appuyé sur l'ANSES, mais on sait très bien qu'il y a aussi des conflits au sein de la communauté scientifique sur la nocivité de tel ou tel produit.

Je pense que nous avons suffisamment de recul en ce qui concerne l'effet délétère de l'alimentation industrielle : il est très clair que les maladies dites « de civilisation », en particulier neurodégénératives, progressent largement parce qu'elles sont corrélées à ce type d'alimentation. On observe aux États-Unis des comportements et des types de maladies liés à une alimentation très différente de celle de la Crète ou du Japon.

Le travail que vous avez fait est aussi précieux que celui qui a été réalisé au début du XXe siècle, lorsque l'on a inventé les appellations d'origine contrôlée (AOC) : cela permet non seulement de fixer un cadre, mais aussi d'incarner un projet. Pourquoi la jeunesse d'aujourd'hui est-elle aussi radicale dans ses choix alimentaires ? Quel parent dira en effet, en voyant son enfant devenir vegan, que cela ne pose pas de problème ? La moitié de mes étudiants sont végétariens et 20 % sont vegan. Quand on discute avec eux, on voit que c'est une forme de radicalité qui tient lieu de message : ils attendent, en fait, que nous les aidions à fabriquer une alimentation de meilleure qualité. Leur grand-oncle, leur grand-père ou leur voisin ont Alzheimer, Parkinson ou d'autres maladies qui n'affectaient pas les générations précédentes. Il y a une véritable attente, et le discours de M. Macron à Rungis représente un formidable espoir : on a senti un changement générationnel, on s'est dit qu'il y avait enfin quelqu'un qui comprenait ces enjeux, mais on voit que ce n'est absolument pas le cas au Sénat.

Le ministère de l'agriculture est, à notre avis, beaucoup trop cogéré avec les syndicats, en particulier l'un d'entre eux qui ne représente pourtant que 50 % des voix des agriculteurs. On sait très bien ce qu'est la cogestion au sein de l'Éducation nationale… La majorité connaît un formidable succès avec M. Blanquer, qui a gagné une première manche en ce qui concerne la réforme du bac. Nous attendons aussi un Jean-Michel Blanquer dans le domaine de l'alimentation, c'est-à-dire un ministre visionnaire, doté d'une véritable autorité, qui n'est pas soumis à des lobbies et ne pense pas que les industriels et les syndicats feront ce qu'ils peuvent.

Le glyphosate est comme le carbone et le diesel : cela appartient à l'ancien monde. L'avenir ne se trouve pas du côté des firmes qui se vendent les unes aux autres pour échapper à des procès. Je crois que vous avez bien compris la manoeuvre qui a eu lieu entre Monsanto et Bayer. L'avenir est dans la prise en main de notre alimentation par des systèmes citoyens, comme les associations pour le maintien d'une agriculture paysanne (AMAP), dans le bio et dans tout ce qui émane de collectifs. Je voudrais également souligner que le regard sur l'alimentation et les exigences changent à mesure que les femmes prennent des responsabilités dans les associations et les collectivités.

Je rends hommage à ce que vous avez fait en première lecture dans le cadre de la loi sur l'alimentation, et nous vous supplions vraiment de continuer – je m'exprime au nom de la communauté des chercheurs, qui est quasiment unanime sur ce sujet. Dans le champ des sciences sociales, une grande majorité est en effet complètement libre – j'ai pour ma part refusé d'entrer à la Fondation Nestlé, qui donne des chèques. L'intérêt que nous défendons n'est pas le nôtre, mais celui de tous nos concitoyens.

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