L'audition débute à dix-huit heures dix.
Nous avons le plaisir de recevoir, pour cette dernière audition de la journée, M. Pierre Thépot, directeur général du centre hospitalier universitaire (CHU) de Pointe-à-Pitre-Abymes.
Merci d'être parmi nous, monsieur Thépot. Nous nous sommes rendus en Guadeloupe au mois de mars et nous avons pu voir à quel point l'incendie du 27 novembre dernier avait créé une situation problématique, d'autant plus préoccupante que la saison cyclonique recommence.
M. Yannick Haury, notre rapporteur, va vous préciser l'objet de cette audition. Nos questions s'orientent évidemment sur le processus général de traitement des crises climatiques. Nous souhaiterions savoir comment vous anticipez aujourd'hui les événements climatiques majeurs, comment vous les gérez, quels sont vos retours d'expérience après le passage de l'ouragan Irma et quelles sont les pistes d'amélioration éventuelles pour demain.
Pour avoir rencontré sur place les responsables de l'hôpital de Saint-Martin, dont nous jugeons la résilience particulièrement bonne, et les responsables de l'agence régionale de santé (ARS) de Guadeloupe, je souhaite dire, tout d'abord, que l'implication des personnels médicaux du service public ne souffre pas le débat. Elle a été totale. En revanche, nous avons des interrogations, de nature plus systémique, sur la manière dont les services de santé entrent dans le processus d'alerte et de gestion des cyclones.
Je souhaite donc, monsieur le directeur, vous poser quelques questions, les premières concernant la gestion des alertes.
Comment est organisée la réponse aux alertes résultant d'événements climatiques majeurs dans votre hôpital ? Un plan d'urgence est-il formalisé ? Êtes-vous alertés par Météo France ou, dans le cadre du centre opérationnel départemental (COD), par la préfecture ? Participez-vous au COD ?
Quelles sont les opérations types planifiées en cas de survenue d'un événement climatique majeur ?
Quelle est l'articulation entre les différents acteurs, préfecture, secours, hôpital et collectivités territoriales, s'agissant notamment de l'information des populations, lorsqu'elles cherchent à se procurer des médicaments, par exemple, ou à être orientées vers des structures d'accueil ?
Les questions suivantes concernent plus particulièrement l'événement Irma. Pouvez-vous relater la façon dont votre établissement a répondu aux tempêtes de cet automne ? Combien de personnes ont été prises en charge par votre établissement ? Ont-elles pu être évacuées et acheminées dans votre établissement dans des délais et des conditions satisfaisantes ? Avez-vous eu à faire face à un afflux de personnes en transit, je pense en particulier à des personnes venant de la Dominique ?
Quels enseignements tirez-vous de la gestion de cette alerte ? Quels points pourraient-ils être encore améliorés, notamment en ce qui concerne la prise en charge sanitaire ? Faut-il répartir différemment les moyens dans l'ensemble de la zone ?
Quelles sont vos recommandations pour améliorer la gestion des événements climatiques majeurs dans les zones littorales ?
Comment, enfin, améliorer le rétablissement des circuits d'acheminement des médicaments après de tels événements climatiques ?
Je vous remercie beaucoup de me recevoir et je salue la présence de M. Olivier Serva, très présent aux côtés des établissements hospitaliers après le passage de l'ouragan Irma.
L'avantage d'un événement climatique majeur est qu'on peut l'anticiper. C'est très important de l'avoir à l'esprit. Les habitants de la Guadeloupe ont pris l'habitude de se préparer aux passages des cyclones, qui font partie de la culture locale, contrairement à d'autres risques auxquels ce territoire est pourtant également exposé.
J'ai moi-même été prévenu du passage d'Irma en Guadeloupe. Je n'étais pas sur place à ce moment-là, je suis rentré aussitôt à Pointe-à-Pitre, mais je n'ai pas pu y atterrir. Je suis donc reparti le jour même à Saint-Martin, où je suis resté trois jours, en pleine phase critique. Le cyclone José était également annoncé, mais il a finalement évité Saint-Martin.
Comment le CHU se prépare-t-il aux événements climatiques majeurs ? De mars à mai, au sein de la cellule de préparation, nous actualisons les consignes, nous tentons de résoudre les dysfonctionnements qui existent au quotidien et nous nous assurons des approvisionnements de stocks. Ce dernier point est très important. En cas de cyclone, c'est-à-dire en périodes rouge et violette, on ne peut pas sortir des bâtiments. Il est donc essentiel de bien réfléchir aux problématiques logistiques. Elles sont majeures pour l'établissement.
