La réunion

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Mardi 26 juin 2018

La séance est ouverte à huit heures quarante.

Présidence de M. Alexandre Freschi, président de la commission d'enquête

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La commission d'enquête procède à l'audition du collège des directeurs généraux des Agences régionales de santé (ARS) : M. Christophe Lannelongue, directeur général de l'ARS Grand-Est.

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Mes chers collègues, nous débutons nos travaux de la matinée avec une audition du collège des directeurs généraux des agences régionales de santé (ARS), représenté par M. Christophe Lannelongue, directeur général de l'ARS Grand-Est, que je remercie de s'être rendu disponible pour nous faire bénéficier de son expertise et répondre à nos questions.

Nous avons décidé de rendre publiques nos auditions. Par conséquent, elles sont ouvertes à la presse et diffusées en direct sur un canal de télévision interne. Elles pourront ensuite être consultées en vidéo sur le site internet de l'Assemblée nationale, et feront l'objet d'un compte rendu écrit.

Monsieur, avant de vous donner la parole pour une intervention liminaire d'une durée de cinq minutes, je rappelle que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. C'est ce que je vous invite à faire.

M. Christophe Lannelongue prête serment.

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Christophe Lannelongue, directeur général de l'agence régionale de santé (ARS) Grand-Est

Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, le système de santé français connaît une crise profonde liée à la démographie médicale, à laquelle le plan d'accès aux soins apporte des réponses structurelles.

Comme vos travaux l'ont montré, cette crise découle d'abord de l'ampleur des départs à la retraite qui vont intervenir les prochaines années. Dans la région Grand-Est, 30 % des généralistes partiront à la retraite dans les cinq ans à venir. Ils seront 40 %, voire près de 50 %, dans certains territoires comme la Haute-Marne.

Ces départs à la retraite sont difficiles à compenser en raison de plusieurs facteurs : des changements générationnels dans les attentes des jeunes professionnels qui aspirent à travailler en équipe et à mieux concilier vie familiale et vie professionnelle ; les défauts des parcours de formation qui restent centrés sur le travail en centre hospitalier universitaire (CHU) en ne mettant pas les jeunes professionnels suffisamment au contact des futures conditions d'exercice de leur métier ; la faible valorisation des soins primaires et du travail en équipe dans le système français de soins ; enfin, le manque d'attractivité de certains territoires.

Cette crise démographique médicale est d'autant plus grave qu'elle intervient à un moment où nous devons faire face à une profonde évolution des besoins de santé de la population qui est elle-même due à des changements démographiques mais aussi épidémiologiques. Il est donc impératif que nous développions davantage la prévention et la promotion de la santé, l'éducation et l'accompagnement des patients, ainsi que la coordination entre les acteurs du système de soins. C'est ce que prévoie la stratégie nationale de santé (SNS) pour améliorer fondamentalement et substantiellement la réponse aux besoins.

Surmonter la crise démographique ne pourra se faire qu'en prenant en compte l'exigence de transformation de notre système de santé. Cette transformation est un défi difficile à relever, mais c'est un défi positif car il permettra à la France de rattraper son retard sur ses voisins et sur les autres pays occidentaux en matière de développement de services de soins intégrés et de travail en équipe.

Je n'évoquerai que rapidement les politiques mises en oeuvre sur lesquelles nous reviendrons certainement plus en détail.

La réalisation du plan d'accès aux soins passe tout d'abord par une mobilisation considérable des acteurs du système de santé au sens large, qui ne sont pas seulement des professionnels de santé. Ce plan repose en effet sur l'idée simple que ce qui importe, c'est la présence médicale dans les territoires ou, en d'autres termes, la capacité à fournir un service de soins à toute la population.

De ce point de vue, le plan d'accès aux soins renouvelle fondamentalement l'approche dominante jusqu'alors, celle d'un remplacement « terme à terme » des médecins partant à la retraite. Cette approche était d'ailleurs illusoire puisque, même en supposant un tel remplacement possible, il ne permettrait pas de répondre à l'évolution des besoins de la population.

Le plan d'accès aux soins met également l'accent sur l'utilisation d'un ensemble de leviers très performants : le développement des stages dans les territoires, celui de l'exercice coordonné sous d'autres formes que les seules maisons de santé, la coopération accrue entre professionnels et la numérisation des services de santé.

Pour la mise en place de la télémédecine, notre pays possède en effet un immense retard sur d'autres pays développés comme la Suisse, l'Allemagne, le Luxembourg et la Belgique, ainsi que nous le constatons quotidiennement dans la région Grand-Est qui représente 40 % de nos frontières nationales. Le développement de la télémédecine va enfin avoir lieu grâce aux décisions qui ont été prises, y compris dans le cadre conventionnel.

La mise en oeuvre de ces mesures intervient à un moment où s'opère un immense effort de structuration des filières hospitalières avec la montée en puissance des groupements hospitaliers de territoire (GHT) qui n'en sont encore qu'à leurs débuts, beaucoup de travail restant à faire pour parvenir à une meilleure organisation des parcours de soins des patients.

Je veux aussi souligner que la réalisation du plan d'accès aux soins nécessite la mobilisation de tous les acteurs dans des territoires de proximité. Avec les collectivités locales, les élus et les professionnels, nous sommes parvenus à la conclusion que le développement d'un territoire passe par des services de santé bien organisés et, réciproquement, que des services de santé bien organisés sont un atout pour un territoire qui, en se développant, attirera de jeunes professionnels.

Ce cercle vertueux consistant à associer dans un territoire les collectivités locales, les élus, les professionnels, l'assurance maladie, l'ARS et d'autres acteurs nous paraît fondamental pour créer les conditions d'une réponse adaptée territoire par territoire. Les ARS s'emploient à parvenir à ce résultat en cherchant à établir des partenariats aux niveaux régional, départemental et infra-départemental à travers tout le territoire avec les politiques de contrats locaux de santé.

La mise en oeuvre des actions du plan d'accès aux soins dans un cadre partenarial et territorial suppose une évolution assez sensible du positionnement des ARS et de l'assurance maladie, que je vais expliquer.

La création des ARS a constitué une avancée importante en permettant de déconcentrer la mise en oeuvre des politiques de santé. Ces dernières années, beaucoup de progrès sur le sujet qui nous occupe ont été réalisés à l'initiative des ARS.

Ainsi, le développement des maisons de santé n'aurait pas eu lieu sans l'engagement massif des ARS. Lorsque je suis arrivé en Bourgogne en 2012, cette région comptait une vingtaine de maisons de santé. À mon départ, fin 2016, elles étaient une centaine, et une cinquantaine d'autres était en projet. En Bourgogne-Franche-Comté, l'action de financement, de coordination et d'accompagnement de l'ARS pour les maisons de santé a ainsi été décisive.

Il en va de même pour la télémédecine et pour d'autres initiatives très innovantes. Celles qui ont été prises les années passées pour développer la télémédecine l'ont toutes été par les ARS avec les moyens financiers non négligeables dont elles disposent.

Le Fonds d'intervention régional (FIR) pour l'ARS Grand-Est, par exemple, est de 330 millions d'euros. C'est peu par rapport aux 10 milliards d'euros de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (ONDAM) pour cette région, mais c'est tout de même un montant significatif, qui permet de soutenir un grand nombre d'initiatives et de projets innovants.

En revanche, l'assurance maladie et les ARS n'ont été que rarement présentes sur le soutien aux initiatives de la médecine de ville : l'assurance maladie, parce qu'elle a une tradition de « payeur » et de contrôle plus que d'accompagnement, et les ARS parce qu'elles ont été initialement créées pour renforcer l'expertise régionale.

