Intervention de Nathalie Loiseau

Réunion du jeudi 5 juillet 2018 à 10h00
Commission des affaires européennes

Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes :

Ce terme de « disruptif » m'amène au Conseil européen de l'innovation, qui est la traduction de l'Agence européenne pour l'innovation de rupture que nous avions proposée. Nous sommes heureux de voir l'idée progresser. Cela fait partie des acquis de la réunion de Meseberg, repris par le Conseil européen dans le prochain cadre financier pluriannuel. Nous sommes en train de pousser à la mise en place d'une phase pilote, dès le présent budget, d'un Conseil européen d'innovation finançant des projets dont il faut que l'Union européenne s'empare beaucoup plus nettement qu'elle ne l'a fait par le passé.

L'Allemagne sera-t-elle proactive en ce qui concerne la déclaration de Meseberg ? Vous ne serez pas surpris de m'entendre dire que la crise politique allemande n'est sans doute pas terminée et que la chancelière est dans une position compliquée. Angela Merkel a connu d'autres crises. Elle est très attaquée par des gens qui ont en ligne de mire les élections en Bavière, le 14 octobre prochain, et qui, pour le moment, ne tirent pas de bénéfice dans les sondages des attaques auxquelles ils se livrent. Pour le moment, la CSU est en perte de vitesse. Il faut se garder de conclusions hâtives.

En tout état de cause, la réunion de Meseberg apporte la preuve que l'Allemagne a fait son chemin sur la question de la zone euro. Elle a choisi d'écouter Mario Draghi, Christine Lagarde et tous ceux qui disent que, sans budget de la zone euro, on n'y arrivera pas la prochaine fois. Ce n'est pas un changement idéologique. D'ailleurs, notre position n'est pas idéologique. Nous faisons preuve de pragmatisme en nous demandant comment nous ferons face à la prochaine crise. Nous pouvons le faire maintenant ou attendre d'être au milieu de la crise. Les Néerlandais réclament encore un peu plus de réduction des risques avant que nous réfléchissions à quoi que ce soit d'autre.

Pour ma part, je n'ai pas de boule de cristal : la prochaine crise ne nous préviendra pas de son arrivée. Si nous ne sommes pas prêts, nous perdrons du temps et de l'argent, et nous ferons souffrir des populations parce que nous n'aurons pas mis en place les instruments qui nous permettraient d'éviter de revivre une crise comme celle de la Grèce. À un moment où la Grèce sort du plan de sauvetage, n'oublions pas que la population grecque a vécu des choses particulières. En Europe, les égoïsmes nationaux sont dus au fait que certains n'ont pas vu ce que voulait dire la crise pour les populations, pour les jeunes au chômage. Ils demandent encore un peu plus de réduction des risques avant d'aller plus loin dans la discussion. C'est facile à dire quand tout va bien. Pour notre part, nous préférons les alerter sur le fait qu'il y aura forcément une crise quelque part et qu'il faudra y faire face.

La crise viendra peut-être d'une sortie sans accord du Royaume-Uni de l'Union européenne. Personne ne le souhaite, mais cela peut tout à fait se produire. Le Brexit n'était pas une décision rationnelle, une sortie sans accord n'en serait pas une non plus. Les membres du gouvernement de Mme May ne sont pas d'accord entre eux, ce qui ne facilite pas la négociation. Nous pensions que l'accord de retrait serait finalisé en juin. Nous sommes en juillet, et il n'est toujours pas finalisé sur l'Irlande, la gouvernance, les indications géographiques. Les Britanniques nous demandent de respecter leurs indications géographiques mais ils ne nous ont toujours pas dit qu'ils respecteraient les nôtres.

Que signifierait un Brexit sans accord ? Du jour au lendemain, on ne saurait pas poser un avion britannique sur le sol européen et vice et versa ; on ne saurait pas produire des médicaments avec des composants fabriqués en France et au Royaume-Uni ; on ne saurait pas organiser les contrôles vétérinaires. On appliquerait les règles de l'OMC. Pendant cette période, chaque État membre négocierait des accords bilatéraux extrêmement nombreux avec un Royaume-Uni qui serait, à l'évidence, dans une crise majeure. À la fin des fins, c'est-à-dire au bout d'années de crise politique, économique et sociale pour le Royaume-Uni mais aussi pour nous, on pourrait toujours imaginer y arriver. Nous ne souhaitons évidemment pas ce scénario. C'est la raison pour laquelle nous avons une méthode de négociation claire, transparente, publique. Les mandats de négociation de Michel Barnier sont publics et connus. Ils ne sont pas une surinterprétation : il n'y a pas de volonté de punir le Royaume-Uni ; il s'agit de respecter les règles d'un retrait ordonné.

