L'Association Henri-Pézerat a la particularité de regrouper des associations de victimes de l'amiante et d'autres produits cancérogènes, des malades à titre individuel, des représentants de diverses organisations syndicales, des juristes – avocats ou non –, des chercheurs, des médecins du travail, des toxicologues, des pneumologues et des journalistes. Elle se saisit naturellement des questions de réparation et d'aide aux victimes, souvent soumises à un parcours du combattant, mais elle intervient aussi en matière de conseil, de méthodologie et de prévention des expositions actuelles. Pour ce faire, elle utilise tous les outils possibles, en premier lieu la mobilisation collective des salariés et des victimes, mais aussi les alertes à la presse et les procédures judiciaires.
Un mot sur l'amiante et les expositions actuelles à cette substance : de petites entreprises – si j'ose dire – comme le groupe Vinci réalisent encore des travaux en Corse sans respecter les mesures nécessaires de prévention du risque. La Cour de cassation vient en début d'année de confirmer la condamnation par la cour d'appel de Bastia, pour mise en danger d'autrui, d'une filiale de Vinci à une peine selon moi peu dissuasive de 50 000 euros d'amende.
Les expositions actuelles sont de plusieurs types. D'une part, elles concernent tous les types de bâtiments construits avant 1997 et même d'autres – il se trouve certainement dans des tours plus récentes de La Défense des joints de plaque de plâtre amiantés parce qu'ils proviennent de Russie, d'Inde ou d'autres pays où l'amiante n'est pas interdit et continue d'être extrait. Elles concernent également les machines et instruments de travail. Autre facteur d'exposition : les opérations de désamiantage, qui sont régies selon une réglementation et effectuées avec des équipements insuffisamment protecteurs, pour des raisons de coût. Il faut en effet bien comprendre le poids des motifs financiers défendus par un puissant lobbying au détriment de la protection de la population. Je citerai deux exemples : en matière de désamiantage, le lobbying des bailleurs sociaux est particulièrement puissant, même si les contraintes qui pèsent sur eux sont indéniables. Un chantier de désamiantage bien organisé qui protège les salariés et les personnes vivant et travaillant dans le voisinage coûte cher, et la baisse du niveau de protection décidée par le ministère du travail pose un problème de santé au travail et de santé publique.
De surcroît, les impératifs financiers empêchent de réaliser certains travaux. Permettez-moi cet exercice de comparaison entre trois situations identiques au début janvier 2018. Un site parisien de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE) du ministère du travail occupe des locaux appartenant à un bailleur privé où les joints de fenêtre sont amiantés et dégradés. Face au danger, l'administration agit rapidement, évacue les agents et demande au bailleur d'effectuer les travaux nécessaires. Même situation pour les agents de la DIRECCTE de Saint-Brieuc, qui exercent dans des locaux appartenant à un bailleur privé où les joints de fenêtre, amiantés et dégradés, produisent des poussières : ils ont été évacués et partiellement relogés, et le télétravail a été imposé – une solution imparfaite mais au moins des mesures de prévention ont-elles été prises. Troisième cas, que je connais pour y travailler : la cité administrative de Rouen, qui abrite 1 200 agents. Les joints de fenêtre y sont également amiantés et dégradés mais l'administration s'est bien gardée d'en avertir les représentants du personnel, et pour cause : les travaux – 1 880 fenêtres sont à remplacer – sont à la charge de l'État puisqu'il est propriétaire des locaux. La préfecture de Seine-Maritime, ne pouvant évidemment pas annoncer aux salariés et à la presse qu'un risque existe mais que les ressources budgétaires ne permettent pas d'agir, tient le discours suivant : les joints sont en effet amiantés et dégradés au point de s'effriter, mais ne présentent pas de risque. Autrement dit, les contraintes budgétaires se traduisent par un déni du risque que présente l'amiante, qui est pourtant le seul cancérogène qui laisse des traces importantes.
D'où une première proposition : la mise en place d'un fonds de financement du désamiantage, non pas à la charge de l'État et des collectivités mais à celle des industriels qui se sont enrichis pendant des années et qui continuent de le faire, en particulier au Brésil, en Inde, en Russie et en Chine, grâce à l'amiante.
J'en viens aux expositions actuelles à d'autres produits cancérogènes en évoquant quelques-uns des cas que suit notre association. Le site d'Adisseo à Commentry, tout d'abord, qui fabrique de la vitamine A au moyen d'une molécule de synthèse, le chloracétal C5. L'histoire commence au début des années 1980, lors de la création de cette nouvelle molécule. Le CHSCT a alors demandé une étude de toxicité que la direction a refusée. Sautons les étapes jusqu'en 2018 : 43 cancers du rein dont sept chez des salariés d'entreprises extérieures, 20 lymphomes et des leucémies, 36 cancers de la prostate, 55 maladies professionnelles liées à l'amiante. De très nombreuses décisions définitives pour faute inexcusable confirment la responsabilité de l'employeur. Pourtant, l'exposition à cette molécule particulière perdure encore, mais sa substitution est refusée – alors que la production industrielle de vitamine A sans cette molécule est possible, puisque d'autres industriels le font, et alors que le décret de 2001 établissant les règles de prévention des risques cancérogènes, mutagènes et reprotoxiques impose cette substitution lorsqu'elle est techniquement possible. La plainte déposée au pénal par les victimes, les associations et les organisations syndicales a été classée sans suite malgré une dizaine de morts.
