Monsieur le ministre d'État, madame la rapporteure, monsieur le vice-président de la commission des lois, mes chers collègues, nous sommes à nouveau réunis pour examiner, en nouvelle lecture, ce projet de loi qui vise à répondre à un défi si grand, si complexe et si évolutif qu'il continuera sans aucun doute de nous mobiliser pendant de nombreuses années.
L'actualité nous le rappelle sans cesse. L'affaire du navire Aquarius a heureusement fini par trouver une issue favorable, mais elle a néanmoins révélé les divisions et le manque de solidarité au sein même de l'Union européenne. En aucun cas elle ne peut faire oublier les milliers de migrants qui meurent chaque année en Méditerranée.
Plus récemment encore, les images insupportables, outre-Atlantique, d'enfants séparés de leurs parents et enfermés derrière des barreaux nous obligent à prendre la mesure de l'importance de ces enjeux. Nous en avons tous conscience, ce n'est pas une loi qui permettra de répondre à elle seule à cet enjeu sur notre territoire national – ou, plutôt, à ces enjeux. On comprend aisément que ce texte traite non seulement de la maîtrise de l'immigration, mais aussi de l'effectivité du droit d'asile et de la réussite de l'intégration des étrangers en France.
Le groupe UDI, Agir et indépendants regrette cependant – nous l'avions déjà souligné en première lecture – qu'il n'y ait pas un volet sur la nationalité et son acquisition. Là aussi, la situation est loin d'être satisfaisante, et il appartient au législateur d'améliorer son cadre juridique. Nous avons noté que le Gouvernement réfléchissait à un projet de loi en ce sens. Nous souhaitons donc, monsieur le ministre, que celui-ci prenne forme et qu'il soit rapidement présenté au Parlement, afin qu'il puisse s'articuler avec les dispositions du projet de loi que nous examinons aujourd'hui et qui, nous l'espérons, finira par être adopté dans une version qui satisfera tant l'Assemblée que le Sénat.
À cet égard, nous regrettons l'échec de la commission mixte paritaire qui s'est réunie début juillet. Il fallait malheureusement s'y attendre, tant les débats furent riches et passionnés en première lecture. L'Assemblée nationale avait alors approuvé la philosophie et les orientations du projet de loi, tout en y apportant certains correctifs et ajouts.
Nos débats avaient ainsi permis, entre autres, d'adopter la généralisation des centres d'accueil et d'examen des situations pour améliorer l'accueil des demandeurs d'asile, une meilleure prise en compte de la situation des personnes vulnérables et des femmes victimes de violences conjugales, le renforcement du rôle du juge judiciaire dans la sanction des étrangers ayant commis un délit ou un crime par une peine d'interdiction de territoire, ou encore la redéfinition du séquençage de la rétention administrative.
Notre groupe avait par ailleurs défendu des amendements, qui avaient été adoptés, notamment pour étendre la faculté de l'OFPRA de refuser ou de mettre fin au statut de réfugié en cas de condamnations pour des faits graves prononcées par un État qui n'est pas membre de l'Union européenne mais qui est considéré comme « sûr », et pour permettre, comme d'autres groupes, aux compagnons d'Emmaüs d'accéder à un titre de séjour au bout de trois ans de vie en communauté.
Nous avions également fait adopter un amendement visant à permettre aux demandeurs d'asile qui n'ont pas obtenu de réponse de l'OFPRA d'accéder au marché du travail dans un délai de six mois à compter de l'introduction de la demande. Nous nous réjouissons que cette mesure ait été rétablie en commission la semaine dernière. Pour autant, nous défendrons à nouveau des amendements pour que ce délai de six mois soit réduit plus encore, à trois mois, voire pour le supprimer.
En effet – nous aurons l'occasion d'y revenir ces prochains jours – , nous considérons qu'un tel délai est disproportionné, dans la mesure où le maintien des demandeurs d'asile dans l'inactivité est préjudiciable à tous, nuit à leurs capacités d'intégration, ne leur permet pas de subvenir à leurs besoins et favorise l'emploi non déclaré. Il s'agit d'une hypocrisie qui nuit à tous, d'autant plus que les demandeurs d'asile resteraient évidemment soumis aux règles de droit commun applicables aux travailleurs étrangers pour la délivrance d'une autorisation de travail.
