Intervention de Bertrand Labilloy

Réunion du mercredi 30 mai 2018 à 17h00
Mission d'information sur la gestion des évènements climatiques majeurs dans les zones littorales de l'hexagone et des outre-mer

Bertrand Labilloy, directeur général de la Caisse centrale de réassurance (CCR) :

CCR est un réassureur détenu à 100 % par l'État. Il réassure, pour son compte et avec sa garantie, un certain nombre de risques assurables, permettant ainsi que ces risques puissent être assurés par les assureurs privés dans des conditions satisfaisantes. L'enjeu, en matière de catastrophes naturelles, compte tenu de l'inégalité entre les territoires en termes d'exposition aux risques, est de permettre que chacun puisse acheter une assurance pour protéger ses biens à un prix abordable, quel que soit son lieu de résidence. C'est précisément ce que permet la mutualisation opérée par CCR au travers de la réassurance qu'il accorde aux assureurs français. Ce rôle de mutualisation solidaire des risques entre les territoires de la République, entre la métropole et l'outre-mer, entre les zones côtières et les zones non côtières, entre les zones qui bordent les grands fleuves et les zones de plaine, est le premier rôle de CCR.

Le deuxième rôle de CCR, s'agissant toujours des catastrophes naturelles, est de partager, avec les assureurs, la charge de l'indemnisation des sinistres. Ce sont bien les assureurs directs qui sont au contact de leurs clients, les assurés, qui procèdent à l'évaluation des dommages et à l'indemnisation des sinistres. Ensuite, conformément aux règles des traités de réassurance que nous souscrivons avec eux, nous partageons la facture, selon des modalités qu'il n'est pas ici utile de détailler. CCR a accumulé avec le temps des montants de capitaux significatifs et dispose de la garantie de l'État, ce qui lui permet de garantir, quelle que soit l'ampleur du sinistre, que les assurés pourront être indemnisés. Il n'y a donc aucun risque que l'assureur fasse défaut suite à une catastrophe naturelle. Je dirais presque que c'est mathématiquement impossible.

Le troisième rôle de CCR, qui découle de son rôle de réassureur, est un rôle d'analyse, de modélisation et d'expertise en matière de risques naturels. CCR collecte auprès des assureurs un grand nombre d'informations sur les valeurs assurées. Nous avons une vision assez précise des richesses qui existent sur le territoire. Nous collectons également, auprès de nos partenaires publics, tels que Météo France, le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) et l'Institut national de l'information géographique et forestière (IGN), des informations sur les événements naturels qui sont survenus et la nature des risques naturels dans les différents points du territoire. Nous nous servons de ces données pour modéliser les risques naturels. Nous avons un modèle très abouti qui couvre l'ensemble des aléas, depuis l'inondation par débordement de fleuve, l'inondation par submersion marine en cas de tempête, les tremblements de terre, les cyclones et la sécheresse. Le premier objet de ce modèle est de faire des calculs d'exposition aux risques. Il permet de savoir quel est le degré d'exposition et de vulnérabilité de telle ou telle partie du territoire. Il permet également de faire des calculs prospectifs pour anticiper, à un horizon donné, quelle sera l'évolution des catastrophes naturelles sous l'effet du changement climatique. Nous avons mené une étude sur ce sujet avec Météo France, en réalisant des évaluations rétrospectives. Quelques jours ou quelques heures après une grosse catastrophe, il s'agit d'évaluer, de manière très rapide, l'ordre de grandeur des dommages subis par un territoire. Nous avons procédé ainsi après les inondations du centre de la France en mai et juin 2016, mais aussi après le passage de l'ouragan Irma. Quelques jours après ces deux gros événements, nous avons pu fournir une première indication sur le montant des sinistres.

J'ai présenté pour commencer, de manière générale, le rôle de CCR. S'agissant maintenant du sinistre Irma, trois jours après le passage de l'ouragan, soit le 9 septembre 2017, nous avons pu communiquer une première estimation des dommages assurés en distinguant les différents périls, le vent, la submersion marine et l'inondation, à partir des mesures fournies par Météo France. Celles-ci étaient alors incomplètes. La violence du vent avait été si forte, en effet, que les anémomètres avaient été arrachés. Il nous manquait donc un certain nombre de données. Nous avons, dans un second temps, complété cette évaluation en utilisant des images satellitaires.

Le 15 septembre, nous avons mis en place une cellule de gestion de crise en commun avec les principaux assureurs concernés sur la place. Nous avons alors entamé un dialogue régulier avec eux pour collecter à la fois leurs estimations et suivre le règlement des sinistres au fil de l'eau. Pour les sinistres supérieurs à 500 000 euros, en particulier, les évaluations et les rapports d'experts nous ont été très rapidement transmis. Nous avons, dans le cadre de ce dialogue, eu l'occasion, dès la fin du mois de septembre, de diffuser auprès des cédantes un guide d'indemnisation, permettant une même compréhension des modalités et des règles d'indemnisation et une harmonisation du traitement des dossiers pour le bénéfice des assurés.

