Intervention de Olivier Andrault

Réunion du mercredi 11 juillet 2018 à 11h00
Commission d'enquête sur l'alimentation industrielle : qualité nutritionnelle, rôle dans l'émergence de pathologies chroniques, impact social et environnemental de sa provenance

Olivier Andrault, chargé de mission alimentation et nutrition de l'Union fédérale des consommateurs UFC-Que Choisir :

Merci, monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, pour votre accueil.

L'UFC-Que Choisir, pour laquelle je travaille depuis treize ans, est la doyenne des associations de consommateurs d'Europe. Comme tout le monde le sait, elle publie le mensuel Que choisir ? mais elle constitue surtout un réseau de bénévoles dans toutes les villes de taille moyenne mais aussi dans les grandes villes de France. Ce réseau d'associations locales aide les consommateurs à résoudre leurs problèmes de vie quotidienne avec des professionnels, des problèmes qui peuvent concerner le secteur agroalimentaire mais aussi les relations entre locataires et bailleurs ou encore la téléphonie.

Nos associations locales servent également de relais dans la promotion des bonnes pratiques nutritionnelles. Elles proposent des formations. Elles mènent des actions de sensibilisation auprès du public, par exemple dans les quartiers ou dans les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD). Les problèmes de nutrition touchent en effet particulièrement les personnes âgées. Ils concernent, bien sûr, également les jeunes, pour lesquels nous conduisons des actions notamment dans le cadre périscolaire.

J'ajoute que l'UFC-Que Choisir est une association composée de bénévoles mais aussi de permanents salariés : nous sommes 130 salariés à travailler au sein de notre tête de réseau installée à Paris.

Sur les thèmes de la nutrition et, plus généralement, de la qualité sanitaire en France, l'UFC-Que Choisir exprime son inquiétude depuis plusieurs décennies. Les personnes que vous avez auditionnées ont certainement toutes évoqué les maladies liées à l'alimentation et les problèmes de santé en rapport avec le surpoids et l'obésité.

En France, près de la moitié des adultes et 18 % des enfants sont en surpoids ou obèses. Cette proportion d'enfants concernés par l'obésité, bien qu'inférieure à celle des adultes, n'est pas rassurante. Des maladies liées à ces problèmes de surpoids ou d'obésité qui étaient considérées comme des maladies de seniors touchent désormais des populations beaucoup moins âgées : c'est le cas du diabète de type 2, qui commence à apparaître chez des personnes jeunes. C'est donc de toute urgence que doivent être menées des actions d'information et de prévention tenant compte du fait que les problèmes de santé liés au surpoids ou à l'obésité infantile sont encore plus marqués chez les enfants issus de catégories sociales défavorisées.

On nous dit que l'explication de ces faits alarmants est multifactorielle. Certes, nous ne sommes pas tous égaux face au surpoids et à l'obésité, qui ont des causes génétiques, et la sédentarité ou le temps passé quotidiennement devant des écrans favorisent aussi la surcharge pondérale. Mais il est évident que la mauvaise qualité de l'offre alimentaire est également à mettre en cause et que l'industrie agroalimentaire a donc une grande part de responsabilité.

Lorsque l'Association nationale des industries alimentaires (ANIA) déclare qu'il n'y a pas de mauvais aliments et qu'il n'y a que de mauvaises alimentations, elle rejette la responsabilité sur les consommateurs eux-mêmes. Or, peut-on tenir les parents pour responsables de ce que mangent leurs enfants ? Certainement pas, dans la mesure où la famille est malheureusement de moins en moins le lieu d'une transmission des habitudes alimentaires. L'industrie agroalimentaire, en proposant sans cesse de nouveaux produits et en recourant à la pression du marketing, apparaît en revanche comme le principal vecteur de nouvelles habitudes alimentaires néfastes.

Prenons l'exemple du petit-déjeuner. Dans les années 1960, les jeunes Français mangeaient généralement lors de ces repas des tartines de pain ; maintenant, leur petit-déjeuner est le plus souvent constitué de céréales fourrées ou chocolatées. Avec ce changement alimentaire, on est passé d'une source de glucides complexes – ce qu'on appelait autrefois les sucres lents – relativement peu transformés, à des produits fortement transformés. Cette évolution a été progressive : les corn flakes, lorsqu'ils sont arrivés des États-Unis dans les années 1960, n'auraient certainement pas été bien notés par l'indice Nutri-Score en raison de leur forte teneur en sel, qui est un exhausteur de goût ; dans les années 1980, ces céréales ont été vendues sucrées, puis chocolatées ; durant les décennies suivantes, pour qu'elles soient encore plus « gourmandes », les industriels ont ajouté un coeur fourré, notamment en utilisant de l'huile de palme !

