Mission d'information sur la gestion des évènements climatiques majeurs dans les zones littorales de l'hexagone et des outre-mer

Réunion du mercredi 30 mai 2018 à 17h00

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • CCR
  • assurance
  • assureur
  • assuré
  • catastrophe
  • indemnisation
  • naturelle
  • sinistre
  • événement

La réunion

Source

L'audition débute à dix-sept heures dix.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Nous reprenons nos travaux avec l'audition de la Caisse centrale de réassurance (CCR), et nous souhaitons la bienvenue à M. Bertrand Labilloy, son directeur général, et à Mme Sylvie Chanh, directrice des sinistres, commutations et run-off. Merci à vous d'avoir répondu présents.

Notre mission, je le rappelle, a été créée par le Bureau de l'Assemblée nationale. Elle a pour but d'examiner l'organisation des politiques publiques mises en oeuvre pour anticiper les crises climatiques majeures dans les zones littorales, mais aussi la façon dont ces crises sont gérées sur l'ensemble du territoire. Cette mission a été créée à la suite du passage de l'ouragan Irma et des événements climatiques inédits qui se sont déroulés aux Antilles, mais elle couvre donc l'ensemble du territoire national, l'hexagone et les territoires d'outre-mer. Bien évidemment, les questions assurantielles sont au coeur de nos préoccupations, notamment sous l'angle de la reconstruction, dont il est difficile de dire qu'elle est satisfaisante à Saint-Martin, où l'on voit encore énormément de bâches sur les toits ou d'immeubles sinistrés et d'équipements endommagés.

D'une manière plus large, le sujet renvoie aux déclarations d'état de catastrophe naturelle - dans le sud de la Guadeloupe, on entend fréquemment que l'insuffisance des moyens de mesure ne permet pas la reconnaissance de cet état -, au rôle du fonds Barnier et aux insuffisances des systèmes d'assurance privés.

Cette audition est diffusée. Elle est accessible au public et à la presse, et donnera lieu à compte rendu. Vous pourrez, si vous le souhaitez, compléter vos réponses par écrit et nous transmettre tous les documents que vous jugerez nécessaires ou utiles.

Je cède la parole à notre rapporteur, qui va préciser l'objet de cette audition.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Pouvez-vous nous présenter le rôle de la CCR en cas de catastrophe naturelle ? Vous délivrez aux assureurs qui en font la demande une couverture de réassurance illimitée, bénéficiant de la garantie de l'État, pour les risques de catastrophes naturelles en France. Pouvez-vous nous dire si cette couverture est efficace ?

La CCR procède à l'évaluation des conséquences financières des catastrophes naturelles en collectant des données assurantielles. Quelles sont ces données détaillées pour Saint-Martin et Saint-Barthélemy, suite au passage de l'ouragan Irma ?

Pouvez-vous détailler les sinistres selon la nature des biens concernés – privés, entreprises, domaine public – en précisant le montant des indemnisations ?

Comment avez-vous géré l'urgence de la situation et de la reconstruction ? Comment avez-vous dépêché vos experts, évalué les dégâts et, le cas échéant, à distance, assuré le suivi des sinistrés ?

Avez-vous des données sur l'ampleur des sinistres non assurés ? Comment améliorer la couverture ? Selon vous, le rôle du fonds Barnier doit-il évoluer ?

Une défaillance de certaines assurances est-elle possible devant un événement de cette ampleur ? Quel serait alors votre rôle ?

Est-il exact que l'ampleur de l'événement est inédite ?

Pouvez-vous nous fournir des éléments chiffrés sur les cotisations moyennes au titre des catastrophes naturelles sur les vingt dernières années ?

Jusqu'à quel montant de dommages estimez-vous pouvoir réassurer sans mettre en oeuvre la garantie de l'État ?

