Intervention de Pierre Thépot

Réunion du mercredi 30 mai 2018 à 18h00
Mission d'information sur la gestion des évènements climatiques majeurs dans les zones littorales de l'hexagone et des outre-mer

Pierre Thépot, directeur général du centre hospitalier universitaire (CHU) de Pointe-à-Pitre-Abymes :

Je vous remercie beaucoup de me recevoir et je salue la présence de M. Olivier Serva, très présent aux côtés des établissements hospitaliers après le passage de l'ouragan Irma.

L'avantage d'un événement climatique majeur est qu'on peut l'anticiper. C'est très important de l'avoir à l'esprit. Les habitants de la Guadeloupe ont pris l'habitude de se préparer aux passages des cyclones, qui font partie de la culture locale, contrairement à d'autres risques auxquels ce territoire est pourtant également exposé.

J'ai moi-même été prévenu du passage d'Irma en Guadeloupe. Je n'étais pas sur place à ce moment-là, je suis rentré aussitôt à Pointe-à-Pitre, mais je n'ai pas pu y atterrir. Je suis donc reparti le jour même à Saint-Martin, où je suis resté trois jours, en pleine phase critique. Le cyclone José était également annoncé, mais il a finalement évité Saint-Martin.

Comment le CHU se prépare-t-il aux événements climatiques majeurs ? De mars à mai, au sein de la cellule de préparation, nous actualisons les consignes, nous tentons de résoudre les dysfonctionnements qui existent au quotidien et nous nous assurons des approvisionnements de stocks. Ce dernier point est très important. En cas de cyclone, c'est-à-dire en périodes rouge et violette, on ne peut pas sortir des bâtiments. Il est donc essentiel de bien réfléchir aux problématiques logistiques. Elles sont majeures pour l'établissement.

Pendant la saison cyclonique, nous exerçons une veille avec la préfecture et le service d'aide médicale urgente (SAMU). En cas d'alerte déclenchée par le préfet, j'active, au plus tard trois heures avant la fin de l'alerte orange, une cellule de crise dans le bâtiment principal - la salle dans laquelle elle se réunit généralement a d'ailleurs été touchée par l'incendie, ce qui constitue pour nous à l'heure actuelle un sujet de préoccupation. Il existe par ailleurs des cellules d'appui dans les sites satellites. Aujourd'hui, alors que nous sommes en pleine phase de réorganisation, nous réfléchissons à la capacité de ces établissements de nous accueillir. La réanimation pédiatrique est plus particulièrement au coeur de notre réflexion. Elle doit être transférée dans une polyclinique à proximité du CHU, mais nous savons déjà qu'en cas d'alerte cyclonique, les enfants devront être rapatriés sur le site du CHU, pour une meilleure organisation.

Lorsque la cellule de crise se réunit, un point de situation est effectué, avec une adresse mail particulière. Le système le plus efficace pour communiquer est WhatsApp, mais nous ne l'avons pas encore adopté. Pendant l'alerte violette, seul le personnel désigné reste dans l'établissement pour assurer la continuité des soins. L'objectif est d'avoir deux équipes, une équipe du matin et une équipe du soir, pour qu'elles puissent se relayer. On ne sait pas, en effet, en cas d'alerte, combien de temps va durer l'isolement. Il est difficile pour les personnels d'arriver au CHU et de ne rien faire, mais leur présence est absolument essentielle. Lors de l'ouragan Maria, nous avons été confrontés à une situation très compliquée compte tenu de l'état de fatigue de l'équipe de garde au bout de douze heures.

Quand on passe en alerte verte, la cellule de crise est levée et nous procédons aux opérations de nettoyage et de déblayage. C'est aussi l'heure du bilan. Le CHU de Pointe-à-Pitre est soumis à un « plan blanc » classique, qui précise l'organisation de la cellule de crise. Je l'ai détaillé dans la note que je vous ai adressée, je n'y reviendrai donc pas.

Nous portons une attention particulière à la communication. Nous organisons aussi la direction des soins, avec notamment des fiches réflexes pour l'accueil des enfants du personnel et pour les repas. Ces deux points peuvent paraître anodins, mais ils sont en réalité très importants. J'ai souvenir, pour Maria, d'une discussion de trois heures sur l'organisation des repas du personnel et leur prise en charge. Le diable est parfois dans les détails ! L'organisation des services médicaux et techniques est un sujet tout aussi essentiel. On l'a vu avec les pharmacies lors du passage d'Irma. Nous avons été obligés d'armer une pharmacie de ville pour fournir l'hôpital. Lors d'un tel cataclysme, les gens n'ont plus d'ordonnances ni de papiers. L'accès aux médicaments est un vrai problème.

