Dans l'état actuel de la réglementation, il peut être demandé au médecin de consigner dans le dossier médical les expositions en temps réel lorsqu'il en a connaissance, ce qui n'est pas toujours le cas. La fiche d'entreprise, obligatoire, doit par ailleurs être rédigée soigneusement. Si cela était réalisé, nous aurions fait un pas de géant, car beaucoup de salariés qui réclament leur dossier médical ont la surprise de n'y trouver que des courbes de poids.
S'agissant de l'évolution des connaissances médicales, les études épidémiologiques de grande envergure font évoluer les connaissances médicales. L'attribution du cancer du côlon à l'amiante, par exemple, était contestée : des études récentes la confirment de façon très probante. De ce fait, le nombre des reconnaissances de cancers du côlon par les CRRMP augmente déjà ; l'aboutissement logique serait que cette maladie trouve sa place dans un tableau.
J'ai consulté les travaux du Groupement d'intérêt scientifique sur les cancers d'origine professionnelle (GISCOP 93). Il est temps de mettre en place des dispositifs qui notent sans idées préconçues l'association possible entre tel métier et tel cancer. Lorsque nous disposerons d'un nombre suffisant de cas agglutinés, ce qui ne constitue aujourd'hui que des pistes deviendra des probabilités fortes, voire des certitudes. C'est ainsi que l'on progresse, mais il faut aider ces dispositifs, les financer et les stabiliser ; à défaut nous demeurerons condamnés à tâtonner.
Je souhaite revenir sur un point : je peux entendre que vous ne puissiez pas, dans le cadre de cette commission d'enquête, commenter des décisions de justice ou des procédures judiciaires en cours. Mais autre chose est de dire que vous pouvez réfléchir, dans une optique de renforcement de déclaration des maladies professionnelles, aux moyens de sanctionner les fautes. En l'état, le code pénal est inadapté à la reconnaissance des maladies professionnelles, à leur visibilité sociale et donc à la prévention.
Par analogie, j'évoquerai deux situations prévues par ce code : celle de l'individu bien identifié qui tue volontairement quelqu'un, ce qui constitue un assassinat, et celle de la personne, qui ouvrant ses volets le matin, fait tomber un pot de fleurs sur un quidam, ce qui constitue un homicide involontaire. Il existe une troisième situation qui n'est pas prévue par le code pénal : « Je dirige un grand groupe industriel, je sais que ma matière première est cancérogène et que, si je continue à l'utiliser, je vais provoquer des décès sans savoir si c'est Mohamed, Marcel ou Jeannine qui va succomber. J'en assume pleinement le risque parce que cette production m'est profitable. »
Pour ce type de délit, que l'on peut appeler « crime industriel », qui revêt un caractère collectif car ce n'est pas un individu qui est en cause, mais une collectivité de travail, voire une collectivité d'habitations, le code pénal est-il adapté ? Pourrait-il, au prix de modifications, devenir un outil de prévention ? C'est là une réflexion que la commission d'enquête peut et doit assumer.