Permalien
Bertrand Labilloy, directeur général de la Caisse centrale de réassurance (CCR)

CCR est un réassureur détenu à 100 % par l'État. Il réassure, pour son compte et avec sa garantie, un certain nombre de risques assurables, permettant ainsi que ces risques puissent être assurés par les assureurs privés dans des conditions satisfaisantes. L'enjeu, en matière de catastrophes naturelles, compte tenu de l'inégalité entre les territoires en termes d'exposition aux risques, est de permettre que chacun puisse acheter une assurance pour protéger ses biens à un prix abordable, quel que soit son lieu de résidence. C'est précisément ce que permet la mutualisation opérée par CCR au travers de la réassurance qu'il accorde aux assureurs français. Ce rôle de mutualisation solidaire des risques entre les territoires de la République, entre la métropole et l'outre-mer, entre les zones côtières et les zones non côtières, entre les zones qui bordent les grands fleuves et les zones de plaine, est le premier rôle de CCR.

Le deuxième rôle de CCR, s'agissant toujours des catastrophes naturelles, est de partager, avec les assureurs, la charge de l'indemnisation des sinistres. Ce sont bien les assureurs directs qui sont au contact de leurs clients, les assurés, qui procèdent à l'évaluation des dommages et à l'indemnisation des sinistres. Ensuite, conformément aux règles des traités de réassurance que nous souscrivons avec eux, nous partageons la facture, selon des modalités qu'il n'est pas ici utile de détailler. CCR a accumulé avec le temps des montants de capitaux significatifs et dispose de la garantie de l'État, ce qui lui permet de garantir, quelle que soit l'ampleur du sinistre, que les assurés pourront être indemnisés. Il n'y a donc aucun risque que l'assureur fasse défaut suite à une catastrophe naturelle. Je dirais presque que c'est mathématiquement impossible.

Le troisième rôle de CCR, qui découle de son rôle de réassureur, est un rôle d'analyse, de modélisation et d'expertise en matière de risques naturels. CCR collecte auprès des assureurs un grand nombre d'informations sur les valeurs assurées. Nous avons une vision assez précise des richesses qui existent sur le territoire. Nous collectons également, auprès de nos partenaires publics, tels que Météo France, le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) et l'Institut national de l'information géographique et forestière (IGN), des informations sur les événements naturels qui sont survenus et la nature des risques naturels dans les différents points du territoire. Nous nous servons de ces données pour modéliser les risques naturels. Nous avons un modèle très abouti qui couvre l'ensemble des aléas, depuis l'inondation par débordement de fleuve, l'inondation par submersion marine en cas de tempête, les tremblements de terre, les cyclones et la sécheresse. Le premier objet de ce modèle est de faire des calculs d'exposition aux risques. Il permet de savoir quel est le degré d'exposition et de vulnérabilité de telle ou telle partie du territoire. Il permet également de faire des calculs prospectifs pour anticiper, à un horizon donné, quelle sera l'évolution des catastrophes naturelles sous l'effet du changement climatique. Nous avons mené une étude sur ce sujet avec Météo France, en réalisant des évaluations rétrospectives. Quelques jours ou quelques heures après une grosse catastrophe, il s'agit d'évaluer, de manière très rapide, l'ordre de grandeur des dommages subis par un territoire. Nous avons procédé ainsi après les inondations du centre de la France en mai et juin 2016, mais aussi après le passage de l'ouragan Irma. Quelques jours après ces deux gros événements, nous avons pu fournir une première indication sur le montant des sinistres.

J'ai présenté pour commencer, de manière générale, le rôle de CCR. S'agissant maintenant du sinistre Irma, trois jours après le passage de l'ouragan, soit le 9 septembre 2017, nous avons pu communiquer une première estimation des dommages assurés en distinguant les différents périls, le vent, la submersion marine et l'inondation, à partir des mesures fournies par Météo France. Celles-ci étaient alors incomplètes. La violence du vent avait été si forte, en effet, que les anémomètres avaient été arrachés. Il nous manquait donc un certain nombre de données. Nous avons, dans un second temps, complété cette évaluation en utilisant des images satellitaires.

