Commission d'enquête sur les maladies et pathologies professionnelles dans l'industrie risques chimiques, psychosociaux ou physiques et les moyens à déployer pour leur élimination

Réunion du mercredi 20 juin 2018 à 18h05

Résumé de la réunion

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La réunion

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L'audition débute à 18 h 05.

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Mes chers collègues, nous achevons nos auditions publiques en recevant les représentants de la direction générale du travail (DGT) : M. Yves Struillou, directeur général du travail, M. Frédéric Tézé, adjoint au sous-directeur des conditions de travail, de la santé et de la sécurité au travail, et Mme Stéphanie Cours, adjointe au sous-directeur du pilotage du système d'inspection du travail.

Aux termes du décret du 22 août 2006, la direction générale du travail prépare, anime et coordonne la politique du travail afin d'améliorer les relations collectives et individuelles et les conditions de travail dans les entreprises, ainsi que la qualité de l'effectivité du droit qui les régit. Elle assure le rôle d'autorité centrale pour les agents de l'inspection du travail et exerce le secrétariat du conseil d'orientation des conditions de travail chargé d'élaborer les tableaux de maladies professionnelles. Enfin, conjointement avec le ministère de la santé, elle exerce la tutelle sur la branche accidents du travail et maladies professionnelles (AT-MP) du régime général.

Conformément aux dispositions de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958, les personnes entendues déposent sous serment. Je vous demande donc, madame, messieurs, de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

Mme Stéphanie Cours, M. Yves Struillou et M. Frédéric Tézé prêtent serment.

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Yves Struillou, directeur général du travail

La direction générale du travail est une administration centrale classique, qui élabore les dispositions régissant les relations de travail, tant sur le plan individuel que sur le plan collectif : c'est l'objet de la sous-direction des relations individuelles et collectives de travail qui regroupe environ 65 personnes. Le deuxième pilier de la DGT – qui compte 223 agents équivalents temps plein (ETP) – est constitué par la sous-direction aux conditions de travail, dont M. Frédéric Tézé assurera dans quelques semaines la direction. Divisée en trois bureaux, elle compte 55 agents.

La DGT a pour particularité d'être aussi l'autorité centrale du système d'inspection du travail, au sens de la convention n° 81 de l'Organisation internationale du travail (OIT). Elle pilote et évalue l'action de l'inspection du travail. J'exerce cette fonction, assisté par le service d'animation territoriale.

Outre la qualité de ses agents, ce qui fait la force de la DGT depuis sa création est sa connaissance du terrain, puisée dans les « notes de quinzaine » que produisent les unités départementales des directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE). Ces notes balaient l'ensemble du champ de compétence de la direction générale et concernent donc aussi bien les relations individuelles, les relations collectives que l'hygiène, la sécurité ou les conditions de travail. Elles nous permettent de saisir la réalité du terrain, dans ses aspects tant positifs que négatifs. Je m'attache à lire toutes les déclarations d'accidents du travail mortels ou graves qui remontent des services déconcentrés. Le dernier accident en date est la chute mortelle de 18 mètres d'un entrepreneur du bâtiment.

Cette connaissance des réalités nous conduit à intégrer leurs évolutions dans la législation. Ainsi, nous avons proposé d'instaurer des sanctions administratives : jusqu'à présent, en matière de santé et de conditions de travail, le contrôle pouvait déboucher sur une modification de la situation, mais en cas de résistance à la mise en conformité légale, nous n'avions d'alternative que de dresser un procès-verbal. Or vous savez combien les procédures pénales peuvent être longues. Cela introduit un décalage entre la nécessité d'intervenir immédiatement et la sanction, qui peut être effective plusieurs années après les faits. L'articulation entre la connaissance du terrain et la conception de la réglementation a permis de mettre en place des sanctions administratives. Outre qu'elles peuvent être dosées par l'administration, celles-ci sont immédiates – c'est le privilège de l'exécution du préalable – et permettent d'intervenir dans des situations imposant une modification rapide de l'existant.

Mais élaborer la réglementation ne suffit pas : encore faut-il s'assurer de son application. Le code du travail doit être un droit vivant, qui s'applique et évolue. Dans le dossier de l'amiante, le Conseil d'État, par une décision de principe de l'assemblée du contentieux sur la responsabilité de l'État, a défini il y a une dizaine d'années les responsabilités de l'administration, plus particulièrement celles de la DGT et de son directeur, censés suivre les évolutions techniques et les évolutions du travail. On ne peut plus accepter de l'administration qu'elle puisse dire au juge qu'elle ne savait pas.

Il faut se mettre en mesure de savoir. Mais comme nous touchons aux évolutions du travail, à la technique, à la science, il se peut que nous ne sachions pas encore. Nous devons donc nous donner les moyens de faire évoluer nos connaissances.

Le drame de l'amiante a constitué un séisme qui a remis en cause, dans le sens positif du terme, l'action de l'administration, notamment celle de la DGT. Il a posé la question de l'efficience d'un système de prévention global, dans lequel s'insère la DGT. La DGT assure en effet la coordination des différents acteurs publics et privés, comme les organismes à gestion paritaire, les caisses régionales d'assurance-maladie (CRAM) et les caisses d'assurance retraite et de santé au travail (CARSAT), afin que leurs actions convergent au profit d'objectifs communs. L'amiante a posé le problème de l'évolution de la réglementation, de son contrôle et de son adaptation permanente. C'est au travers de ce prisme que je présenterai, plus particulièrement dans le domaine de la prévention des maladies professionnelles, l'action de la direction que j'ai l'honneur de diriger.

Les déclarations de maladies professionnelles nous poussent à un constat qui ne peut être que négatif : bien qu'il existe un biais, dû à une meilleure connaissance et à une meilleure prise en charge, le nombre de maladies professionnelles progresse et ne peut que nous interroger sur l'efficacité de notre action.

Pour autant, il ne faut pas occulter l'action quotidienne très difficile de nos services. Il s'agit d'abord de batailler pour certains dossiers avec d'autres administrations et souvent plusieurs interlocuteurs. Je pense notamment au dossier des valeurs limites d'exposition, qui ont forcément des effets sur l'emploi. Il faut en discuter et trouver les voies et moyens qui permettent, sur la base de connaissances scientifiques solides, d'améliorer nos dispositifs de prévention.

Il serait faux de dire que tout est noir dans les actions que mènent quotidiennement les agents de contrôle de l'inspection du travail. Mais les conditions sont parfois très difficiles : ils ne sont pas forcément accueillis avec le sourire, y compris par les salariés, puisqu'ils sont censés créer des problèmes, interrompre les travaux, poser des questions, embêter le monde. C'est toutefois leur fonction, exercée dans le seul souci de prévenir la pathologie ou l'accident.

La culture de prévention, inégalement répartie, est l'un des problèmes auxquels nous nous confrontons – je vous ai cité l'exemple dramatique du chef d'entreprise, qui lui-même n'a pas assuré sa propre sécurité. C'est la raison pour laquelle l'un des axes du troisième plan « Santé au travail » (PST 3) est la prévention primaire. Il s'agit, à l'école, d'apprendre le geste sûr, qui concilie la qualité du travail, dont on doit être fier, la sécurité et la sûreté. Dans ce domaine, nous avons beaucoup à faire.