Cette conception s'appliquait particulièrement bien à la restructuration des hôpitaux, peu nombreux, qui s'est faite avec un dialogue supposant effectivement une très forte expertise. Mais elle est insuffisante pour promouvoir la transformation du système de santé dans un contexte où il s'agit principalement d'accompagner les acteurs en proximité.

C'est particulièrement vrai pour les régions reconfigurées, comme la mienne, en raison d'un effet de taille : les politiques de santé de la région Grand-Est ne peuvent pas être pilotées depuis Nancy ! Il faut donc une capacité d'action territoriale de l'agence à travers ses délégations locales.

Une des priorités est ainsi d'accroître le rôle des délégations territoriales en leur donnant la possibilité d'intervenir en proximité.

Une autre priorité, elle aussi majeure, est de renforcer nettement les liens entre l'assurance maladie et les ARS. Va être créé à la rentrée de septembre un guichet unique à même d'offrir aux professionnels un accès simplifié et un accompagnement renforcé pour leurs projets. Nous le mettrons en oeuvre pour la région Grand-Est le 1er septembre 2018, avec une structure à trois étages : un site internet, un centre d'appel téléphonique – l'un et l'autre existent déjà, mais ils seront reformatés – et la mise en place dans chaque département d'un binôme associant assurance maladie et ARS, c'est-à-dire le directeur de la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) et un délégué territorial, avec un groupe contact qui rassemblera nos partenaires.

Le dispositif a été testé ces derniers mois à travers ce qui s'appelait le guichet intégré pour la télémédecine et qui fonctionnait selon le même principe. Nous pensons que le guichet unique va permettre d'améliorer fortement l'accompagnement des professionnels.

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Monsieur le directeur général, vous avez commencé votre intervention en disant : le système de santé français va mal. Pourtant, voilà une dizaine d'années qu'ont été créées les agences régionales de l'hospitalisation (ARH), puis les ARS qui, en principe, déconcentrent la mise en oeuvre des politiques de santé du ministère.

Je souhaite d'abord que vous me disiez pourquoi notre système de santé va si mal, ce qui n'a pas été fait pour qu'il se porte plus mal qu'il y a dix ans, et quelles sont les perspectives. Car si je me fie aux réponses que vous avez faites aux questions que nous vous avons adressées, l'état du système de santé français va encore se dégrader.

Ma deuxième question portera sur les attributions respectives des ARS et des préfets. Beaucoup de voix s'élèvent dans les territoires français, chez les professionnels de santé et plus vigoureusement encore chez les élus, pour dire qu'on a créé un État dans l'État. À côté du préfet, censé être le « patron » de l'État dans un département ou une région, on a en effet mis en place un préfet sanitaire, avec un cloisonnement de leurs domaines d'action.

Je fais attention à bien mesurer mes propos, certains de mes collègues ayant une opinion un peu différente. La situation ainsi créée fait en tout cas penser à une piste d'athlétisme comportant deux couloirs dont la ligne de séparation ne doit surtout pas être franchie.

Ma question suivante concerne la complexité qui, au quotidien, s'est créée. Comment comptez-vous faire fonctionner le guichet unique ? Je ne peux que poser la question, pour avoir l'expérience du cas des maisons de santé.

En 2018, dans un monde où tout va vite, il faut en effet deux ans pour qu'une ARS apporte une réponse sur un projet de maison de santé ! Et il faut encore un an pour mettre d'accord la région, le département, le préfet de région s'il y a des fonds européens délégués par le secrétariat général pour les affaires régionales (SGAR), l'ARS, qui vérifie la compatibilité, et l'assurance maladie, qui a aussi son mot à dire. Comment faire pour gagner en fluidité ?

Par ailleurs, êtes-vous favorable à ce que soient prises des mesures visant à réguler l'installation des médecins ?

Enfin, vous avez parlé du problème d'attractivité de l'exercice libéral des professions de santé. Comment expliquez-vous que seulement un médecin sur dix, au sortir de sa formation, s'installe dans le secteur libéral, les neuf autres choisissant le secteur public ou parapublic ?

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Christophe Lannelongue, directeur général de l'agence régionale de santé (ARS) Grand-Est

Si notre système de santé va mal, c'est, comme je l'ai dit, parce qu'on a tardé à anticiper une évolution des besoins, mais aussi parce que les mesures destinées à redonner de l'attractivité à l'exercice en médecine générale et dans les territoires ont été mises en oeuvre trop tardivement.

Il serait faux de dire que rien n'a été fait, mais le système possède une forte inertie. À partir de 2002, le numerus clausus est progressivement passé de 3 000 à 8 000, ce qui signifie que le nombre d'internes en médecine augmente très fortement depuis 2008.

Cependant, les difficultés qu'allait provoquer une formation coupée de ses conditions d'exercice futures n'ont pas été mesurées alors, puisque ces professionnels formés à l'hôpital et en CHU allaient exercer à l'extérieur de l'hôpital et du CHU.

Des stages de deuxième cycle, en troisième et quatrième années, ont été mis en place à partir de 2010, mais ce n'est que très progressivement que la totalité des étudiants ont fait ces stages en médecine générale d'une durée de six semaines. L'ensemble des étudiants de deuxième cycle de la région Grand-Est suit désormais ces stages, mais il n'en va pas de même dans toutes les régions.

On peut aussi évoquer le cas des parcours d'internat. Dans le cadre de l'augmentation générale des quotas, le nombre d'internes de médecine générale a beaucoup augmenté, à peu près la moitié des internes étant aujourd'hui en médecine générale. Mais les parcours d'internat de ces étudiants étaient paradoxalement très peu tournés vers leur futur métier, avec un seul stage en médecine générale.

Il a fallu attendre la réforme du troisième cycle, qui n'a démarré qu'en novembre 2017, pour disposer d'une maquette qui prévoie un parcours d'internat en médecine générale comportant deux stages en médecine générale, un stage en pédiatrie, un stage en gynécologie et un stage aux urgences.

Nous avons aussi commencé à mettre en place des mesures qui vont permettre que les jeunes médecins développent des projets professionnels correspondant aux besoins de santé de la population.

L'écart que vous signaliez entre ce qui est nécessaire pour répondre à ces besoins et, l'effort de formation commence donc à se réduire. Mais c'est un travail de longue haleine. Ainsi, les parcours d'internat supposent que des lieux de stage soient ouverts en médecine générale, en médecine de ville et dans des hôpitaux périphériques. Cela requiert qu'on forme des maîtres de stage qui soient stimulants pour les étudiants qui viendront découvrir chez eux des conditions d'exercice très motivantes.

La première raison de la crise du système de santé français est donc le manque d'anticipation du départ en retraite des médecins de la génération du baby-boom. La deuxième raison est que ce phénomène démographique massif est survenu à un moment où le système de santé est devenu très éloigné des besoins de la population, qui ont beaucoup évolué.

Ce décalage se traduit en chiffres. Par rapport à l'Allemagne, nous dépensons trois points de produit intérieur brut (PIB) de plus pour l'hôpital, ce qui est colossal. Cette différence est due à une meilleure organisation des soins primaires et à une meilleure relation entre soins primaires et hôpital en Allemagne, où les hospitalisations sont ainsi moins nombreuses et moins longues.

En France, ce n'est que très tardivement qu'a été pris le « virage ambulatoire », soit un effort massif pour réduire les durées de séjour à l'hôpital en développant les prises en charge ambulatoires, afin qu'il y ait plus d'hospitalisations à domicile. Il s'agit de faciliter et de fluidifier le rapport entre la ville et l'hôpital de façon à ce que, par exemple, une personne âgée qui quitte l'hôpital puisse être accueillie et suivie à domicile avec une coordination des interventions.