Le 15 septembre, nous avons mis en place une cellule de gestion de crise en commun avec les principaux assureurs concernés sur la place. Nous avons alors entamé un dialogue régulier avec eux pour collecter à la fois leurs estimations et suivre le règlement des sinistres au fil de l'eau. Pour les sinistres supérieurs à 500 000 euros, en particulier, les évaluations et les rapports d'experts nous ont été très rapidement transmis. Nous avons, dans le cadre de ce dialogue, eu l'occasion, dès la fin du mois de septembre, de diffuser auprès des cédantes un guide d'indemnisation, permettant une même compréhension des modalités et des règles d'indemnisation et une harmonisation du traitement des dossiers pour le bénéfice des assurés.

Depuis septembre, nous avons un reporting hebdomadaire avec les assureurs et nous analysons les rapports d'expertise pour les sinistres majeurs. Nous avons encouragé les assureurs à procéder à des avances lorsqu'ils avaient suffisamment d'informations pour le faire. De notre côté, alors même que ce n'est pas vraiment prévu par le traité de réassurance que nous avons conclu avec les assureurs, nous avons procédé à des paiements anticipés pour soulager leur trésorerie et accélérer le rythme d'indemnisation des sinistres. Nous avons même eu l'occasion de nous rendre sur place. J'ai envoyé, début janvier dernier, l'équipe sinistres dirigée par Sylvie Chanh dans les îles touchées par l'ouragan Irma pour qu'elle étudie la manière dont se déroulait l'indemnisation des sinistres.

Vous avez posé une question sur les sinistres non assurés. Il s'agit en effet d'un point important. Deux éléments distinguent l'outre-mer de la métropole. D'une part, l'outre-mer est confrontée à une beaucoup plus forte exposition aux risques naturels, qu'il s'agisse des risques sismiques, volcaniques ou cycloniques. D'autre part, les départements de l'outre-mer se caractérisent par un taux de couverture assurantielle qui s'élève à 50 % de la population, parfois moins, parfois plus, alors que plus de 98 % de la population est assurée en métropole. À Saint-Martin, lors de l'ouragan Irma, le taux de couverture se situait entre 40 % et 50 %. Il était un peu supérieur à Saint-Barthélemy, entre 60 % et 65 %. Les gens ne s'assurent pas parce que les biens qu'ils possèdent ne justifient pas, à leurs yeux, d'être assurés. Des ressources financières limitées expliquent sans doute aussi ce faible taux de couverture. Le régime d'indemnisation des catastrophes naturelles, dit aussi « régime Cat Nat », garantit pourtant, grâce à la mutualisation solidaire des risques, moyennant une prime assez modique pour les particuliers, de 25 euros par personne, une indemnisation. S'ajoute à ce phénomène de non-assurance un phénomène de sous-assurance, puisque certains assurés, et pas uniquement des particuliers, parfois même des collectivités publiques, souscrivent des contrats d'assurance avec des plafonds de garantie bien inférieurs à la valeur de leurs biens. Lorsque les assureurs doivent procéder à l'indemnisation, ils indemnisent à hauteur du plafond de garantie, mais cela ne correspond pas aux besoins de ces personnes ou de ces collectivités. Il est donc important de faire de la pédagogie et d'expliquer l'utilité d'avoir une assurance, et une assurance bien calibrée.

Le fonds Barnier n'est pas intervenu suite aux événements d'Irma. En revanche, à Saint-Martin et à Saint-Barthélemy, il a subventionné les études préalables à la réalisation des plans de prévention des risques. Cela fait partie de ses missions. Une subvention de 550 000 euros a été versée en 2017 pour Saint-Martin, et une autre de 130 000 euros en 2018 pour Saint-Barthélemy, mais il n'y a pas encore eu d'acquisitions amiables suite à des expropriations, comme il y a pu en avoir à la suite d'autres très grosses catastrophes, telles que la tempête Xynthia.