Je pense que nous ne valorisons pas suffisamment notre action dans le domaine des accidents du travail et des maladies professionnelles. Il n'est pourtant pas évident de repérer, lors d'une visite d'atelier ou de chaîne de montage, des postes spécifiques qui soumettent les salariés à des contraintes susceptibles de déboucher sur des altérations de la santé. Constater un trou sur un chantier est assez facile, mais déceler l'existence d'une sollicitation musculaire ou cardiaque forte peut difficilement se faire sans l'intervention d'autres acteurs. Nos services doivent donc travailler, à l'intérieur de l'entreprise, avec les représentants du personnel, le médecin du travail, l'équipe d'ergonomie. Nos directions régionales comptent par ailleurs des ingénieurs de prévention, qui viennent en appui.

Il nous arrive aussi d'intervenir seuls, notamment sur les chantiers de décontamination de l'amiante. Entrer en zone de décontamination suppose d'avoir suivi une formation et de respecter une procédure contraignante, dont on sait qu'elle s'impose aux salariés quatre à cinq fois par jour. J'estime qu'intervenir en zone de décontamination relève bien de notre mission – je l'ai fait moi-même. C'est un débat que j'ai avec mes organisations syndicales, mais sur ce point, je n'ai pas d'état d'âme : la DGT doit être là où sont les travailleurs. Cela ne signifie pas que nous devions intervenir dans n'importe quelles conditions et ne pas assurer la sécurité de nos propres agents. Quant à l'intérêt d'intervenir pour les salariés, je vous ferai passer une photo qui montre l'un d'entre eux portant des claquettes de plage en zone de décontamination…

La feuille de route que j'ai adressée aux directions régionales définit les actions prioritaires pour l'année 2018, au titre de la prévention des risques professionnels et de l'amélioration des conditions de travail. Deux axes s'en dégagent : la prévention des chutes de hauteur et une action spécifique sur l'amiante, avec des contrôles ciblés.

Nous rencontrons un problème de pilotage du système, en premier lieu parce que le fonctionnement en système n'est pas dans nos habitudes. Nous devons nous efforcer d'agir de manière plus efficace, notamment sur les pathologies et les maladies professionnelles, car ce sont elles qui sont le moins détectables à l'oeil nu. Nous devons donc nous appuyer sur des experts et être capables de mobiliser tout un réseau.

Au niveau national, le PST 3 n'a pas été élaboré dans un bureau de la DGT, mais avec les partenaires sociaux, au sein du groupe permanent d'orientation, lui-même émanation du conseil d'orientation des conditions de travail (COCT). Il a recueilli l'assentiment de toutes les parties : les organisations professionnelles, dont celles des PME, et l'ensemble des organisations syndicales.

Nous étions d'accord sur un constat : nos difficultés tiennent en partie à la culture de prévention, absente ou limitée dans l'organisation du travail, la formation initiale et la formation continue. Nous manquons d'outils pour fédérer les initiatives qui existent en France. Ce pourrait être, par exemple, une école de la santé au travail.

Alerter les employeurs et les salariés sur la prévention est la mère des batailles, une bataille que l'inspection doit mener avec les partenaires sociaux. Il est important que nous portions ensemble le message. Nous avons conscience que nous pouvons nettement mieux faire au niveau national. La réglementation est largement suffisante sur les principes de prévention qui s'appliquent aux maladies professionnelles – pour l'exposition aux risques chimiques, évaluer, expertiser, réduire et supprimer ; il nous reste à progresser dans l'action commune, avec l'ensemble des acteurs. Nous pouvons commencer par supprimer les doublons : l'Institut national de recherche et de sécurité (INRS), l'Agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail (ANACT) et les CARSAT traitent des risques psychosiaux par exemple, et nous avons nous-mêmes publié, avec l'ANACT et l'INRS, un guide : Le syndrome d'épuisement professionnel ou burnout. Mieux comprendre pour mieux agir.

Avec 55 agents, nous n'avons pas la prétention de tout savoir sur tous les risques. Le rôle principal de la DGT est de servir d'aiguillon. C'est le cas du PST 3, que nous instruisons à la mesure de nos moyens. Contrairement à d'autres plans, le PST 3 ne dispose pas de crédits dédiés. En matière d'amiante, le plan d'actions interministériel visant à améliorer la prévention des risques liés à l'amiante (PAIA) bénéficie de crédits pour la connaissance du risque. J'aimerais que nous puissions disposer un jour d'un détecteur de fibres d'amiante, tant la question du repérage est essentielle. Le rôle de la DGT consiste donc à fédérer ces énergies, à faire travailler ensemble les acteurs, à jouer ce rôle d'aiguillon, d'interface.

Je donnerai un exemple, dans un domaine qui n'est pas celui de votre commission d'enquête. M. Frédéric Tézé a fait venir devant le groupe permanent d'orientation du COCT le délégué interministériel à la sécurité routière pour que les partenaires sociaux l'interrogent sur ce que la délégation faisait en matière de prévention – l'accueil a été, disons, modeste. De la même manière, nous avons invité le président de mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives, de façon à réfléchir ensemble sur la culture de la prévention. Les enjeux sont importants : l'accident mortel qui a eu lieu il y a 5 ou 6 ans sur le réacteur EPR a été causé par un grutier qui, sous l'emprise du cannabis, n'a pas entendu les consignes.

Nous disposons d'un cadre stratégique et des outils nécessaires. Nous travaillons sur des sujets opérationnels cruciaux, comme l'exposition aux risques chimiques et la traçabilité de cette exposition. Ce dernier enjeu pose la question de la séparation – une muraille de Chine ? – entre santé au travail et santé publique. Bien que nous entretenions de bonnes relations avec le directeur général de la santé, la question se pose nécessairement. Le professeur Paul Frimat s'est vu confier une mission sur l'exposition aux agents chimiques dangereux et fera des propositions en ce sens. Mais j'avoue avoir du mal à comprendre que l'on puisse avoir des préventions à l'idée de partager avec le médecin du travail, sous réserve de l'accord du salarié, des informations sur l'état de santé présent et passé. Cela ne peut qu'améliorer la prévention globale. De la même manière, nous faisons face, sur le cancer du sein, maladie dont on sait qu'elle entraîne des ruptures du contrat de travail, à un trou noir en matière d'articulation. Comment se fait-il que l'on ne puisse pas orienter les services de santé au travail sur une action prioritaire de prévention ? Certes, il s'agit de santé publique, mais bien souvent, les salariés ne connaissent qu'un médecin préventeur : le médecin du travail.

Ce qui nous manque – et c'est l'objet de la mission confiée à votre collègue Charlotte Lecocq sur la santé au travail –, c'est de revoir un dispositif institutionnel qui comporte des doublons, mais souffre aussi de lacunes. Il nous faut reconsidérer les choses. Sans vouloir négliger la force de frappe que représente le corps de l'inspection, je dirai que les bataillons de la santé au travail se trouvent dans les services de santé au travail. D'autant qu'ils se sont étoffés : la baisse des médecins du travail a été compensée par la progression du nombre d'infirmières et d'ingénieurs de prévention.

Les premières pathologies professionnelles sont les troubles musculo-squelettiques : comment intervenir sur les troubles musculo-squelettiques (TMS), si ce n'est par une action conjointe des services de l'inspection et des services de santé au travail ? Si la prévention est l'une des priorités du PST 3, c'est que la marche, sur le plan culturel, est très haute – sur le plan législatif, le dispositf est à peu près complet. Dans les TPE et les PME, il faut une prise de conscience des salariés et des représentants du personnel pour que la culture de prévention devienne un réflexe dans l'acte quotidien du travail.

