Intervention de Nathalie Loiseau

Réunion du jeudi 5 juillet 2018 à 10h00
Commission des affaires européennes

Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes :

Madame la présidente, Mesdames et Messieurs les députés, je suis heureuse de vous retrouver pour vous faire part des résultats du Conseil européen des 28 et 29 juin derniers, dont l'agenda, vous l'avez dit, était chargé. Plusieurs réunions se sont successivement tenues : Conseil européen, Conseil en format « article 50 », sommet de la zone euro en format élargi.

C'est avant tout sur la question des migrations que le Conseil européen était attendu, après les tensions politiques intervenues en Italie et en Allemagne.

Les chefs d'État et de gouvernement ont su définir une position commune et proposer une solution globale, coopérative et conforme aux valeurs européennes, alors même que certains appelaient à faire prévaloir les égoïsmes nationaux. Tout n'est pas réglé, c'est certain, car si les flux des migrants qui empruntent la route de Méditerranée centrale se réduisent très fortement – de 77 % entre l'année dernière et cette année –, le système européen de gestion de l'asile et des migrations demeure incomplet. La question des mouvements secondaires continue à alimenter les tensions.

Le Conseil européen a permis de dégager une approche globale qui repose sur trois piliers. Sur le volet externe, l'Union européenne s'engage à aider les pays de transit comme les pays d'origine. Un effort supplémentaire est attendu pour que ceux-ci réadmettent leurs ressortissants quand ils ne relèvent pas du droit d'asile. S'agissant des pays de transit, la France a été pionnière en déployant des missions de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) au Niger et au Tchad, qui permettent d'identifier les personnes relevant de l'asile de manière à les réinstaller en Europe et d'informer pleinement ceux qui n'en relèvent pas des risques encourus du fait qu'ils n'auront pas le statut de réfugiés.

C'est dans cet esprit et en étroite coopération avec le HCR que le Conseil européen s'est dit prêt à étudier le concept de plateformes régionales de débarquement dans des pays tiers volontaires. Je ne cache pas que nous avons accepté cette partie des conclusions tout en étant conscients qu'un certain nombre de pays au sud de la Méditerranée étaient hésitants, voire réticents, mais nous avons surtout souhaité que le HCR soit au centre de ces projets s'ils devaient voir le jour. En parallèle, les moyens de Frontex seront renforcés pour passer à 10 000 garde-côtes et garde-frontières et les conclusions du Conseil européen, s'appuyant sur les propositions de la commission, le rappellent. Certains voudraient même aller plus vite.

En matière de sauvetage en mer, les conclusions réaffirment les règles du droit de la mer, qui dispose que les personnes secourues sont débarquées dans le port sûr le plus proche. Elles prévoient donc la mise en place en Europe de centres d'accueil contrôlés qui bénéficieront de moyens européens beaucoup plus significatifs, en matière de financement, en matière d'expertise sur place en nombre suffisant pour que les personnes arrivées sachent rapidement si elles relèvent du droit d'asile, auquel cas elles seront relocalisées en Europe ou si elles seront reconduites dans leur pays d'origine.

Au-delà, le Conseil a appelé à réviser le règlement de Dublin en réaffirmant la responsabilité des pays de première entrée mais en l'accompagnant, dans cet esprit, de mécanismes de solidarité à la hauteur.

Le Conseil autorise également chaque État membre à prendre les mesures législatives et réglementaires nécessaires pour que les règles sur les mouvements dits « secondaires », lorsqu'un demandeur d'asile doit être renvoyé dans le pays de première entrée puissent être appliquées efficacement – on le sait, l'Allemagne était très attachée à ce que cela soit inscrit dans les conclusions du Conseil européen.

Le besoin d'une finalisation rapide de l'ensemble du « paquet asile » qui comprend sept textes a été rappelé. Il était important de réaffirmer la volonté de parvenir à un accord sur le règlement de Dublin, sans lequel il ne pouvait pas y avoir de solution durable, et à l'encontre de ceux qui pensaient que Dublin était mort et que ce n'était plus la peine de travailler dans cette direction.

