Le changement d'échelle et sa temporalité sont des points cruciaux. Vous avez auditionné Solagro sur son scénario « Afterres 2050 ». D'autres travaux existent comme ceux du Forschungsinstitut für biologischen Landbau (FIBL), l'équivalent suisse de l'ITAB, qui propose un scénario d'une agriculture intégralement biologique à l'horizon 2050 – un scénario construit à partir d'hypothèses de changement des régimes alimentaires, de réduction forte du gaspillage alimentaire et d'impacts du changement climatique sur les rendements, d'où un scénario de 100 % d'agriculture biologique à l'échelle mondiale. Des tensions s'annoncent sur les ressources azotées et, par ailleurs, la question des régimes alimentaires est inextricablement liée à la montée en puissance de l'agriculture biologique.
L'Autriche est un exemple emblématique. Lors de son adhésion à l'Union européenne en 1995, elle a beaucoup misé sur l'agriculture familiale dans le contexte d'une agriculture de montagne soumise à des handicaps naturels. Elle a fortement valorisé l'agriculture biologique grâce à des soutiens publics importants, au point que cette filière a atteint un plafond de 20 % depuis quelques années ; depuis, la croissance est beaucoup plus lente. Cela suscite deux questions : tout d'abord, quelle est la part – un cinquième, un quart – des agriculteurs disposés à accepter une production soumise aux contraintes d'un cahier des charges ? Jusqu'où peut-on pousser ces exigences ? D'autre part, le consentement à payer du consommateur peut-il atteindre un plafond ? Force est de constater que malgré leur politique volontariste en faveur de l'agriculture biologique, certains pays comme l'Autriche connaissent une quasi-stagnation de son développement.
L'objectif de 15 % en 2022 est-il réaliste ? Selon les chercheurs autrichiens avec lesquels nous échangeons, au-delà du caractère atteignable de l'objectif, c'est le signal politique donné qui est intéressant car il indique que ce mode de production sera soutenu même s'il ne se développe plus guère. Cette ambition est une forme de légitimation de l'agriculture biologique par les pouvoirs publics. L'annonce du plan « Ambition bio », par exemple, permet aussi d'encourager ce développement.
Il faut toutefois rester vigilant quant à l'adéquation entre l'offre et la demande. Le secteur laitier a connu dans les années 2000 un développement rapide du bio qui s'est traduit par des déséquilibres et des problèmes de plus-value pour les éleveurs acceptant un cahier des charges contraignant sans bénéficier ensuite de la valorisation économique attendue. Il n'est pas forcément souhaitable que la conversion socioécologique vers l'agriculture biologique soit menée à toute vitesse : il faut organiser cette transition en assurant l'accompagnement des agriculteurs.