Commençons par l'État de droit et la Pologne, pour répondre à Coralie Dubost et Vincent Bru. La question a été longuement abordée au Conseil « Affaires générales », notamment lors d'une audition de la Pologne dans le cadre de l'article 7 du Traité, le 26 juin dernier. Au début de cette longue audition, la Pologne a fait un exposé liminaire d'environ une heure pour nous expliquer que les réformes de la justice entreprises constituaient un pas en avant vers l'État de droit. Durant les deux heures suivantes, les questions posées ont montré que la Pologne n'avait pas convaincu, en particulier sur les derniers éléments relatifs à la mise à la retraite forcée de plus d'un tiers des membres de la Cour suprême, notamment de sa présidente. Cette mise à la retraite forcée est intervenue hier.
La Commission européenne a décidé de mettre en place une procédure d'infraction. La Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) devra donc se prononcer, ce qui signifie concrètement que la nomination de nouveaux juges à la Cour suprême pourrait être contestée. Je fais immédiatement un lien avec le fait majoritaire et les démocraties « illibérales ». Il n'est pas indifférent de savoir que, dans les différentes étapes de la réforme de la justice en Pologne, la modification de la composition de la Cour suprême n'est pas sans incidence sur les élections de l'année prochaine. La Cour suprême doit, en effet, valider le résultat et le bon déroulement des élections en Pologne. Ce n'est donc pas tout à fait un hasard si ce régime s'en est pris à la Cour suprême. Les différentes réformes ont été faites de manière très méthodique : l'équivalent du Conseil supérieur de la magistrature français, les tribunaux ordinaires, la Cour constitutionnelle, la Cour suprême. Dans ce contexte, le prochain cadre financier pluriannuel prévoit de subordonner le versement des fonds européens au respect de l'État de droit et une suspension du versement de ces fonds en cas d'atteinte à l'État de droit. Nous sommes profondément d'accord avec cette proposition.
Avec qui travaillons-nous sur cette question d'État de droit ? Nous travaillons systématiquement avec l'Allemagne quand il s'agit de parler de l'État de droit en Pologne. Mon collègue allemand ou moi-même, nous nous exprimons au nom des deux pays. Les pays scandinaves nous appuient fortement ; les Pays-Bas et la Belgique sont très attentifs à cette question. Quand nous sommes allés à Vienne, la présidence autrichienne s'est engagée à maintenir la pression sur la question de l'État de droit dans l'Union européenne. Même si l'on ne juge qu'aux actes, c'est important de le noter. Nous pouvons aussi compter sur l'Espagne et le Portugal. Pour colorer la réalité d'une teinte moins optimiste, je signale que nous n'étions que quatorze quand il s'est agi d'enclencher l'article 7. Ce fut suffisant mais nous n'étions que quatorze pour décider de l'audition. Certains pays insistent sur le dialogue mais, quand celui-ci ne produit pas de résultat, on ne peut pas s'en contenter.
Alexandre Holroyd m'a interrogée sur l'éventualité d'un soutien aux collectivités locales qui accueillent des migrants. Nous l'avions proposé, et la Commission a retenu cette proposition dans le prochain cadre financier pluriannuel. Nous allons défendre cette idée de fonds dédiés aux collectivités locales qui accueillent des migrants – et se détournant de celles des pays qui ne les accueillent pas. C'est une réponse plus fine que les sanctions. On peut dire que l'on va sanctionner les pays qui n'accueillent pas de migrants, mais on sait que, à la fin des fins, on n'arrivera pas à le faire. En revanche, le fait de dédier une partie des fonds de cohésion aux pays et aux collectivités locales qui accueillent des migrants peut avoir un caractère incitatif. Certaines collectivités locales, polonaises ou autres, peuvent se déclarer intéressées, en dépit des positions prises à l'échelle du pays. Elles peuvent être prêtes à accueillir des migrants et à être soutenues par l'Union européenne. Cela crée un autre genre de dialogue, qui mérite d'être encouragé. Je le dis en ayant des exemples précis à l'esprit.
Le dialogue est en cours sur la fiscalité européenne, la lutte contre l'optimisation et la fraude fiscales, l'harmonisation de la TVA. Il n'est évidemment pas facile car chaque pays considère que la fiscalité relève de sa souveraineté nationale, mais il est néanmoins indispensable. Le Conseil européen a parlé de TVA avec Andrej Babiš, le Premier ministre tchèque, qui est attaché à sa proposition de lutte contre la fraude dans ce domaine. Cette proposition ne recueille pas forcément le soutien de tous. À l'occasion des cent ans de l'armée tchécoslovaque, nous avons revu Andrej Babiš et nous nous sommes engagés à faire avancer ce dossier. À l'évidence, les fraudes à la TVA continuent dans l'Union européenne, et nous devons trouver un moyen efficace d'y mettre fin.
S'agissant des entreprises éphémères, il nous faut trouver un équilibre entre la préservation de l'attractivité du territoire de l'Union européenne et la lutte contre les fraudes fiscales et sociales. Nous sommes tout à fait favorables à la mise en place d'une autorité européenne du travail, mais ce dossier n'avance pas en raison de diverses réticences : les pays scandinaves considèrent que leur modèle est le bon et qu'ils n'ont besoin de personne ; les pays de l'Est pensent que l'harmonisation sociale ne peut se faire qu'à leur détriment.
À cet égard, nous avons eu une conversation intéressante avec le Premier ministre tchèque et le Premier ministre slovaque, samedi matin à Paris. Ils nous ont parlé du drame du plein-emploi auquel ils sont confrontés, de la nécessité absolue d'augmenter les salaires et de faire revenir de la main-d'oeuvre. Cette situation ne les incite toujours pas accueillir des migrants, mais elle devrait les conduire à développer un modèle social plus attractif pour leurs propres populations. Conscients de cette évolution, nous avions poussé à réformer la directive sur les travailleurs détachés : nous savions qu'au moins deux pays du groupe de Visegrád commençaient à voir la réalité économique et sociale s'imposer à eux.
Il est souvent question du groupe de Visegrád, de sa force et de sa capacité à fixer l'agenda européen mais, dans le cas que je viens de citer, il n'a pas été uni. Il y a d'autres cas. Le groupe de Visegrád a pris l'habitude de parler fort, en particulier sous la présidence de Viktor Orbán, qui s'est achevée le 30 juin dernier. C'est désormais le Premier ministre slovaque qui dirige le groupe de Visegrád. Ce V4, qui n'est pas toujours uni, plaît beaucoup aux journalistes, mais je ne suis pas sûre que les propos de Viktor Orbán influencent nos opinions publiques.