Les interlocuteurs doivent aussi se mettre à la disposition, en quelque sorte, des petites entreprises. Sur l'exposition au styrène, par exemple, il n'y a pas de commune mesure entre Bénéteau, qui fabrique d'immenses bateaux, et le petit artisan qui emploie neuf salariés. C'est à lui que l'administration doit accorder la priorité, en lui fournissant les capacités et l'expertise nécessaire pour réduire au maximum les risques.

Voilà, en quelques mots, le paysage. Nous avons beaucoup de travail. Les principes qui avaient été énoncés par Pierre Caloni, le fondateur de l'Organisme professionnel de prévention du bâtiment et des travaux publics (OPPBTP), restent valables. C'est avant le drame qu'il faut agir, mais l'action est parfois compliquée.

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Comment intégrez-vous la question de la santé au travail parmi vos priorités et dans votre action quotidienne ? Nous avons le sentiment que cette question est parfois occultée dans les milieux professionnels. Par ailleurs, nous avons été interpellés à plusieurs reprises sur le fait de savoir quel devait être le ministère de tutelle.

Vous avez parlé du corps des inspecteurs du travail, qui sont sur le terrain. Sont-ils en nombre suffisant pour relever les défis que vous avez évoqués ?

Les tableaux, dont vous assurez le secrétariat, ont suscité beaucoup d'échanges dans cette commission. Les personnes auditionnées précédemment expliquent que l'on se trouve dans une situation de blocage, alors que les données scientifiques justifient une évolution. Quel est votre regard sur l'état actuel de ces tableaux, les blocages et les moyens de progresser en la matière ?

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Yves Struillou, directeur général du travail

Vous m'interrogez sur l'intégration de la question de la santé au travail dans notre action quotidienne. Au risque de paraître naïf, je rappellerai en préalable que la DGT a cent ans. C'est donc une institution et, comme toute institution, elle doit avoir un esprit. Notre mission historique, la plus fondamentale, est de protéger les salariés dans leur travail. Notre direction a été créée pour cela ! Cet « ADN », si j'ose dire, influe donc sur notre façon de penser et sur notre action quotidienne. J'y veille tout particulièrement.

Quand un problème se pose, nous nous devons de l'appréhender sous l'angle des conditions de travail. Par exemple, lorsque nous penchons sur le détachement irrégulier ou illégal de salariés, nous nous focalisons surtout sur les conditions de travail de ces salariés étrangers détachés. Je fais toujours cette mauvaise boutade : « La loi de Newton s'applique à tout le monde, quelle que soit sa nationalité. » Je l'explique parfois de manière assez rude aux Polonais, aux Roumains ou, la semaine dernière, aux Allemands.

Pourquoi donner pouvoir à l'inspection du travail d'infliger des sanctions administratives et d'arrêter immédiatement une prestation ? Parce que des droits fondamentaux sont violés – dont la sécurité des salariés. C'est le cas lorsque des désamiantages ou des travaux de fumisterie sont organisés de manière illicite et sauvage. Le service d'animation territoriale et le groupe national de veille, d'appui et de contrôle, chargé d'aider les services en matière de travail et de détachement illégaux, se penchent régulièrement sur le sujet. Des telles opérations se déroulent nécessairement en fin de semaine – le samedi et le dimanche. Comment évite-t-on qu'elles se répètent dans des conditions dont on sait pertinemment qu'elles ne sont pas satisfaisantes ?

Les bonnes paroles et les bonnes idées ne sont pas suffisantes. Elles doivent se doubler d'une intégration systémique : des groupes de travail doivent intégrer l'ensemble des agents du bureau et, plus largement, tous les agents de l'inspection du travail.

Ainsi, la rédaction du guide sur le burn out a-t-elle été menée en intégrant nos partenaires – ANACT, INRS –, mais aussi les agents de nos services déconcentrés et le bureau RT2 chargé de la négociation collective. Nous avons mis en oeuvre la loi du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l'emploi, dite « loi Rebsamen », puis, plus récemment, des ordonnances réformant le code du travail – comité social et économique, regroupement des négociations par bloc, etc. – en travaillant ensemble et en associant le plus possible les services déconcentrés à l'expertise de la réglementation – c'est parfois complexe quand le calendrier est tendu.

Vous pourrez le constater à la lecture de nos priorités 2018, la prévention des risques professionnels et l'amélioration des conditions de travail sont au coeur de nos préoccupations, tant au sein de l'administration centrale que dans nos services déconcentrés. Jamais il ne sera reproché à un agent de ne pas traiter un dossier parce qu'un accident du travail le contraint à se rendre sur le lieu de l'enquête. Au contraire, s'il n'y va pas, il commet une faute professionnelle.

Ensuite, vous vous posez des questions sur la réforme des services de santé au travail. Comment a-t-elle émergé ? À l'occasion d'un déplacement dans la région Centre-Val-de-Loire, à l'appel de la DIRECCTE et du chef de pôle, j'ai rencontré les personnels d'un service de santé au travail. Ils m'ont expliqué qu'ils ne parvenaient plus à assurer leurs missions, car la présence d'Amazon dans le Loiret créait un tel besoin de visites d'aptitude qu'ils passaient tout leur temps à les réaliser, sans pouvoir agir sur les conditions de travail. Ils constataient aussi que les salariés les plus précaires, notamment intérimaires, ne venaient jamais aux visites de contrôle, ni pendant leur mission, ni entre deux missions.

Ce décalage très important entre la règlementation et la réalité, ajouté aux souhaits des médecins du travail de faire autre chose que des visites d'aptitude, nous a conduit à leur demander de se consacrer davantage à des actions sur les conditions de travail, en se focalisant sur les salariés les plus vulnérables – contrats à durée déterminée et jeunes travailleurs intérimaires.

Vous m'avez interrogé sur le ministère de tutelle : j'avoue que la question ne m'a jamais effleuré. Je ne vois pas comment la médecine du travail pourrait être exclusivement confiée au ministère de la santé. En effet, nous intervenons dans des relations de travail. Il ne s'agit pas de patients, mais d'une relation subordonnée, qui s'accompagne de droits et d'obligations. En outre, en se cantonnant à une approche exclusivement médicale, on ne comprend pas pourquoi un salarié qui a connaissance d'une situation à risque continue à travailler…

Nous possédons et prenons en compte la culture professionnelle. Quand vous visitez un chantier – ma collègue Stéphanie Cours le fait –, vous constatez que certains salariés subliment le risque en affichant une attitude extrêmement « virile » pour le masquer. De même, une photo récente m'est parvenue, d'un ouvrier en claquettes dans une zone désamiantée…Un point de vue strictement médical ne permet pas de régler ces situations.

En revanche, nous devons continuer à travailler avec le ministère de la santé et d'autres ministères, comme nous l'avons fait lors de l'épidémie de chikungunya en France. Le directeur général de la santé a convoqué l'ensemble des administrations – dont la nôtre – et nous avons mis à sa disposition tous les médecins inspecteurs régionaux et médecins du travail, constitués en réseau d'alerte. Ainsi, nous avons pu identifier des contaminations auxquelles nous n'avions pas pensé – au sein d'associations d'accueil de migrants ou de personnes venant d'autres pays par exemple.

De la même façon, le plan d'actions interministériel amiante, géré avec le directeur de l'habitat du ministère du logement, le directeur général de la santé et le directeur général de la prévention des risques, nous contraint aussi à la coordination.

Je me doutais que vous me poseriez une question sur les effectifs de l'inspection, j'ai donc préparé les éléments ! Depuis 2014, nous mettons en oeuvre le projet « ministère fort ». Je le sais, les organisations syndicales revendiquent des effectifs renforcés. Sincèrement, si les arbitrages étaient rendus en ce sens, je ne dirais pas non !

