Le sujet est délicat, parce que l'on est toujours en équilibre entre l'acceptation et le refus du risque. La solution du repli stratégique s'imposerait, si on pouvait la mettre en oeuvre. Mais il y faudrait une loi, car on ne peut pas délocaliser d'autorité les habitations et les activités établies sur un site protégé ou classé, pas plus que l'on ne peut délocaliser des terres agricoles.
En plus, les coûts annoncés sont énormes : sachant que la construction de sa défense reviendrait à 100 millions d'euros, Lacanau s'est renseigné sur le coût d'un transfert, techniquement faisable. En apprenant qu'il se monterait à 300 millions, le maire a évidemment choisi de rester là où il était, avec sa population.
On en revient donc à ce que nous disent les Néerlandais et les experts de tous les pays soumis à des risques : « Vous avez un risque, vivez avec, sans l'accentuer par l'urbanisation. » Contrairement à ce que l'on pense, tous les maires ne tiennent pas absolument à urbaniser. On peut bloquer l'extension des zones à urbaniser, mais on doit pouvoir vivre à l'intérieur, la question étant de savoir si l'on peut encore y construire, et jusqu'à quelle hauteur…
Il y a donc là toute une politique à mettre en place, non pas une politique de techniciens, mais une politique de responsabilité. Non que les techniciens n'aient rien à nous apprendre. Pour moi, j'ai été auditionné neuf fois, mais je ne suis jamais parvenu à faire venir un Néerlandais en commission. M. Van der Meer, l'expert international sollicité aux États-Unis et écouté partout, n'a jamais été auditionné en France. Il a pourtant trente-cinq ans d'expérience, et a conçu le modèle des digues que l'on construit aux Pays-Bas.
Les digues ne sont pas la seule réponse. Un jour ou l'autre, l'eau entrera, l'événement se reproduira. Les populations y sont-elles préparées ? Pas suffisamment, et il faut y remédier. Mais certains élus, n'ayant pu faire construire dans leur collectivité les défenses nécessaires, se laissent aujourd'hui aller à une politique d'abandon, et attendent simplement la fin de leur mandat. Quant aux préfets qui proposent leur aide, ils se heurtent à la complexité des contraintes imposées par le PPRL, auxquelles s'ajoutent, de manière parfois incohérente, les normes des Bâtiments de France.
Il faut donc prendre le temps de tout remettre à plat. C'est le moment, je me permets de le dire, dix ans après, maintenant que le traumatisme est derrière nous. Il faut notamment travailler bien davantage à la prévention et à l'éducation. Quant aux matériaux et aux digues, nous avons les connaissances suffisantes, mais nous ne pourrons pas tout barricader, ni élever indéfiniment la hauteur des digues. Nous devons donc faire des choix, en faveur de la prévention, d'une part, mais aussi des choix urbanistiques : si une maison est exposée à la submersion, l'eau y entrera, puis elle en sortira. Mon arrière-grand-mère a connu les inondations à l'époque des sols en terre battue. Après le passage de l'eau, un nettoyage suffisait. Maintenant, les plaques de plâtre partent avec.
D'ici la prochaine inondation, qui se produira tôt ou tard, les populations doivent acquérir des réflexes : se réfugier dans le haut de la maison, prévoir une solution de secours, laisser toujours des volets de bois à l'intérieur pour ne pas être bloqué et pouvoir sortir par l'arrière. Avec mon fils dans les bras, j'ai pu sortir par une chambre, parce que mon arrière-grand-mère m'avait toujours dit, je l'entends encore : « Laisse toujours un volet ouvert à l'arrière. » Les volets roulants doivent donc être interdits, mais cette mesure, parmi tant d'autres, reste à prendre. On vous dit simplement que vous êtes dans une zone à risques, que la digue ne sert à rien parce qu'elle est transparente, et l'on vous invite à concevoir d'autres défenses. Mais toutes les maisons devraient être modifiées dès aujourd'hui selon ce principe-là, et les gens devraient vivre autrement. Avant de prendre une voiture, il faut passer un permis, et pour chaque voiture, il y a en général un même conducteur. Mais dans les maisons du littoral, les gens viennent en vacances. Quant aux hôtelleries de plein air, si l'une d'elle est touchée par une vague, ce sera un désastre.