Pendant la saison cyclonique, nous exerçons une veille avec la préfecture et le service d'aide médicale urgente (SAMU). En cas d'alerte déclenchée par le préfet, j'active, au plus tard trois heures avant la fin de l'alerte orange, une cellule de crise dans le bâtiment principal - la salle dans laquelle elle se réunit généralement a d'ailleurs été touchée par l'incendie, ce qui constitue pour nous à l'heure actuelle un sujet de préoccupation. Il existe par ailleurs des cellules d'appui dans les sites satellites. Aujourd'hui, alors que nous sommes en pleine phase de réorganisation, nous réfléchissons à la capacité de ces établissements de nous accueillir. La réanimation pédiatrique est plus particulièrement au coeur de notre réflexion. Elle doit être transférée dans une polyclinique à proximité du CHU, mais nous savons déjà qu'en cas d'alerte cyclonique, les enfants devront être rapatriés sur le site du CHU, pour une meilleure organisation.
Lorsque la cellule de crise se réunit, un point de situation est effectué, avec une adresse mail particulière. Le système le plus efficace pour communiquer est WhatsApp, mais nous ne l'avons pas encore adopté. Pendant l'alerte violette, seul le personnel désigné reste dans l'établissement pour assurer la continuité des soins. L'objectif est d'avoir deux équipes, une équipe du matin et une équipe du soir, pour qu'elles puissent se relayer. On ne sait pas, en effet, en cas d'alerte, combien de temps va durer l'isolement. Il est difficile pour les personnels d'arriver au CHU et de ne rien faire, mais leur présence est absolument essentielle. Lors de l'ouragan Maria, nous avons été confrontés à une situation très compliquée compte tenu de l'état de fatigue de l'équipe de garde au bout de douze heures.
Quand on passe en alerte verte, la cellule de crise est levée et nous procédons aux opérations de nettoyage et de déblayage. C'est aussi l'heure du bilan. Le CHU de Pointe-à-Pitre est soumis à un « plan blanc » classique, qui précise l'organisation de la cellule de crise. Je l'ai détaillé dans la note que je vous ai adressée, je n'y reviendrai donc pas.
Nous portons une attention particulière à la communication. Nous organisons aussi la direction des soins, avec notamment des fiches réflexes pour l'accueil des enfants du personnel et pour les repas. Ces deux points peuvent paraître anodins, mais ils sont en réalité très importants. J'ai souvenir, pour Maria, d'une discussion de trois heures sur l'organisation des repas du personnel et leur prise en charge. Le diable est parfois dans les détails ! L'organisation des services médicaux et techniques est un sujet tout aussi essentiel. On l'a vu avec les pharmacies lors du passage d'Irma. Nous avons été obligés d'armer une pharmacie de ville pour fournir l'hôpital. Lors d'un tel cataclysme, les gens n'ont plus d'ordonnances ni de papiers. L'accès aux médicaments est un vrai problème.
L'organisation du laboratoire, de la stérilisation, de l'imagerie, mais aussi du dépôt de sang, doit aussi être prévue. L'Établissement français du sang (EFS) est situé à l'extérieur du CHU, or nous ne pouvons pas sortir en période rouge ou violette. Les employés de l'EFS venaient sur le site du CHU quand nous y avions encore des blocs opératoires. Toutes les fonctions supports, tels que les garages ou la blanchisserie, font également l'objet d'une organisation particulière en cas de crise. Nous savons quand le cyclone va arriver, mais nous ne connaissons pas son ampleur, ni son impact, ni sa durée.
Quelles sont les articulations entre le CHU et les différents acteurs ? En début de saison cyclonique, comme actuellement, nous sommes invités à une réunion de préparation par la préfecture, qui coordonne l'organisation du dispositif. Nous restons en contact avec le COD pendant toute la durée de la crise. Pendant Maria, la coordination entre les différents acteurs a très bien fonctionné. Pour Irma, en revanche, les problèmes de transmission ont été nombreux. Pendant cet événement, réellement hors norme, nous avons joué notre rôle d'établissement de référence. Il ne nous a pas directement impactés.
