Intervention de Yves Struillou

Réunion du mercredi 20 juin 2018 à 18h05
Commission d'enquête sur les maladies et pathologies professionnelles dans l'industrie risques chimiques, psychosociaux ou physiques et les moyens à déployer pour leur élimination

Yves Struillou, directeur général du travail :

Vous m'interrogez sur l'intégration de la question de la santé au travail dans notre action quotidienne. Au risque de paraître naïf, je rappellerai en préalable que la DGT a cent ans. C'est donc une institution et, comme toute institution, elle doit avoir un esprit. Notre mission historique, la plus fondamentale, est de protéger les salariés dans leur travail. Notre direction a été créée pour cela ! Cet « ADN », si j'ose dire, influe donc sur notre façon de penser et sur notre action quotidienne. J'y veille tout particulièrement.

Quand un problème se pose, nous nous devons de l'appréhender sous l'angle des conditions de travail. Par exemple, lorsque nous penchons sur le détachement irrégulier ou illégal de salariés, nous nous focalisons surtout sur les conditions de travail de ces salariés étrangers détachés. Je fais toujours cette mauvaise boutade : « La loi de Newton s'applique à tout le monde, quelle que soit sa nationalité. » Je l'explique parfois de manière assez rude aux Polonais, aux Roumains ou, la semaine dernière, aux Allemands.

Pourquoi donner pouvoir à l'inspection du travail d'infliger des sanctions administratives et d'arrêter immédiatement une prestation ? Parce que des droits fondamentaux sont violés – dont la sécurité des salariés. C'est le cas lorsque des désamiantages ou des travaux de fumisterie sont organisés de manière illicite et sauvage. Le service d'animation territoriale et le groupe national de veille, d'appui et de contrôle, chargé d'aider les services en matière de travail et de détachement illégaux, se penchent régulièrement sur le sujet. Des telles opérations se déroulent nécessairement en fin de semaine – le samedi et le dimanche. Comment évite-t-on qu'elles se répètent dans des conditions dont on sait pertinemment qu'elles ne sont pas satisfaisantes ?

Les bonnes paroles et les bonnes idées ne sont pas suffisantes. Elles doivent se doubler d'une intégration systémique : des groupes de travail doivent intégrer l'ensemble des agents du bureau et, plus largement, tous les agents de l'inspection du travail.

Ainsi, la rédaction du guide sur le burn out a-t-elle été menée en intégrant nos partenaires – ANACT, INRS –, mais aussi les agents de nos services déconcentrés et le bureau RT2 chargé de la négociation collective. Nous avons mis en oeuvre la loi du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l'emploi, dite « loi Rebsamen », puis, plus récemment, des ordonnances réformant le code du travail – comité social et économique, regroupement des négociations par bloc, etc. – en travaillant ensemble et en associant le plus possible les services déconcentrés à l'expertise de la réglementation – c'est parfois complexe quand le calendrier est tendu.

Vous pourrez le constater à la lecture de nos priorités 2018, la prévention des risques professionnels et l'amélioration des conditions de travail sont au coeur de nos préoccupations, tant au sein de l'administration centrale que dans nos services déconcentrés. Jamais il ne sera reproché à un agent de ne pas traiter un dossier parce qu'un accident du travail le contraint à se rendre sur le lieu de l'enquête. Au contraire, s'il n'y va pas, il commet une faute professionnelle.

Ensuite, vous vous posez des questions sur la réforme des services de santé au travail. Comment a-t-elle émergé ? À l'occasion d'un déplacement dans la région Centre-Val-de-Loire, à l'appel de la DIRECCTE et du chef de pôle, j'ai rencontré les personnels d'un service de santé au travail. Ils m'ont expliqué qu'ils ne parvenaient plus à assurer leurs missions, car la présence d'Amazon dans le Loiret créait un tel besoin de visites d'aptitude qu'ils passaient tout leur temps à les réaliser, sans pouvoir agir sur les conditions de travail. Ils constataient aussi que les salariés les plus précaires, notamment intérimaires, ne venaient jamais aux visites de contrôle, ni pendant leur mission, ni entre deux missions.

