Madame la présidente, monsieur le ministre d'État, monsieur le rapporteur, cela a déjà été rappelé, notre pays a été frappé par plusieurs actes terroristes ces dernières années, des tueries de Toulouse et Montauban en mars 2012 à l'attaque au couteau contre un militaire de l'opération Sentinelle à la station de métro Châtelet le 15 septembre dernier.
Le contexte que nous connaissons aujourd'hui est donc inédit : la menace terroriste se situe à un haut niveau, mais elle est également durable.
Face à cette menace, la précédente majorité a pris ses responsabilités.
D'une part, plusieurs lois ont permis de renforcer les moyens juridiques permanents utilisés par nos services et par les magistrats pour détecter et réprimer les menaces terroristes. Je pense par exemple à la loi du 21 décembre 2012 relative à la sécurité et à la lutte contre le terrorisme, à la loi du 24 juillet 2015 relative au terrorisme, ou encore à celle du 3 juin 2016.
D'autre part, depuis les attentats du 13 novembre 2015, l'état d'urgence a été déclaré puis prorogé six fois, dont la dernière fois par notre assemblée en juillet.
Ces décisions ont permis de déjouer de nombreux projets terroristes sur notre sol. Selon vos propos, monsieur le ministre, ces projets déjoués sont au nombre de douze au moins depuis le début de l'année.
Lors de son discours devant le Congrès, le 3 juillet dernier, le Président de la République a annoncé sa volonté de voir la fin de l'état d'urgence à l'achèvement de la sixième phase de celui-ci. À l'issue de cette dernière, l'état d'urgence aura connu sa plus longue période d'application depuis sa création par la loi du 3 avril 1955.
Cette initiative va dans le bon sens. Il faut le rappeler, l'état d'urgence a vocation à être un régime temporaire, activé uniquement dans des circonstances exceptionnelles pour faire face à un péril imminent et justifiant, pour cette raison et pour une durée limitée, de renforcer les pouvoirs confiés à l'autorité administrative afin de garantir l'ordre et la sécurité publics, en limitant de manière proportionnée l'exercice de certaines libertés publiques.
Je le disais, la menace terroriste a pris un caractère durable. Il devient donc nécessaire de doter l'État de nouveaux instruments permanents de prévention et de lutte contre le terrorisme, en réservant les outils de l'état d'urgence à ces situations exceptionnelles.
Ce projet de loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme vise donc à intégrer dans notre droit commun des dispositions inspirées de l'état d'urgence aux seules fins de prévenir des actes de terrorisme. Il comprend également des mesures visant à mieux prévenir les actes de terrorisme et la grande criminalité organisée.
Notre groupe n'est pas opposé à ce texte, à la condition que certains garde-fous soient adoptés, dans la lignée de ceux votés par le Sénat ou par la commission des lois de notre assemblée. Je pense par exemple à l'intégration du domicile des journalistes et des avocats dans le périmètre des lieux interdits de perquisitions menées au titre de l'article 4.
Malgré cela, nous devons encore et toujours rappeler que si les exigences de protection de l'ordre public sont une priorité dans le contexte actuel, elles doivent toutefois être conciliées avec la préservation des libertés individuelles. Nous ne devons rien céder aux terroristes, mais nous ne devons rien céder non plus de nos libertés, lesquelles sont constitutives de notre mode de vie et sont les cibles de leurs attaques.
Je parlais de garde-fous il y a un instant : l'article 4 bis en est un et il est important à nos yeux. Introduit par le Sénat, il conférait initialement un caractère expérimental, jusqu'au 31 décembre 2021, aux mesures prévues par l'article 3, relatif aux mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance, et l'article 4, qui concerne les visites domiciliaires et les saisies.
En commission des lois il a été acté que cette expérimentation s'achèverait plutôt au 31 décembre 2020, pour éviter que le débat sur une éventuelle pérennisation des deux articles ne parasite le début de la campagne présidentielle de 2022.
L'article 4 bis prévoit également que le Gouvernement adresse chaque année au Parlement un rapport détaillé sur l'application de ces dispositions.
Je le dis clairement : ce contrôle parlementaire est nos yeux largement insuffisant. Nous l'avons souligné en commission, l'intégration dans notre droit commun de dispositions inspirées de l'état d'urgence doit impérativement s'accompagner du maintien du contrôle parlementaire mis en place dans le cadre de l'application de ce même état d'urgence.
Je tiens à rappeler brièvement l'origine de ce contrôle parlementaire. Lors de la première prorogation de l'état d'urgence, la majorité parlementaire d'alors avait inséré un article 4-1 dans la loi de 1955 disposant : « L'Assemblée nationale et le Sénat sont informés sans délai des mesures prises par le Gouvernement pendant l'état d'urgence. Ils peuvent requérir toute information complémentaire dans le cadre du contrôle et de l'évaluation de ces mesures. » Ce contrôle a été renforcé, toujours sur l'initiative de la majorité parlementaire d'alors, par la loi du 21 juillet 2016, qui a complété l'article 4-1 en obligeant les autorités administratives à transmettre sans délai au Parlement copie des actes pris dans le cadre de l'état d'urgence.
Nous tenons à ce que ce contrôle soit maintenu pour les articles 1er, 2, 3 et 4 du projet de loi. Je sais que certains estiment que ce contrôle méconnaîtrait le principe de la séparation des pouvoirs. Je pense que cet argument n'est pas opérant, pour trois raisons.
Tout d'abord, l'obligation pour les autorités administratives de transmettre copie, au Parlement, des actes pris dans le cadre de ces articles relève plus d'une logique de coopération des pouvoirs que d'une contrainte. Ensuite, il n'y a pas immixtion dans l'exercice du pouvoir des juges dans l'action de juger, dans le sens ou le contenu des décisions, puisqu'il ne s'agit que de maintenir un dispositif d'information. Enfin, et c'est le plus important, cet amendement ne vise qu'à permettre au Parlement d'exercer sa mission constitutionnelle. Sans l'instauration de ce contrôle parlementaire, nous ne pourrions pas voter ce projet de loi.
Par ailleurs, d'autres garde-fous doivent être apportés à ce texte.
À l'article 1er, par exemple, nous souhaitons que l'arrêté motivé du préfet pris pour l'institution d'un périmètre de protection précise « les circonstances particulières établissant un risque pour la sécurité des personnes et des biens » et que l'ensemble des agents concourant aux contrôles de police soit soumis aux obligations du code de déontologie de la police et de la gendarmerie nationales.
Nous souhaitons que deux modifications soient apportées à l'article 10 visant à assouplir les possibilités de contrôle d'identité dans nos zones frontalières. Nous tenons d'abord à ce que l'autorité administrative puisse justifier les raisons pour lesquelles ces contrôles sont mis en place et aviser le procureur du déclenchement de ces mesures. En outre, nous souhaitons que le débat permette de lever, s'agissant de cet article, toute forme de doute quant à une légitimation possible du contrôle au faciès. De fait, un doute est apparu à propos de la rédaction et des objectifs de cet article ; il est essentiel de le lever.
En résumé et pour conclure, notre groupe aborde cette discussion dans un état d'esprit vigilant mais constructif. Vous connaissez, monsieur le ministre, les conditions dans lesquelles un rassemblement peut s'opérer autour de ce texte. Je compte sur vous pour en mesurer l'importance, afin qu'il soit effectif.