Intervention de Yves Struillou

Réunion du mercredi 20 juin 2018 à 18h05
Commission d'enquête sur les maladies et pathologies professionnelles dans l'industrie risques chimiques, psychosociaux ou physiques et les moyens à déployer pour leur élimination

Yves Struillou, directeur général du travail :

Par définition, il est très difficile d'évaluer les sous-déclarations. Historiquement, ces mécanismes étaient classiques dans les petites comme dans les grandes entreprises – quand ils le pouvaient, les salariés accidentés restaient sagement assis sur une chaise dans l'atelier et aucune déclaration n'était faite. J'ai plutôt le sentiment – même si je reste prudent – que certaines grandes entreprises ne s'amusent plus à cela.

Mais le phénomène reste important dans certains secteurs, ceux d'ailleurs où le travail clandestin est lui-même très important. Les signalements que nous recevons viennent souvent d'accidents du travail dans ce type d'entreprises. Ainsi, sur le chantier de Breteuil où les services de l'inspection sont intervenus suite à un accident dont ils avaient été informés par les pompiers, tout était réuni : travail illégal et conditions de travail extrêmement difficiles.

Comment y remédier ? Certes, la voie pénale est toujours possible lorsque l'on peut établir la matérialité de l'accident. En l'espèce, quand des responsables construisent délibérément un système afin d'échapper à toute obligation et quand le pronostic vital des salariés accidentés est engagé, la voie répressive s'impose.

Pour autant, en amont, la connaissance du milieu de travail est fondamentale. La loi du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels, dite « loi El Khomri », réaffirme le droit pour le salarié de voir le médecin du travail – encore faut-il que le salarié le sache. Seule cette connaissance de l'entreprise permet au médecin d'alerter le salarié et les services de l'inspection sur d'éventuelles situations critiques. Ainsi, des sollicitations cardiovasculaires ou musculaires à répétition peuvent entraîner des pathologies liées au travail.

La sous-déclaration peut aussi être le fait du travailleur, car il ne fait pas toujours le lien entre sa pathologie et son travail. C'est pourquoi l'intervention du médecin du travail dans l'entreprise, sa connaissance des postes et ses relations régulières avec le salarié sont importantes.

Vous pourriez me répondre que nous avons distendu ce lien. En réalité, nous avons concentré une ressource rare sur les postes qui imposent une surveillance renforcée. Tous les postes ne nécessitent pas une visite annuelle avec un médecin du travail. Un rendez-vous avec le service de santé au travail ou avec l'infirmier est parfois suffisant pour réaliser des tests. Le temps médical doit être concentré sur ceux qui en ont le plus besoin, car ils se trouvent dans des situations potentielles ou avérées d'exposition.

Les sous-déclarations existeront malheureusement toujours, mais nous devons avant tout permettre aux intéressés de faire valoir leurs droits – y compris quand ils sont en situation illégale – tout en développant une culture de prévention permettant au salarié d'avoir connaissance des situations dans lesquelles il prend des risques.

Vous m'avez également interrogé sur la traçabilité concernant les risques chimiques. Il convient de trouver un équilibre entre le « mieux » et le « possible ». Le mieux, ce serait une approche individualisée et fine de la situation de travail de chaque salarié. Mais ce n'est pas opérationnel… En matière de formation, si vous travaillez une année, vous obtenez un certain nombre de jours de formation. En matière de risques professionnels, la durée et le type d'exposition comptent. Par ailleurs, les critères ne sont pas nécessairement scientifiques – ainsi le seuil de 75 décibels (dB) pour le bruit.

De même, il faut être ergonome pour comprendre le critère d'exposition aux postures pénibles. Les salariés ne travaillent pas dans des laboratoires ergonomiques de l'INRS. Si vous êtes carreleur, comment fait-on pour mesurer votre exposition ? À un moment donné, vous êtes à genoux, puis vous vous retrouvez dans une autre posture tout aussi difficile. Vous intervenez chez un particulier qui aura – ou pas – un ascenseur. Les séquences sont donc très variables d'une entreprise et d'un chantier à l'autre. Dans ce contexte, un certain nombre d'entreprises – notamment dans l'industrie automobile – se sont retrouvées en porte-à-faux parce qu'elles avaient essayé de favoriser la polyvalence des postes.

Sur les produits chimiques, le bon axe, c'est la traçabilité collective. La fiche d'entreprise doit impérativement être établie par le médecin du travail. Or, dans les TPE-PME, elle ne l'est pas assez souvent. Par ailleurs, tout employeur doit réaliser une évaluation des risques. Les grandes entreprises le font, mais pas les TPE-PME. Il nous faut donc progresser et fournir aux chefs d'entreprise, qui en ont la volonté, les moyens de faire cette évaluation directe.