Le danger d'un blocage ou d'une division de l'Union européenne sur les migrations a été écarté, peut-être de manière temporaire, mais le Conseil européen a su faire mentir tous ceux qui disaient que l'Europe était divisée et serait paralysée.

Les tentations populistes demeurent cependant. Or seule une approche résolument européenne et coopérative pour répondre efficacement aux défis migratoires. Nous avons pu écarter les suggestions malheureusement faites, qui contrevenaient à nos valeurs, comme celle qui consistait à compter sur des pays tiers pour y éloigner des êtres humains, qui ont, je le rappelle, le droit de déposer une demande d'asile que les pays européens ont le devoir d'examiner.

Le deuxième sujet particulièrement sensible de ce Conseil européen était les questions économiques et financières, ou plutôt financières et monétaires. La France et l'Allemagne s'étaient engagées au mois de décembre dernier à présenter une approche commune sur l'union économique et monétaire. Nous y sommes parvenus lors du sommet de Meseberg. Combien pensaient que c'était impossible et que jamais l'Allemagne et la France ne produiraient une feuille de route conjointe au sommet de la zone euro en format élargi !

Le Conseil européen a pris acte des progrès obtenus notamment sur l'Union bancaire et à travers la mise en place d'un filet de sécurité, le fameux backstop pour le fonds de résolution unique. Les conclusions font aussi référence à nos idées de budget de la zone euro, en mentionnant la lettre du président de l'Eurogroupe, qui s'y réfère.

Meseberg a constitué une étape fondamentale vers un véritable budget de la zone euro, avec une date proche – 2021 –, des ressources adaptées, venant des États de la zone Euro mais aussi de taxes européennes, destiné à permettre de maintenir les investissements et de contribuer à stabiliser les économies en cas de crise. Je ne sous-estime en aucun cas les difficultés qui sont devant nous ni les réticences de certains États membres, en particulier les Pays-Bas, mais nous avons créé une nouvelle dynamique qui doit nous permettre de parvenir à un accord. Il en va d'ailleurs de même dans le domaine fiscal, où nous sommes parvenus avec l'Allemagne à une base commune pour l'impôt sur les sociétés.

Les chefs d'État et de gouvernement ont fait le point sur les progrès de l'Europe de la défense, avec de nouveaux développements de la coopération structurée permanente, dans le cadre de laquelle des nouveaux projets seront présentés à l'automne. Avec l'accord trouvé sur le programme européen de développement industriel dans le domaine de la défense, doté de 500 millions d'euros, qui permettra de financer de premiers projets dès 2019 et qui préfigure le futur Fonds européen de défense que la Commission envisage de doter de 13 milliards d'euros. Sur l'adoption du programme européen de développement industriel dans le domaine de la défense, je voudrais rendre hommage à notre compatriote Françoise Grossetête, qui a joué un rôle clé au Parlement européen pour défendre ce programme précurseur, pilote, le faire comprendre et rallier une majorité très significative dans des conditions très satisfaisantes.

L'initiative européenne d'intervention lancée le 25 juin a également été présentée par le président de la République et a suscité l'intérêt de beaucoup de chefs d'État et de gouvernement au Conseil européen. L'articulation entre l'Europe de la défense qui se construit sous nos yeux et l'Organisation du Traité de l'Atlantique Nord (OTAN) a été largement évoquée. Il existe désormais un large consensus sur leur complémentarité et sur la nécessité pour l'Union de développer son autonomie stratégique. Il est même frappant de voir avec quelle facilité on utilise aujourd'hui autour de la table du Conseil européen une expression qui n'avait pas droit de cité il y a à peine un an. Il faut cependant rester vigilant car rien en la matière n'est encore totalement acquis.

Sur la sécurité et le terrorisme, je mentionnerai l'intention affirmée par la Commission européenne – c'est une bonne nouvelle – de présenter, comme nous le souhaitions, une loi pour s'assurer que tous les appels à commettre des actes terroristes soient immédiatement identifiés et retirés des plateformes numériques. En quelques mois, la Commission est passée d'une attitude s'appuyant sur la bonne volonté des acteurs du numérique au souhait, sur le sujet particulier du terrorisme, de présenter une proposition législative cet automne.