Depuis septembre, nous avons un reporting hebdomadaire avec les assureurs et nous analysons les rapports d'expertise pour les sinistres majeurs. Nous avons encouragé les assureurs à procéder à des avances lorsqu'ils avaient suffisamment d'informations pour le faire. De notre côté, alors même que ce n'est pas vraiment prévu par le traité de réassurance que nous avons conclu avec les assureurs, nous avons procédé à des paiements anticipés pour soulager leur trésorerie et accélérer le rythme d'indemnisation des sinistres. Nous avons même eu l'occasion de nous rendre sur place. J'ai envoyé, début janvier dernier, l'équipe sinistres dirigée par Sylvie Chanh dans les îles touchées par l'ouragan Irma pour qu'elle étudie la manière dont se déroulait l'indemnisation des sinistres.

Vous avez posé une question sur les sinistres non assurés. Il s'agit en effet d'un point important. Deux éléments distinguent l'outre-mer de la métropole. D'une part, l'outre-mer est confrontée à une beaucoup plus forte exposition aux risques naturels, qu'il s'agisse des risques sismiques, volcaniques ou cycloniques. D'autre part, les départements de l'outre-mer se caractérisent par un taux de couverture assurantielle qui s'élève à 50 % de la population, parfois moins, parfois plus, alors que plus de 98 % de la population est assurée en métropole. À Saint-Martin, lors de l'ouragan Irma, le taux de couverture se situait entre 40 % et 50 %. Il était un peu supérieur à Saint-Barthélemy, entre 60 % et 65 %. Les gens ne s'assurent pas parce que les biens qu'ils possèdent ne justifient pas, à leurs yeux, d'être assurés. Des ressources financières limitées expliquent sans doute aussi ce faible taux de couverture. Le régime d'indemnisation des catastrophes naturelles, dit aussi « régime Cat Nat », garantit pourtant, grâce à la mutualisation solidaire des risques, moyennant une prime assez modique pour les particuliers, de 25 euros par personne, une indemnisation. S'ajoute à ce phénomène de non-assurance un phénomène de sous-assurance, puisque certains assurés, et pas uniquement des particuliers, parfois même des collectivités publiques, souscrivent des contrats d'assurance avec des plafonds de garantie bien inférieurs à la valeur de leurs biens. Lorsque les assureurs doivent procéder à l'indemnisation, ils indemnisent à hauteur du plafond de garantie, mais cela ne correspond pas aux besoins de ces personnes ou de ces collectivités. Il est donc important de faire de la pédagogie et d'expliquer l'utilité d'avoir une assurance, et une assurance bien calibrée.

Le fonds Barnier n'est pas intervenu suite aux événements d'Irma. En revanche, à Saint-Martin et à Saint-Barthélemy, il a subventionné les études préalables à la réalisation des plans de prévention des risques. Cela fait partie de ses missions. Une subvention de 550 000 euros a été versée en 2017 pour Saint-Martin, et une autre de 130 000 euros en 2018 pour Saint-Barthélemy, mais il n'y a pas encore eu d'acquisitions amiables suite à des expropriations, comme il y a pu en avoir à la suite d'autres très grosses catastrophes, telles que la tempête Xynthia.

Les chiffres, à présent. S'agissant de la comptabilisation des sinistres, nous en sommes, au 1er mai de cette année, à 25 200 dossiers enregistrés auprès des assureurs, 17 200 pour Saint-Martin et 8 000 pour Saint-Barthélemy, pour un total de dommages assurés proche de 2 milliards d'euros, 57 % de la somme portant sur Saint-Martin et 43 % sur Saint-Barthélemy. La répartition en nombre des sinistres est la suivante : 43 % de sinistres auto, 46 % de sinistres habitation et 11 % de sinistres entreprises. La répartition des sinistres en montant est bien différente : la part de l'automobile se limite à 4 %, celle des sinistres habitation à 52 % et celle des sinistres d'entreprises à 44 %. Il est important d'avoir en tête que les sinistres dont le coût, tel qu'il est évalué aujourd'hui, est supérieur à 500 000 euros, ne représentent, en nombre, qu'un peu plus de 3 % de l'ensemble. En montant, ils représentent cependant plus de 60 % du total. Lorsqu'on donne des chiffres sur le rythme des indemnisations par les assureurs, ils paraissent généralement assez faibles, mais c'est parce qu'ils sont exprimés en montants. En nombre de sinistres, en revanche, et notamment de sinistres de petits montants, le règlement est beaucoup plus rapide. On peut comprendre que des sinistres de plusieurs millions d'euros, supérieurs parfois à 10 millions d'euros, soient beaucoup plus longs à indemniser, ne serait-ce que parce que les travaux de réparation à effectuer prennent du temps.

Le sinistre Irma était en effet d'une ampleur assez inédite. On sait aujourd'hui qu'il y a eu des rafales de vent supérieures à 300 kilomètres heure, avec de très fortes houles, de dix à quinze mètres, qui ont touché les parties basses du littoral de Saint-Martin et Saint-Barthélemy. Nous avons à CCR de nombreux actuaires, comptables et scientifiques qui travaillent à la modélisation des risques, mais aussi un historien, qui nous fournit des points de repère et dresse l'historique de la sinistralité naturelle en France. Il faut remonter à 1891 pour trouver la trace d'un cyclone à peu près comparable à Irma dans un département français des Antilles. Pour le régime « Cat Nat », qui existe depuis 1982, Irma est de loin le plus gros sinistre qui ait jamais été couvert. Il va coûter au total 2 milliards d'euros aux assureurs et à CCR, dont 1,6 milliard à la charge de celle-ci. Malgré cette ponction très importante, nous avons aujourd'hui la capacité de couvrir un sinistre qui coûterait au total 4,5 milliards d'euros sans faire appel à la garantie de l'État.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.