Ce décalage très important entre la règlementation et la réalité, ajouté aux souhaits des médecins du travail de faire autre chose que des visites d'aptitude, nous a conduit à leur demander de se consacrer davantage à des actions sur les conditions de travail, en se focalisant sur les salariés les plus vulnérables – contrats à durée déterminée et jeunes travailleurs intérimaires.

Vous m'avez interrogé sur le ministère de tutelle : j'avoue que la question ne m'a jamais effleuré. Je ne vois pas comment la médecine du travail pourrait être exclusivement confiée au ministère de la santé. En effet, nous intervenons dans des relations de travail. Il ne s'agit pas de patients, mais d'une relation subordonnée, qui s'accompagne de droits et d'obligations. En outre, en se cantonnant à une approche exclusivement médicale, on ne comprend pas pourquoi un salarié qui a connaissance d'une situation à risque continue à travailler…

Nous possédons et prenons en compte la culture professionnelle. Quand vous visitez un chantier – ma collègue Stéphanie Cours le fait –, vous constatez que certains salariés subliment le risque en affichant une attitude extrêmement « virile » pour le masquer. De même, une photo récente m'est parvenue, d'un ouvrier en claquettes dans une zone désamiantée…Un point de vue strictement médical ne permet pas de régler ces situations.

En revanche, nous devons continuer à travailler avec le ministère de la santé et d'autres ministères, comme nous l'avons fait lors de l'épidémie de chikungunya en France. Le directeur général de la santé a convoqué l'ensemble des administrations – dont la nôtre – et nous avons mis à sa disposition tous les médecins inspecteurs régionaux et médecins du travail, constitués en réseau d'alerte. Ainsi, nous avons pu identifier des contaminations auxquelles nous n'avions pas pensé – au sein d'associations d'accueil de migrants ou de personnes venant d'autres pays par exemple.

De la même façon, le plan d'actions interministériel amiante, géré avec le directeur de l'habitat du ministère du logement, le directeur général de la santé et le directeur général de la prévention des risques, nous contraint aussi à la coordination.

Je me doutais que vous me poseriez une question sur les effectifs de l'inspection, j'ai donc préparé les éléments ! Depuis 2014, nous mettons en oeuvre le projet « ministère fort ». Je le sais, les organisations syndicales revendiquent des effectifs renforcés. Sincèrement, si les arbitrages étaient rendus en ce sens, je ne dirais pas non !

Malgré tout, en 2010, nous disposions de 2 249 agents de contrôle. En 2017, les agents de contrôle – inspecteurs du travail, contrôleurs en phase de formation et inspecteurs – étaient 2 022, soit une baisse de 10 %. En revanche, en intégrant les responsables d'unités de contrôle, dont certains ont des responsabilités effectives de contrôle – et assurent par ailleurs la coordination de l'activité de leurs collègues –, nous sommes à 2 217, soit une quasi-stabilité.

En parallèle, nous effectuions 368 000 interventions en 2010. Sur cette base 100 de 2010, nous sommes aujourd'hui à 70. Il n'y a donc pas de corrélation entre l'évolution des effectifs et celle des interventions. Ces dernières ont diminué de moitié entre 2010 et 2015, du fait de notre réorganisation interne. Une institution qui n'a pas modifié son organisation depuis cent ans a tendance à se replier sur elle-même… Nous avons beaucoup discuté. Mais en tant qu'autorité centrale du système d'inspection, j'ai des comptes à rendre à mes ministres, à l'Organisation internationale du travail et à la représentation nationale, et je ne peux pas dire que c'est satisfaisant.

Certains facteurs expliquent la situation : ainsi la prévention des risques chimique ou amiante est plus complexe à organiser qu'un contrôle sur un chantier. Il faut s'équiper et les appréhensions sont légitimes. Nous essayons de mettre en place des formations.