Il faut imaginer la difficulté du travail des assistants de régulation médicale du SAMU en période rouge. Ils n'ont aucune réponse à apporter aux demandes qui leur sont faites. Ils ne peuvent envoyer aucun vecteur pour transporter les personnes en difficulté. Ils subissent un stress terrible. Alors que l'on parle beaucoup actuellement de l'accueil du SAMU, je tenais à le souligner. Pendant la période violette, personne n'est autorisé à sortir, ni les pompiers, ni le SAMU, ni les services mobiles d'urgence et de réanimation (SMUR). Le SAMU reçoit des appels d'urgence de personnes qui ont des accidents vasculaires cérébraux, des infarctus, ou qui sont blessés après l'effondrement de leur maison. L'assistant de régulation doit trouver les mots justes pour rassurer des personnes paniquées à l'autre bout du fil. Je veux donc saluer le travail des assistants de régulation du SAMU. Ils sont guadeloupéens, ils connaissent ces situations et savent trouver les mots pour mettre les gens en sécurité le temps que les secours arrivent.
Pendant Irma, nous avons été amenés à organiser des évacuations sanitaires et surtout à accueillir des gens en transit à l'aéroport de Pointe-à-Pitre. Lors de l'ouragan Maria, nous avons connu de très grosses précipitations. Les députés ici présents pourraient sans doute en parler mieux que moi. Malgré de forts vents, Maria a eu peu d'impact sur la santé. Le CHU a toutefois été isolé par les eaux pendant quelques heures, mais nous n'avons pas constaté d'accroissement majeur de l'activité médicale. Les gens sont extrêmement disciplinés. Si la Guadeloupe et Saint-Martin ont connu aussi peu de victimes pendant l'ouragan Maria par rapport à d'autres secteurs des Caraïbes, tels que Porto Rico, c'est sans doute grâce à la qualité de l'éducation aux risques des populations, très bien relayée par les collectivités locales et les associations. On sent que ces territoires sont aguerris aux événements climatiques majeurs et qu'ils se sont approprié leurs problématiques. Ce sujet est même, par moments, un élément du discours syndical des personnels de l'hôpital. Lorsque nous avons procédé au débriefing des événements survenus pendant le cyclone Irma, ils ont déclaré que nous devions les laisser faire, car ils connaissent les risques. Ils les connaissent certes, mais l'organisation peut quand même être améliorée !
Combien de personnes ont été prises en charge par notre établissement lors de l'ouragan Irma ? Entre le 6 et le 15 septembre, nous avons évacué 237 personnes depuis les îles du nord, soit de grosses opérations d'évacuation, assurées par des avions militaires CASA, des avions de ligne ou l'hélicoptère de la sécurité civile, le Dragon. Au total, 9 décès et 120 blessés ont été enregistrés. À notre connaissance, aucun pronostic vital n'a été engagé dans le cadre des transports.
Quels enseignements tirons-nous de la gestion de cette alerte ? Des points d'amélioration ont évidemment été identifiés. Il faut notamment organiser les centres médicaux d'évacuation en zone aéroportuaire. À Grand-Case, à Saint-Martin, nous avons eu du mal, pendant quelques jours, à disposer d'un bureau médical à l'aéroport. À Pointe-à-Pitre, en revanche, une organisation s'est très rapidement mise en place. À Saint-Martin, le COD était à l'écart et l'hôpital était très démuni en termes de transmissions et de vecteurs de transport. C'était vraiment l'opération débrouille. Je me rappelle être parti avec des pompiers pour raccompagner une infirmière qui avait amené un patient blessé à l'hôpital et qui voulait retourner chez elle. Elle avait très peur, à juste titre car les risques étaient réels. Cette période a été quelque peu chaotique, jusqu'à l'arrivée du groupe d'intervention de la police nationale (GIPN) et des renforts.
Dans les territoires d'outre-mer, le problème de l'attractivité médicale se fait bien entendu sentir en cas de catastrophe naturelle, a fortiori en période de congés bonifiés. La période cyclonique correspond à la période des congés bonifiés d'août et de septembre. Les médecins partent pour deux mois, ce qui rajoute à la précarité des situations.