Autre exemple à Montluçon, dans une entreprise moderne, Environnement Recycling, créée en 2001, qui a bénéficié de nombreuses subventions publiques. Elle emploie quelque 180 salariés, beaucoup ayant été recrutés dans le cadre d'opérations de réinsertion avec des aides de l'État, et de nombreux autres étant des salariés handicapés ouvrant eux aussi droit à des subventions. Son activité consiste à recycler des téléviseurs, des écrans plats, des systèmes informatiques et des appareils électroménagers. Or, à la création de cette entreprise, les investisseurs ont oublié de mettre en place les systèmes de base que prévoit le code du travail : système clos pour éviter les poussières et, en cas de diffusion de poussières, aspiration à la source. Malgré l'absence initiale de représentation syndicale, des analyses de poussières rapportées par les salariés ont été effectuées et ont permis de détecter la présence de vingt-huit métaux lourds cancérogènes ou toxiques – plomb, silicium, baryum, antimoine – et d'un risque hélas mortel d'effet « cocktail ». Face à cela, l'administration n'a pas pris les mesures nécessaires pour faire cesser ces expositions létales alors que les infractions sont facilement caractérisables au titre du code du travail. La plainte au pénal qu'a déposée la CGT avec notre association a été classée sans suite. Cela ne signifie pas que la justice pénale est inactive : l'employeur a porté plainte contre le secrétaire général de l'union départementale CGT de l'Allier, Laurent Indrusiak, désormais renvoyé en correctionnelle pour diffamation – d'où les questions que nous nous posons sur le rôle de la justice dans ces affaires.
Troisième exemple : Triskalia, la plus grosse coopérative agricole de Bretagne, a pris en 2009 la décision, pour économiser de l'énergie, d'interrompre la ventilation dans ses silos de stockage de céréales. Or, en l'absence de ventilation, les céréales pourrissent. Quoi de plus simple, dès lors, que de demander aux salariés d'asperger les stocks avec un pesticide déjà interdit à l'époque, le Nuvan Total, en quantité d'ailleurs bien supérieure aux prescriptions du fabricant ? Double scandale : scandale sanitaire, puisque tous les aliments stockés ont été écoulés, et scandale pour la santé des travailleurs, puisque plusieurs d'entre eux ont été soumis à un parcours du combattant pour faire reconnaître les maladies professionnelles liées à « l'hypersensibilité » aux produits chimiques. Ces salariés exposés ont subi une double peine, alors qu'ils avaient fidèlement obéi à leur employeur : non seulement ils sont malades mais, de plus, ils ont été licenciés pour inaptitude à tous postes dans cette immense coopérative. Là encore, une plainte a été déposée au pénal avec le soutien de plusieurs organisations syndicales et de notre association ; elle a été classée sans suite.
Un mot sur les pesticides : l'un des adhérents de notre association, Paul François, a été intoxiqué par le Lasso, fabriqué par Monsanto. Là encore, il faut faire preuve de vigilance : le reproche qui est fait par les juridictions – la cour d'appel comme la Cour de cassation – dans leurs jugements défavorables porte sur le défaut d'information de la part de Monsanto concernant les produits et les risques. Il ne faut cependant pas croire que ce problème se limite à Monsanto, aux pesticides et au secteur agricole. Le défaut d'information, même s'il existe des fiches de sécurité pour de nombreux produits, tient à l'absence d'études de toxicité et au caractère incomplet des informations relatives à de nombreux produits chimiques.
De la Bretagne, passons à la Normandie : le groupe Bolloré a prétendument « oublié » de réaliser un diagnostic concernant le plomb lors de la déconstruction d'une raffinerie Petroplus dans la banlieue de Rouen, qui a massivement exposé les salariés des entreprises sous-traitantes venus en découper la tuyauterie.
Outre les cancérogènes, il faut aussi aborder la question des rayonnements, au sujet desquels nos camarades de France Télécom ont mené une bagarre en Auvergne. Tout est parti d'interrogations soulevées au cours d'une réunion du CHSCT étant donné le nombre important de cancers constatés sur un site modeste, celui de Riom-ès-Montagnes, dans le Cantal. Ayant fait usage de son droit d'enquête avec l'appui de tous ceux qui pouvaient lui apporter du soutien, le CHSCT a découvert la présence de parafoudres radioactifs, ce que France Télécom avait omis de signaler à ses salariés et aux médecins du travail. Douze ans plus tard, cette enquête très pertinente est toujours en cours et montre que ces parafoudres radioactifs sont toujours présents dans les installations de France Télécom, mais aussi dans des cartons de stockages – comme on stockerait des archives au coin d'une pièce de travail. L'enquête atteste des expositions, qui ont hélas fait des victimes de cancers professionnels. Elle rappelle aussi que le groupe France Télécom devait traiter le problème des parafoudres radioactifs et que pour l'essentiel, il s'y est pris en recourant à la sous-traitance sans s'assurer que les sociétés contractantes disposaient des compétences et des autorisations de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) pour procéder à la dépose et au stockage de ces parafoudres radioactifs.
Avec plusieurs organisations syndicales, notre association a constaté que ces mêmes parafoudres radioactifs étaient également présents sur plusieurs installations d'EDF et de la SNCF, c'est-à-dire sur des équipements – poteaux électriques et rails de chemin de fer – présents sur tout le territoire, sans que le système d'alerte publique permette aux intervenants, notamment les préfectures, d'intervenir pour résoudre le problème. C'est pourquoi nous profitons de cette occasion pour alerter sur ce sujet.
J'en viens aux personnes irradiées dans le secteur nucléaire militaire à Brest, en faveur desquels une vingtaine de jugements définitifs ont été prononcés.