L'organisation du laboratoire, de la stérilisation, de l'imagerie, mais aussi du dépôt de sang, doit aussi être prévue. L'Établissement français du sang (EFS) est situé à l'extérieur du CHU, or nous ne pouvons pas sortir en période rouge ou violette. Les employés de l'EFS venaient sur le site du CHU quand nous y avions encore des blocs opératoires. Toutes les fonctions supports, tels que les garages ou la blanchisserie, font également l'objet d'une organisation particulière en cas de crise. Nous savons quand le cyclone va arriver, mais nous ne connaissons pas son ampleur, ni son impact, ni sa durée.

Quelles sont les articulations entre le CHU et les différents acteurs ? En début de saison cyclonique, comme actuellement, nous sommes invités à une réunion de préparation par la préfecture, qui coordonne l'organisation du dispositif. Nous restons en contact avec le COD pendant toute la durée de la crise. Pendant Maria, la coordination entre les différents acteurs a très bien fonctionné. Pour Irma, en revanche, les problèmes de transmission ont été nombreux. Pendant cet événement, réellement hors norme, nous avons joué notre rôle d'établissement de référence. Il ne nous a pas directement impactés.

Il faut imaginer la difficulté du travail des assistants de régulation médicale du SAMU en période rouge. Ils n'ont aucune réponse à apporter aux demandes qui leur sont faites. Ils ne peuvent envoyer aucun vecteur pour transporter les personnes en difficulté. Ils subissent un stress terrible. Alors que l'on parle beaucoup actuellement de l'accueil du SAMU, je tenais à le souligner. Pendant la période violette, personne n'est autorisé à sortir, ni les pompiers, ni le SAMU, ni les services mobiles d'urgence et de réanimation (SMUR). Le SAMU reçoit des appels d'urgence de personnes qui ont des accidents vasculaires cérébraux, des infarctus, ou qui sont blessés après l'effondrement de leur maison. L'assistant de régulation doit trouver les mots justes pour rassurer des personnes paniquées à l'autre bout du fil. Je veux donc saluer le travail des assistants de régulation du SAMU. Ils sont guadeloupéens, ils connaissent ces situations et savent trouver les mots pour mettre les gens en sécurité le temps que les secours arrivent.

Pendant Irma, nous avons été amenés à organiser des évacuations sanitaires et surtout à accueillir des gens en transit à l'aéroport de Pointe-à-Pitre. Lors de l'ouragan Maria, nous avons connu de très grosses précipitations. Les députés ici présents pourraient sans doute en parler mieux que moi. Malgré de forts vents, Maria a eu peu d'impact sur la santé. Le CHU a toutefois été isolé par les eaux pendant quelques heures, mais nous n'avons pas constaté d'accroissement majeur de l'activité médicale. Les gens sont extrêmement disciplinés. Si la Guadeloupe et Saint-Martin ont connu aussi peu de victimes pendant l'ouragan Maria par rapport à d'autres secteurs des Caraïbes, tels que Porto Rico, c'est sans doute grâce à la qualité de l'éducation aux risques des populations, très bien relayée par les collectivités locales et les associations. On sent que ces territoires sont aguerris aux événements climatiques majeurs et qu'ils se sont approprié leurs problématiques. Ce sujet est même, par moments, un élément du discours syndical des personnels de l'hôpital. Lorsque nous avons procédé au débriefing des événements survenus pendant le cyclone Irma, ils ont déclaré que nous devions les laisser faire, car ils connaissent les risques. Ils les connaissent certes, mais l'organisation peut quand même être améliorée !

Combien de personnes ont été prises en charge par notre établissement lors de l'ouragan Irma ? Entre le 6 et le 15 septembre, nous avons évacué 237 personnes depuis les îles du nord, soit de grosses opérations d'évacuation, assurées par des avions militaires CASA, des avions de ligne ou l'hélicoptère de la sécurité civile, le Dragon. Au total, 9 décès et 120 blessés ont été enregistrés. À notre connaissance, aucun pronostic vital n'a été engagé dans le cadre des transports.

Quels enseignements tirons-nous de la gestion de cette alerte ? Des points d'amélioration ont évidemment été identifiés. Il faut notamment organiser les centres médicaux d'évacuation en zone aéroportuaire. À Grand-Case, à Saint-Martin, nous avons eu du mal, pendant quelques jours, à disposer d'un bureau médical à l'aéroport. À Pointe-à-Pitre, en revanche, une organisation s'est très rapidement mise en place. À Saint-Martin, le COD était à l'écart et l'hôpital était très démuni en termes de transmissions et de vecteurs de transport. C'était vraiment l'opération débrouille. Je me rappelle être parti avec des pompiers pour raccompagner une infirmière qui avait amené un patient blessé à l'hôpital et qui voulait retourner chez elle. Elle avait très peur, à juste titre car les risques étaient réels. Cette période a été quelque peu chaotique, jusqu'à l'arrivée du groupe d'intervention de la police nationale (GIPN) et des renforts.

