Intervention de Christophe Lannelongue

Réunion du mardi 26 juin 2018 à 8h30
Commission d'enquête sur l'égal accès aux soins des français sur l'ensemble du territoire et sur l'efficacité des politiques publiques mises en œuvre pour lutter contre la désertification médicale en milieux rural et urbain

Christophe Lannelongue, directeur général de l'agence régionale de santé (ARS) Grand-Est :

Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, le système de santé français connaît une crise profonde liée à la démographie médicale, à laquelle le plan d'accès aux soins apporte des réponses structurelles.

Comme vos travaux l'ont montré, cette crise découle d'abord de l'ampleur des départs à la retraite qui vont intervenir les prochaines années. Dans la région Grand-Est, 30 % des généralistes partiront à la retraite dans les cinq ans à venir. Ils seront 40 %, voire près de 50 %, dans certains territoires comme la Haute-Marne.

Ces départs à la retraite sont difficiles à compenser en raison de plusieurs facteurs : des changements générationnels dans les attentes des jeunes professionnels qui aspirent à travailler en équipe et à mieux concilier vie familiale et vie professionnelle ; les défauts des parcours de formation qui restent centrés sur le travail en centre hospitalier universitaire (CHU) en ne mettant pas les jeunes professionnels suffisamment au contact des futures conditions d'exercice de leur métier ; la faible valorisation des soins primaires et du travail en équipe dans le système français de soins ; enfin, le manque d'attractivité de certains territoires.

Cette crise démographique médicale est d'autant plus grave qu'elle intervient à un moment où nous devons faire face à une profonde évolution des besoins de santé de la population qui est elle-même due à des changements démographiques mais aussi épidémiologiques. Il est donc impératif que nous développions davantage la prévention et la promotion de la santé, l'éducation et l'accompagnement des patients, ainsi que la coordination entre les acteurs du système de soins. C'est ce que prévoie la stratégie nationale de santé (SNS) pour améliorer fondamentalement et substantiellement la réponse aux besoins.

Surmonter la crise démographique ne pourra se faire qu'en prenant en compte l'exigence de transformation de notre système de santé. Cette transformation est un défi difficile à relever, mais c'est un défi positif car il permettra à la France de rattraper son retard sur ses voisins et sur les autres pays occidentaux en matière de développement de services de soins intégrés et de travail en équipe.

Je n'évoquerai que rapidement les politiques mises en oeuvre sur lesquelles nous reviendrons certainement plus en détail.

La réalisation du plan d'accès aux soins passe tout d'abord par une mobilisation considérable des acteurs du système de santé au sens large, qui ne sont pas seulement des professionnels de santé. Ce plan repose en effet sur l'idée simple que ce qui importe, c'est la présence médicale dans les territoires ou, en d'autres termes, la capacité à fournir un service de soins à toute la population.

De ce point de vue, le plan d'accès aux soins renouvelle fondamentalement l'approche dominante jusqu'alors, celle d'un remplacement « terme à terme » des médecins partant à la retraite. Cette approche était d'ailleurs illusoire puisque, même en supposant un tel remplacement possible, il ne permettrait pas de répondre à l'évolution des besoins de la population.

Le plan d'accès aux soins met également l'accent sur l'utilisation d'un ensemble de leviers très performants : le développement des stages dans les territoires, celui de l'exercice coordonné sous d'autres formes que les seules maisons de santé, la coopération accrue entre professionnels et la numérisation des services de santé.

Pour la mise en place de la télémédecine, notre pays possède en effet un immense retard sur d'autres pays développés comme la Suisse, l'Allemagne, le Luxembourg et la Belgique, ainsi que nous le constatons quotidiennement dans la région Grand-Est qui représente 40 % de nos frontières nationales. Le développement de la télémédecine va enfin avoir lieu grâce aux décisions qui ont été prises, y compris dans le cadre conventionnel.

La mise en oeuvre de ces mesures intervient à un moment où s'opère un immense effort de structuration des filières hospitalières avec la montée en puissance des groupements hospitaliers de territoire (GHT) qui n'en sont encore qu'à leurs débuts, beaucoup de travail restant à faire pour parvenir à une meilleure organisation des parcours de soins des patients.