Malgré tout, en 2010, nous disposions de 2 249 agents de contrôle. En 2017, les agents de contrôle – inspecteurs du travail, contrôleurs en phase de formation et inspecteurs – étaient 2 022, soit une baisse de 10 %. En revanche, en intégrant les responsables d'unités de contrôle, dont certains ont des responsabilités effectives de contrôle – et assurent par ailleurs la coordination de l'activité de leurs collègues –, nous sommes à 2 217, soit une quasi-stabilité.

En parallèle, nous effectuions 368 000 interventions en 2010. Sur cette base 100 de 2010, nous sommes aujourd'hui à 70. Il n'y a donc pas de corrélation entre l'évolution des effectifs et celle des interventions. Ces dernières ont diminué de moitié entre 2010 et 2015, du fait de notre réorganisation interne. Une institution qui n'a pas modifié son organisation depuis cent ans a tendance à se replier sur elle-même… Nous avons beaucoup discuté. Mais en tant qu'autorité centrale du système d'inspection, j'ai des comptes à rendre à mes ministres, à l'Organisation internationale du travail et à la représentation nationale, et je ne peux pas dire que c'est satisfaisant.

Certains facteurs expliquent la situation : ainsi la prévention des risques chimique ou amiante est plus complexe à organiser qu'un contrôle sur un chantier. Il faut s'équiper et les appréhensions sont légitimes. Nous essayons de mettre en place des formations.

Face à ce constat d'une sorte de retrait de l'inspection du travail dans son activité de contrôle, j'ai demandé que les contrôles retrouvent leur niveau de 2010 et que les équipes soient sur le terrain ou moyenne deux jours par semaine – la moyenne actuelle étant de dix contrôles par mois et par agent. Après une phase d'introspection et d'interrogations sur nos fonctions – que l'on peut comprendre – et une période d'intense évolution du droit du travail, nous devons retrouver le chemin du contrôle et des entreprises.

Mais nous devons donner du sens à notre action. Ainsi, en Bretagne, dans le Finistère, la DGT appuie une action collective exemplaire qui engage tous les agents du département. Son évaluation est préparée en amont, ce qui est complexe s'agissant des maladies professionnelles – comment d'apprécier l'efficacité d'une intervention ? Combien de maladies professionnelles ont été évitées ?

Les Finistériens ont choisi de se focaliser sur l'amiante et les couvreurs. Ils ont décidé, sans que nous leur imposions rien, d'intégrer à leur projet les salariés, mais aussi les travailleurs indépendants. Une première étape a consisté à interroger les acteurs sur leur niveau de connaissance des risques de l'amiante, en entrant progressivement dans le détail de leur travail.

Certes, la marche est parfois haute entre les connaissances de départ et la situation finale, mais ce type de sensibilisation est souvent efficace pour développer une culture de prévention. En effet, nous ne pouvons être derrière tous les couvreurs. Il est donc important que l'artisan soit conscient des risques pris par ses ouvriers et de la nécessité de gestes professionnels plus sûrs. Sinon, les pathologies professionnelles se développent.

Vous m'avez interrogé sur les tableaux. Je partage votre constat. Cette situation de blocage systématique n'était pas tenable. Les commissions ne fonctionnaient plus du fait de désaccords persistants entre organisations professionnelles et organisations syndicales. Dès qu'un expert était sollicité, il était contesté par les deux parties. Pourquoi ? Parce que la phase d'expertise scientifique – qui détermine s'il y a un lien entre un produit, une posture et une pathologie – était absorbée par la phase « politico-sociale » de définition du délai de prise en charge.

Il fallait que l'État reprenne la main. Depuis plus d'un an, de nouvelles procédures de travail ont été soumises au groupe permanent d'orientation du COCT. Nous nous sommes appuyés sur son président, le professeur Frimat, qui partageait notre point de vue. Désormais, ce qui relève du médical et du scientifique sera mieux séparé du politico-social. En outre, nous avons intégré l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES) comme opérateur scientifique. Ainsi la phase d'expertise ne sera plus remise en cause et elle pourra même être complétée et précisée par les travaux d'organismes scientifiques indépendants.

L'accord est intervenu il y a quelques semaines. Avec cette nouvelle organisation, plus pertinente, nos premiers travaux vont porter sur les pesticides et sur un type de cancer. Même si nous discutons encore de ses moyens avec l'ANSES, nous devrions pouvoir commencer à travailler dès la rentrée.

Deux points clés restent à trancher. En premier lieu, dans les tableaux qui ont donné lieu à des contestations et à des décisions du Conseil d'État – je vous les ai apportées –, peut-on insérer des durées d'exposition dans les conditions de prise en charge ? Le Conseil d'État a répondu par l'affirmative, mais ce point n'est pas consensuel et des désaccords persistent pour certains tableaux.

Le second point concerne les pathologies plurifactorielles et les diagnostics différentiels : la science est capable de distinguer les pathologies professionnelles des autres dans une maladie multifactorielle. Sur la base de cette expertise différentielle, pourrait-on écarter la présomption d'imputabilité, dès lors qu'il serait scientifiquement établi que la pathologie inscrite au tableau n'est pas due à une exposition ?

En l'état actuel du droit, c'est impossible – le Conseil d'État a clairement pris position. Mais le débat est vif sur ce sujet et il nous faudra le conduire.

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Les TMS représentent la part la plus importante des maladies professionnelles. Pour autant, les sous-déclarations semblent massives, entraînant une connaissance et une reconnaissance insuffisantes de ces maladies professionnelles. Qui paie dans ce cas ? Quel est votre sentiment sur ce phénomène de sous-déclaration et quels sont les moyens d'y remédier ? Que faire pour que les maladies professionnelles soient plus reconnues ?

La traçabilité des maladies qui se déclenchent tardivement nous a beaucoup occupés. Vous avez effleuré la question en évoquant les tableaux. Différents outils de traçabilité ont été mis en oeuvre, puis récemment supprimés.

Nous nous posons également des questions sur le lien entre la reconnaissance d'une maladie et l'adaptation des postes de travail qui ont produit ces maladies. Nous disposons désormais de données, qui devraient nous permettre d'intervenir rapidement et de réaliser une prévention efficace. Pour autant, la suppression des causes de ces maladies professionnelles ne nous semble pas suffisamment vigoureuse et rapide.

Ma dernière question concernera le rôle des médecins inspecteurs du travail : ils ne sont pas plus de quelques dizaines sur le territoire, me semble-t-il. Pourriez-vous nous le confirmer ? Comment voyez-vous leur rôle ?

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Yves Struillou, directeur général du travail

Par définition, il est très difficile d'évaluer les sous-déclarations. Historiquement, ces mécanismes étaient classiques dans les petites comme dans les grandes entreprises – quand ils le pouvaient, les salariés accidentés restaient sagement assis sur une chaise dans l'atelier et aucune déclaration n'était faite. J'ai plutôt le sentiment – même si je reste prudent – que certaines grandes entreprises ne s'amusent plus à cela.

Mais le phénomène reste important dans certains secteurs, ceux d'ailleurs où le travail clandestin est lui-même très important. Les signalements que nous recevons viennent souvent d'accidents du travail dans ce type d'entreprises. Ainsi, sur le chantier de Breteuil où les services de l'inspection sont intervenus suite à un accident dont ils avaient été informés par les pompiers, tout était réuni : travail illégal et conditions de travail extrêmement difficiles.