Les chiffres, à présent. S'agissant de la comptabilisation des sinistres, nous en sommes, au 1er mai de cette année, à 25 200 dossiers enregistrés auprès des assureurs, 17 200 pour Saint-Martin et 8 000 pour Saint-Barthélemy, pour un total de dommages assurés proche de 2 milliards d'euros, 57 % de la somme portant sur Saint-Martin et 43 % sur Saint-Barthélemy. La répartition en nombre des sinistres est la suivante : 43 % de sinistres auto, 46 % de sinistres habitation et 11 % de sinistres entreprises. La répartition des sinistres en montant est bien différente : la part de l'automobile se limite à 4 %, celle des sinistres habitation à 52 % et celle des sinistres d'entreprises à 44 %. Il est important d'avoir en tête que les sinistres dont le coût, tel qu'il est évalué aujourd'hui, est supérieur à 500 000 euros, ne représentent, en nombre, qu'un peu plus de 3 % de l'ensemble. En montant, ils représentent cependant plus de 60 % du total. Lorsqu'on donne des chiffres sur le rythme des indemnisations par les assureurs, ils paraissent généralement assez faibles, mais c'est parce qu'ils sont exprimés en montants. En nombre de sinistres, en revanche, et notamment de sinistres de petits montants, le règlement est beaucoup plus rapide. On peut comprendre que des sinistres de plusieurs millions d'euros, supérieurs parfois à 10 millions d'euros, soient beaucoup plus longs à indemniser, ne serait-ce que parce que les travaux de réparation à effectuer prennent du temps.

Le sinistre Irma était en effet d'une ampleur assez inédite. On sait aujourd'hui qu'il y a eu des rafales de vent supérieures à 300 kilomètres heure, avec de très fortes houles, de dix à quinze mètres, qui ont touché les parties basses du littoral de Saint-Martin et Saint-Barthélemy. Nous avons à CCR de nombreux actuaires, comptables et scientifiques qui travaillent à la modélisation des risques, mais aussi un historien, qui nous fournit des points de repère et dresse l'historique de la sinistralité naturelle en France. Il faut remonter à 1891 pour trouver la trace d'un cyclone à peu près comparable à Irma dans un département français des Antilles. Pour le régime « Cat Nat », qui existe depuis 1982, Irma est de loin le plus gros sinistre qui ait jamais été couvert. Il va coûter au total 2 milliards d'euros aux assureurs et à CCR, dont 1,6 milliard à la charge de celle-ci. Malgré cette ponction très importante, nous avons aujourd'hui la capacité de couvrir un sinistre qui coûterait au total 4,5 milliards d'euros sans faire appel à la garantie de l'État.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Merci beaucoup pour ces éléments de réponse et pour ces chiffres, que nous demandons depuis plusieurs auditions. Nous sommes en particulier preneurs d'analyses plus fines sur les types d'indemnisation par catégories d'indemnisés. Aujourd'hui, on nous donne des volumes globaux. On nous dit que le coût global du sinistre a avoisiné 1,8 milliard d'euros, la Fédération française des assureurs (FFA) nous a indiqué que 43 % des indemnisations avaient été versées aux assurés, mais nous aimerions avoir le détail de ces versements, sous forme bien entendu de données anonymes. Nous aimerions savoir, en particulier, quelle part a été versée sur le montant global des indemnisations. À Saint-Martin, on nous a dit que les versements correspondaient aux mesures conservatoires, en attente de fin d'expertise, et ne permettaient pas de lancer les travaux. Nous avons eu connaissance de cas très concrets dans lesquels les versements représentaient à peine 10 % du montant global de l'indemnisation. Avec 10 %, on ne peut même pas engager le chantier. Nous aimerions avoir le maximum de détails sur les montants d'indemnisation et les parts de versement par types de dossiers. Cela nous permettrait d'expliquer le ressenti de la population sur place. Quand on est à Saint-Martin, on n'a pas l'impression que la moitié des dégâts ont été remboursés et que les chantiers de reconstruction ont commencé. La situation a cependant dû évoluer depuis notre visite du mois de mars.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Vous avez évoqué des modèles. Comment envisagez-vous aujourd'hui le développement des événements climatiques majeurs et leurs conséquences à moyen et long termes ?