Vous m'avez également interrogé sur la relation des ARS avec les élus et la présence de l'État dans les territoires. Je pense être le porte-parole de mes collègues en disant que les ARS se sont assez facilement installées dans le paysage institutionnel et que les relations avec les préfets se sont généralement intensifiées et améliorées.

Certes, des conflits subsistent mais ils sont exceptionnels. Je pourrais donner l'exemple de ma rencontre vendredi dernier à Bar-le-Duc avec la préfète à l'occasion d'une réunion des élus, des responsables de l'hôpital et de l'ARS…

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Les relations ne sont pas aussi bonnes partout !

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Monsieur le directeur général, vous dites qu'on a fluidifié ces relations. Mais on n'a pas à les fluidifier ! La politique de santé – qui par parenthèse représente le plus gros budget de la France et est même supérieure à celui de la nation – devrait être quelque chose de naturel !

Si je vous ai posé cette question, c'est à cause du cloisonnement dont j'ai parlé. Beaucoup d'élus regrettent l'époque où il y avait seulement un préfet et où un représentant de l'État pouvait être joint à tout moment, y compris le week-end, pour avancer sur tel ou tel sujet.

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Christophe Lannelongue, directeur général de l'agence régionale de santé (ARS) Grand-Est

Avec les délégués territoriaux, la présence des ARS sur le territoire est cependant très forte. On a d'ailleurs pu tester la réactivité des ARS sur des crises et, presque chaque semaine, sur des événements difficiles et imprévus.

J'ai donc l'impression que le partage des responsabilités se fait assez aisément. La création de l'ARS est née de l'idée qu'un cadre de déconcentration était nécessaire dans un contexte où l'assurance maladie était un « payeur aveugle », pour reprendre une expression qu'avait alors employée la Cour des comptes.

Du côté du ministère, l'approche des questions de politique de santé était assez classique et normative. Le ministère, qui reste le principal producteur de lois, de décrets et de circulaires, avait en effet une conception de la politique de santé qui relevait, dirais-je, du shoot and forget : on élaborait des normes et on faisait en sorte qu'elles s'appliquent, mais en recourant à des moyens d'action traditionnels comme le pilotage centralisé des circulaires.

La création des ARS a permis d'avoir un dialogue plus direct avec les acteurs et de les accompagner. Certes, les efforts des ARS ont d'abord porté sur les hôpitaux publics car de leur évolution dépendait la résolution de beaucoup de difficultés du système de santé.

Vous avez par conséquent raison de dire que l'action des ARS a été peut-être surtout centrée sur l'hôpital au détriment de la médecine de ville.

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La situation n'est pas non plus satisfaisante à l'hôpital !

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Monsieur le directeur général, je vous invite à raccourcir vos réponses afin que tous nos collègues aient le temps de vous interroger.

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Christophe Lannelongue, directeur général de l'agence régionale de santé (ARS) Grand-Est

Je suis d'accord avec vous sur le fait qu'il faut raccourcir le temps d'élaboration et de mise en oeuvre des projets. Le guichet unique a cet objectif. Vont aussi être mises en place dans dans la région Grand-Est et dans d'autres régions des conférences de financeurs, qui associeront au niveau du département tous les acteurs participant au financement des projets : le conseil départemental, l'assurance maladie et l'ARS.

Nous devons en effet accompagner les porteurs de projets très en amont, dès le moment où ils ont une idée car, comme ces professionnels travaillent beaucoup, ils manquent de temps pour la faire mûrir. Notre mission est donc de rémunérer le temps qu'ils consacrent à développer et construire ces projets, car il ne pourra y avoir d'évolution du système de santé sans une transformation des pratiques professionnelles, donc sans développement de projets innovants à l'initiative des professionnels.

Quant au manque d'attractivité du secteur libéral, je dirais qu'il est lié au sentiment qu'ont beaucoup de jeunes professionnels de ne pas avoir été suffisamment préparés à gérer un cabinet qui est presque une PME. Ils craignent également que l'exercice libéral soit une difficulté pour travailler en équipe, cet exercice se faisant en effet souvent de façon isolée. Enfin, ils considèrent que des contraintes assez fortes pèsent sur les horaires de travail.

Inversement, beaucoup de jeunes professionnels s'installent en libéral parce qu'ils ressentent l'hôpital comme un lieu de bureaucratie et de contrainte. Si nous devenons capables d'aider les futurs médecins à définir durant leurs études un projet professionnel, nous allons pouvoir progresser très rapidement sur cette question.

Un dispositif appelé « La Passerelle » a été mis en place à Nancy à la rentrée de septembre 2017 : le Conseil national de l'Ordre des médecins a recruté sur financement ARS une chargée de mission qui aide les étudiants en médecine à définir un projet professionnel et les met en relation avec des médecins déjà installés. Son bureau est installé dans les locaux de la faculté, en face du principal amphithéâtre.

C'est ce type d'initiative qui permettra d'éviter qu'un jeune professionnel fasse des remplacements pendant plusieurs années jusqu'à ce qu'il trouve un cadre d'exercice qui lui plaise. Ainsi, il aura la possibilité de faire cette recherche durant ses études.

Je terminerai en répondant à votre question sur la régulation de l'installation des médecins. Je crains que toute mesure de régulation aboutisse surtout à pénaliser encore plus la médecine générale. Les difficultés que rencontre notre pays s'expliquent par le retard que nous avons pris : des pays proches de la France comme l'Allemagne ont organisé les soins primaires il y a vingt ou trente ans, ce qui leur a permis de développer la prévention et l'accès en proximité et de mieux coordonner le travail en équipe.

En recourant à des mesures coercitives de régulation, on risque d'aggraver la dérive du système français qui a consisté à privilégier, dans les modes de rémunération comme dans les modes d'exercice, une médecine de spécialité, une médecine hospitalière.

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Même si, de façon hypocrite, ont été régulées d'autres professions.

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Monsieur le directeur général, vous avez dit qu'il y avait encore beaucoup à faire sur la montée en charge des GHT. Pouvez-vous définir le rôle des ARS dans cette montée en charge ? Et faut-il accélérer le développement des GHT ? Enfin, avez-vous eu un retour sur les évaluations annuelles qui ont lieu actuellement ?

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Dans votre propos introductif, vous avez indiqué que la France est en retard sur ses partenaires européens en matière de coordination de soins, notamment pour la télémédecine et le parcours de soins. Pouvez-vous exposer des exemples de mesures mises en place dans d'autres pays européens qui ont montré leur efficacité et dont nous pourrions nous inspirer ?

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Vous avez souligné avec justesse que les ARS se sont beaucoup occupées de l'hôpital et qu'il importe désormais de renforcer la médecine de ville. Inviter ou inciter les médecins généralistes à devenir maîtres de stage est certainement l'un des moyens à mettre en oeuvre dans ce but. Pourriez-vous nous dire comment les ARS peuvent aider les médecins déjà installés à devenir plus facilement maîtres de stage ?

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Vous avez rappelé l'historique de la création des ARS, qui étaient une nécessité. Notre rapporteur Philippe Vigier a pour sa part évoqué les difficultés de fonctionnement, et parfois de fluidité, au sein des ARS. Je confirme que ces difficultés existent. Ma collègue Gisèle Biémouret m'en a aussi fait part. Monsieur le directeur, soit vous niez et refusez de prendre en compte ces difficultés, soit vous estimez qu'elles existent et, dans ce cas, je souhaite savoir comment vous comptez les aplanir.

Mon impression, qui rejoint celle de beaucoup d'élus, est que les ARS ont un mode de fonctionnement encore trop centralisé. Il y aurait peut-être de ce point de vue une culture à faire évoluer.