Les relations entre le COD et le SAMU sont un autre sujet compliqué. Elles étaient très confraternelles pendant les événements d'Irma, mais marquées par des difficultés de transmission. À Saint-Martin, lorsque la mission de l'établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires (EPRUS) est arrivée, au moment d'Irma 1, elle n'avait pas de véhicules. Le patron du COD a dit à l'équipe de l'EPRUS de se débrouiller, comme s'il s'agissait d'une simple organisation non gouvernementale (ONG), alors qu'elle représentait l'État. Bien entendu, nous étions dans une situation de totale urgence, mais les choses auraient pu mal se passer avec des gens moins souples. Heureusement, les équipes de l'EPRUS sont habituées aux situations difficiles.
Autre exemple, la Croix-Rouge est arrivée avec ses propres moyens de transmission – ses équipes sont allées planter une antenne quelque part. De notre côté, nous étions tributaires de Santé publique France et nous n'avions pas de réseau. Nous devions monter en haut du morne. Les pompiers avaient beaucoup de travail et ne pouvaient pas mettre leurs véhicules à notre disposition.
Pour ce qui nous concerne plus particulièrement, nous avons également du travail à faire et nous avons déjà commencé. Nous devons renouveler notre parc de téléphones satellitaires, améliorer les formations et clarifier le rôle de l'ARS par rapport aux transporteurs sanitaires. À Saint-Martin, cette problématique s'est révélée particulièrement aiguë pour les 80 personnes dialysées, qu'il était urgent d'aller chercher et de transporter, puisqu'elles ne pouvaient plus être traitées dans l'île. De même, il nous a fallu trouver des solutions pour les personnes âgées dépendantes. L'urgence vitale a très vite été traitée, mais pour toutes ces personnes isolées, nous étions démunis. Je dois dire que j'ai été épaté, sincèrement, par l'organisation guadeloupéenne. À l'aéroport de Pointe-à-Pitre, les gens ont été immédiatement pris en charge et une solidarité incroyable a pris le relais de l'État.
Le CHU doit aussi mieux organiser sa flotte de véhicules ou, comme nous disons, les lots de postes sanitaires mobiles.
Chaque crise est différente, mais nous sommes aujourd'hui mieux préparés pour la prochaine. Nous avons pris des mesures pour l'approvisionnement en eau. Des changements sont par ailleurs intervenus dans le management.
Parmi les recommandations que je pourrais formuler, sécuriser les télécommunications sur la zone de l'aéroport me paraît l'une des plus importantes. Il faut aussi prévoir des réunions entre chefs de service avant la levée de la cellule de crise par le COD. L'ARS est représentée au COD, mais pas le CHU. Il serait pourtant très utile qu'un cadre de direction de l'hôpital y participe. Cela simplifierait les procédures et éviterait les courts-circuits éventuels.
Point extrêmement important, dont j'avais parlé avec l'ancien préfet, traditionnellement, en période grise, quand les habitants sont confinés chez eux, seuls peuvent sortir les services de secours, c'est-à-dire les SMUR et les pompiers. Les personnels hospitaliers, en revanche, ne sont pas autorisés à se déplacer, alors qu'il est indispensable qu'ils rejoignent le CHU pour assurer la relève. Il est donc impératif de préciser désormais qu'ils font partie des services de secours. Lors de l'ouragan Maria, les routes ont été déblayées à une très grande rapidité.
Les questions sociales font également partie de notre réflexion sur des pistes d'amélioration possibles. Les assistantes sociales doivent être mobilisées beaucoup plus tôt. À Saint-Martin, le contrôle d'identité de certaines personnes a posé problème, mais cela ne nous concernait pas directement. Les chambres froides, mortuaires, sont un autre sujet important. Nous avons également pris conscience au CHU que nous avions un problème de stockage des repas plusieurs jours sur le site. Nous nous sommes engagés à augmenter notre traitement du froid.
Vous avez également posé des questions sur les médicaments. Il me semble qu'il serait intéressant de réfléchir à un réseau d'officines relais, qui pourrait assurer en proximité la distribution de médicaments. J'ai accueilli chez moi des pharmaciens de Saint-Martin dont les pharmacies avaient été dévastées par les pillages. Il n'y avait plus d'officine relais à Saint-Martin, soit une réelle difficulté. Le dépannage inter-îles est un autre sujet important. Les Saintes et Marie-Galante ont été très fortement impactées par Maria. Il faut gérer ensuite les questions administratives, pour savoir qui paie quoi, et ce n'est pas toujours très facile.