Comment y remédier ? Certes, la voie pénale est toujours possible lorsque l'on peut établir la matérialité de l'accident. En l'espèce, quand des responsables construisent délibérément un système afin d'échapper à toute obligation et quand le pronostic vital des salariés accidentés est engagé, la voie répressive s'impose.

Pour autant, en amont, la connaissance du milieu de travail est fondamentale. La loi du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels, dite « loi El Khomri », réaffirme le droit pour le salarié de voir le médecin du travail – encore faut-il que le salarié le sache. Seule cette connaissance de l'entreprise permet au médecin d'alerter le salarié et les services de l'inspection sur d'éventuelles situations critiques. Ainsi, des sollicitations cardiovasculaires ou musculaires à répétition peuvent entraîner des pathologies liées au travail.

La sous-déclaration peut aussi être le fait du travailleur, car il ne fait pas toujours le lien entre sa pathologie et son travail. C'est pourquoi l'intervention du médecin du travail dans l'entreprise, sa connaissance des postes et ses relations régulières avec le salarié sont importantes.

Vous pourriez me répondre que nous avons distendu ce lien. En réalité, nous avons concentré une ressource rare sur les postes qui imposent une surveillance renforcée. Tous les postes ne nécessitent pas une visite annuelle avec un médecin du travail. Un rendez-vous avec le service de santé au travail ou avec l'infirmier est parfois suffisant pour réaliser des tests. Le temps médical doit être concentré sur ceux qui en ont le plus besoin, car ils se trouvent dans des situations potentielles ou avérées d'exposition.

Les sous-déclarations existeront malheureusement toujours, mais nous devons avant tout permettre aux intéressés de faire valoir leurs droits – y compris quand ils sont en situation illégale – tout en développant une culture de prévention permettant au salarié d'avoir connaissance des situations dans lesquelles il prend des risques.

Vous m'avez également interrogé sur la traçabilité concernant les risques chimiques. Il convient de trouver un équilibre entre le « mieux » et le « possible ». Le mieux, ce serait une approche individualisée et fine de la situation de travail de chaque salarié. Mais ce n'est pas opérationnel… En matière de formation, si vous travaillez une année, vous obtenez un certain nombre de jours de formation. En matière de risques professionnels, la durée et le type d'exposition comptent. Par ailleurs, les critères ne sont pas nécessairement scientifiques – ainsi le seuil de 75 décibels (dB) pour le bruit.

De même, il faut être ergonome pour comprendre le critère d'exposition aux postures pénibles. Les salariés ne travaillent pas dans des laboratoires ergonomiques de l'INRS. Si vous êtes carreleur, comment fait-on pour mesurer votre exposition ? À un moment donné, vous êtes à genoux, puis vous vous retrouvez dans une autre posture tout aussi difficile. Vous intervenez chez un particulier qui aura – ou pas – un ascenseur. Les séquences sont donc très variables d'une entreprise et d'un chantier à l'autre. Dans ce contexte, un certain nombre d'entreprises – notamment dans l'industrie automobile – se sont retrouvées en porte-à-faux parce qu'elles avaient essayé de favoriser la polyvalence des postes.

Sur les produits chimiques, le bon axe, c'est la traçabilité collective. La fiche d'entreprise doit impérativement être établie par le médecin du travail. Or, dans les TPE-PME, elle ne l'est pas assez souvent. Par ailleurs, tout employeur doit réaliser une évaluation des risques. Les grandes entreprises le font, mais pas les TPE-PME. Il nous faut donc progresser et fournir aux chefs d'entreprise, qui en ont la volonté, les moyens de faire cette évaluation directe.

Ce n'est pas si compliqué : un inspecteur du travail expérimenté, aidé d'un médecin de la CARSAT, peut recenser les pathologies et les risques d'accident. Ensuite, grâce à la technologie numérique, même l'employeur de deux ou trois salariés pourra évaluer ses risques.

L'INRS met en ligne des fiches sur la toxicité de chaque produit. Mais les entreprises sont parfois dépourvues sur les moyens de réduire les risques – comment capter les fumées ou les effluents par exemple ? Nous devons encore progresser afin de mettre des informations pratiques à disposition des entreprises et tenter de résoudre ensemble les problèmes techniques.

Par ailleurs, si une exposition à des produits chimiques débouche sur une pathologie professionnelle – de type allergique par exemple – et si l'incapacité dépasse 10 %, elle pourra donner lieu à une mesure d'âge. Cette réparation souligne que l'on ne l'a pas totalement exclu. Enfin, les entreprises de 50 salariés et plus doivent élaborer un plan de prévention et les dix facteurs sont maintenus.

C'est clairement dans ce domaine de l'évaluation des risques que nous avons le plus de progrès à réaliser : même si nous avons perdu quelques compétences, notre technicité et nos savoirs perdurent. Reste à regrouper nos forces. La modification des postes de travail est complexe et notre action doit être continue et pluridisciplinaire, afin d'apporter notre expertise aux chefs des petites entreprises qui n'en ont pas les moyens.

Sur les TMS, l'inspection du travail ne peut agir seule : l'action doit être coordonnée. Il y a une dizaine d'années, j'avais été frappé par la situation de cette entreprise qui fabriquait des camions en Normandie : sur 1 000 ouvriers, 10 % étaient inaptes ! Compte tenu du coût des licenciements, l'entreprise avait décidé d'adapter les postes en mobilisant un budget conséquent et une équipe d'ergonomes. Elle avait classé les postes – du rouge au vert –, investi dans les moins ergonomiques et introduit l'évolution des postes – de rouge à vert – dans les objectifs managériaux.

Vous m'avez également interrogé sur le rôle des médecins inspecteurs régionaux du travail (MIRT). Certes, ils sont peu nombreux, car nous rencontrons des difficultés de recrutement du fait du salaire proposé. Mais leur rôle est primordial : ils sont médecins référents pour les médecins du travail dans leur région ; ils coordonnent et mettent en relation ; ce sont aussi mes relais en termes de santé au travail et de santé publique. J'évoquais le cas du styrène : nous avons demandé au médecin inspecteur de Loire-Atlantique de solliciter les médecins du travail pour vérifier les pathologies et les déclarations de maladie professionnelle.

Vous faites sans doute également allusion à leur intervention dans la contestation des inaptitudes. J'ai voulu et piloté cette réforme. Lorsque j'étais au Conseil d'État, les contestations des avis d'aptitude ou d'inaptitude formulés par le médecin du travail étaient nombreux. Le circuit décisionnel était extrêmement long : la première contestation se faisait devant l'inspecteur du travail, lequel devait prendre l'avis du médecin inspecteur régional. Un recours hiérarchique était ensuite possible. Puis le dossier pouvait être envoyé devant le tribunal administratif, transmis en appel à la cour administrative d'appel, avant d'arriver au Conseil d'État. Pendant ce temps, le salarié avait quitté l'entreprise depuis longtemps…

Quelle était la motivation ? Que la décision de l'inspecteur du travail qui reconnaissait l'inaptitude du salarié soit annulée, afin que le licenciement soit reconnu comme « sans cause réelle et sérieuse ». Le salarié repassait ensuite devant le conseil de prud'hommes, la cour d'appel puis la Cour de cassation !