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Nous avons parfois assisté à une inflation du nombre des maisons de santé pluridisciplinaires (MSP) alors qu'elles ne sont pas la seule solution. Comme disait l'un de mes confrères du nord de l'Aisne, à quoi bon construire des épiceries vides pour lutter contre la faim en Afrique ?

Aussi voudrais-je savoir si vous préconisez que soit établie conjointement par les unions régionales des professionnels de santé (URPS) et les ARS une cartographie des lieux d'implantation des maisons de santé échappant à la contrainte des élus locaux qui, pour des raisons électorales, veulent tous avoir la leur ?

Dans une optique de bassins de vie, il faut aussi valoriser les initiatives des médecins locaux. Enfin, je souhaite signaler qu'une demande forte des médecins porte sur la revalorisation de la permanence des soins ambulatoires (PDSA) et son exonération de charges fiscales pour les missions de service public, afin que soit respecté le principe du repos compensateur du lendemain.

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Je ne suis pas entièrement d'accord avec mon collègue. Si les élus s'engagent dans la création de maisons de santé, c'est avant tout pour ne pas demeurer impuissants ! Face à une situation complexe, chacun essaie de faire ce qu'il peut, sans arrière-pensée électoraliste. Lorsque je parle avec mes concitoyens, je constate que leur principale crainte est de ne pas pouvoir avoir accès aux soins. Cette préoccupation est aussi celle des élus, non pour se faire réélire mais dans l'intérêt de la population.

Ma question concerne les ARS. Je suis d'une grande région, l'Occitanie, et je comprends que les fusions aient créé des difficultés lors de leur mise en place. Mais les GHT, sur lesquels nous fondions de grands espoirs, n'ont pas permis d'apporter des réponses aux terribles difficultés que rencontrent des hôpitaux. Je suis présidente du conseil de surveillance d'un petit hôpital, l'hôpital de Condom, où ces difficultés ont quasiment atteint le point de non-retour.

Que peuvent faire les ARS devant d'aussi graves difficultés que celles que nous rencontrons, en particulier le manque de médecins urgentistes ou l'insuffisance du dialogue avec les médecins de ville ? En d'autres termes, quelle action pouvez-vous mener pour nous aider à établir des contacts sur les territoires en vue de trouver des solutions ?

On nous répète qu'il faut rencontrer des médecins de ville et leur demander de venir travailler aux urgences. Je peux vous dire que, dans les faits, les choses ne sont pas aussi simples.

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Christophe Lannelongue, directeur général de l'agence régionale de santé (ARS) Grand-Est

L'ensemble des ARS est sur le point d'achever l'élaboration de leur projet régional de santé (PRS). Tous ces PRS comportent une sélection de programmes prioritaires pour l'amélioration des parcours et l'organisation du système de soins.

Les GHT ont élaboré parallèlement des projets médicaux partagés (PMP) pour organiser les filières. Il faut donc réaliser un alignement stratégique entre les politiques régionales et leur traduction dans un territoire, celui du GHT.

Concrètement, une réunion avec tous les porteurs de GHT a eu lieu mercredi dans ma région. On a considéré successivement les filières – périnatalité, cancérologie, gériatrie, urgences, etc. – en regardant pour chacune comment améliorer la cohérence entre les objectifs fixés dans le PRS et leur déclinaison territoriale.

Il est également nécessaire d'intensifier le dialogue afin d'adapter en quelque sorte en continu les projets médicaux partagés. Leur mise en oeuvre nécessite des ressources médicales, donc une relation renforcée avec les CHU. Par conséquent, un dialogue de gestion entre l'ARS et l'assurance maladie, d'une part, et les établissements adhérents du GHT, d'autre part, doit avoir lieu plusieurs fois par an.

Les ARS ont une tradition d'expertise centralisée puisqu'elles ont été créées pour définir et mettre en place des politiques régionales avec une expertise regroupée au siège. À mon avis, la demande de déconcentration interne des ARS, qui est très forte et légitime, ne pourra être satisfaite qu'en revalorisant les délégations territoriales et départementales.

Cette déconcentration passe aussi par une relation différente entre des « Directions métier », comme on les nomme au siège régional, et les délégations territoriales. On lit la phrase suivante dans le projet de l'ARS Grand-Est : « Les directions métier supportent les délégations territoriales, les délégations territoriales supportent la mise en oeuvre de la stratégie de l'agence. » Elle traduit bien l'idée que d'autres modes de travail doivent être mis en place pour faciliter une action territoriale en proximité.

L'assurance maladie doit également s'organiser dans un cadre régional avec un meilleur partage des responsabilités entre l'échelon régional de l'assurance maladie, la direction régionale du service médical (DRSM), la direction de la coordination de la gestion du risque (DCGDR) et la CPAM.

Concernant les MSP, vous avez eu raison de dire qu'elles ne constituent pas l'unique solution pour pallier le manque de médecins. Elles seront même une solution plus compliquée à mettre en oeuvre dans les années à venir, parce qu'elles se sont développées plutôt dans le monde rural et que leur implantation actuelle dans les grandes villes est fortement freinée par la difficulté à y monter des projets immobiliers.

La nouvelle génération de professionnels de la santé ne veut pas prendre en charge un travail de promoteur. Ce travail implique en effet une gestion d'autant plus lourde que, dans les grandes villes, les MSP sont de très grosses unités.

À la campagne, les MSP réunissent entre 10 et 20 professionnels, mais en ville ce sont souvent 30, 40, 50, voire 60 professionnels. Les coûts d'opération ne sont pas non plus les mêmes : dans un territoire rural, construire une maison de santé coûte entre 500 000 et 2 ou 2,5 millions d'euros ; en ville, on atteint souvent 4 ou 5 millions d'euros et, comme les constructions se font dans un tissu urbain très dense, construire ou rénover y est fort complexe.

Pour assurer le développement des MSP, il nous faut donc trouver les moyens de mieux accompagner les professionnels de santé, notamment en faisant intervenir des investisseurs et des gestionnaires qui leur permettent de ne pas être en première ligne sur ces missions.

Mais à court terme, pour les cinq ou dix ans à venir, le changement viendra moins du développement des maisons de santé que du travail en équipe « hors les murs » de professionnels ayant décidé de s'associer pour améliorer la prise en charge des patients.

Il est possible d'accompagner ces professionnels en mesurant les améliorations qu'ils apportent et en les encourageant à progresser encore. C'est ce que font les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS). Une quinzaine de CPTS sont en cours de développement dans la région Grand-Est, certaines régions étant plus avancées comme la Normandie et Centre-Val-de-Loire, alors que d'autres commencent seulement à les mettre en place.

Les CPTS permettent à des professionnels de se rencontrer sur des objectifs concrets : l'amélioration de l'offre de soins non programmés, celle de la prise en charge des personnes âgées en lien avec les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) et l'hôpital, ou l'amélioration de la prise en charge de la souffrance des adolescents en leur permettant de rencontrer plus facilement des psychologues, entre autres.

Ces objectifs sont ciblés et concrets. On tire en quelque sorte un fil, et ce fil va permettre de mettre en oeuvre une coopération qui en donnant des résultats va créer une dynamique de développement professionnel dans un territoire.

Cette dynamique est particulièrement importante pour l'accès aux soins spécialisés. On ne parle pas assez de l'amélioration de l'accès aux soins spécialisés en ophtalmologie, cardiologie, dermatologie, gérontologie ou psychiatrie, dont l'enjeu est aussi important que celui du renforcement des soins primaires. La mise en place des CPTS facilitera l'accès aux soins spécialisés en permettant la mise en relation de professionnels et l'intervention de paramédicaux, notamment grâce à la télémédecine.

