Intervention de Vincent Réquillart

Réunion du jeudi 5 juillet 2018 à 11h55
Commission d'enquête sur l'alimentation industrielle : qualité nutritionnelle, rôle dans l'émergence de pathologies chroniques, impact social et environnemental de sa provenance

Vincent Réquillart, professeur à la Toulouse School of Economics (TSE), directeur de recherches à l'Institut national de recherche agronomique (INRA) :

En ce qui concerne le Nutri-Score, tant l'évaluation qui avait été faite avant sa mise en place que les travaux d'économie expérimentale menés par des collègues à Grenoble montrent que cette proposition était supérieure aux autres, car elle résume l'information de façon très synthétique. Et le consommateur a besoin de repères très simples. Autrement dit, faire le même type de choses, mais avec quatre ou cinq indicateurs qui portent sur le gras, le sucre, et autres, serait trop compliqué.

Ces cinq couleurs donnent donc des indications non seulement aux consommateurs, mais aussi à l'industrie, qui connaît ainsi ses marges de progression par catégorie de produits. Nous verrons si cette idée est opérante – nous n'avons pas assez de recul pour le savoir –, mais elle me semble pertinente car, encore une fois, je crois que la question de la reformulation des produits est fondamentale et n'a pas été suffisamment mise en avant.

Quant aux chartes d'engagement volontaire, elles me laissent sceptique, non pas que je doute de leur bien-fondé, mais parce qu'elles me semblent trop peu incitatives. En effet, dans la mesure où la démarche reste volontaire, les firmes ne bougent que si elles y ont intérêt. La demande et l'information des consommateurs évoluant, elles prendront le tournant, à un moment ou à un autre, mais elles le prendraient également sans cet accord volontaire. En effet, que leur offre-t-il de plus ? Éventuellement un logo, que personne ne connaît… Je vais être un peu dur mais, si l'on veut aller plus loin, il faut, sur le modèle de ce qui a été fait au Royaume-Uni, réunir autour de la table l'industrie et la puissance publique, la seconde menaçant la première de prendre des mesures beaucoup plus fortes si un certain nombre d'objectifs ne sont pas atteints, et ce pour l'ensemble des catégories de produits visées. Vous connaissez certainement les études de l'Observatoire de la qualité de l'alimentation (OQALI) sur l'évaluation des effets de la reformulation des produits dans le cadre des accords volontaires. On constate des progrès, parfois impressionnants, mais ils ne concernent que de petites fractions du marché car peu de firmes jouent le jeu.

L'enjeu est de parvenir à faire en sorte que, par secteur, l'ensemble des firmes reformulent leurs produits. À cette fin, il faut mener une politique plus contraignante ou, à tout le moins, afficher des objectifs de façon plus forte pour pousser les firmes à agir. Bien entendu, il existe des contraintes liées aux produits, mais il est important de tracer cette perspective. Encore une fois, au Royaume Uni, les résultats obtenus en matière de baisse de la teneur en sel ne sont pas négligeables et ils bénéficient à l'ensemble de la population car tous les produits ont été reformulés. Mais il y avait la menace du bâton.

Les campagnes d'information sont souhaitables, même si elles ne règlent pas tous les problèmes, loin de là. Il faut les promouvoir, en les limitant à un petit nombre de messages. Prenons l'exemple des campagnes d'information sur les fruits et légumes, dont on a simulé les effets. On constate que l'accroissement de la consommation de ces produits induit d'autres changements dans la diète, qui vont dans le bon sens : non seulement on consomme un peu plus de fruits et légumes, mais on mange un peu moins de viande. Des substitutions s'opèrent. Si l'on multiplie les messages tels que « Mangez cinq fruits et légumes par jour », « Ne mangez pas plus que telle quantité de viande », « Mangez tant de produits laitiers », etc., ils deviennent difficiles à intégrer et ont peut-être une portée insuffisante. En revanche, si on les axe sur des cibles privilégiées, ils auront des effets conformes aux autres recommandations, car la diète est un tout. Dès lors, peut-être vaut-il mieux limiter le nombre des messages de façon qu'ils puissent être mieux intégrés. Par ailleurs, ils doivent porter – mais cela est prévu dans le Programme national nutrition santé (PNNS) – sur des aliments et non sur des nutriments, pour les raisons que j'ai expliquées tout à l'heure.

Il est vrai que ces campagnes d'information destinées à la population générale sont moins bien prises en compte par les classes sociales les moins favorisées, de sorte qu'elles ne résolvent pas les problèmes d'inégalité sociale. Toutefois, on peut compléter les campagnes générales par des campagnes ciblées sur des populations qu'on estime à risque.

Par ailleurs, le gaspillage est source de pertes très importantes pour l'ensemble de la société – même si certains peuvent y gagner. Il me semble que les analyses économiques qui traitent de cette question sont insuffisantes car elles n'entrent pas au coeur des raisons du gaspillage. Celui-ci est très difficile à mesurer, au niveau du consommateur. On a déjà du mal à savoir ce que les gens consomment. Certes, il existe des observatoires comme Nutrinet ou celui dont nous utilisons les données, qui étudie les achats de 20 000 ménages depuis quinze ans, mais leurs résultats présentent des différences car chaque type d'observation a ses biais. Déduire des informations précises sur le gaspillage à partir de ces données n'est pas simple. Toujours est-il qu'on n'analyse pas les causes exactes du gaspillage. Est-il lié à un risque ? Dans la distribution, c'est le cas : si, dans votre supermarché, vous ne trouvez pas tel ou tel produit frais, vous changerez peut-être de magasin, à la longue. Or, ce supermarché a intérêt à ce que vous continuiez à y faire vos achats. Il doit donc être très bien achalandé. Par conséquent, il doit jeter des produits périssables car il ne connaît pas précisément la demande. Chez le consommateur, le risque peut être présent également : ce peut être la peur de manquer, par exemple lorsqu'on invite des gens. Ces mécanismes ne sont pas étudiés. Or, si l'on n'en a pas une bonne connaissance, il sera difficile de trouver les parades efficaces.

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