Je répondrai tout d'abord à la question portant sur les tableaux des maladies professionnelles, à côté desquels existe le système complémentaire. La modification du tableau 57, qui concerne les membres supérieurs, dont les épaules, est à cet égard pleine d'enseignements. Les conditions administratives se sont durcies, et on constate que lorsque tous les critères ne sont pas remplis – du moins en Normandie, région que je connais bien –, plutôt que d'entrer dans le système des tableaux, les salariés passent par le système complémentaire ; ce qui embouteille encore plus le comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles (CRRMP) et allonge les délais de traitement des dossiers.
Par ailleurs, comment raccourcir le délai de prise en charge et mettre en place un mode de preuve adapté aux maladies psychiques qui ne figurent pas dans les tableaux ?
Pour bénéficier du système complémentaire, il faut exciper d'une incapacité permanente provisoire (IPP) d'au moins 25 %, ce qui constitue un degré de gravité dissuadant des salariés de faire valoir leur droit à réparation. C'est pourquoi nous proposons que le taux d'IPP soit abaissé à un seuil qui ne soit pas dissuasif, car les médecins-conseils ne sont eux-mêmes pas vraiment au clair sur le taux à retenir : doit-il être fixé à 5 % ou 10 % ? En effet, un médecin-conseil n'attribuera jamais un taux d'IPP de 25 % pour une névralgie cervico-brachiale provoquée par la manutention manuelle.
Il existe donc des salariés réellement malades, dont l'état de la science et l'étude des postes de travail permettent de mettre en évidence le lien direct entre la pathologie et l'activité professionnelle, auxquels n'a pas été attribué un taux d'IPP suffisant pour qu'ils entrent dans le système complémentaire.
Il faut par ailleurs créer de nouveaux tableaux, par exemple pour la maladie de Parkinson, qui est reconnue par le régime agricole mais pas par le régime général, ce qui pose la question de la conception même de ces tableaux. Car ils ne sont créés qu'au terme d'un accord qui résulte d'un rapport de force entre classes sociales, celui-ci devenant toujours plus complexe, et non pas en fonction de l'état d'avancement des sciences médicales et de l'observation des situations de travail.
Je répète qu'il faut créer de nouveaux tableaux, non seulement pour les atteintes psychiques, mais aussi pour les polyexpositions. Si la répression pénale a peu évolué, nous observons une modification importante des situations de travail : au XIXe siècle un peintre en bâtiment utilisait presque exclusivement de la peinture au plomb. Aujourd'hui, quel que soit le secteur d'activité, tous les salariés sont polyvalents et plus personne ne fait la même carrière du début à la fin de son parcours professionnel. Cette situation favorise le phénomène de polyexposition spontanée au cours d'une même journée, d'une même semaine de travail ou au cours d'une carrière professionnelle.
Or cette polyexposition ne figure dans aucun tableau. Je donnerai deux exemples.
Les verriers de Givors ont réussi à obtenir la reconnaissance de maladies professionnelles dues aux polyexpositions auxquelles ils avaient été soumis au sein de l'entreprise. Pour ce faire, il a fallu passer par un CRRMP, puis par le tribunal des affaires de sécurité sociale (TASS), qui a demandé un deuxième passage en CRRMP, après lequel il a fallu ester à nouveau devant le TASS, pour enfin aller en appel. On voit à quel point il faut être persévérant ; M. Christian Cervantes est d'ailleurs décédé avant le terme de la procédure que ses ayants droit ont poursuivi.
De leur côté, les dockers de Saint-Nazaire sont soumis à des polyexpositions : ils livrent un combat de titans.
À eux seuls, ces deux exemples sont significatifs de situations concrètes de polyexpositions permanentes des salariés à des produits toxiques. Il faut donc trouver un système de réparation lié à l'obligation de traçabilité permettant aux salariés de savoir à quoi ils sont exposés et pendant quelle durée.
Par ailleurs, nous manquons de médecins du travail, dont le recrutement dépend d'une volonté politique, même s'il faut dix ans pour les former. En outre, aux termes de la loi El Khomri, les médecins du travail doivent donner des alertes écrites, mais cela revient à prendre un risque, particulièrement devant le conseil de l'ordre. C'est pourquoi ils communiquent oralement des informations, éventuellement devant la CARSAT ; ils discutent avec les salariés, les syndicats et l'inspecteur du travail, mais il leur est difficile d'écrire.
En principe, le médecin du travail est le mieux placé pour délivrer le fameux certificat médical initial (CMI) : il connaît le poste de travail et peut demander des examens complémentaires, il a connaissance de l'état de santé du salarié. Il faudrait demander les chiffres précis à la CMAMTS, qui en dispose, mais nous constatons que, dans la majorité des cas, les médecins du travail choisissent de ne pas établir ces certificats initiaux et renvoient vers les médecins traitants, qui, de par leur formation, connaissent mal les affections professionnelles et peuvent ne pas citer le bon tableau, ce qui rend la démarche encore plus complexe.
Ce n'est pas placer le médecin du travail sur le terrain de la réparation que de lui demander d'établir le CMI. À un moment donné, il constate une exposition qui provoque une maladie. Établir le CMI n'est pas très long, mais cela signifie qu'il engage une discussion avec l'employeur et le CHSCT. Dès lors qu'il y a un CMI dans l'entreprise, quelle prévention organiser ? Cela concerne-t-il un ou dix postes ? Cela peut-il se produire dans d'autres sites, l'établissement d'à côté, celui de Moulins, d'Alençon, de Brest, etc. ?
On a souvent voulu séparer la réparation de la prévention, or le médecin qui fait la constatation doit engager le débat avec l'employeur au sujet des mesures de prévention.