Quant à l'examen du texte par nos collègues sénateurs, il a lui aussi permis des avancées, même si certaines des mesures adoptées étaient de nature à remettre en cause son équilibre. Je pense notamment à la suppression de l'article relatif à la délivrance de titres pluriannuels aux apatrides et bénéficiaires de la protection subsidiaire, ou encore à la suppression de l'aide médicale d'État – AME. Si notre groupe ne partage pas ces mesures qui avaient été adoptées par le Sénat, nous saluons le travail de la chambre haute, qui a permis de relever le défi urgent de la situation à Mayotte, et donc d'adapter l'application du droit du sol pour l'accès à la nationalité sur ce territoire qui fait face à des enjeux spécifiques.
L'organisation d'un débat annuel au Parlement sur les orientations de la politique d'immigration et d'intégration nous semble également opportune, même si la portée d'un tel débat pouvait difficilement faire consensus.
Malgré les divergences qui existent entre les deux chambres, mais aussi dans chacune d'elles, et même au sein des groupes parlementaires, je crois que nous pouvons tous nous accorder sur deux points.
Le premier, c'est le constat de la situation. Notre continent fait face depuis 2015 à des crises migratoires inédites. Cette pression nous oblige à prendre des mesures spécifiques, tout en veillant au respect de nos valeurs et de notre tradition historique d'accueil des étrangers en vertu de la protection internationale.
Le deuxième, ce sont les objectifs poursuivis par ce projet de loi pour améliorer cette situation. Si nous pouvons – et si nous devons – débattre des moyens d'atteindre ces objectifs, à l'évidence, nous les partageons tous : favoriser l'accueil et l'intégration des étrangers réguliers ; renforcer la protection des réfugiés et demandeurs d'asile ; mieux lutter contre l'immigration irrégulière, et notamment contre les passeurs ; et, bien sûr, faire converger nos procédures avec celles de nos voisins européens, puisque seul l'échelon communautaire est véritablement en mesure de répondre à ces enjeux communs, qui n'ont que faire des frontières nationales, des murs ou des barbelés, qui n'y changeront jamais rien.
Je crois aussi que, quelles que soient nos sensibilités politiques, nous pouvons tous nous entendre sur la recherche d'un équilibre entre humanisme et responsabilité, et non entre laxisme et répression. Nos débats ne portent, au fond, que sur ce point d'équilibre à atteindre. Force est de constater qu'il est particulièrement difficile à trouver, comme en témoignent les près de trente réformes intervenues depuis les années 1990. Tous les ans, ou presque, le législateur est amené à débattre d'un texte relatif à l'immigration. Nous ne pouvons plus nous contenter de simples mesures conjoncturelles, il nous faut traiter l'ensemble de ces défis de manière structurelle. Et je crains que ce projet de loi, même s'il va dans le bon sens, n'y suffise pas.
D'autant qu'en l'espèce, et je crois que ce sentiment est également partagé, les conditions d'examen de ce texte ne sont pas satisfaisantes. Nous avons passé notre temps à le répéter, en commission et en séance, en première comme en deuxième lecture : il me semble qu'un texte de cette qualité mérite mieux que les débats que nous avons eus. Même si chacun est impliqué et si nombre d'entre vous sont présents pour en débattre, je crois que nous gagnerions à organiser l'examen de nos textes d'une autre manière, en prenant vraiment notre temps, car ce sont des sujets qui le méritent. Il n'est pas acceptable que nous traitions d'enjeux aussi essentiels dans des conditions si précaires.
Compte tenu de ces éléments et du contexte dans lequel nous sommes réunis, le groupe UDI, Agir et Indépendant ne se prononcera donc sur son vote qu'à l'issue des travaux en séance publique, en fonction de l'équilibre général des dispositions qui seront adoptées.