La pénurie d'ophtalmologistes est souvent mise en avant. Mais moins de 30 % des ophtalmologistes ont rationalisé le partage des tâches et travaillent avec un orthoptiste, et ceux qui travaillent avec un orthoptiste en télémédecine pour des soins spécialisés à distance sont encore moins nombreux.

Vous avez évoqué avec raison l'intérêt des cartographies d'implantation des MSP pour le développement de l'exercice coordonné. Ces cartographies sont particulièrement nécessaires en ville, où les décisions recoupent les choix de développement urbain, notamment concernant l'accès des patients aux réseaux de transport. Mais elles sont également nécessaires à la campagne pour réguler la relation entre les élus et les professionnels et les aider à faire ensemble des choix de renforcement de structures qui soient cohérents.

Dans un territoire, on va ainsi commencer par renforcer un cabinet, une MSP, puis on va ouvrir une antenne de la maison de santé qui accueillera deux ou trois après-midi par semaine des personnes en proximité, un médecin venant de la maison de santé pour des consultations.

Cette formule me paraît propre à concilier les exigences de travail en équipe, de renforcement et de proximité, comme cela a été fait dans la Meuse. L'implantation d'une vingtaine de maisons de santé dans ce département de 200 000 habitants majoritairement rural est en effet un exemple de ce qu'il nous faut faire. Ces MSP constituent un modèle non par leur nombre mais parce qu'elles sont par grappes : j'entends par là qu'il y a toujours une « mère » et une « fille », la « mère » ayant créé une « fille » qui facilite à son tour l'accès en proximité à travers des antennes, des plages de consultation, etc.

Élaborer dans tous les territoires des schémas cibles de renforcement des soins de proximité en cherchant des compromis dynamiques entre les élus et les professionnels est donc effectivement une priorité.

Vous avez parlé de l'aide que peuvent apporter les URPS. Comme vous, je pense qu'il faut plus mobiliser les pairs, légitimes pour apporter un accompagnement en proximité. Nous avons d'ailleurs passé une convention avec l'URPS Médecins et avec l'URPS Pharmaciens, et il est prévu que soient payés trois permanents supplémentaires à l'URPS Médecins pour réaliser ce travail d'accompagnement.

D'autres régions s'appuient sur les fédérations des maisons de santé. Cependant, je vous rejoins tout à fait car le rôle des pairs est essentiel chaque fois qu'il s'agit de faire définir un projet par un groupe de professionnels.

J'arrive à la question sur la revalorisation de la PDSA. Une grande préoccupation des ARS est de parvenir à créer une PDSA dans la journée. L'une de nos principales priorités est en effet d'améliorer l'offre de soins non programmés de façon à soulager les services d'urgence.

Je salue le travail réalisé par votre collègue Thomas Mesnier qui, avec son rapport sur l'organisation des soins non programmés dans les territoires, a ouvert des perspectives. Je n'y reviendrai pas, mais je dirai juste que la revalorisation de la PDSA, qui est en effet nécessaire, devra se faire à partir d'une vision générale de ce qu'est l'accès aux soins.

Vous m'avez demandé ce que peuvent faire les ARS. Leur rôle est de mettre les acteurs autour d'une table et de les faire travailler dans une approche concrète. Ainsi, l'ARS Grand-Est est en train de mettre en place dans six grandes villes de la région des groupes de travail réunissant des représentants de l'hôpital, des EHPAD et de la médecine de ville pour réfléchir aux moyens d'améliorer la réponse aux urgences, d'assurer les soins non programmés et de renforcer le lien entre les EHPAD et l'hôpital, entre autres.

C'est la mission fondamentale des ARS ainsi que leur rôle d'avenir d'accompagner les projets et de contribuer à réaliser des formes de décloisonnement et de mise en relation.

Je terminerai sur le rôle des élus dans la création de maisons de santé. Dans un territoire, il faut que s'opère une conjonction des bonnes volontés en termes de développement territorial mais aussi de développement du service de santé. C'est en parvenant à établir un dialogue efficace qui fasse comprendre aux uns et aux autres qu'il n'y a pas opposition entre le développement territorial et celui des services de santé, mais qu'il y a au contraire convergence, qu'on réussit. Faire en sorte que ce dialogue ait lieu est le rôle de l'ARS.

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Monsieur le directeur général, quand vous dites que le rôle d'une ARS est d'accompagner les initiatives, je ne vous suis pas : sa fonction est de mettre en place une stratégie régionale de santé. C'est à l'administration que revient la responsabilité de décider la stratégie de santé !

Les élus locaux se trouvent trop souvent dans la situation de devoir décider à la place de l'administration. Je ne peux que répéter ce que j'ai déjà dit : lorsque les responsabilités aujourd'hui confiées aux ARS relevaient des préfets de région ou des préfets de département, il y avait unicité de l'État, et on ne peut que regretter la dichotomie qui s'est installée.

Ma deuxième remarque portera sur les projets médicaux partagés. À aucun moment vous ne nous avez expliqué comment ville et hôpital vont travailler ensemble. Car, je le redis, le système de santé fonctionnera mal tant que nous aurons ainsi, dans deux couloirs, d'un côté la médecine de ville et de l'autre la médecine hospitalière.

Je serai demain, à Vierzon, non loin de Bourges. L'hôpital de la ville de Bourges, préfecture du département du Cher, va devoir recourir à la réserve sanitaire, c'est-à-dire à des médecins qui ne sont même pas inscrits au tableau de l'Ordre des médecins !

Au sujet des GHT, je voudrais aussi savoir pourquoi certains de vos collègues refusent toute perméabilité du public et du privé. Un GHT, ce sont des filières de soins, peu importe par conséquent la classification en public ou privé, du moment que le patient est pris en charge avec la plus grande efficience. Dans ces conditions, pourquoi ce refus, d'ailleurs en contradiction avec ce que le Premier ministre a dit en octobre dernier à Châlus, lorsqu'il a expliqué qu'il fallait développer les consultations avancées ?

Vous avez parlé à un moment de l'inertie de l'administration. Mais l'administration, ce n'est pas nous ! Je ne dis pas cela contre vous, évidemment. Mais il faut que vous entendiez comment ces blocages sont ressentis.

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Christophe Lannelongue, directeur général de l'agence régionale de santé (ARS) Grand-Est

Comme je l'ai dit, un projet régional de santé est en cours de finalisation dans toutes les régions. Or, ces PRS ont été construits sur la base de la stratégie nationale de santé qui constitue une première puisqu'auparavant il n'en existait pas. Depuis décembre 2017, nous disposons donc d'une stratégie comportant quatre axes majeurs qui se trouve déclinée dans les PRS.

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Monsieur le directeur général, excusez-moi de vous interrompre. Le Premier ministre a dit quelque chose qui m'a paru frappé au coin du bon sens lorsqu'il a déclaré dans son discours que la stratégie de santé doit partir des territoires.

Le siège de l'ARS Grand-Est se trouve, je suppose, à Strasbourg.

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Christophe Lannelongue, directeur général de l'agence régionale de santé (ARS) Grand-Est

À Nancy.

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Ce n'est pas depuis votre bureau de Nancy et en réunissant les parlementaires d'une région deux fois par an que vous pourrez mener une stratégie régionale de santé ! Vous n'y parviendrez qu'en procédant territoire par territoire et en partant de projets territoriaux, pour rassembler dans un second temps tous les projets.

À l'inverse de ce que font les PRS, une stratégie de santé devrait s'appuyer sur les acteurs d'un territoire, sur ce qu'ils sont capables de mettre en place. Le rôle du directeur de l'ARS, mais aussi du préfet, est d'examiner avec les élus leur projet en montrant ses insuffisances et en assurant sa cohérence.