Ce produit s'est ainsi éloigné de sa famille d'origine, les produits céréaliers, pour se rapprocher de plus en plus nettement de celle des confiseries. De nombreux nutritionnistes considèrent d'ailleurs que les corn flakes ne devraient plus être appelés céréales, afin de faire comprendre aux consommateurs, notamment aux parents, qu'ils n'ont pas les qualités des produits céréaliers.

Je vais donner d'autres exemples, et d'abord celui du sel. L'Organisation mondiale de la santé (OMS) recommande de consommer moins de 5 grammes de sel par jour. Or, la consommation moyenne de sel en France chez les hommes est de l'ordre de 11 grammes par jour. La plus grande part de ce sel n'est pas apportée par le consommateur en salant ses aliments : 80 % du sel consommé provient des aliments transformés – un bol de céréales apporte ainsi 1 gramme de sel, un bol de soupe 2,5 grammes, et une portion de raviolis au boeuf 3 grammes. On voit qu'une consommation de 11 grammes de sel par jour s'atteint très facilement…

On peut aussi évoquer le cas du sucre. La teneur en sucre des céréales pour enfants n'est jamais inférieure à 30 %. Leurs fabricants affirment, et leurs allégations sont validées par l'Europe, qu'elles présentent un intérêt pour la santé parce qu'elles comportent des sels minéraux et des vitamines qui ont été ajoutés aux produits pour améliorer son image marketing. Mais lorsque vous achetez ces céréales à vos enfants, vous devez garder à l'esprit que, compte tenu de leur taux de sucre, elles s'apparentent à des confiseries.

Je rappellerai aussi qu'une canette de soda contient deux fois la quantité de sucre qu'un enfant ne devrait pas dépasser dans une journée.

Les industriels se targuent des procédures d'amélioration de la qualité nutritionnelle de leurs produits qu'ils ont volontairement mises en oeuvre, sous l'égide des pouvoirs publics, il y a une douzaine d'années. Demandons-nous quel a été leur impact.

Concernant le sucre, la consommation journalière moyenne d'un enfant est de l'ordre de 100 grammes par jour, alors même que le sucre simple n'est pas nécessaire à notre alimentation puisque le corps humain est capable de découper les longues chaînes d'amidon des glucides complexes en sucres simples afin d'alimenter le cerveau. Après ce que les industriels ont pompeusement appelé une « reformulation », c'est-à-dire la modification des recettes de leurs produits, la consommation journalière moyenne en sucre des enfants est passée de 100 grammes à environ 98 grammes. La diminution a donc été de 2 grammes en dix ans : on est donc loin du compte.

Pour les matières grasses saturées, qui sont nocives lorsqu'elles sont consommées en grande quantité, la consommation journalière moyenne en France est de l'ordre de 30 grammes. Après « amélioration » de la qualité nutritionnelle des aliments industriels, elle a baissé de 0,1 gramme… On est encore plus loin du compte !

La diminution de la consommation moyenne de sel est quant à elle de l'ordre de 1 %. On doit en conclure que les démarches volontaires d'amélioration de recette sont dénuées d'efficacité. Pourquoi ? L'Observatoire de la qualité de l'alimentation (OQALI), qui est placé sous la tutelle des ministères en charge de la santé, de l'agriculture et des finances, a donné un élément de réponse en indiquant que les produits sur lesquels portent les améliorations de la qualité nutritionnelle sont peu nombreux. Ainsi, les céréales de petit-déjeuner destinées aux femmes qui cherchent à perdre du poids sont souvent concernées par ces améliorations, tandis que les céréales qu'apprécient surtout les enfants le sont très peu.

Les industriels n'ont pas non plus pris d'engagements en faveur de l'amélioration de la qualité nutritionnelle des produits qu'ils lancent sur le marché. Or, ces nouveaux produits sont souvent encore plus gras, plus salés ou plus sucrés que ceux qu'ils remplacent. Ce sont ces mécanismes que l'industrie agroalimentaire a utilisés pour vider de leur sens les engagements qu'elle avait pris sous l'égide de l'État.