Monsieur le directeur, nous sommes très contents de vous entendre aujourd'hui. Dès votre arrivée, vous avez été confronté à un monde tumultueux, avec Maria, Irma et l'incendie de l'hôpital, qui n'a pas facilité les choses. Vous avez, je crois, traduit la réalité de ce qui s'est passé. Le CHU a une expérience certaine des événements climatiques majeurs et arrive en général à bien les gérer, sous réserve des points d'amélioration que vous avez cités.
Reste une préoccupation à l'heure actuelle. Ces événements climatiques ont vocation à se répéter et nous allons, dans quelques semaines, entrer dans une nouvelle phase climatique risquée. Nous avons subi un terrible incendie au CHU de Pointe-à-Pitre, le premier incendie de France pour un CHU. Aujourd'hui, les solutions de redéploiement de l'offre de soins ne semblent pas encore tout à fait stabilisées. Le déménagement de telle ou telle tour, la relocalisation ponctuelle ou définitive des différents services – je pense à la néonatalogie –, la reconstruction du nouveau CHU, d'actualité puisque l'appel d'offres a été acté, sont autant de questions qui me poussent à vous interroger.
Si d'aventure de nouveaux événements climatiques majeurs se produisaient dans les prochaines semaines, ce qui est tout à fait envisageable, avez-vous imaginé un dispositif spécifique lié à la situation actuelle du redéploiement de l'offre de soins en Guadeloupe ?
Si oui, quelles seront les mesures complémentaires nécessaires à mettre en oeuvre pour éviter de nouveaux dégâts matériels et humains, qui ne feraient qu'ajouter au sentiment d'insécurité de l'offre de soins, auquel vous faites face courageusement depuis plusieurs mois ?
Le personnel de l'hôpital, l'ARS, la préfecture et vous-même défendez des visions différentes. Tout ceci pourrait conduire à quelques hésitations. Avez-vous réfléchi à la manière de réagir en cas d'événement climatique majeur dans les prochaines semaines compte tenu de la situation particulière de notre CHU ?
Bienvenue, monsieur le directeur, à l'Assemblée nationale.
Ma préoccupation, vous l'imaginez, est similaire à celle de mon collègue Olivier Serva. Au mois de juin, c'est-à-dire demain, nous serons en saison cyclonique, puisque celle-ci s'étend à peu près de juin à début octobre. Nous savons qu'un plan d'action est prévu pour l'hôpital, mais nous savons aussi que l'inquiétude est grande actuellement à Pointe-à-Pitre. Des évacuations sanitaires ont lieu, dans des conditions normales ou forcées, et ceux qui ont un peu d'argent vont se faire soigner en France métropolitaine. Des accidentés de la route restent plusieurs jours à attendre une intervention. Des opérations parfois urgentes sont reportées à une huitaine de jours. On dit à certains patients qu'ils vont être opérés le lendemain alors que l'on sait bien que cela ne sera pas possible. Nous avons rencontré la directrice de l'ARS, qui s'était engagée à nous apporter des précisions à la fin du mois, mais nous sommes toujours dans l'attente de ces éléments.
Vous êtes confrontés aujourd'hui à des questions et à des responsabilités cruciales. Pouvez-vous nous assurer qu'un plan d'action est prévu pour l'hôpital et qu'il pourra être mis en oeuvre en cas d'ouragan ? Le personnel est démobilisé. Une partie du collectif de défense de l'hôpital ne travaille pas. Certains ont exercé leur droit de retrait. J'ai reçu la copie d'un courrier qui vous a été adressé, dans lequel des cadres hospitaliers affirment qu'ils ne sont pas associés aux discussions en cours. Compte tenu de cette démobilisation et de leur découragement, on peut douter que le petit personnel hospitalier et le personnel d'encadrement, médecins compris, aient le même état d'esprit, en cas de nouvelle catastrophe, que celui qu'ils ont manifesté lors d'Irma et que vous avez salué tout à l'heure. J'ai rencontré ces derniers temps, en Guadeloupe, des personnels qui sont en train de lâcher prise, alors qu'ils étaient, il y a quelques mois, mobilisés et volontaires.