Je veux aussi souligner que la réalisation du plan d'accès aux soins nécessite la mobilisation de tous les acteurs dans des territoires de proximité. Avec les collectivités locales, les élus et les professionnels, nous sommes parvenus à la conclusion que le développement d'un territoire passe par des services de santé bien organisés et, réciproquement, que des services de santé bien organisés sont un atout pour un territoire qui, en se développant, attirera de jeunes professionnels.

Ce cercle vertueux consistant à associer dans un territoire les collectivités locales, les élus, les professionnels, l'assurance maladie, l'ARS et d'autres acteurs nous paraît fondamental pour créer les conditions d'une réponse adaptée territoire par territoire. Les ARS s'emploient à parvenir à ce résultat en cherchant à établir des partenariats aux niveaux régional, départemental et infra-départemental à travers tout le territoire avec les politiques de contrats locaux de santé.

La mise en oeuvre des actions du plan d'accès aux soins dans un cadre partenarial et territorial suppose une évolution assez sensible du positionnement des ARS et de l'assurance maladie, que je vais expliquer.

La création des ARS a constitué une avancée importante en permettant de déconcentrer la mise en oeuvre des politiques de santé. Ces dernières années, beaucoup de progrès sur le sujet qui nous occupe ont été réalisés à l'initiative des ARS.

Ainsi, le développement des maisons de santé n'aurait pas eu lieu sans l'engagement massif des ARS. Lorsque je suis arrivé en Bourgogne en 2012, cette région comptait une vingtaine de maisons de santé. À mon départ, fin 2016, elles étaient une centaine, et une cinquantaine d'autres était en projet. En Bourgogne-Franche-Comté, l'action de financement, de coordination et d'accompagnement de l'ARS pour les maisons de santé a ainsi été décisive.

Il en va de même pour la télémédecine et pour d'autres initiatives très innovantes. Celles qui ont été prises les années passées pour développer la télémédecine l'ont toutes été par les ARS avec les moyens financiers non négligeables dont elles disposent.

Le Fonds d'intervention régional (FIR) pour l'ARS Grand-Est, par exemple, est de 330 millions d'euros. C'est peu par rapport aux 10 milliards d'euros de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (ONDAM) pour cette région, mais c'est tout de même un montant significatif, qui permet de soutenir un grand nombre d'initiatives et de projets innovants.

En revanche, l'assurance maladie et les ARS n'ont été que rarement présentes sur le soutien aux initiatives de la médecine de ville : l'assurance maladie, parce qu'elle a une tradition de « payeur » et de contrôle plus que d'accompagnement, et les ARS parce qu'elles ont été initialement créées pour renforcer l'expertise régionale.

Cette conception s'appliquait particulièrement bien à la restructuration des hôpitaux, peu nombreux, qui s'est faite avec un dialogue supposant effectivement une très forte expertise. Mais elle est insuffisante pour promouvoir la transformation du système de santé dans un contexte où il s'agit principalement d'accompagner les acteurs en proximité.

C'est particulièrement vrai pour les régions reconfigurées, comme la mienne, en raison d'un effet de taille : les politiques de santé de la région Grand-Est ne peuvent pas être pilotées depuis Nancy ! Il faut donc une capacité d'action territoriale de l'agence à travers ses délégations locales.

Une des priorités est ainsi d'accroître le rôle des délégations territoriales en leur donnant la possibilité d'intervenir en proximité.

Une autre priorité, elle aussi majeure, est de renforcer nettement les liens entre l'assurance maladie et les ARS. Va être créé à la rentrée de septembre un guichet unique à même d'offrir aux professionnels un accès simplifié et un accompagnement renforcé pour leurs projets. Nous le mettrons en oeuvre pour la région Grand-Est le 1er septembre 2018, avec une structure à trois étages : un site internet, un centre d'appel téléphonique – l'un et l'autre existent déjà, mais ils seront reformatés – et la mise en place dans chaque département d'un binôme associant assurance maladie et ARS, c'est-à-dire le directeur de la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) et un délégué territorial, avec un groupe contact qui rassemblera nos partenaires.

Le dispositif a été testé ces derniers mois à travers ce qui s'appelait le guichet intégré pour la télémédecine et qui fonctionnait selon le même principe. Nous pensons que le guichet unique va permettre d'améliorer fortement l'accompagnement des professionnels.

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