Par ailleurs, avez-vous un homologue intervenant sur la partie néerlandaise de Saint-Martin ? Travaillez-vous en commun ?

Permalien
Bertrand Labilloy, directeur général de la Caisse centrale de réassurance (CCR)

Il n'y a pas, aux Pays-Bas, et donc dans la partie néerlandaise de l'île de Saint-Martin, d'équivalent à la fois du régime « Cat Nat » et à CCR. Aux Pays-Bas, l'assurance des catastrophes naturelles est régie à 100 % par les règles de la libre concurrence dans un marché privé. Peu de pays ont un régime équivalent au régime français. Ils sont une trentaine dans le monde. En Europe, l'Espagne s'est dotée de longue date d'un tel régime. Plus récemment, le Royaume-Uni a adopté un dispositif pour couvrir spécifiquement le risque inondation. Le Pays-Bas fait donc exception.

Comme je l'ai dit dans mon propos introductif, nous avons travaillé avec Météo-France au développement de modèles permettant d'anticiper le climat à l'horizon 2050-2100. Nous avons réalisé en 2016, dans le cadre de la 21e Conférence des parties à la convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (COP 21), une étude visant à évaluer l'évolution du coût des catastrophes naturelles à l'horizon 2050 dans le scénario cible de la COP 21, le « scénario RCP4.5 », qui correspond à une augmentation de la température moyenne par rapport à l'ère préindustrielle de 2 degrés. Ce scénario, relativement optimiste et construit à partir des données de Météo France, nous a fourni plusieurs milliers d'années de météo. Nous en avons déduit, année par année, le coût des dommages naturels. À l'horizon 2050, le coût global des catastrophes naturelles doublerait. Toutefois, sur ces 100 % d'augmentation, 70 % viendraient simplement de la hausse de la valeur des biens assurés. Qui dit hausse de la valeur des biens assurés dit mécaniquement hausse de la prime d'assurance. Il s'agit d'un phénomène d'inflation pur et simple. Les 30 % restants se répartiraient de la manière suivante : 10 % seraient liés à un mouvement de concentration des valeurs assurées et des populations dans les zones à risque - zones littorales, grandes villes construites en bordure des fleuves, partie méridionale de la France métropolitaine - ; pour les 20 % restants, l'augmentation serait liée à une augmentation de la fréquence et de l'intensité des événements.

Nous sommes en train de finaliser une seconde étude avec un autre scénario de référence, le « scénario RCP8.5 », le scénario pessimiste, ou réaliste – je n'ai pas d'avis personnel sur la question –, selon lequel l'augmentation de température à l'horizon 2100 serait de 4 degrés, et de 2 degrés dès 2050. Ce scénario devrait forcément conduire à une évaluation un peu plus sévère de la hausse du coût des catastrophes naturelles à l'horizon 2050. Nous allons profiter de cette seconde étude pour faire des distinctions selon les périls, les territoires et la récurrence des catastrophes. Cette année, nous allons publier les résultats pour la France métropolitaine. L'année prochaine, nous publierons des résultats spécifiques pour les départements d'outre-mer.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je vous remercie pour votre exposé, monsieur Labilloy. Vous avez dit avoir mis en place très tôt des paiements pour soulager la trésorerie des assureurs. Cependant, le versement des acomptes par les assurances est intervenu très tardivement. Nous avons constaté une lenteur du processus d'indemnisation. Comment l'expliquez-vous ? Ces acomptes ne représentaient qu'un faible montant. Ne pensez-vous pas qu'il serait nécessaire de revoir la part versée au premier déblocage ?