Permettez-moi une dernière remarque sur les PRS. Le projet régional de santé de ma région, le Centre-Val-de-Loire, a été désapprouvé par l'ensemble des élus du conseil régional, toutes sensibilités politiques confondues. C'est grave, car cela signifie qu'à l'échelle d'une région la volonté de tous les élus du peuple s'est trouvée bafouée par le projet qu'une administration nous a imposé sans qu'il nous ait été seulement possible d'y apporter des modifications.

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Christophe Lannelongue, directeur général de l'agence régionale de santé (ARS) Grand-Est

Monsieur le député, mon impression est entièrement différente.

Le PRS de la région Grand-Est a été adopté à la quasi-unanimité par la conférence régionale de la santé et de l'autonomie (CRSA), avec une abstention et une voix contre, ainsi que par le conseil régional. Pour ce dernier vote, je n'ai plus les chiffres en tête mais je crois me rappeler que seuls deux ou trois conseillers régionaux s'y sont opposés. Ce PRS a également été approuvé par neuf conseils départementaux sur dix et par toutes les grandes métropoles de la région. Je n'ai donc aucunement le sentiment que les politiques régionales de santé soient contestées.

Vous avez cependant raison sur un point : ces politiques régionales n'ont de sens que si elles débouchent sur une capacité d'action en proximité et sur le terrain. Pour l'illustrer, je vais vous prendre un exemple que nous mettons souvent en avant et qui constitue en quelque sorte un cas d'école.

J'ai sous les yeux le schéma cible de renforcement de l'offre de soins de proximité prévu par le Plan d'action de la communauté de communes de la région de Rambervillers, qui regroupe une trentaine de communes pour 14 000 habitants. Celui-ci s'inscrit dans le plan « Vosges Ambitions 2021 » élaboré sous l'égide du président du conseil départemental.

Ensemble, avec les élus et les professionnels de ce territoire, nous avons mis en oeuvre des mesures très concrètes, comme le développement des stages en ambulatoire ou encore celui de l'exercice coordonné en facilitant l'adhésion de la MSP de Rambervillers à l'accord conventionnel interprofessionnel (ACI) afin de la faire bénéficier des aides de l'assurance maladie. Nous avons aussi accompagné la révolution numérique, deux EHPAD, une MSP et deux médecins généralistes allant se regrouper pour faire émerger un projet de télémédecine.

Nous avons encore rencontré les médecins de Rambervillers en vue de promouvoir la création de postes d'assistants partagés ville-hôpital et de médecins adjoints, et nous avons développé les coopérations entre professionnels de santé, avec un orthoptiste qui exerce au sein de la maison de santé où est installé un rétinographe.

Je pourrais également citer le dispositif « Action de santé libérale en équipe » (ASALEE) que nous allons étendre, le guichet unique pour les professionnels de santé affiché auprès du territoire, la coordination renforcée entre l'ARS et l'assurance maladie, etc.

Je ne peux donc qu'être d'accord avec vous lorsque vous dites que la transformation du système de santé, les solutions pour résoudre la crise démographique médicale et la réponse aux besoins de santé passent par un travail sur le terrain avec les acteurs.

Concernant la question du rapprochement de l'hôpital avec le secteur privé, je ne vois pas quel problème pourrait poser le fait que des hôpitaux publics réfléchissent entre eux sur les moyens d'un meilleur partage des activités tandis que serait développée la complémentarité de l'hôpital et du privé. L'an dernier, nous avons installé la clinique privée au coeur de l'hôpital public à Saint-Dizier. Nous l'avons également fait à Chaumont et nous allons le faire à Châlons-en-Champagne avant novembre 2018.

Nous nous efforçons donc de maximiser la complémentarité entre l'hôpital public et les cliniques privées. Car une bonne organisation de l'hôpital public, avec des filières et un partage des activités entre les sites, n'empêche aucunement de rechercher cette complémentarité, par exemple sur la chirurgie ou sur les soins de suite et de réadaptation (SSR).

Le développement des consultations avancées est également souhaitable. La télémédecine va faciliter l'accès aux soins spécialisés mais une consultation avancée dans une maison de santé ou dans un hôpital de proximité restera dans certains cas absolument nécessaire.

Pour ce faire, il va falloir surmonter beaucoup d'habitudes, voire de mauvaises habitudes, et en particulier faciliter le déplacement des médecins plutôt que celui des patients. Les maisons de santé et les EHPAD peuvent constituer un cadre pour la mise à disposition de professionnels sur le terrain.

Le lien entre ville et hôpital s'avère crucial, notamment pour la prise en charge des personnes âgées. En effet, beaucoup de problèmes se posent en sortie d'hôpital pour les personnes âgées, avec des réhospitalisations fréquentes, et nous peinons aussi à diminuer les hospitalisations de ces personnes, particulièrement les hospitalisations en urgence.

De façon générale, on constate que le travail sur les filières et les parcours est très difficile sur les cas complexes – les personnes âgées mais aussi les enfants, les adolescents ou les personnes en situation de précarité.

Des plateformes territoriales d'appui (PTA) sont en train d'être mises en place pour prendre en charge les cas complexes. La région Grand-Est sera par exemple couverte de plateformes territoriales d'appui d'ici trois ans. Plusieurs fonctionnent déjà au nord et au sud de l'Alsace ainsi qu'à Reims, et une autre s'apprête à fonctionner dans les Vosges.

Ces plateformes permettent d'embaucher des coordonnatrices spécialisées qui font, pour le compte d'un médecin généraliste, des interventions et de la gestion de cas difficiles. Elles font aussi le lien entre tous les professionnels d'un territoire, dont l'hôpital.

Cette difficulté à mettre en place des soins de proximité et à articuler soins primaires et soins spécialisés est la principale faiblesse du système de santé français. Mais je crois que les nombreuses initiatives en cours vont porter leurs fruits.

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Vous avez parlé des outils juridiques mis en place et des importants financements engagés pour la réforme du système de santé français. Vous avez aussi décrit un système inerte et cité des mesures destinées à l'amender, comme le guichet unique.

Pensez-vous qu'il manque aux ARS un levier qui leur permette d'être un contrepoids à des pouvoirs les empêchant d'organiser efficacement les soins sur le territoire ? Ou au contraire disposez-vous, avec la stratégie nationale de santé et sa déclinaison régionale, de tous les moyens pour réussir cette organisation ?

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J'ai relevé pas moins de quinze mesures pour favoriser l'installation des médecins en zones déficitaires. Ces mesures sont utiles, mais n'y en a-t-il pas trop ? On peut d'ailleurs penser que le guichet unique va jouer un rôle de simplification et de clarification.

Je souhaiterais connaître le nombre de médecins qui ont bénéficié ou qui bénéficient de ces aides. J'aimerais aussi savoir si nos voisins européens rencontrent des difficultés semblables aux nôtres pour organiser des soins sur le territoire.

Enfin, pourriez-vous nous dire quelle est la bonne échelle pour les maisons de santé ? Dans mon département, qui est majoritairement rural, la décision de créer des MSP est surtout venue des communes mais le département envisage aussi de salarier des médecins. Selon vous, vaut-il mieux que l'organisation des soins primaires et des soins de spécialité sur les territoires soit confiée aux médecins libéraux ou aux collectivités ?

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Je ne reviendrai pas sur le bilan des ARS. On sait qu'une partie de leurs missions a été parfaitement remplie, mais que les résultats ont été plus contrastés sur d'autres plans, notamment en ce qui concerne l'équilibre de l'offre de soins sur le territoire.

Ma question portera sur la stratégie de santé. J'ai été très heureux d'entendre qu'une stratégie était mise en place depuis l'automne dernier. Quels freins l'empêchent de se déployer efficacement ? Et n'a-t-elle pas été mise en oeuvre trop tard ? Enfin, pensez-vous possible de trouver rapidement une solution pour faire face à la situation d'urgence qu'est la désertification médicale dans nos territoires ?

