Intervention de Lionel Quillet

Réunion du mardi 22 mai 2018 à 17h30
Mission d'information sur la gestion des évènements climatiques majeurs dans les zones littorales de l'hexagone et des outre-mer

Lionel Quillet, vice-président du conseil départemental de Charente-Maritime, membre de l'Assemblée des départements de France :

En effet, et sans évaluation des charges, alors que c'est le plus gros transfert de compétences opéré au cours des dix dernières années. Donc, sans vouloir être sévère, la seule question que je pose est : dix ans après – nous sommes bientôt en 2020 – a-t-on répondu au problème ? On y a répondu partiellement.

Mais nos amis élus d'autres pays, ou les techniciens hollandais avec lesquels je travaille – vous devriez les auditionner un jour –, ne comprennent même pas comment notre système fonctionne. Ils ne comprennent pas, en particulier, le concept français de digue transparente, qui n'existe nulle part ailleurs. Lorsque l'on construit une digue, aux Pays-Bas, on l'élève à un niveau qui soit supérieur à celui des vagues qui peuvent déferler, et l'on assume le risque de vivre derrière – sans urbanisation galopante –, au-dessous du niveau de la mer, comme c'est le cas dans une bonne partie du pays.

En France, en revanche, notre système est tel qu'une nouvelle digue ne change rien au PPRL, parce que nous sommes d'abord préoccupés par une réflexion politique sur la loi « littoral » et sur l'urbanisation galopante. On essaie de gérer un problème d'urbanisation en même temps qu'un problème de risques. Les deux sont liés, évidemment, mais il faudra bien se demander, in fine, si l'on est encore en danger ou non. La confusion doit cesser. Si l'on veut l'arrêt de l'urbanisation, il faut le dire. Mais on ne sait pas délocaliser : les projets de délocalisation, depuis huit ans, se comptent sur les doigts d'une main. Dans les Landes, on a délocalisé deux choses : un bâtiment de surf et une cabane à frites. Et la région, bien sûr, s'oriente finalement vers la délocalisation et le repli stratégique, dont elle privilégie le financement. Pendant ce temps-là, 876 kilomètres de dunes et de digues restent exposés. La réponse n'est pas satisfaisante.

Je suis certes de parti pris, parce que je vis tous les jours sur ce territoire. Quand je me promène en Charente-Maritime, je vais partout, et tous les 30 kilomètres, la réponse au risque est différente. Ce n'est pas normal. Ceux qui ne font que passer sur la côte ne s'en soucient guère, peut-être, mais sauront-ils que l'hôtel où ils sont hébergés n'est pas défendu, qu'il n'y a pas eu de financement pour la digue, et qu'ils sont exposés à un risque majeur ? Voilà ce qui n'est pas normal.

La réflexion devrait donc prendre le recul nécessaire, au lieu de céder à la précipitation et aux complications inutiles, pour déterminer, à partir d'une évaluation complète, notre situation face au risque. Depuis huit ans, nous n'avons pas consulté de véritables experts littoraux. Je rappelle que toute la base des PAPI et des PPRL a été établie par nos inspecteurs qui, de même que leurs techniciens, étaient tous spécialistes des pays fluviaux. De sorte qu'aujourd'hui encore, pour prendre un exemple concret, la remise en état d'une maison après submersion marine est évaluée à 10 000 euros, parce que c'est le tarif dans le domaine fluvial, pour une inondation à l'eau douce. Je peux vous dire, pour avoir perdu ma maison, qu'avec 10 000 euros je n'aurais pas pu refaire la cuisine.

Quand vous devez construire une digue, un critère typiquement français s'impose : l'analyse coût-bénéfice. On vous dit : « Ne faites une digue que si cela en vaut la peine » et, pour que cela en vaille la peine, il faut que le coût des dégâts que causerait une submersion marine soit supérieur à celui de la digue. Vous pouvez construire une digue à un million d'euros si vous avez le nombre suffisant de maisons à 10 000 euros à protéger. Des critères complémentaires ont certes été définis, pour intégrer notamment le patrimoine et les interactions économiques, mais la valeur de la vie humaine n'entre toujours pas dans le calcul.

On vous dit ensuite qu'il faut une évaluation totale – vous faites cette digue ici, voulez-vous aussi en faire une autre ? –, et finalement l'ensemble du projet est compromis parce que le résultat de l'analyse coût-bénéfice est négatif. Commence alors une nouvelle négociation auprès de la direction générale de la prévention des risques, au niveau national, avec des calculs stratosphériques, pour essayer de faire comprendre que des vies humaines sont en jeu, parce que les gens qui vivent là ne peuvent pas être délocalisés, parce qu'un PPRL annonce le risque, qu'une digue est donc nécessaire, mais qu'elle est trop coûteuse par rapport au risque. C'est là que les Hollandais nous disent : « Il faut choisir. Si vous ne construisez pas de digues, dites aux gens d'aller habiter ailleurs. Si vous ne voulez payer ni les freins, ni les airbags, ne prenez pas la voiture. Ne restez pas entre deux résolutions, assumez votre risque. »

Je considère toujours qu'au niveau national, toutes appartenances politiques confondues, on n'a jamais assumé ce risque, parce qu'il impliquait de telles responsabilités politiques, pénales et financières que l'on a préféré le laisser aux élus locaux. Or ils ne peuvent pas prendre en charge une politique nationale. La DGPR vous dira le contraire, on vous parlera de bons résultats qui, c'est vrai, ont été obtenus. Pour moi, à l'île de Ré, tout ira bien, de même qu'à La Rochelle. Mais je n'irais pas habiter à Charron, ou dans un endroit semblable, parce qu'ils n'obtiendront pas la construction de leurs digues, et que s'ils devaient l'obtenir un jour, elles seraient incomplètes, pas assez financées et pas assez hautes.

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