Quant aux questions d'emploi, de croissance et de compétitivité, le Conseil européen a endossé les recommandations par pays proposées par la Commission dans le cadre du Semestre européen. Il a aussi, comme nous le souhaitions, insisté sur la nécessité de défendre le multilatéralisme commercial et de réformer l'OMC. Les conclusions appellent à l'adoption rapide du règlement permettant de contrôler les investissements étrangers, c'est aussi une évolution bienvenue, cette fois dans la manière dont nos partenaires voient la nécessité de surveiller les investissements étrangers dans l'Union européenne. Les conclusions soulignent aussi l'unité et la fermeté dont les Vingt-Huit font preuve face aux mesures unilatérales prises par les États-Unis, pour le moment sur l'acier et sur l'aluminium. Comme vous le savez les mesures européennes dites « de rééquilibrage » sont entrées en vigueur le 22 juin dernier.

En matière d'innovation, les conclusions reprennent nos propositions sur l'innovation de rupture et annoncent la mise en place d'un Conseil européen de l'innovation.

Les conclusions appellent enfin à ce que le Conseil progresse vers une juste taxation des principaux acteurs du numérique. Ce débat reste difficile, mais je note que les appels lancés jusqu'à présent par l'Irlande, par Malte, le Luxembourg ou le Danemark à attendre une décision de l'Organisation pour la coopération et le développement économiques (OCDE), dont on sait qu'elle est hypothétique, se font plus discrets.

Le petit déjeuner du 29 juin était consacré au Brexit. Les conclusions disent avec une grande clarté, teintée d'une inévitable pointe de brutalité, que le compte n'y est pas en ce qui concerne l'accord de retrait, dont la négociation doit pourtant se conclure en octobre.

Le problème fondamental reste la question de la frontière irlandaise. La proposition britannique d'une union douanière couvrant l'Union européenne et le Royaume-Uni est au fond inacceptable pour les vingt-sept puisqu'elle reviendrait, pour une période indéterminée, à permettre un accès au marché unique à la carte. C'est très exactement le contraire des orientations sur lesquelles nous nous sommes mis d'accord depuis le début de la négociation. C'est dans ce contexte que les conclusions appellent dès lors à préparer toutes les hypothèses, y compris celle très défavorable et que personne ne souhaite une absence d'accord, à laquelle il serait déraisonnable aujourd'hui de ne pas se préparer.

Trois sujets ont été traités rapidement.

Le Conseil européen n'a pas retenu le calendrier proposé par la Commission pour le cadre financier pluriannuel, d'abord longtemps discuté au Conseil « Affaires générales ». La Commission souhaitait voir négocié l'essentiel du cadre avant l'ajournement des travaux du Parlement européen pour les élections. C'est à la fois peu réaliste, compte tenu de la distance qui sépare les positions des uns et des autres, et peu souhaitable de mon point de vue et d'un point de vue démocratique, alors que les électeurs sont appelés aux urnes en mai. Le Conseil européen s'est dès lors borné à inviter le Parlement et le Conseil à examiner ces propositions dans les meilleurs délais et à rejeter le calendrier proposé par la Commission.

La prolongation des sanctions sectorielles contre la Russie n'a pas fait l'objet d'une contestation au fond. Au cours d'un bref débat, le Président de la République et la Chancelière ont fait, comme de coutume, le point sur les travaux menés au « format Normandie » pour mettre en oeuvre les accords de Minsk, travaux qui ne justifient pas à ce jour de lever les sanctions.

Enfin, le Conseil européen a endossé les conclusions adoptées au Conseil « Affaires générales » du 26 juin, qui adressent un signal positif à l'Albanie et à l'ancienne République yougoslave de Macédoine, que nous appellerons prochainement, si le référendum le permet, « Macédoine du Nord », pour leurs efforts, sans permettre l'ouverture de négociations. Cette discussion reprendra au mois de juin 2019. Nous y étions attentifs : on n'ouvre pas des négociations d'élargissement à un moment où l'Union européenne est loin d'avoir accompli sa mue et où les réformes attendues de ces deux pays ont commencé à être adoptées, pas toujours à être mises en oeuvre, et sont, en tout cas, insuffisantes pour ouvrir les négociations dès 2018.

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