Nous avons souhaité une intervention plus rapide du MIRT, afin qu'il puisse se prononcer sur un point important : y a-t-il eu – ou non – erreur d'appréciation du médecin du travail sur le diagnostic médical ? Toute personne a droit à un recours : si le médecin du travail estime que vous êtes schizophrène – que la pathologie soit professionnelle ou pas –, vous avez droit à ce recours. Nous avons eu à traiter de ce cas dans une école de musique.

Dans le nouveau système, si le médecin du travail fait un diagnostic, le recours du salarié arrive directement devant les prud'hommes, seuls juges du contrat de travail. Le conseil de prud'hommes fait alors appel à un expert, le MIRT, qui décide en son âme et conscience s'il intervient dans ce processus – on ne l'y oblige pas. La plus-value est réelle : personne ne mettra en cause leur impartialité et leur diagnostic médical ; par ailleurs, vous connaissez les médecins : il vaut mieux que ce soit un confrère qui leur dise qu'ils ont fait une erreur.

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Vous avez évoqué la nécessité de constituer une école de formation à la santé au travail. Comment l'envisagez-vous ? Avez-vous un modèle ou une architecture en tête et quelle serait l'articulation avec les instituts qui existent déjà, en particulier l'Institut national du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle (INTEFP) de Lyon, qui assure une formation très spécifique, notamment pour les inspecteurs du travail mais aussi d'autres agents de votre ministère ? Citant un certain nombre de travaux, notamment le guide sur le syndrome d'épuisement professionnel, rédigé sur l'impulsion de la DGT, vous sembliez dire qu'il y avait des partenaires nombreux. Il y a en effet beaucoup d'institutions dans le paysage. Nous les avons auditionnées et nous savons qu'elles ont toutes leurs spécificités. Nous connaissons bien, vous et moi, l'ANACT, puisque nous siégeons à son conseil d'administration. Que pensez-vous de l'idée d'une rationalisation et d'un regroupement ? Ce sont des organisations qui viennent régulièrement nous voir, au Parlement, et il leur arrive d'ailleurs de nous dire que l'on veut réduire leurs moyens financiers et humains. N'ont-elles pas toutes, en fin de compte, un rôle ou une spécificité qui rendrait difficile leur regroupement ou leur rassemblement dans une même instance ?

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Yves Struillou, directeur général du travail

J'ai volé l'idée d'une école à William Dab, ancien directeur général de la santé, qui a aujourd'hui une chaire de santé au travail, et que vous avez peut-être auditionné. Quand je l'ai entendu en parler, je me suis dit que c'était une évidence. Il ne s'agirait pas d'une école au sens matériel du terme, ayant une personnalité morale, mais plutôt d'un regroupement qui permettrait de dispenser des enseignements pluridisciplinaires, à destination des managers, des professeurs de l'enseignement technique et de divers intervenants. Cette école nous permettrait de nous rencontrer, parce que nous sommes isolés. On doit favoriser les échanges entre médecins, infirmières, membres de commissions « santé au travail », conseillers prud'hommes et magistrats, afin de partager l'immense savoir qui existe. La France a notamment une tradition en ergonomie et en toxicologie. Il faudrait que nous puissions nous réunir dans un amphi ou que l'on organise une journée, ou des journées, de nature pluridisciplinaire, avec une délivrance d'attestations ou de diplômes. Vous savez que le professeur Antonmattei a organisé un diplôme d'université (DU) relatif au dialogue social. Je rêve de formations communes en santé au travail, dans le cadre d'un DU : nous en avons besoin. Quelle est, en effet, la place de la santé au travail dans la culture managériale ? Elle me paraît parfois un peu limitée. Il faudrait notamment travailler avec les organisations professionnelles, la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME) et l'Union professionnelle artisanale (UPA). La CPME a ainsi élaboré un document sur la responsabilité sociale des entreprises qui comporte un volet « travail ».

En ce qui concerne les institutions, vous me permettrez de rester un peu sur la réserve compte tenu de la mission confiée à Mme Charlotte Lecocq. Il faut distinguer la fonction et l'organe. Tous les organismes que vous avez mentionnés ont une fonction bien précise. La question est de savoir si le dispositif, tel qu'il existe aujourd'hui, est encore pertinent. Il a été construit au fur et à mesure des évolutions : il y a l'INRS, qui s'occupe du « dur », l'ANACT, qui date des années 1970 et qui est chargée de l'innovation sociale, mais aussi les services de santé au travail, qui ont été créés en 1946, dans un contexte qui était celui de la tuberculose. Ne peut-on pas réfléchir à d'autres configurations pour assurer une même fonction ? Il existe parfois des enchevêtrements de compétences – je l'ai dit tout à l'heure en ce qui concerne les risques psychosociaux : nous sommes tous en train de travailler sur ce sujet, ce qui pose un problème – je n'ai d'ailleurs pas la prétention de produire le meilleur document dans ce domaine. Il y a également des trous, des failles. L'une d'elles concerne l'intervention opérationnelle. Certaines entreprises ont la volonté d'agir, mais pas les moyens nécessaires, l'art et la technique, par exemple pour mettre en conformité une machine afin de capter les émissions de fumées de soudage. Il faut réfléchir à cette question, mais je n'en dirai pas plus.

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Comme je ne suis pas sûr que nous puissions beaucoup prolonger nos échanges, ce dont je suis désolé, je me contenterai de deux questions complémentaires.

La première concerne l'utilisation des excédents de la branche AT-MP, qui a donné lieu à quelques débats – nous en avons eu des échos. Quel regard portez-vous sur ce sujet ? La tutelle aurait demandé des efforts supplémentaires à cette branche en matière d'organisation, ce qui peut surprendre, pour le moins.

L'externalisation des risques par les grandes entreprises, les grands donneurs d'ordres, est un sujet qui nous préoccupe beaucoup. Quels sont, d'après vous, les moyens que l'on pourrait se donner pour éviter que les risques les plus forts ne soient externalisés, avec les implications que cela peut avoir en termes de sécurité et de santé au travail ? N'y a-t-il pas des dispositions législatives qui pourraient être utiles dans ce domaine ?

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Yves Struillou, directeur général du travail

Sur le premier point, vous comprendrez que je respecte un strict devoir de réserve. C'est la directrice de la sécurité sociale qui traite la question des excédents de la branche AT-MP. Avec votre autorisation, je serai donc sur ce point d'une grande prudence, confinant au silence…

En ce qui concerne l'externalisation des risques, la législation s'est construite au fil du temps, notamment en 1977 et en 1992, en s'axant sur la coactivité. Ce n'est qu'un des éléments de la sous-traitance, mais il est très important : la coactivité induit des risques, comme l'ont montré plusieurs exemples récents. Dans l'explosion qui s'est produite à Dieppe, c'est une opération de maintenance réalisée en fin de semaine qui était en cause. Un plan de prévention doit être élaboré par l'entreprise. S'il y en avait un, concrètement, il n'existait que sur le papier : l'entreprise n'avait pas été prévenue qu'elle interviendrait dans un site classé Seveso et un feu s'est déclenché. Dans l'affaire du silo qui a explosé, il s'agissait aussi d'une opération de maintenance. Même si l'on ne connaît pas encore l'explication, il y a eu une concentration de poussière explosive et une flamme. On pourrait également citer l'effondrement de passerelle qui a fait plusieurs dizaines de morts à Saint-Nazaire. Il faut revoir la législation pour les situations de coactivité. Il y a des trous : dans le cas d'une fan zone, par exemple, il n'y a pas de dispositions imposant à l'organisateur de prendre certaines mesures en matière de risque – non pas pour le public, même s'il y a un lien, mais en ce qui concerne les installations électriques, les échafaudages et la coactivité lors du montage et du démontage. Il existe une lacune.