Quelles solutions efficaces permettraient de remédier à cet état de fait ? En 2013, dans le cas de la consommation de sucre, l'ANSES a proposé que ce soient les pouvoirs publics, et non les professionnels, qui fixent par filière des objectifs de qualité nutritionnelle. On sait en effet précisément quelles filières de produits alimentaires contribuent le plus, et dans quelle proportion, à la surconsommation de sucre, de sel et de matières grasses, en sorte qu'il est possible d'établir des indicateurs par filières. Comme ces objectifs de réduction ne sauraient être immédiatement atteints, il est également nécessaire de prévoir, par des discussions entre les pouvoirs publics et les professionnels, des phases s'étendant sur plusieurs années.

Lors des États généraux de l'alimentation (EGA) qui ont mobilisé des centaines d'experts, l'UFC-Que choisir a participé avec des organisations non gouvernementales (ONG) et des professionnels de la santé à l'atelier portant sur l'amélioration de la qualité nutritionnelle. À la fin de cet atelier, des recommandations ont été faites à la quasi-unanimité – seule l'industrie agroalimentaire ne les a pas votées – qui reviennent à généraliser la proposition de l'ANSES à l'ensemble des nutriments posant problème, c'est-à-dire au sucre, au sel et aux matières grasses saturées : pour ces trois nutriments, les pouvoirs publics ont été appelés à définir des objectifs phasés et un taux de réduction propre à chacune des filières les plus contributrices.

Un deuxième volet de propositions concerne le marketing, des études ayant montré à maintes reprises que le marketing a un effet sur la vente des produits promus de la sorte. C'est une évidence, mais cette évidence a souvent été niée par l'industrie agro-alimentaire et l'industrie des médias, qui prétendent que l'objectif de la publicité serait non de faire consommer plus mais d'informer de l'existence du produit. Une étude de l'UFC-Que Choisir réalisée en 2013 a par exemple montré que les enfants qui passent le plus de temps devant les écrans sont également ceux qui consomment en plus grosse quantité les aliments particulièrement riches en matières grasses, en sucre et en sel mis en avant par la publicité, comme des sodas, des produits de restauration rapide ou des céréales de petit-déjeuner très sucrées.

Une solution proposée il y a une quinzaine d'années par l'ANSES, lorsqu'elle s'appelait encore Agence française de sécurité sanitaire des aliments (AFSSA), mais qui l'a été aussi par l'OMS et par l'organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture – Food and Agriculture Organization (FAO) –, est d'encadrer le marketing en réservant le prime-time entre 19 heures et 21 heures 30, c'est-à-dire une tranche horaire où les enfants sont nombreux devant la télévision, aux produits présentant un intérêt nutritionnel.

Nous disposons en effet d'outils permettant de définir cet intérêt nutritionnel. La FAO et l'OMS ont publié ce qu'ils appellent des profils nutritionnels qui indiquent par catégorie de produits des taux maxima de matières grasses, de sel et de sucre au-delà desquels ces instances, qui sur les problèmes de santé ont la légitimité la plus forte, recommandent de ne pas faire de promotion à destination des enfants.

Actuellement, s'agissant du marketing à destination des enfants, aucune loi ne porte sur ces créneaux horaires. La publicité pendant les émissions enfantines comme les dessins animés a effectivement été interdite, mais cette interdiction n'a pas eu d'impact car l'industrie agroalimentaire s'était déjà retirée d'elle-même de ces émissions, qui attirent d'ailleurs assez peu d'enfants, dans le but de se faire passer pour une industrie responsable. Mais l'autre partie de sa stratégie, dont elle ne parlait pas, consistait à se positionner sur les écrans du prime-time que regardent le plus grand nombre d'enfants.

Concernant la publicité, la recommandation est donc de légiférer. Actuellement, le marketing télévisuel est régi par une charte rédigée conjointement par l'industrie agroalimentaire et par l'industrie des médias, qui ne limite pas la promotion des produits les plus gras, les plus salés et les plus sucrés. C'est cette charte qui est appliquée par le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) qui, je le rappelle, n'a ni capacité d'expertise, ni légitimité sur les questions nutritionnelles.

