Monsieur le Premier président, permettez-moi d'abord de me réjouir de vous voir ici. J'ai servi sous vos ordres, et c'est avec beaucoup d'émotion que je vous entends aujourd'hui vous exprimer comme « prestataire de services », si j'ose dire, de la représentation nationale.
Ce rapport d'audit a ceci en commun avec la morale et la religion d'avoir deux sources. D'une part, c'est une commande du Premier ministre ; d'autre part, il résulte de l'application normale des dispositions de la LOLF, lesquelles vous font obligation de produire un rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques. Le fait qu'un rapport soit le fruit d'une commande l'affecte toujours d'une espèce de nuance d'incrédibilité : « c'est une commande de l'exécutif ! »... Votre rapport aurait-il donc été le moins du monde différent en l'absence de commande du Premier ministre, si l'on s'en était tenu à l'application de la LOLF ? Nous devons le savoir, même si votre position me semble évidemment objective.
Deuxième observation, comme Gilles Carrez, je ne vois pas ce que la Cour pourrait faire si elle ne vérifiait d'abord la sincérité du budget : c'est pleinement sa mission et, si nous mettons en cause cette mission, nous mettons en cause beaucoup de choses... L'intéressante proposition de Gilles Carrez mérite un examen attentif. La correction d'une démarche insincère, si je puis dire, est-elle, en soi, une décision budgétaire de nature différente qui justifie une loi rectificative ? Nous devrions en débattre.
Je comprends bien ce que nous dit M. le Premier président : au lieu de consacrer autant de temps à l'examen, dans le brouillard, du projet de loi de finances initiale, nous ferions mieux de nous concentrer sur celui du projet de loi de règlement et sur l'exécution du budget. Vous avez techniquement raison, monsieur le Premier président, mais l'ancien président de la commission des finances que vous êtes ne peut ignorer qu'il y a quand même une différence de nature et de portée entre une loi qui autorise le Gouvernement à procéder aux dépenses et aux recettes et une loi qui constate a posteriori que les choses ne se sont pas très bien passées. Il vaudrait donc quand même mieux que nous essayions, vous et nous, d'affiner notre examen en amont, afin de corriger ou d'éviter cette insincérité.
Quant à l'orientation fondamentale de votre rapport, alors que tout le monde souligne la constance de la Cour des comptes, je me plais, monsieur le Premier président, à souligner une inflexion progressive. À la Cour des comptes, pendant des années, nous avons mis l'accent, d'une part, sur la réduction du déficit, d'autre part, sur la maîtrise des dépenses publiques. Comme nous ne parlions que de maîtrise et non de réduction des dépenses, l'inconvénient était que, par conséquent, c'est l'outil fiscal, susceptible d'accroître les recettes, qui était l'instrument privilégié de la réduction du déficit. Je salue votre effort : sans parler directement de réduction – vous évoquez plutôt un ralentissement –, vous mettez très nettement l'accent sur les dépenses publiques. Nous, membres de la commission, devons l'avoir très présent à l'esprit : l'augmentation des recettes, cela commence à bien faire !
En ce qui concerne les dépenses, les modalités d'exécution au cours du premier semestre comptent parmi les éléments qui rendent difficile une exécution de la loi de finances initiale dans les termes dans lesquelles elle a été adoptée. Il apparaît très clairement que le précédent gouvernement a très largement utilisé les facilités qui étaient les siennes et, dans un certain nombre de domaines, épuisé les crédits à sa disposition, laissant ses successeurs confrontés au dénuement, au creusement du déficit et à la nécessité d'une loi de finances rectificative. Vous ne pouvez évidemment pas contrôler l'exécution en même temps qu'elle a lieu, mais il faudrait que vous vous interrogiez et que vous nous informiez, au cours des prochains mois, sur ces coups d'accordéon évidemment très préjudiciables à une bonne exécution du budget.
Vous avez relevé à plusieurs reprises, monsieur le Premier président, que la réduction du déficit était largement due à des réductions de dépenses que vous qualifiez très justement de « constatées ». En d'autres termes : « quand les taux d'intérêt baissent, la situation s'améliore, et personne n'y est pour rien ». Pouvez-vous nous éclairer sur la façon dont la Cour perçoit aujourd'hui l'évolution de ces économies constatées ? N'y a-t-il pas lieu de s'inquiéter des risques encourus si la conjoncture entraînait un relèvement des taux ?
La question de la retenue à la source est posée. J'aimerais savoir si vous avez intégré l'effet à mon avis mécanique de son instauration. Si elle n'était reportée, cela aurait une incidence sur l'impôt acquitté, affecté de la croissance et de l'inflation de l'année. Les recettes augmenteraient, ce qui serait un avantage... mais aussi un inconvénient si l'on se soucie de modération fiscale.