Pour ce qui est de l'augmentation du besoin de financement, nous ne sommes pas le premier émetteur au sein de la zone euro – c'est l'Italie qui occupe cette place, avec une certaine avance. Le mécanisme que vous avez décrit est bien réel : il existe, du fait du refinancement des dettes passées, une pression à la hausse sur le besoin de financement de l'État, qui ne pourra être contrôlée, si l'on tient à ne pas creuser davantage l'écart qui nous sépare de l'Allemagne, qu'au prix d'un effort de réduction du déficit budgétaire. Nous pouvons lisser jusqu'à un certain point le profil de remboursement et diminuer ainsi l'endettement des années à venir, puisque le Parlement nous fixe un plafond d'émission net des rachats, mais cette fonction ne peut aller à l'encontre d'un mouvement structurel d'augmentation du besoin de financement et de hausse des remboursements. Il s'agit là d'une question qui risque de se poser avec insistance au cours des années à venir.
J'en viens à la question portant sur la politique monétaire. Se demander dans quelle mesure il est possible d'appliquer une politique monétaire unique à un ensemble de pays revient à s'interroger sur les zones monétaires optimales. Les États-Unis présentent des situations économiques très variées d'un État à l'autre, ce qui ne les empêche pas d'appliquer une politique monétaire unique à l'échelle fédérale, grâce à des mécanismes de transferts budgétaires fédéraux permettant de faire face aux chocs asymétriques qui peuvent être ressentis par l'application, dans tel ou tel État fédéré, d'une politique monétaire ne correspondant pas à la nature du cycle économique auquel il est soumis. Mettre en oeuvre un mécanisme similaire en Europe nécessiterait de s'interroger au préalable sur un éventuel approfondissement de l'intégration européenne, avec toutes les conséquences que cela implique.
À la question du risque d'éloignement des investisseurs institutionnels que pourrait susciter une modification de l'environnement fiscal en France, je répondrai d'abord que notre dépendance vis-à-vis d'une seule catégorie d'investisseurs est limitée. Notre politique consiste à favoriser la plus grande diversification possible de notre base, à la fois en termes géographiques et en termes de types d'investisseurs. Je pense pouvoir dire que nous y avons largement réussi ; c'est ce qui nous a permis, au cours de ces dernières années, de faire face à des chocs résultant du retrait brutal d'une catégorie d'investisseurs potentiellement candidats à l'achat de titres français. Quand les cours du pétrole s'effondrent, les revenus des pays du Moyen-Orient, donc leurs actifs, sont moins importants et leur appétit pour la dette française peut s'en ressentir fortement. Nous avons pu faire face à cette situation parce que nous disposions d'autres poches d'investisseurs disposés à acheter de la dette française, et capables de le faire.
Oui, les assureurs vie français sont d'importants détenteurs de la dette publique – ils en détiennent environ 20 %, pourcentage plutôt en baisse ces dernières années. Il faut voir comment la fiscalité déterminera des décisions d'investissement ou de désinvestissement en accompagnement d'un univers de taux qui va plutôt se resserrer et des taux qui vont monter.
On m'a demandé si l'on a mis en place des protections contre le risque d'usurpation et de manipulation de marché. Pour éviter en particulier toute « fraude au président », nous avons par exemple anonymisé notre organigramme afin que les agents ne puissent pas être identifiés et être sujets à ce genre de tentative de manipulation. Mais de nombres autres courts-circuits ont été prévus, qui nous protègent.
L'introduction d'une clause de remboursement anticipé s'analyse comme une composante optionnelle qui serait insérée dans l'obligation. Cela nous éloignerait du monde des obligations dites « vanille » que nous émettons aujourd'hui et les investisseurs n'auraient plus le même intérêt. Par ailleurs, il n'y a pas de « déjeuner gratuit », comme on dit : si jamais nous introduisions une telle clause ou si nous souhaitions racheter par anticipation des titres, nous le ferions aux conditions de taux et de prix qui prévalent aujourd'hui. Nous serions amenés à racheter au-dessus du pair des obligations que nous aurions éventuellement émises au pair. Il n'y a pas de gain à faire cette opération de transformation, mais nous essayons de profiter des conditions de taux actuels pour émettre le maximum de dette au taux d'intérêt le plus faible possible.
La trajectoire de la dette est-elle une bombe à retardement ? Si le graphique que je vous ai montré tout à l'heure a peut-être de quoi inquiéter, c'est parce qu'il se focalise uniquement sur la partie charges pour le budget de l'État et pas sur ce qui se passe du côté des produits. Mais suivant l'environnement de marché qui génère cette trajectoire de hausse des taux, vous pouvez avoir en fait une réaction asymétrique avec des recettes fiscales qui réagissent beaucoup plus rapidement. Je dis souvent aux investisseurs : contrairement à ce qu'ils peuvent penser, je souhaite que la hausse des taux intervienne et qu'il y ait une normalisation rapide de la politique monétaire. Ce serait le signe d'un environnement macroéconomique beaucoup plus porteur et les recettes fiscales de l'État réagiront beaucoup plus rapidement et positivement. Normalement, le déficit public se réduirait – pour autant que, j'insiste sur ce point, les dépenses soient tenues.