Le périmètre d'action de votre commission d'enquête inclut les perturbateurs endocriniens et, plus généralement, la qualité sanitaire. Sur ces thèmes, il est possible de s'appuyer sur les recommandations, cette fois unanimes, d'un autre groupe de travail des États généraux de l'alimentation.

Le bisphénol A a été interdit, ce qui est une très bonne chose. Mais quid des autres substances chimiques pour lesquelles subsistent beaucoup d'inconnues ? Certaines de ces substances sont apportées dans notre alimentation par le contact avec les matériaux d'emballage, comme c'est le cas de l'eau restée trop longtemps dans une bouteille en plastique. Mais il faut aussi prendre en compte les molécules chimiques des pesticides, qui actuellement ne sont étudiées que du point de vue de leurs effets toxicologiques. Des expériences évaluent en effet les dégradations que les molécules de pesticides produisent sur l'organisme de rats de laboratoire à des doses relativement élevées. En revanche, le potentiel caractère de perturbateur endocrinien de ces molécules, qui, lorsqu'il existe, intervient à des doses beaucoup plus basses, ne fait l'objet d'aucune étude systématique au niveau européen. Certes, des laboratoires indépendants ont réuni un faisceau d'indices tendant assez fortement à prouver la nocivité de certaines molécules chimiques, dont celle du bisphénol A. Mais, de façon générale, l'effet de perturbateur endocrinien de ces molécules et leurs « effets cocktail » sont très peu étudiés.

On ignore souvent en quoi consistent les procédures d'évaluation qui vont conduire à ce que de nouveaux pesticides ou de nouvelles molécules chimiques soient autorisés au niveau français par l'ANSES, au niveau européen par l'Autorité européenne de sécurité des aliments – European Food Safety Authority (EFSA) – ou au niveau international. Dans leur immense majorité, ces autorisations sont décidées sur la base d'études transmises par le fabricant, c'est-à-dire par le promoteur de la molécule qu'il s'agit d'autoriser. Le fabricant n'a d'ailleurs généralement pas réalisé lui-même ces études : il les a sous-traitées à des laboratoires dits indépendants. Mais on ne peut savoir s'il a transmis toutes les études en sa possession ni quels furent les protocoles utilisés.

Afin de pallier les défauts évidents de ce système, il a été proposé lors des EGA la création d'un fonds financé par les fabricants qui permette aux autorités sanitaires, en cas de doute important sur une évaluation, de réaliser elles-mêmes ou faire réaliser sous leur tutelle des études indépendantes. Mais pour le moment cette recommandation, comme toutes celles que j'ai évoquées, est restée lettre morte.

Je terminerai avec des exemples destinés à faire prendre conscience du risque potentiel que représente l'exposition à ces molécules. L'UFC-Que Choisir évalue assez régulièrement la qualité de l'eau du robinet. Pour 96 % des consommateurs, cette eau est conforme à la totalité des critères définis par la réglementation française et européenne, ce qui est rassurant. Cependant, pour un peu moins de 3 millions de consommateurs qui habitent pour la plupart en zone rurale, elle n'est pas conforme à ces critères, généralement à cause de la présence de pesticides dépassant les normes françaises et européennes. Ces normes sont définies de façon à faire bénéficier la population d'un haut niveau de sécurité, en sorte que si les pesticides dépassant les doses réglementaires ont « seulement » un effet toxique sans avoir d'effet de perturbateur endocrinien, on a raison de ne pas s'en inquiéter. Mais s'il s'avérait dans le futur que certains de ces pesticides ou leurs métabolites avaient un tel effet, ces limites ne seraient plus d'aucune protection.

Un autre test comparatif que nous effectuons régulièrement sur les fruits et légumes montre qu'à chaque fois que nous recherchons la présence de résidus de pesticides sur des fruits ou des légumes produits par l'agriculture conventionnelle, nous en trouvons. Certes, dans la presque totalité des cas, ces doses de pesticides sont inférieures aux doses réglementaires définies, je le rappelle, par rapport à la problématique toxicologique, qui est une problématique ancienne. En revanche, si certains de ces résidus de pesticides trouvés dans ces fruits et légumes avaient un effet de perturbateur endocrinien, les doses maximales ne seraient pas suffisamment protectrices. C'est pourquoi nous prônons la conduite d'actions importantes visant à favoriser les fruits et légumes exempts de la présence de ces résidus que produit l'agriculture biologique.

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