Je vous remercie d'avoir soulevé ces questions, qui sont effectivement des questions majeures. Dans son organisation actuelle, le CHU est en effet installé sur plusieurs sites. À ce jour, il n'y a toujours pas de bloc opératoire fonctionnel sur le site du CHU. Nous louons donc des espaces pour l'activité de chirurgie d'urgence et programmée à la clinique Les eaux claires, et pour l'activité obstétricale et la chirurgie pédiatrique à la polyclinique. Nous ne sommes qu'à 80 % de nos capacités. Nous avons donc des difficultés de flux.
Je rappelle toutefois que nous n'avons pas créé de sites hors sol. La question que vous soulevez serait d'actualité si nous étions encore logés dans les tentes de l'ESCRIM – « élément de sécurité civile rapide d'intervention médicale ». Nos services sont aujourd'hui hébergés dans des sites sanitaires qui ont l'habitude d'être exposés à des cyclones et qui ont leurs propres procédures de confinement. Des adaptations sont toutefois nécessaires. En outre, nos urgences n'ont pas réintégré le site du CHU. Les travaux sont finis, mais nous devons attendre le passage, la semaine prochaine, de la commission de sécurité. Le bâtiment dans lequel elles sont aujourd'hui installées comporte des baies vitrées qu'il convient de fermer avec des plaques de contreplaqué. Le confinement est notre principale préoccupation à l'approche de la saison cyclonique.
Nous organisons des réunions sur chaque site pour vérifier que les épisodes cycloniques sont anticipés. Nous sommes plutôt confiants aujourd'hui, mais cette organisation sur plusieurs sites ajoute évidemment à la complexité. Il n'y a plus, aujourd'hui, un point unique de livraison, mais plusieurs. Faut-il deux points d'approvisionnement ? Nous manquons par ailleurs de locaux de stockage. Néanmoins, j'insiste sur ce point, les partenaires qui nous hébergent sont déjà aguerris aux cyclones. Nous avons des questions à régler, mais nous y travaillons.
Nous allons ouvrir nos blocs mobiles d'urgence le 18 juin, ce qui nous permettra de centraliser les urgences sur le site du CHU. Il y a effectivement une forme d'épuisement au sein du personnel. Vous avez raison, les gens ne comprennent plus où on va. Certains sujets doivent encore être tranchés s'agissant du nouveau CHU et de l'organisation des soins critiques sur un seul site. C'est l'État qui tranchera, et pas moi. La directrice générale de l'ARS doit justement nous réunir mardi prochain, 5 juin, à la résidence départementale pour annoncer le plan d'action arbitré au niveau interministériel. Vous allez recevoir une invitation.
Les rumeurs qui circulent alimentent le malaise. Le sujet est très compliqué et nous ne pouvons pas nous tromper. Nous voulons une organisation logique et nous avons bien sûr en tête les problématiques cycloniques et sismiques, ainsi que les questions de sécurité incendie. Nous ne voulons prendre aucun risque. Nous avançons, je crois, de la bonne manière. Nous communiquons tous les mois à travers un périodique sur la crise au CHU. J'entends bien que certains cadres se sentent exclus. Les travaux se font avec les cadres supérieurs de pôle et la communication ne circule pas toujours. Il y a toutefois de très bonnes idées.
Nous avons traité cette crise en fonction d'une organisation définie par la directrice générale de l'ARS. J'adhère pleinement à cette organisation, qui répond à un fonctionnement rationnel. De nombreuses auditions ont lieu. Le courrier auquel vous avez fait référence ne présente pas la position des cadres en général, mais de seulement trois d'entre eux. Une minorité s'arroge parfois le droit de parler au nom de la majorité silencieuse. Vous n'en avez pas moins raison, monsieur le député : on sent un vrai découragement aujourd'hui. Nous avons déployé des équipes de psychologues qui vont au contact des équipes. Certains personnels ont déménagé quatre fois, ce qui est beaucoup. Mais comme le préfet l'a souligné hier, les Guadeloupéens démontrent actuellement, outre leur sens de la solidarité, une grande capacité d'agilité. Nous aspirons tous à revenir rapidement sur le même plateau technique et à travailler de nouveau dans un environnement totalement sécurisé.
Merci, monsieur le directeur. Nous suivrons avec attention l'annonce du plan d'action. Si j'ai bien compris, plusieurs scénarios sont à l'étude, ce qui explique sans doute la demande pressante d'informations au niveau local.