S'agissant de la sous-traitance en tant que telle, tout existe – la réalité est assez diverse – mais un chef d'entreprise qui externaliserait une fonction dans la seule perspective de la gestion du risque s'exposerait beaucoup. Le dispositif de contrôle s'appuie sur un ensemble de dispositions qui obligent le donneur d'ordres à vérifier que l'entreprise utilisatrice respecte les consignes à suivre lors d'une intervention dans un établissement industriel ou classé Seveso. Il y a aussi la culture de prévention, et ce n'est pas une pirouette de ma part. La question est de savoir quels sont les risques encourus et quel est le coût de l'externalisation, aussi bien sur le plan humain – je pense à l'accident de l'usine AZF de Toulouse –, que juridique et économique. La décision relève du chef d'entreprise. Une disposition réglementaire lui impose de donner des instructions à l'entreprise utilisatrice, qui doit les respecter. On rencontre, bien évidemment, beaucoup de difficultés quand il s'agit d'une sous-traitance très ponctuelle – j'ai évoqué, tout à l'heure, les travaux de fumisterie. Vous avez plus probablement en tête des externalisations très dures, reposant sur un choix économique de recentrage sur ce qui fait la valeur du métier. J'ai le sentiment que c'est moins fréquent qu'auparavant : certaines entreprises veulent plutôt récupérer la maîtrise de leurs processus. Il faut agir sur la culture de prévention et sur l'évaluation des risques, de telle manière que celui qui décide le fasse en toute connaissance de cause.

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J'ai bien entendu ce que vous avez dit sur la pénalisation d'un certain nombre d'actes, et vous avez déjà répondu à une question que je voulais vous poser lorsque vous avez évoqué le temps judiciaire, que l'on ne prend peut-être pas toujours complètement en matière d'interprétation.

La question des tableaux de maladies professionnelles a été abordée tout à l'heure : nous avons besoin d'une réforme qui pourrait notamment passer par une modification et une augmentation du nombre de tableaux. Je voudrais aussi revenir sur les comités régionaux de reconnaissance des maladies professionnelles (CRRMP) et sur leur capacité à reconnaître certaines pathologies qui ne figurent pas toujours dans les tableaux, ainsi que sur le rôle que pourrait jouer l'ANSES pour l'établissement de fiches de reconnaissance dans certains cas précis. Je m'interroge également sur le suivi de l'exposition des travailleurs tout au long de leur carrière.

Enfin, je ne résiste pas à la tentation de vous demander votre point de vue sur la transformation des comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) en comités sociaux et économiques (CSE) ou, éventuellement, en commissions santé, sécurité et conditions de travail (CSSCT) dans les grandes entreprises et celles classées Seveso.

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Yves Struillou, directeur général du travail

Sans vouloir me défausser, permettez-moi de souligner que les CRRMP se trouvent davantage dans l'orbite de la sécurité sociale, même si nous suivons aussi ces structures, qui sont indispensables pour prendre en compte des pathologies professionnelles n'entrant pas dans les tableaux ou pour lesquelles l'une des conditions requises n'est pas remplie. Vous disposez probablement des données statistiques, qui témoignent non seulement de la progression du recours à ces outils mais aussi de leur souplesse, notamment pour la prise en compte des pathologies liées au burn-out – le taux d'acceptation s'élève à 40 % environ, soit bien davantage que la moyenne.

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Frédéric Tézé, adjoint au sous-directeur des conditions de travail, de la santé et de la sécurité au travail

Celle-ci est inférieure à 20 %.

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Yves Struillou, directeur général du travail

Il y a aussi la question du fonctionnement des CRRMP, notamment sous l'angle de la présence des médecins inspecteurs, qui se heurte à un problème de nombre et de limites physiques.

Faudrait-il que l'ANSES donne, en quelque sorte, des lignes directrices ? Je pense que l'on a besoin d'un travail à plusieurs. S'agissant des risques psychosociaux (RPS), la direction générale du travail et celle de la sécurité sociale, qui sont les autorités de tutelle, ont demandé par une instruction de 2012 que l'on prenne en compte non pas un taux consolidé, car c'est assez difficile, mais un taux prévisible, ce qui a permis d'améliorer la prise en charge. L'ANSES a un rôle à jouer, notamment pour la prise en compte de pathologies hors tableaux ou faisant l'objet d'une discussion scientifique, mais elle ne doit pas jouer un rôle exclusif.

Par ailleurs, le fond du problème reste l'actualisation des tableaux de maladies professionnelles. La grande question qui se pose est celle de la création d'un tableau pour le burn-out. Je pense que c'est totalement incompatible avec la logique des tableaux de maladies professionnelles, même si elle peut être contestée. Les tableaux reposent en effet sur une liste de métiers, soit indicative soit limitative. Or tous les métiers seraient concernés : une pathologie de ce type peut frapper, par exemple, vos propres collaborateurs, ou vous-mêmes. Quel serait donc l'intérêt d'un tableau ? C'est plutôt du côté des lignes directrices ou d'un dispositif ad hoc de prise en charge que l'on doit agir.

En ce qui concerne le suivi des expositions, il faut tirer les leçons de l'expérience des fiches individuelles, qui ont d'abord concerné les produits chimiques. Croire que l'on va résoudre le problème de la traçabilité par des fiches d'exposition me paraît une erreur de diagnostic. Il faut une traçabilité mais, à mon sens, elle doit être intégrée dans la démarche d'évaluation des risques professionnels mise en oeuvre par l'employeur, faute de quoi on manquera l'objectif. Cela doit faire partie des risques à évaluer : il faut réaliser un inventaire des postes de travail qui conduisent à une exposition. L'évaluation des risques devant être actualisée de manière permanente, en fonction des produits nouveaux, je pense que c'est le bon vecteur. Il faut un couplage avec la fiche d'entreprise et la connaissance que doit avoir l'équipe pluridisciplinaire réunie autour du médecin du travail. En clair, la fiche d'entreprise élaborée par le service de santé au travail doit comporter la liste des produits, ce qui permet un recoupement. La troisième clef est le partage d'informations sur le dossier médical du patient salarié. On ne résoudra pas tout de cette manière, mais il me semble que ce sont les trois clefs à utiliser, plutôt qu'une fiche individuelle d'exposition. Celle-ci est extrêmement difficile à manier, sauf dans les grandes entreprises mais le problème de la traçabilité des expositions se pose davantage dans les TPE.

J'ai participé, dans ma jeunesse, à la mise en place des CHSCT, à partir de 1983. La France était alors une grande puissance industrielle. La catastrophe de Liévin, aux Charbonnages de France, datait de quelques années. Elle avait fait plusieurs dizaines de morts, et nous étions traumatisés par ce très grave sinistre. Il fallait une institution dédiée pour mettre le pied à l'étrier. J'ai le souvenir de réunions où nous passions en revue, dans le détail, toutes les déclarations d'accidents du travail. Cet exercice était réalisé en commun avec le médecin du travail et l'ingénieur de prévention. Notre pays a évolué, ce qui ne veut pas dire qu'il n'y a plus d'accidents ni de pathologies du travail, mais les effets du droit sont très forts. Les CHSCT sont montés en puissance et, à un moment donné, il y a eu une confusion et parfois une distanciation. Il y avait une confusion lorsque les CHSCT se prenaient pour des comités d'entreprise, en demandant les mêmes informations et en voulant avoir la même voix au chapitre qu'eux, ce qui posait un problème car on dupliquait les informations et les consultations sur un même sujet. Une telle réitération n'a jamais été corrélée à l'efficacité de la prévention. Quid, ensuite, lorsqu'il y avait des projets de dimension nationale à appliquer ? Ce n'est pas qu'il n'aurait pas fallu que l'instance pertinente au niveau de l'établissement se saisisse de la mise en oeuvre, mais on s'exposait à des processus de décision extrêmement longs, parfois parsemés de contentieux judiciaires à répétition, ce qui éloignait le CHSCT de sa mission première, qui est d'agir sur les conditions de travail.

