Le Brexit se rapproche, et dans des conditions qui ne sont pas très rassurantes. M. Bourlanges demande pourquoi ne pas travailler à une union douanière avec le Royaume-Uni. Le problème, aujourd'hui, c'est que nous ne parvenons pas à obtenir du Royaume-Uni une réponse satisfaisante sur l'accord de retrait, en particulier sur la frontière irlandaise et sur la mise en place ce que l'on a appelé le backstop, c'est-à-dire la liberté de circulation des biens et un alignement réglementaire spécifique aux relations entre l'Irlande du Nord et la République d'Irlande. La réponse du Royaume-Uni nous inquiète parce qu'elle parle d'un backstop pour un temps limité, ce qui n'est donc pas une réponse définitive à la question irlandaise, et étendu à l'ensemble du Royaume-Uni. Le Royaume-Uni parle ainsi de circulation des biens sans dire s'il est aussi question de libre circulation des services, ni mentionner le moins du monde l'alignement réglementaire. Ce serait donc une version très dégradée de ce qui est proposé à l'Irlande du Nord et en même temps étendue pour une période non déterminée à l'ensemble du Royaume-Uni. On voit que ce serait un accès à la carte au marché unique, avec le risque d'un démembrement de ce marché unique.
Cela ne signifie que nous ne devons pas travailler à un partenariat douanier avec le Royaume-Uni, nous en sommes bien d'accord, mais la difficulté à laquelle nous nous heurtons, c'est que, pour le moment, Mme May ne négocie pas avec l'Union européenne mais avec les membres de son Gouvernement. Elle réunit celui-ci demain pour présenter un Livre blanc sur le Brexit, et l'on peut tout de même s'interroger sur le fait qu'un tel document ne sorte que deux ans après la décision, et qu'il ne soit pas sorti avant le Conseil européen qui, de ce fait, n'a pas rédigé d'orientations mais simplement des conclusions pour dire que le compte n'y est pas et que le temps presse.
S'agissant de l'Europe de la défense, Monsieur Pueyo, je partage votre appréciation sur ses progrès et sur l'importance que cela a pour les opinions publiques. Pour avoir participé au processus de consultation citoyenne et avoir fait trente-deux déplacements à ce jour, je confirme l'intérêt et l'attente de nos concitoyens autour de ces questions. Ce n'est pas une discussion entre experts à Bruxelles, c'est quelque chose qui parle à nos compatriotes et au-delà dans l'Union européenne.
J'en viens aux questions migratoires. Ma vision des choses, c'est qu'il existe un défi migratoire. On ne peut passer sous silence le fait que deux millions de personnes sont entrées dans l'Union européenne depuis 2015. Ces personnes n'ont pas disparu, et la question est en particulier celle des mouvements secondaires autour de ces arrivées massives, sans précédent récent. Nous ne sommes pas à un pic migratoire. Depuis 2016 et la signature de l'accord avec la Turquie et le travail avec les pays d'origine, les flux ont fortement diminué, mais ce serait une erreur de se dire qu'il n'y a plus de sujet. Il y a un sujet sur la durée. Au moment où les flux en Méditerranée centrale sont beaucoup moins importants, ils augmentent en Méditerranée occidentale et parfois sur la frontière terrestre entre la Turquie et la Grèce. Le sujet est donc devant nous, et se pose de toute façon la question des mouvements secondaires, qui ne trouve pas de traitement satisfaisant aujourd'hui au sein de l'Union européenne.
Il est toutefois vrai qu'on assiste à une exploitation politique de ces phénomènes. Dans « populisme » il y a « peuple », certes, mais dans « démagogie » il y a demos, et dans « opportunisme », « opportunité ». Ne jouons pas avec les mots. Des gens, qui ne sont pas là pour trouver des solutions mais pour envenimer les problèmes et en vivre, en ont fait leur fonds de commerce. Ils sont présents dans certains Gouvernements de l'Union européenne. Cela ne s'appelle pas toujours l'extrême droite, cela s'appelle souvent l'opportunisme. Certains ont des étiquettes « sociaux-démocrates » et disent : « Pas un migrant chez moi. ». Ce sont les populistes qui n'aiment pas que l'on dise « populiste ». Nous n'avons pas envie d'être d'accord avec eux, c'est parfaitement assumé.
Ils étaient en partie autour de la table et n'étaient pas là pour trouver des solutions. On le voit depuis lors : le fait que des solutions aient été trouvées les dérange. Ils sont là pour maintenir la crise. Ce Conseil s'est tenu dans le cadre d'une crise politique en Italie et en Allemagne, et l'objectif des populistes n'est pas de bâtir à partir de solutions coopératives mais d'envenimer les problèmes.
On voit aussi, et c'est une raison d'espérer, que ces populismes se détruisent entre eux. À force pour eux d'avoir l'oeil rivé sur les prochaines échéances électorales ou sur leurs opinions nationales, qu'ils manipulent ou à qui ils font peur, les « axes » que l'on nous avait annoncés, avec un vocabulaire qui inspire de l'effroi, quand on entend parler d'« axe Rome-Berlin », ont volé en éclats car, lorsqu'il s'agit de raccompagner des personnes dans un autre pays, cet autre pays dit non. L'Autriche n'est pas d'accord avec l'Allemagne, l'Italie n'est pas d'accord avec l'Autriche. L'Italie demande plus de solidarité européenne et Viktor Orbán a du mal à en entendre parler.
Cela a été le travail de la France de dire que l'agenda ne pouvait être fixé par les populistes et devait l'être par les progressistes. C'est pourquoi nous avons parlé avec tout le monde.
Je ne convaincrai pas forcément La France insoumise que les valeurs européennes en sont sorties protégées. J'ai entendu des ONG nous dire qu'en parlant de développement de l'Afrique nous souhaitions assigner à résidence les Africains en Afrique. Je regrette, mais la responsabilité ne consiste pas à dire aux plus jeunes et aux plus entreprenants que leur destin est ailleurs ; je ne peux me résoudre à cette fatalité. Le Conseil européen a décidé de réabonder le fonds fiduciaire d'urgence pour l'Afrique ainsi que le fonds pour la Turquie. Les fonds destinés à l'accueil des réfugiés en Turquie, Monsieur Pueyo, vont aux ONG et aux collectivités locales, quasiment pas à l'État turc. C'est ce qui explique d'ailleurs les propos souvent critiques de l'État turc vis-à-vis de la manière dont l'Union européenne intervient sur les réfugiés en Turquie ; cela ne correspond sans doute pas à ce qu'attendait M. Erdoğan, mais cela assure la scolarisation des enfants, une couverture maladie, et doit donc être poursuivi.
Le Conseil européen n'est pas là pour récrire Dublin mais pour donner des orientations politiques. Certains disaient que Dublin ne marche pas, que la solidarité n'a pas marché comme elle aurait dû marcher. Ce qui n'a pas marché, c'est en réalité l'idée de relocalisation obligatoire. Certains ont dit : « Pas de ça chez nous », alors même qu'il y avait eu une décision du Conseil et des décisions de la Cour de justice de l'Union européenne. Nous le regrettons. Comment oblige-t-on un pays à accueillir des réfugiés alors qu'il ne le souhaite pas ? On ne sait pas, et les relocalisations obligatoires ont pris fin en septembre 2017.