Face à ce constat d'une sorte de retrait de l'inspection du travail dans son activité de contrôle, j'ai demandé que les contrôles retrouvent leur niveau de 2010 et que les équipes soient sur le terrain ou moyenne deux jours par semaine – la moyenne actuelle étant de dix contrôles par mois et par agent. Après une phase d'introspection et d'interrogations sur nos fonctions – que l'on peut comprendre – et une période d'intense évolution du droit du travail, nous devons retrouver le chemin du contrôle et des entreprises.

Mais nous devons donner du sens à notre action. Ainsi, en Bretagne, dans le Finistère, la DGT appuie une action collective exemplaire qui engage tous les agents du département. Son évaluation est préparée en amont, ce qui est complexe s'agissant des maladies professionnelles – comment d'apprécier l'efficacité d'une intervention ? Combien de maladies professionnelles ont été évitées ?

Les Finistériens ont choisi de se focaliser sur l'amiante et les couvreurs. Ils ont décidé, sans que nous leur imposions rien, d'intégrer à leur projet les salariés, mais aussi les travailleurs indépendants. Une première étape a consisté à interroger les acteurs sur leur niveau de connaissance des risques de l'amiante, en entrant progressivement dans le détail de leur travail.

Certes, la marche est parfois haute entre les connaissances de départ et la situation finale, mais ce type de sensibilisation est souvent efficace pour développer une culture de prévention. En effet, nous ne pouvons être derrière tous les couvreurs. Il est donc important que l'artisan soit conscient des risques pris par ses ouvriers et de la nécessité de gestes professionnels plus sûrs. Sinon, les pathologies professionnelles se développent.

Vous m'avez interrogé sur les tableaux. Je partage votre constat. Cette situation de blocage systématique n'était pas tenable. Les commissions ne fonctionnaient plus du fait de désaccords persistants entre organisations professionnelles et organisations syndicales. Dès qu'un expert était sollicité, il était contesté par les deux parties. Pourquoi ? Parce que la phase d'expertise scientifique – qui détermine s'il y a un lien entre un produit, une posture et une pathologie – était absorbée par la phase « politico-sociale » de définition du délai de prise en charge.

Il fallait que l'État reprenne la main. Depuis plus d'un an, de nouvelles procédures de travail ont été soumises au groupe permanent d'orientation du COCT. Nous nous sommes appuyés sur son président, le professeur Frimat, qui partageait notre point de vue. Désormais, ce qui relève du médical et du scientifique sera mieux séparé du politico-social. En outre, nous avons intégré l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES) comme opérateur scientifique. Ainsi la phase d'expertise ne sera plus remise en cause et elle pourra même être complétée et précisée par les travaux d'organismes scientifiques indépendants.

L'accord est intervenu il y a quelques semaines. Avec cette nouvelle organisation, plus pertinente, nos premiers travaux vont porter sur les pesticides et sur un type de cancer. Même si nous discutons encore de ses moyens avec l'ANSES, nous devrions pouvoir commencer à travailler dès la rentrée.

Deux points clés restent à trancher. En premier lieu, dans les tableaux qui ont donné lieu à des contestations et à des décisions du Conseil d'État – je vous les ai apportées –, peut-on insérer des durées d'exposition dans les conditions de prise en charge ? Le Conseil d'État a répondu par l'affirmative, mais ce point n'est pas consensuel et des désaccords persistent pour certains tableaux.

Le second point concerne les pathologies plurifactorielles et les diagnostics différentiels : la science est capable de distinguer les pathologies professionnelles des autres dans une maladie multifactorielle. Sur la base de cette expertise différentielle, pourrait-on écarter la présomption d'imputabilité, dès lors qu'il serait scientifiquement établi que la pathologie inscrite au tableau n'est pas due à une exposition ?

En l'état actuel du droit, c'est impossible – le Conseil d'État a clairement pris position. Mais le débat est vif sur ce sujet et il nous faudra le conduire.

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