J'ai eu la possibilité de visiter l'usine Renault de Flins, où une expérience sur la qualité du travail est menée depuis plusieurs années par le professeur Yves Clot, avec l'appui de la direction et des organisations syndicales. Cet établissement n'était pas dépourvu, loin de là, de toute représentation ; il y avait même tout : des délégués du personnel, des délégués syndicaux et un CHSCT. Néanmoins, des questions très triviales de conditions de travail et de qualité du travail n'étaient pas prises en compte. La direction a confié une expérience au professeur Clot, sur la base d'un cahier des charges : sur une chaîne, les travailleurs élisent un délégué qui n'est pas nécessairement un délégué syndical, mais qui va discuter avec la maîtrise de tout ce qui ne va pas, et la maîtrise doit ensuite répondre, selon un calendrier de travail. Les sujets abordés vont du nombre de pas pour aller chercher une pièce qui n'est pas à proximité au fait que l'on cale souvent les fenêtres latérales d'un véhicule à grands coups de coude. Tous les feux orange s'allumaient dans l'établissement : des arrêts de travail, des inaptitudes, de l'absentéisme, des grèves perlées, plus ou moins, et une qualité désastreuse. Le chef d'entreprise a fait ses calculs. Je ne dirais pas que tout est rose maintenant – je pense notamment à des conflits sur la question des intérimaires – mais on a au moins donné aux salariés la possibilité de s'exprimer de manière utile et efficace sur les conditions de travail et les gestes. C'est le seul point sur lequel je compléterais le plan « Santé au travail » pour une quatrième édition – le PST4 : il faut lier la qualité de vie au travail et la qualité du travail. Nous avons besoin d'une vision globale.

Je voudrais vous donner un autre exemple, tiré de ce que j'ai vu chez Michelin : vous avez un travailleur âgé qui, à 50 ou 55 ans, a des problèmes de dos, ne dort pas très bien, prend des médicaments et ne supporte plus le travail en trois-huit. Comment traiter la question ? Doit-on le faire par le biais des délégués du personnel ? C'est une question individuelle. On se demande alors s'il y a inaptitude ou non, et reclassement ou non. Si on traite la question sous l'angle exclusif du CHSCT, on raisonne en termes d'organisation du poste – peut-on le conserver et dans quelles conditions ? Mais on peut aussi se placer dans une perspective globale, qui est celle de la stratégie de l'entreprise et de son organisation. C'est là que doit se situer le vrai débat. L'organisation ne doit-elle pas être modifiée pour permettre à la personne de rester au travail, en prévenant ce que l'on appelle aujourd'hui la désinsertion professionnelle, grâce à une action en amont ? Dans l'entreprise dont je vous parle, l'organisation mise en place était responsabilisante. Elle a permis, par un accord entre les salariés, de recaser la personne dans une équipe de jour. La matrice des conditions de travail se trouve dans l'organisation du travail.

Permettez-moi de reprendre ce qu'a écrit Hervé Lanouzière, ancien directeur général de l'ANACT, dans un article que j'ai apporté avec moi : nous avons besoin d'une vision stratégique dans laquelle la question des conditions de travail est posée immédiatement, et non dans un second temps, lorsqu'il y a un projet de réorganisation, industrielle ou autre. Cela correspond à ce que demandait Mme Pénicaud dans son rapport : à tout projet de réorganisation doit être associé un volet humain, touchant aux conditions de travail. Nous avons beaucoup de progrès à faire dans ce domaine.

Cela présente des risques, notamment celui de voir la santé au travail passer au second rang. Mais je pense que cela risque déjà d'arriver, comme le montre l'exemple de Flins, et je rappelle que le législateur a prévu des représentants de proximité. Par ailleurs, les entreprises ont la capacité de maintenir des commissions « santé au travail » et de leur donner des moyens. Il y a le standard fixé par la loi, mais aussi l'accord collectif. Certains accords, comme celui de PSA sur la mise en oeuvre du CSE, donnent des moyens aux représentants de proximité. L'enjeu est de revenir vers le terrain, vers ce qui constitue la matrice des conditions de travail, c'est-à-dire le travail réel, en faisant le lien avec une vision plus stratégique, de telle manière que les questions de santé au travail ne soient pas sous-traitées à une instance spécialisée. Rappelons que la fonction est maintenue : c'est sur l'organe que porte la question. Parfois, quand on estime qu'il n'assume plus sa fonction, ou pas de manière pertinente, il faut en changer, au moyen d'une reconfiguration. L'institution sera ce que les acteurs en feront. L'idéal serait que, à l'occasion d'un projet, le patron du CSE soit interpellé sur la culture de prévention du management, par exemple, et que des réponses soient apportées. On aura alors fait des progrès.

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Une dernière question. Vous avez parlé de la reconnaissance éventuelle des risques psychosociaux. Certains proposent de faire passer le taux d'incapacité minimal de 25 % à 10 % pour ces risques en particulier. Est-ce une piste de réflexion à suivre selon vous ?

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Frédéric Tézé, adjoint au sous-directeur des conditions de travail, de la santé et de la sécurité au travail

Comme M. Struillou l'a expliqué tout à l'heure, nous sommes passés de 100 reconnaissances de burn-out en 2011 à 624 l'an dernier. Cela s'explique notamment par les mesures d'assouplissement qui ont été prises, en particulier l'instruction de 2012 et le fait que la loi de 2015 a permis une meilleure reconnaissance, via les CRRMP. Quand on réalise des comparaisons internationales, on s'aperçoit que la France est plutôt bien placée au niveau européen grâce au système de reconnaissance dit « complémentaire ».

Pour répondre plus précisément à votre question, je pense que cela poserait un problème d'égalité par rapport aux autres maladies qui sont susceptibles d'être traitées dans le cadre des CRRMP. C'est pourquoi nous avons a préféré un système souple, où des psychiatres sont par ailleurs présents à toutes les étapes. Les améliorations qui ont été apportées, notamment en ce qui concerne le fonctionnement des CRRMP et la notion de taux prévisible, expliquent que le nombre de reconnaissances ait été multiplié par six en 6 ans. Quand on compare avec les autres affections, on voit que les RPS ont le plus fort taux de reconnaissance : il dépasse 40 %, alors que la moyenne est inférieure à 20 %. Sur le plan légal, il nous semble difficile de faire une exception. Ce sujet est évoqué chaque année dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale et c'est toujours la position qui est retenue.

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Il me reste à vous remercier pour cette longue et très riche audition.

L'audition s'achève à 19 heures 35.

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Membres présents ou excusés

Réunion du mercredi 20 juin 2018 à 18 heures

Présents. – M. Julien Borowczyk, M. Bertrand Bouyx, M. Pierre Dharréville, M. Régis Juanico, M. Frédéric Reiss

Excusés. – Mme Annaïg Le Meur, Mme Stéphanie Rist, Mme Hélène Vainqueur-Christophe

Assistait également à la réunion. – M. Adrien Quatennens