Dans les territoires d'outre-mer, le problème de l'attractivité médicale se fait bien entendu sentir en cas de catastrophe naturelle, a fortiori en période de congés bonifiés. La période cyclonique correspond à la période des congés bonifiés d'août et de septembre. Les médecins partent pour deux mois, ce qui rajoute à la précarité des situations.

Les relations entre le COD et le SAMU sont un autre sujet compliqué. Elles étaient très confraternelles pendant les événements d'Irma, mais marquées par des difficultés de transmission. À Saint-Martin, lorsque la mission de l'établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires (EPRUS) est arrivée, au moment d'Irma 1, elle n'avait pas de véhicules. Le patron du COD a dit à l'équipe de l'EPRUS de se débrouiller, comme s'il s'agissait d'une simple organisation non gouvernementale (ONG), alors qu'elle représentait l'État. Bien entendu, nous étions dans une situation de totale urgence, mais les choses auraient pu mal se passer avec des gens moins souples. Heureusement, les équipes de l'EPRUS sont habituées aux situations difficiles.

Autre exemple, la Croix-Rouge est arrivée avec ses propres moyens de transmission – ses équipes sont allées planter une antenne quelque part. De notre côté, nous étions tributaires de Santé publique France et nous n'avions pas de réseau. Nous devions monter en haut du morne. Les pompiers avaient beaucoup de travail et ne pouvaient pas mettre leurs véhicules à notre disposition.

Pour ce qui nous concerne plus particulièrement, nous avons également du travail à faire et nous avons déjà commencé. Nous devons renouveler notre parc de téléphones satellitaires, améliorer les formations et clarifier le rôle de l'ARS par rapport aux transporteurs sanitaires. À Saint-Martin, cette problématique s'est révélée particulièrement aiguë pour les 80 personnes dialysées, qu'il était urgent d'aller chercher et de transporter, puisqu'elles ne pouvaient plus être traitées dans l'île. De même, il nous a fallu trouver des solutions pour les personnes âgées dépendantes. L'urgence vitale a très vite été traitée, mais pour toutes ces personnes isolées, nous étions démunis. Je dois dire que j'ai été épaté, sincèrement, par l'organisation guadeloupéenne. À l'aéroport de Pointe-à-Pitre, les gens ont été immédiatement pris en charge et une solidarité incroyable a pris le relais de l'État.

Le CHU doit aussi mieux organiser sa flotte de véhicules ou, comme nous disons, les lots de postes sanitaires mobiles.

Chaque crise est différente, mais nous sommes aujourd'hui mieux préparés pour la prochaine. Nous avons pris des mesures pour l'approvisionnement en eau. Des changements sont par ailleurs intervenus dans le management.

Parmi les recommandations que je pourrais formuler, sécuriser les télécommunications sur la zone de l'aéroport me paraît l'une des plus importantes. Il faut aussi prévoir des réunions entre chefs de service avant la levée de la cellule de crise par le COD. L'ARS est représentée au COD, mais pas le CHU. Il serait pourtant très utile qu'un cadre de direction de l'hôpital y participe. Cela simplifierait les procédures et éviterait les courts-circuits éventuels.

Point extrêmement important, dont j'avais parlé avec l'ancien préfet, traditionnellement, en période grise, quand les habitants sont confinés chez eux, seuls peuvent sortir les services de secours, c'est-à-dire les SMUR et les pompiers. Les personnels hospitaliers, en revanche, ne sont pas autorisés à se déplacer, alors qu'il est indispensable qu'ils rejoignent le CHU pour assurer la relève. Il est donc impératif de préciser désormais qu'ils font partie des services de secours. Lors de l'ouragan Maria, les routes ont été déblayées à une très grande rapidité.

Les questions sociales font également partie de notre réflexion sur des pistes d'amélioration possibles. Les assistantes sociales doivent être mobilisées beaucoup plus tôt. À Saint-Martin, le contrôle d'identité de certaines personnes a posé problème, mais cela ne nous concernait pas directement. Les chambres froides, mortuaires, sont un autre sujet important. Nous avons également pris conscience au CHU que nous avions un problème de stockage des repas plusieurs jours sur le site. Nous nous sommes engagés à augmenter notre traitement du froid.

Vous avez également posé des questions sur les médicaments. Il me semble qu'il serait intéressant de réfléchir à un réseau d'officines relais, qui pourrait assurer en proximité la distribution de médicaments. J'ai accueilli chez moi des pharmaciens de Saint-Martin dont les pharmacies avaient été dévastées par les pillages. Il n'y avait plus d'officine relais à Saint-Martin, soit une réelle difficulté. Le dépannage inter-îles est un autre sujet important. Les Saintes et Marie-Galante ont été très fortement impactées par Maria. Il faut gérer ensuite les questions administratives, pour savoir qui paie quoi, et ce n'est pas toujours très facile.

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