Ce n'est pas si compliqué : un inspecteur du travail expérimenté, aidé d'un médecin de la CARSAT, peut recenser les pathologies et les risques d'accident. Ensuite, grâce à la technologie numérique, même l'employeur de deux ou trois salariés pourra évaluer ses risques.

L'INRS met en ligne des fiches sur la toxicité de chaque produit. Mais les entreprises sont parfois dépourvues sur les moyens de réduire les risques – comment capter les fumées ou les effluents par exemple ? Nous devons encore progresser afin de mettre des informations pratiques à disposition des entreprises et tenter de résoudre ensemble les problèmes techniques.

Par ailleurs, si une exposition à des produits chimiques débouche sur une pathologie professionnelle – de type allergique par exemple – et si l'incapacité dépasse 10 %, elle pourra donner lieu à une mesure d'âge. Cette réparation souligne que l'on ne l'a pas totalement exclu. Enfin, les entreprises de 50 salariés et plus doivent élaborer un plan de prévention et les dix facteurs sont maintenus.

C'est clairement dans ce domaine de l'évaluation des risques que nous avons le plus de progrès à réaliser : même si nous avons perdu quelques compétences, notre technicité et nos savoirs perdurent. Reste à regrouper nos forces. La modification des postes de travail est complexe et notre action doit être continue et pluridisciplinaire, afin d'apporter notre expertise aux chefs des petites entreprises qui n'en ont pas les moyens.

Sur les TMS, l'inspection du travail ne peut agir seule : l'action doit être coordonnée. Il y a une dizaine d'années, j'avais été frappé par la situation de cette entreprise qui fabriquait des camions en Normandie : sur 1 000 ouvriers, 10 % étaient inaptes ! Compte tenu du coût des licenciements, l'entreprise avait décidé d'adapter les postes en mobilisant un budget conséquent et une équipe d'ergonomes. Elle avait classé les postes – du rouge au vert –, investi dans les moins ergonomiques et introduit l'évolution des postes – de rouge à vert – dans les objectifs managériaux.

Vous m'avez également interrogé sur le rôle des médecins inspecteurs régionaux du travail (MIRT). Certes, ils sont peu nombreux, car nous rencontrons des difficultés de recrutement du fait du salaire proposé. Mais leur rôle est primordial : ils sont médecins référents pour les médecins du travail dans leur région ; ils coordonnent et mettent en relation ; ce sont aussi mes relais en termes de santé au travail et de santé publique. J'évoquais le cas du styrène : nous avons demandé au médecin inspecteur de Loire-Atlantique de solliciter les médecins du travail pour vérifier les pathologies et les déclarations de maladie professionnelle.

Vous faites sans doute également allusion à leur intervention dans la contestation des inaptitudes. J'ai voulu et piloté cette réforme. Lorsque j'étais au Conseil d'État, les contestations des avis d'aptitude ou d'inaptitude formulés par le médecin du travail étaient nombreux. Le circuit décisionnel était extrêmement long : la première contestation se faisait devant l'inspecteur du travail, lequel devait prendre l'avis du médecin inspecteur régional. Un recours hiérarchique était ensuite possible. Puis le dossier pouvait être envoyé devant le tribunal administratif, transmis en appel à la cour administrative d'appel, avant d'arriver au Conseil d'État. Pendant ce temps, le salarié avait quitté l'entreprise depuis longtemps…

Quelle était la motivation ? Que la décision de l'inspecteur du travail qui reconnaissait l'inaptitude du salarié soit annulée, afin que le licenciement soit reconnu comme « sans cause réelle et sérieuse ». Le salarié repassait ensuite devant le conseil de prud'hommes, la cour d'appel puis la Cour de cassation !

Nous avons souhaité une intervention plus rapide du MIRT, afin qu'il puisse se prononcer sur un point important : y a-t-il eu – ou non – erreur d'appréciation du médecin du travail sur le diagnostic médical ? Toute personne a droit à un recours : si le médecin du travail estime que vous êtes schizophrène – que la pathologie soit professionnelle ou pas –, vous avez droit à ce recours. Nous avons eu à traiter de ce cas dans une école de musique.

Dans le nouveau système, si le médecin du travail fait un diagnostic, le recours du salarié arrive directement devant les prud'hommes, seuls juges du contrat de travail. Le conseil de prud'hommes fait alors appel à un expert, le MIRT, qui décide en son âme et conscience s'il intervient dans ce processus – on ne l'y oblige pas. La plus-value est réelle : personne ne mettra en cause leur impartialité et leur diagnostic médical ; par ailleurs, vous connaissez les médecins : il vaut mieux que ce soit un confrère qui leur dise qu'ils ont fait une erreur.

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