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Christophe Lannelongue, directeur général de l'agence régionale de santé (ARS) Grand-Est

L'une de vos questions porte sur les moyens et l'efficacité des aides à l'installation. Nous nous occupons actuellement de l'application de la convention de 2016 à travers un nouveau zonage et avec la mise en oeuvre de nouvelles aides.

Ces aides personnelles sont mal connues et elles n'ont pas toute l'efficacité souhaitée car la décision d'installation est plus le résultat d'un projet professionnel élaboré progressivement que d'une décision purement financière. On aurait tort d'en conclure qu'il faut s'en priver, et nous avons complété les aides mises en place par la convention par des aides régionales financées par le FIR dans les zones où nous estimions qu'il fallait intervenir, bien qu'elles n'aient pas été retenues pour la mise en oeuvre des aides conventionnelles.

Je ne peux pas vous dire combien de médecins ont bénéficié de ces aides. Pour la convention de 2016, ils sont moins d'une dizaine, mais je ne connais pas les chiffres pour les aides précédentes.

Vous avez également souhaité connaître des exemples de réussite chez nos voisins européens. On pourrait en citer beaucoup. En Angleterre, le taux de dépistage du cancer est ainsi de 98 % alors qu'il n'est que de 51 % chez nous. Cette différence tient à l'organisation très professionnelle des soins en Angleterre, avec des équipes pluridisciplinaires composées de médecins, d'assistantes et d'infirmières – quatre médecins, quatre assistantes et quatre infirmières en moyenne – qui permettent d'accompagner davantage les patients.

Je donnerai aussi l'exemple de la prise en charge du diabète en Allemagne. Dans ce pays, des infirmières sont chargées de l'accompagnement et de l'éducation des patients. On trouve donc effectivement en Europe des cas de meilleure prise en charge des soins primaires qu'en France. Cette plus grande efficacité est toujours liée à des collaborations entre des médecins, des infirmières, des assistantes et des pharmaciens.

Pour les MSP, on ne peut pas raisonner à l'échelle communale : le bon niveau est celui des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI). C'est au niveau des EPCI que doit avoir lieu le débat avec les élus et les professionnels d'où sortiront les choix qui enclencheront des dynamiques.

Les EPCI sont récents et, pour beaucoup, ils n'ont pas encore trouvé leur point d'équilibre. Aussi faut-il s'appuyer sur le réseau des sous-préfets pour faciliter l'échange entre les élus, les professionnels et l'ARS.

Nous sommes en effet engagés dans une course de vitesse car les départs à la retraite des médecins vont s'accélérer. Certains endroits aujourd'hui préservés mais où on constate une forte homogénéité en âge des médecins, comme l'Alsace, vont également bientôt être concernés par la crise démographique médicale, car dans moins d'une dizaine d'années beaucoup de médecins de ces départements partiront en retraite.

Il nous faut donc fournir rapidement des réponses. Or, plus que l'augmentation des moyens financiers, c'est l'évolution de la formation des professionnels qui importe. Ceux-ci doivent apprendre à travailler en équipe, à développer un projet professionnel, à découvrir ce que sont les soins primaires et à apprécier le travail de prévention et de promotion de la santé.

Un nombre important de mesures, comme la réforme du troisième cycle, le service sanitaire ou l'inscription dans un parcours universitaire des formations des paramédicaux que nous cherchons à mettre en place, visent ce résultat. C'est ainsi que sera créé à la faculté de médecine de l'Université de Lorraine, à la rentrée de septembre, un département des professionnels de santé destiné à améliorer la formation, notamment, des infirmières et des sages-femmes.

La coopération entre les professionnels est elle aussi cruciale. La loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) pour 2018 comporte une disposition importante à ce titre, la mise en place d'une centaine d'infirmières ASALEE. Un décret qui devrait être publié dans les prochains jours prévoit par ailleurs la mise en place du régime des infirmières exerçant en pratique avancée.

La course de vitesse est réelle parce que les prochaines années vont être marquées par une baisse massive du temps médical due aux départs en retraite mais aussi aux changements qui touchent le rythme et l'organisation du travail des jeunes professionnels. Ces changements ne sont d'ailleurs pas à mettre en rapport avec le genre, le temps de travail des hommes et des femmes se rejoignant à l'horizon 2021.

La compensation de cette perte de temps médical passe nécessairement par une meilleure coopération entre professionnels. La région Grand-Est, par exemple, compte plus d'une dizaine de milliers d'infirmières libérales : il faut que le travail des médecins avec ces infirmières soit renforcé et qu'elles puissent prendre en charge des tâches qui aujourd'hui accaparent du temps médical.

On pourrait aussi parler des pharmaciens. Comme vous le savez, la ministre a engagé la généralisation de l'expérience de vaccination en pharmacie. L'ensemble des régions sera concerné au plus tard en 2020.

Ces mesures sont essentielles car elles permettront d'améliorer et de faciliter la gestion du temps médical et de faire face à une situation dans laquelle les choix seront contraints.

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Je souhaite revenir sur les stages en ville. En deuxième cycle, seulement 71 % des étudiants en médecine font le stage en médecine générale, et ils ne sont plus que 57 % en troisième cycle. Comment expliquer ces chiffres, alors qu'il s'agit de stages obligatoires ?

Ma collègue Jacqueline Dubois a posé une question sur la convention médicale et le nombre de médecins concernés. Voici les chiffres. Sur la convention médicale de 2016, au 31 mars 2018 il y a eu en France 315 – seulement 315 ! – bénéficiaires du contrat d'installation, 486 bénéficiaires du contrat de stabilisation et de coordination, 22 bénéficiaires du contrat de transition et 28 bénéficiaires du contrat de solidarité territoriale médecin. Le dispositif, avec ces quatre types de contrats, est compliqué. Ne pourrait-on pas commencer par passer de quatre à deux contrats ?

Monsieur le directeur, vous avez dit qu'il fallait encourager le rapprochement du public et du privé. Mais je ne pense pas que l'on puisse se contenter de l'encourager ! Mme Stéphanie Rist vous a interrogé sur la nouvelle stratégie nationale de santé. Mais elle ne siégeait pas à l'Assemblée nationale quand, il y a dix ans, Roselyne Bachelot nous parlait déjà de stratégie nationale, puis quand Marisol Touraine nous en a parlé avec les mêmes mots et avec la même force. Les stratégies se suivent et l'échec se creuse puisque, comme vous l'avez dit vous-même, la situation va encore s'aggraver lors de la prochaine décennie.

C'est pourquoi je vous demande où sont les mesures d'urgence. On ne peut pas attendre quatre ans qu'un projet médical partagé voie le jour sur le territoire ! Dans une entreprise en faillite ou en voie de restructuration, on fait en sorte d'aller vite. Or, notre système de santé est, passez-moi le mot, en état d'urgence absolue.

Pour faire face à cette situation, il faut partir des éléments les plus structurants et rapprocher les secteurs public et privé. Ce rapprochement a d'ailleurs lieu épisodiquement, ainsi que vous venez de nous l'indiquer.

Pourquoi ne généralise-t-on pas ces expériences ? Actuellement, on assiste dans les territoires à des fermetures de services hospitaliers, ce qui contredit d'ailleurs la volonté territoriale de faire émerger des filières de soins. Partout on cherche à colmater les brèches, mais sans parvenir à une cohérence entre le public et le privé.

Sur ce sujet crucial, je souhaite savoir si vous êtes à l'offensive ou si au contraire vous incarnez l'inertie administrative.

