Intervention de Natacha Sautereau

Réunion du jeudi 28 juin 2018 à 9h15
Commission d'enquête sur l'alimentation industrielle : qualité nutritionnelle, rôle dans l'émergence de pathologies chroniques, impact social et environnemental de sa provenance

Natacha Sautereau, chercheuse en agroéconomie à l'Institut technique d'agriculture biologique :

Dissipons d'emblée ce paradoxe qui n'en est pas un : s'agissant de la composition nutritionnelle des aliments bio, des travaux indiquent en effet que certains produits bio contiennent davantage d'antioxydants et de polyphénols. Cependant, tous les épidémiologistes confirmeront que l'on ne saurait en conclure à leur effet direct sur la santé, car il faudrait pour cela en consommer des quantités considérables. S'il est utile que ces éléments soient renforcés, le lien direct entre leur consommation et la santé ne peut donc pas être établi. L'enquête BioNutrinet 2013, quant à elle, qui porte sur l'obésité et les maladies cardio-vasculaires, a conclu que le régime alimentaire bio était plus sain, sachant que les consommateurs de produits bio respectent généralement davantage les recommandations alimentaires du programme national nutrition santé (PNNS) : ils consomment davantage de fruits et légumes, moins de produits carnés et moins de sodas. En 2017, les chercheurs ont approfondi leur analyse à partir de leur jeu de données et ont publié une nouvelle étude. Prenons une analogie : il arrive que les agriculteurs passent à l'agriculture biologique pour des raisons économiques mais cela ne me semble pas poser de problème, car cette conversion induit un changement de pratiques. Dans un premier temps, l'exploitant suivra le modèle dit « efficacité-substitution-reconceptualisation » (ESR) en remplaçant des produits non biologiques par d'autres plus favorables sur le plan écotoxicologique puis en reconceptualisant ses pratiques, par exemple en allongeant les rotations, en cultivant des légumineuses, et ainsi de suite. En clair, une reconversion est une trajectoire. Il en va de même pour le consommateur, qui ne se contente pas de remplacer une pizza surgelée conventionnelle par une pizza bio mais recompose ses achats, change parfois de distributeur en ne se fournissant plus en grande surface mais dans une petite supérette spécialisée. Il suit là aussi une trajectoire faite de changements systémiques. L'enquête BioNutrinet 2017 montre bien que l'agriculture bio produit un effet propre et ses auteurs font l'hypothèse que les résidus de pesticides pourraient avoir des effets liés aux perturbateurs endocriniens.

S'agissant des soutiens publics, la théorie de la « tragédie des biens communs » de Garrett Hardin explique comment une personne optimise sa production à court terme et à titre individuel, quitte à entraîner un préjudice sur une ressource dont il a besoin à moyen ou long terme. Une autre théorie économique classique, celle de Paul Samuelson, montre que la contribution volontaire – c'est-à-dire le fameux consentement à payer – ne suffit pas pour protéger les services publics et les biens communs. Vous et moi souhaitons acheter des produits plus bénéfiques à la santé et à l'environnement, mais nous ne pourrons pas consommer plus que ce que nous pouvons consommer à titre individuel. Il faut donc compléter le consentement à payer – qui pose par ailleurs un problème d'équité d'accès aux produits en question – par des politiques publiques visant à préserver ces biens communs. Nous avons donc passé en revue les propositions de différents chercheurs. En 2005, dans le rapport de l'INRA sur les pesticides, des économistes avaient déjà relevé que la mesure la plus efficace consisterait à taxer les pesticides, mais elle est parfois jugée politiquement incorrecte s'agissant d'une profession où 30 % des exploitants ont des revenus inférieurs au RSA. Il est difficile d'annoncer la taxation de personnes dont le revenu est inférieur de 1 000 euros au revenu moyen des Français : la taxation est souvent mal perçue pour une profession déjà stigmatisée. En revanche, la rémunération des services rendus donne une image plus positive de l'acte de production. D'autres mesures sont envisageables pour soutenir ces démarches vertueuses. Du côté des consommateurs, il peut être envisagé d'alléger la TVA sur les produits bio.

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