Ce sont des informations dont je ne dispose pas moi-même, bien que nous ayons été associés à la réflexion… Mais je n'y vois rien à redire.
Pour l'instant, nous n'avons donc pas la garantie qu'en cas de nouvel événement climatique de forte intensité, nous serons en mesure de répondre à la demande de soins en Guadeloupe. Il me semble important de le souligner.
Ce n'est pas ce que j'ai dit. Les sites dans lesquels nos services sont hébergés sont préparés aux risques cycloniques.
C'est un autre sujet et, vous avez raison, ce serait difficile. Non parce que les services du CHU sont organisés sur plusieurs sites, mais parce que l'offre de soins en Guadeloupe est extrêmement tendue. Il y a notamment urgence à retrouver des capacités de réanimation. Nous sommes par ailleurs confrontés à un problème de démographie médicale, un certain nombre de médecins ayant quitté l'île.
Le collectif de défense de l'hôpital a demandé à nous rencontrer et a insisté sur le problème du laboratoire, en lien avec la pharmacie, la cardiologie et l'hémodialyse. Nos interlocuteurs nous ont donné un exemple, dont je ne saurais dire ce qu'il vaut, n'étant pas spécialiste. Si deux personnes sont en état de détresse cardiaque, il faut actuellement faire un choix entre les deux : l'un peut être soigné et l'autre pas. Vous l'avez dit, monsieur le directeur, l'hôpital travaille à flux tendus. Un tel choix est-il encore nécessaire aujourd'hui ?
Non, je ne crois pas. Je ne vois d'ailleurs pas à quelle situation vos interlocuteurs ont fait référence. Il est toujours facile de caricaturer. Il est vrai que le travail médical de secours et la régulation sont très difficiles, mais nous sommes toujours parvenus jusqu'ici à transférer les personnes en réanimation lorsque c'était nécessaire.
Vous évoquez la question du laboratoire et de la pharmacie, c'est-à-dire en réalité du plateau technique, qui a le plus souffert de l'incendie. Au laboratoire, tous les contrôles réglementaires permettant de démontrer l'absence de risques graves et imminents ont été menés. Nous sommes encore dans cette phase avec l'inspecteur du travail. Nous prenons toutes les dispositions nécessaires pour que les personnels puissent revenir au travail. La situation est tendue, mais jamais aucun médecin ne m'a dit qu'il avait été obligé de choisir entre un patient et un autre. Les urgences et les SMUR travaillent à flux tendus, mais comme c'est souvent le cas pour ces services. Paradoxalement, il y a même plutôt moins de passages aux urgences en ce moment qu'à la même période l'année dernière. Comment cela s'explique-t-il ? Tout simplement par le fait que les Guadeloupéens sont résilients et qu'ils ne vont aux urgences que lorsque cela leur semble vraiment nécessaire.
Je tenais cette information d'un cardiologue, mais pas de celui qui est à la tête du collectif de défense de l'hôpital. Ce cardiologue n'a jamais lâché prise, il continue de travailler et je le tiens pour quelqu'un d'assidu et de sérieux.
Si une telle situation s'est produite, elle doit faire l'objet d'une fiche d'événement indésirable grave. Les médecins doivent normalement signaler ce type d'événement pour qu'il soit traité dans le cadre de notre relation avec l'ARS. Il me paraît important qu'un retour d'expérience ait lieu, pour comprendre ce qui s'est passé. Très sincèrement, je n'ai pas eu connaissance d'un tel cas, qui ne constitue certainement pas une généralité, bien heureusement.
Je vous suggère, cher collègue, de formuler par écrit et très précisément votre question, afin d'obtenir une réponse circonstanciée sur la capacité du CHU à répondre aux urgences.
Nous vous remercions, monsieur le directeur. N'hésitez pas à nous fournir des documents complémentaires.
L'audition s'achève à dix-huit heures cinquante-cinq.
Membres présents ou excusés
Réunion du mercredi 30 mai 2018 à 18 heures
Présents. - Mme Claire Guion-Firmin, M. Yannick Haury, Mme Maina Sage
Excusés. - M. Bertrand Bouyx, M. Mansour Kamardine, M. Philippe Michel-Kleisbauer, M. Hugues Renson
Assistait également à la réunion. – M. Max Mathiasin