Intervention de Gilles Fumey

Réunion du mercredi 27 juin 2018 à 11h00
Commission d'enquête sur l'alimentation industrielle : qualité nutritionnelle, rôle dans l'émergence de pathologies chroniques, impact social et environnemental de sa provenance

Gilles Fumey, professeur de géographie culturelle à l'Université Paris Sorbonne IV Lettres, Pôle alimentation, risques et santé :

La mondialisation n'est plus le sujet. On pensait, il y a quinze ans, que nous allions être frappés par une lame de fond à cause de ces restaurants dont Charlie Chaplin avait établi le prototype dans les Temps modernes : on y voit un type servi par un robot dans une cantine, jusqu'au moment où tout finit par se déglinguer et terminer en eau de boudin. L'alimentation mondialisée a une forte visibilité, car elle est relativement concentrée, mais il y a moins de restaurants américains de fast-food que de restaurants asiatiques en France. Les restaurants chinois ou thaïlandais, qui sont familiaux, ne sont pas concentrés et ils ne donnent pas de chiffres : ils ne sont donc pas visibles au niveau statistique. Il faut également rappeler que McDonald's ne communique que sur les ouvertures de restaurants et pas sur les fermetures. J'ai pu le constater quand un restaurant de cette enseigne a fermé à Carcassonne, il y a quelques années.

Quelles sont les perspectives ? Il y a bien sûr des entreprises très puissantes qui vont coloniser les grands centres touristiques, les endroits où l'on trouve des moyens de transport, mais elles ne sont pas menaçantes au-delà. Vous avez évoqué la grande distribution, mais il ne vous a pas échappé qu'elle est en difficulté, notamment les hypermarchés. À partir du moment où l'on entre dans une AMAP, on ne va quasiment plus dans les supérettes et l'on n'achète plus certains produits. Quand on fait ses courses dans une grande surface, on finit par avoir dans son panier 30 % de produits que l'on n'avait pas prévu d'acheter. Avec l'aide du mouvement de patrimonialisation, la mondialisation est vraiment devenue un sujet du passé.

Du fait de la montée de l'Asie, il y a une certaine « asiatisation » de notre alimentation. On va plus facilement dans des restaurants japonais, chinois, thaïlandais ou coréens que nos parents et nos grands-parents. On y trouve peut-être aussi une alimentation industrielle : la sauce soja du restaurant chinois est certes cuisinée par une petite famille bien sympathique, mais elle est quelque part industrielle. Il va falloir travailler sur cette question. Il y a des forces très puissantes à l'oeuvre.

Les circuits courts n'ont pas toutes les vertus, mais ce sont quand même des outils extrêmement forts dans la culture française, qui est très largement paysanne. Quand on mange un saucisson, on consomme de la viande embossée dans le cadre d'une polyculture où l'on tuait le cochon deux fois par an et où il fallait se servir des rebuts, en l'occurrence en utilisant un autre morceau de cochon. Pourquoi a-t-on gardé ça ? Parce que les Auvergnats et tous les migrants du centre de la France qui sont venus à Paris à la fin du XIXe siècle se sont d'abord occupés du charbon et du bois avant que des locaux ne se libèrent grâce à l'installation du gaz, ce qui a permis la vente de produits régionaux. La cuisine parisienne est un assemblage de cuisines régionales. Nous avons cette culture et nous allons la garder. Les municipalités ont compris que l'on avait intérêt à la développer. Quand il y a eu de la neige autour de Paris il y a quelques mois et que les camions devant ravitailler les grandes surfaces ont été empêchés d'entrer dans la ville, on a commencé à paniquer : si un épisode de gel avait suivi, on aurait été sans ravitaillement alimentaire pendant huit ou dix jours, ce qui aurait été intenable. Il y a une vraie fragilisation de l'approvisionnement. Je pense que les élus des métropoles ont compris cette réalité, et celle des circuits courts.

Il y a aussi du fast-food certes mondialisé, mais habillé avec du bio ou tout ce que vous voudrez d'autre. La petite firme belge Exki, qui vend très cher de très bons produits, a récemment obtenu un prix au Salon international de la restauration, de l'hôtellerie et de l'alimentation (SIRHA) green de Lyon : elle tire le fast-food vers le haut. Dans les pays du Sud, le fast-food étranger est moins présent, car chaque région du monde a son propre fast-food. Quand on ne mange qu'une fois par jour, on picore un peu à droite ou à gauche le reste de la journée, et il y a de multiples manières de le faire.

Le tourisme joue un rôle dans les rapports entre le Nord et le Sud. Quand on va dans un pays touristique dont on ne parle pas la langue, quels contacts proches a-t-on avec la population ? Ils ne se déroulent pas à l'hôtel, ni même au restaurant, mais au marché. Quand on prend des photos, et que l'on demande aux gens l'autorisation de le faire, on entre en contact avec des personnes qui vont faire un sourire et qui, éventuellement, vont se mettre en scène avec de la nourriture à laquelle on n'a pas accès, parce qu'elle n'est pas préparée et que ce n'est pas important.

Le Sud a une image qu'il cultive, et qui nous laisse penser qu'il ne faut pas avoir peur de la mondialisation.

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