Monsieur Leclabart, vous dites que le Royaume-Uni refuse la solution du backstop avec l'Irlande du Nord. Oui et non. En décembre, le Royaume-Uni en avait accepté le principe. En décembre, le Royaume-Uni avait accepté que l'accord de retrait puisse se fonder sur des perspectives de relations futures qui permettraient une absence totale de frontière, c'est-à-dire le maintien dans l'union douanière et le marché unique. Dans ce cas, il n'y a plus de sujet. C'est une ligne rouge que, pour le moment, le gouvernement britannique maintient.

Autre idée : une solution spécifique que le gouvernement britannique devait nous proposer. Une partie du gouvernement britannique parle encore d'une solution technologique qui permettrait l'absence de frontière. Nous n'avons pas vu cette solution technologique. Quelques propositions ont été évoquées, assez vaguement, par le Royaume-Uni. Elles ont été immédiatement expertisées par la Commission, qui nous a dit : ça ne va pas, ça n'existe pas, ce serait un rétablissement de la frontière. Or nous nous sommes mis d'accord pour éviter un rétablissement de la frontière entre le nord et le sud de l'Irlande, qui fragiliserait vraiment les accords de paix. Ceux d'entre vous qui ont effectué récemment une mission en Irlande savent de quoi nous parlons.

La troisième option, le backstop, était acceptée par Theresa May. Puisque nous ne voyons pas de solution technologique et puisque les lignes rouges britanniques sont toujours là, nous avons écrit le backstop dans le projet d'accord de retrait. Nous avons dit aux Britanniques : vous avez accepté cette solution, la seule qui reste, alors allons-y. À un moment donné, nous allons devoir en passer par cette solution, sinon il risque de ne pas y avoir d'accord de retrait, ce qui veut dire qu'il n'y aurait pas non plus de période de transition. Cette demande britannique d'une période de transition est totalement liée au reste de l'accord de retrait.

Monsieur Leclabart, vous avez également mentionné l'importance du Royaume-Uni en matière de défense. Vous avez raison. Si le Royaume-Uni n'a pas forcément été un acteur très engagé de l'Europe de la défense, c'est le moins qu'on puisse dire, nous avons avec lui une relation bilatérale stratégique très forte. Les sommets franco-britanniques, tels que le dernier tenu à Sandhurst, contribuent à préserver et à développer cette relation bilatérale. C'est aussi l'un des fondements de l'initiative européenne d'intervention que nous avons proposée. Nous plaidons pour une initiative dont les contours ne seraient pas forcément ceux de l'Union à vingt-sept et qui permettrait au Royaume-Uni de continuer à travailler sur cette culture stratégique commune avec ceux qui sont prêts à aller de l'avant au sein de l'Union européenne. Le Danemark s'engage dans l'initiative européenne d'intervention alors qu'il est dans une situation particulière d'opt-out dans l'Union européenne et qu'il n'avait pas souhaité être dans la coopération structurée permanente.

Nous avons en tête la nécessité de traiter à part un partenaire aussi important que le Royaume-Uni. À l'avenir, le Royaume-Uni et l'Union européenne devront rester liés par un accord fort dans ce domaine. Cela étant, le Royaume-Uni deviendra un État tiers et il ne pourra pas continuer à participer au processus décisionnel. Nous ne pouvons pas donner la clef de nos décisions en matière de défense et de sécurité à un État non-membre. C'est une évidence que les Britanniques contestent un peu, mais ils ont eux-mêmes pris la décision de devenir un État tiers.

Les passeurs sont des mafias, dirais-je, en utilisant le terme à dessein. C'est le deuxième trafic illicite le plus lucratif au monde. C'est une économie. Que faire ? Il y a quelques semaines, pour la première fois et à notre initiative, le Conseil de sécurité des Nations unies a décidé de prendre des sanctions individuelles à l'égard de passeurs qui opèrent en Libye. Il était temps. Nous sommes longtemps restés un peu inertes.

Les opérations civiles de l'Union européenne au Mali, au Niger et au Tchad servent aussi à la lutte contre ces trafics. Ils permettent d'accentuer la coopération policière et de faire en sorte que l'on puisse mettre à bas des réseaux de passeurs. Cela signifie aussi que nos systèmes d'information puissent interagir. Il faut que Frontex ait accès à certains systèmes d'information et que les États membres lui laissent cet accès. C'était l'une des difficultés de Frontex en Italie : ses agents ne pouvaient pas travailler parce qu'ils ne pouvaient pas avoir accès à certains systèmes d'information. Il faut avancer. C'est notamment pour cette raison que la Commission doit retravailler le mandat de Frontex.

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