Permalien
Bertrand Labilloy, directeur général de la Caisse centrale de réassurance (CCR)

Je ne suis pas ici pour défendre, ni attaquer, les assureurs. CCR est l'opérateur central du régime et nous souhaitons que l'indemnisation des sinistres, en cas de catastrophe naturelle, soit la plus utile possible, afin de permettre la résilience des territoires et un rétablissement des fonctions économiques le plus rapide possible. C'est toute l'utilité d'un régime d'assurance comme le régime « Cat Nat » que d'assurer une indemnisation rapide et complète des dommages, et donc un redémarrage rapide de la vie économique et sociale d'un territoire.

Il se trouve qu'un certain nombre de facteurs se sont conjugués dans le cas de Saint-Barthélemy et Saint-Martin, et ont provoqué un retard à l'allumage, puis un décalage. Cela se voit très bien dans les courbes de règlement des sinistres. Pendant un mois, il ne s'est pas passé grand-chose, et nous en connaissons les raisons. Il y a eu, tout d'abord, l'incapacité d'accéder aux territoires eux-mêmes pendant les premières semaines. Ensuite, les moyens humains et matériels des assureurs étaient dévastés localement par la catastrophe. D'autres facteurs, tout aussi spécifiques à ces zones, ont joué. Ainsi, il était difficile de rentrer en contact avec certains propriétaires car ils vivent souvent en métropole. Il a donc été compliqué de lancer la mécanique de réparation des dommages et donc le processus d'indemnisation. Nous avons même eu des difficultés avec les justificatifs bancaires à fournir.

Nous avons pris conscience, à l'occasion de ce sinistre de fait, que des difficultés d'ordre pratique, au cas par cas, peuvent véritablement gripper la mécanique d'indemnisation. Il y a eu aussi, il faut le dire, l'intervention d'experts en assurance auprès des assurés qui n'a pas forcément aidé au règlement rapide des dossiers et à des relations fluides entre les assureurs et les assurés. Je me permets de suggérer que cette profession, si c'en est une, soit réglementée comme celle des experts en assurance auprès des assureurs. Cela garantirait un niveau de professionnalisme minimum et aiderait à indemniser rapidement les sinistrés.

Nous avons beaucoup appris, je crois, de ce sinistre. Le retard initial est en train d'être rattrapé. Le rythme actuel d'indemnisation des sinistres pour Irma est supérieur à celui des inondations dans le centre de la France à la même époque, compte tenu de l'effet de rattrapage. Sur des sinistres de très grande ampleur, il faut plusieurs mois, et presque une année, pour que la totalité des dommages soient indemnisés. Aujourd'hui, pour les sinistres automobile, qui sont de petits montants et pour lesquels les choses sont très cadrées et assez simples, il y a plus de trois quarts des dommages qui ont été indemnisés. On est entre 40 % et 45 % pour les autres sinistres, qu'il s'agisse des sinistres habitation ou des sinistres subis par les entreprises.

S'agissant des mesures conservatoires, Stéphane Pénet, qui m'a précédé, a souligné à juste titre que le régime « Cat Nat » est un régime très encadré et administré. Il repose, toutefois, sur un partenariat public-privé et s'appuie à la fois sur le réseau des assureurs, leur maillage territorial et leur expertise, sur la puissance publique, qui a introduit l'obligation d'extension de l'assurance aux dommages des catastrophes naturelles, et sur CCR. La question qui se pose est celle de savoir où l'on place le curseur entre la liberté contractuelle, le jeu de marché, et l'encadrement réglementaire. Aujourd'hui, un encadrement réglementaire existe sur le détail de l'indemnisation. La compétition concurrentielle entre les assureurs porte sur la manière d'aider au mieux les assurés dans leurs démarches pour obtenir une indemnisation. On l'a vu lors des inondations de mai et juin 2016 dans le centre de la France : certains avaient même dépêché sur place des camions-bureaux dans lesquels les gens pouvaient, sur place, rencontrer les intermédiaires d'assureur pour procéder aux premières démarches. La réglementation peut fixer des cadres. Le jeu concurrentiel oblige les assureurs à adapter leur service aux sinistrés. Les deux sont donc utiles. Faut-il encadrer juridiquement le montant de l'avance initiale ? Je suis incapable de répondre à cette question. Aujourd'hui, il n'y a pas de cadre, c'est tout à fait clair.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Nous pourrions peut-être, en conclusion de cette audition, aborder les pistes d'amélioration attendues au regard de l'intensification future des événements climatiques majeurs. Vous nous l'avez dit, à l'horizon 2050, le coût global des catastrophes naturelles devrait doubler, 20 % de cette hausse relevant directement de l'intensification des catastrophes naturelles.