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Christophe Lannelongue, directeur général de l'agence régionale de santé (ARS) Grand-Est

Moi non plus, je ne trouve pas normal que l'objectif fixé il y a six ans de 100 % d'étudiants faisant un stage en médecine générale durant le deuxième cycle ne soit toujours pas atteint. C'est d'autant plus préoccupant que ce stage est un outil extrêmement efficace pour intéresser de jeunes professionnels à l'exercice en médecine générale.

Pour avoir souvent discuté avec des stagiaires, je peux vous dire que ces stages sont souvent pour eux une révélation. Passer six semaines avec des médecins leur fait découvrir combien les relations avec les patients peuvent être intenses lorsqu'on est généraliste.

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On est passé de six à douze mois de stage, j'avais moi-même soutenu l'évolution de leur durée. Pourquoi les facultés ne respectent-elles pas les modules ?

Et pourquoi augmente-t-on le numerus clausus alors que des pôles d'internat de médecine générale sont vides ? Ce concours est le seul de la fonction publique hospitalière où des postes ne sont pas pourvus. La situation est différente à l'Éducation nationale, où pour certains concours l'on manque de candidats : là, on a plus de candidats qu'il n'y a de places.

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Christophe Lannelongue, directeur général de l'agence régionale de santé (ARS) Grand-Est

Il faut garder à l'esprit que cette réforme suppose l'augmentation du nombre de maîtres de stage ainsi que l'accompagnement des étudiants pour le logement et les déplacements.

Sur le troisième cycle, la réforme n'en est qu'à ses débuts. À partir du 2 novembre 2018, une forte accélération va avoir lieu puisque les internes suivront des stages en ville sur un petit nombre de spécialités. Nous aurions effectivement dû les mettre en place plus tôt, comme nombre de mesures dont il a été question ce matin.

En tout cas, il semble que le virage soit pris. Aurait-il dû l'être plus tôt ? La question se pose. Mais le système médical est pareil à un pétrolier géant, si bien que les résultats n'apparaissent qu'avec le temps.

Le cas de la télémédecine est de ce point de vue éloquent. Le virage a incontestablement été pris, puisqu'à partir du 15 septembre prochain les médecins et infirmières qui interviendront en télémédecine seront rémunérés en application de l'accord conventionnel signé récemment. Une dynamique d'organisation sera également nécessaire pour atteindre l'objectif d'équipement de 100 % des EHPAD avant le 1er janvier 2020.

Si cet objectif est atteint, un pas immense aura été fait en un temps relativement court. L'urgence est donc bien réelle mais je pense que les mesures qui ont été prises vont avoir des résultats.

Vous avez également dit que les aides, nombreuses, sont peu utilisées. Il faut néanmoins tenir compte de ce qu'elles sont décidées au cours d'une négociation conventionnelle entre l'assurance maladie et les partenaires. Cette négociation est « cadrée », puisque l'assurance maladie négocie sur la base d'un mandat mais, comme dans toute négociation, les points de vue ne sont pas toujours d'emblée convergents.

Vous avez eu raison de souligner que ce système d'aides est complexe. Je pense qu'un effort devra être fait pour qu'il soit mieux connu et qu'il intéresse plus les professionnels, car on ne peut pas se résigner à ce que certaines aides concernent quelques dizaines d'entre eux sur tout le territoire. Le guichet devrait être un outil efficace pour faire la promotion de ce dispositif.

Pour résumer, je dirai que les bonnes mesures ont été prises, mais qu'il faut du temps pour qu'elles produisent des résultats.

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Ce fut aussi la conclusion de M. Denis Morin, président de la 6e chambre à la Cour des Comptes, lorsque nous l'avons reçu.

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Monsieur le directeur, vous avez raison de dire que nous sommes engagés dans une course de vitesse, puisque plus de 30 % des médecins ont plus de 60 ans. En quinze ans, la France a perdu 14 000 médecins généralistes et le docteur Patrick Bouet, président du Conseil national de l'Ordre des médecins, estime que nous en perdrons encore 6 000.

Revoir les critères de sélection au niveau du numerus clausus pourrait également permettre d'augmenter l'attractivité. Ces critères ne seraient plus de quantité mais de qualité et pourraient prendre en compte la vocation.

L'engagement constitue aussi un problème. En tant que médecin généraliste, vous vous engagez en effet à suivre des familles sur des générations, ce qui peut faire peur et amener certains jeunes médecins à choisir d'être remplaçants. Il serait donc bon de rendre sur ce plan le métier plus attractif.

En Allemagne, un médecin généraliste a environ 2 000 patients quand en France un médecin de famille, comme c'est mon cas, en a 1 200 ou 1 300. Des décisions portant sur les EPCI seraient à prendre en s'appuyant éventuellement sur le fonds d'innovation organisationnelle.

Pouvez-vous nous dire comment vous allez articuler le travail entre l'ARS et les EPCI, par exemple pour nommer un référent qui organise l'offre de soins avec l'ensemble des professionnels dans le cadre des communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) ?

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Ma question sera courte : dans la nouvelle stratégie de santé, quelle place est donnée aux services départementaux d'incendie et de secours (SDIS) dont le rôle est si important dans les territoires ruraux ?

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Christophe Lannelongue, directeur général de l'agence régionale de santé (ARS) Grand-Est

L'écart entre la France et l'Allemagne pour le nombre de patients est directement lié au fait que les médecins généralistes de ce pays sont davantage accompagnés par des paramédicaux. Il faut que nous nous engagions à notre tour dans cette voie.

Nous devons effectivement créer un cadre de dialogue avec les élus et les professionnels dans un territoire d'EPCI. Pour la région Grand-Est, nous avons mis en place dans chaque département un comité départemental des soins de proximité en demandant que soient faits un zonage des territoires de proximité puis, dans ces territoires de proximité, des démarches de concertation. J'ai donné précédemment l'exemple de Rambervillers.

Mais il n'existe pas de cadre formel obligeant à définir dans chaque EPCI ou territoire d'EPCI un schéma cible avant la fin de l'année. Certes, des schémas départementaux existent et les schémas départementaux d'accessibilité des services au public de la plupart des départements comportent un volet santé, mais celui-ci n'est pas décliné sous une forme aussi précise et formalisée au niveau des territoires d'EPCI. Les schémas cibles dans des territoires d'EPCI restent donc à définir.

Enfin, il faut de toute évidence que nous parvenions à mieux faire travailler ensemble les SDIS et le SAMU mais aussi les SDIS et les transporteurs privés. Le rapport de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) sur le rapprochement entre les plateformes 15 et les plateformes 18 devrait ouvrir des pistes pour un meilleur travail en commun. Vous avez en tout cas raison de souligner l'intérêt qu'il y aurait à davantage s'appuyer sur la capacité d'intervention des SDIS, d'autant plus qu'il est relativement facile de les « paramédicaliser » ou de médicaliser certaines de leurs interventions.

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Et d'autant plus que certaines infirmières protocolisées peuvent dispenser des soins. Ce dispositif très efficace a été mis en place dans mon département.

Monsieur le directeur général, je vous remercie.

L'audition se termine à dix heures.

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Membres présents ou excusés

Réunion du mardi 26 juin 2018 à 8 h 30

Présents. – M. Didier Baichère, Mme Gisèle Biémouret, M. Jean-Pierre Cubertafon, M. Marc Delatte, Mme Jacqueline Dubois, Mme Agnès Firmin Le Bodo, Mme Emmanuelle Fontaine-Domeizel, M. Alexandre Freschi, M. Guillaume Garot, M. Jean-Carles Grelier, M. Jean-Michel Jacques, M. Thomas Mesnier, Mme Monica Michel, Mme Stéphanie Rist, Mme Mireille Robert, M. Stéphane Testé, M. Jean-Louis Touraine, M. Philippe Vigier