Le dispositif actuel, tel qu'il est conçu, sera-t-il prêt à assurer ces événements futurs ? Allons-nous faire face à un durcissement des offres des assureurs ? Face aux aléas croissants, la question de la pérennité du régime d'indemnisation des catastrophes naturelles est posée.

Permalien
Bertrand Labilloy, directeur général de la Caisse centrale de réassurance (CCR)

Les ordres de grandeur que j'ai indiqués pour le scénario favorable d'une augmentation de la température de 2 degrés, ainsi que les premiers éléments dont je dispose sur l'analyse partant d'une hypothèse de hausse de la température de 4 degrés, me permettent de dire que la hausse prévue du coût des catastrophes naturelles, si nous ne faisons rien, serait d'un ordre de grandeur tout à fait absorbable par les assureurs et par le dispositif de réassurance public opéré par CCR.

Rien ne nous interdit toutefois, et ce serait d'ailleurs fort avisé, de mettre en place des mesures de prévention pour accompagner le changement climatique et le mouvement de concentration des populations et des activités économiques dans les zones à risque. Nous avons entamé un dialogue avec la direction générale du Trésor pour examiner de quelle manière les dispositifs existants, le fonds Barnier et le régime « Cat Nat » lui-même, pourraient être améliorés afin de favoriser les mesures de prévention. Dans ce domaine, CCR a un rôle à jouer, et nous nous souhaitons le jouer pleinement au travers de notre expertise en matière d'analyse de la vulnérabilité des territoires. C'est un rôle que nous jouons au cas par cas auprès de certaines collectivités locales. Nous avons également mené des missions pour certaines grandes entreprises publiques pour mesurer leur vulnérabilité à des inondations par débordement ou par ruissellement. Nous pourrions, à l'avenir, conseiller plus largement le fonds Barnier pour l'utilisation des sommes et l'allocation des subventions en fonction d'un critère d'utilité par rapport à l'exposition au risque.

Il est clair qu'il y a beaucoup à apprendre des politiques de prévention, s'agissant notamment du ratio entre le coût de ces politiques et leur rendement. À l'occasion des inondations de mai et juin 2016, où la Seine avait atteint, au niveau du pont d'Austerlitz, une hauteur de 8,20 mètres, nous avions montré que les barrages écrêteurs de crue construits dans les départements de la Marne et dans l'Aube avaient permis d'abaisser le pic de crue de plus de 50 centimètres. Cela peut paraître peu, mais c'est énorme en termes de dégâts évités. Je sais que d'autres projets similaires sont dans les cartons. Il serait fort utile de les en sortir.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Bien volontiers ! Nous sommes preneurs de toutes ces études qui permettraient d'améliorer demain nos dispositifs, de nous préparer aux risques et de mieux protéger nos populations. Nous vous remercions d'avoir pris le temps de cette audition. N'hésitez pas à nous fournir par écrit tout document complémentaire qui permettrait d'enrichir nos travaux.

L'audition s'achève à dix-huit heures.

Membres présents ou excusés

Réunion du mercredi 30 mai 2018 à 17 heures

Présents. - Mme Claire Guion-Firmin, M. Yannick Haury, Mme Maina Sage

Excusés. - M. Bertrand Bouyx, M. Mansour Kamardine, M. Philippe Michel-Kleisbauer, M. Hugues Renson