Vous nous avez interrogés sur la meilleure manière de positionner le curseur. Mon avis est qu'il faut écouter les scientifiques. Que nous disent-ils ? Qu'il est prouvé que la surconsommation d'acides gras saturés, de sel et de sucre a un impact négatif sur de nombreux problèmes de santé tels le surpoids, l'obésité, le diabète de type 2 et le cancer. Mais qu'en revanche il n'a pas été établi de façon aussi nette un lien entre la consommation de certains additifs et les problèmes de santé qui leur sont souvent imputés. Je pense que cet avis des scientifiques peut vous guider dans la définition de priorités.
Car s'il est urgent de diminuer la surconsommation de gras, de sel et de sucre, il n'est pas certain que, concernant tous les additifs, la loi doive agir avec autant de force. Il a été question du dioxyde de titane, mais sont aussi utilisés, dans les confiseries, du carbone et de l'argent sous leurs formes nanométriques. Pour toutes ces nanoparticules, qui sont nombreuses, nous disposons de très peu d'éléments scientifiques montrant que leur usage par l'industrie agroalimentaire est dangereux. L'urgence est de faire réaliser des études scientifiques sur leur dangerosité. En attendant, le principe de précaution requiert de s'efforcer de s'en passer.
Sur la généralisation du Nutri-Score, le règlement européen concernant l'information du consommateur sur les denrées alimentaires, dit « INCO », qui régit toutes les données devant figurer obligatoirement sur l'étiquetage des produits alimentaires, bloquerait actuellement la France si elle souhaitait rendre le Nutri-Score obligatoire. Mais, par le passé, l'action énergique de gouvernements et d'administrations a permis de convaincre l'Union européenne de dépasser le dispositif européen, comme dans le cas de l'étiquetage de l'origine du lait ou de la viande dans les produits transformés que la France est parvenue à obtenir de la Commission européenne. Une action semblable est certainement envisageable pour le Nutri-Score qui répond à des enjeux de santé publique sur lesquels les différentes instances sanitaires alertent depuis plus d'une décennie.
L'utilité du Nutri-Score pour le consommateur a été testée par l'UFC-Que Choisir. Elle a aussi fait l'objet d'évaluations commandées par le ministère de la Santé qui ont montré que le Nutri-Score est, des différents étiquetages, le plus efficace. Certes, il n'est pas parfait dans la mesure où il ne prend pas en compte toutes les qualités et tous les défauts nutritionnels d'un produit. Le Nutri-Score est en effet calculé en fonction de la présence d'un certain nombre de nutriments qui, pour la communauté scientifique internationale, traduisent assez bien la valeur nutritionnelle d'un aliment, mais de façon à ce que ce calcul ne soit pas trop onéreux pour les industriels. Il s'agit donc d'un compromis. Je pense donc qu'avant de demander que le Nutri-Score évolue, il faut faire en sorte qu'il soit utilisé par un grand nombre d'acteurs.
Vous nous avez demandé notre appréciation sur l'application Yuka, qui n'a pas été développée par des scientifiques mais par des professionnels du marketing. Ce produit, qui a quotidiennement 2 millions d'utilisateurs, est certainement intéressant, mais la note qu'il attribue est une note globale fondée sur des éléments hétérogènes : la plus grande partie de cette note repose sur la qualité nutritionnelle, une petite partie sur la présence d'additifs et une partie encore plus petite sur le fait que le produit est ou n'est pas bio. Cette pondération, qui n'a rien de scientifique, a pour conséquence qu'un aliment très sucré et très gras mais bio pourrait être mieux noté qu'un aliment un peu moins sucré qui ne l'est pas. Il est par ailleurs clair qu'en donnant cette appréciation nutritionnelle, l'application Yuka concurrence l'indicateur Nutri-Score.
Quid des produits ultra-transformés ? Méfions-nous des nouvelles catégories que les médias mettent régulièrement en avant pour intéresser leur lectorat, et qui n'ont pas toujours de valeur scientifique. J'ai eu l'occasion de parler avec des scientifiques comme le professeur Serge Hercberg des études récemment sorties sur les produits ultra-transformés. Selon eux, il n'est pas encore possible de savoir si la notion de produit ultratransformé est véritablement pertinente.
En résumé, des objectifs sanitaires ont été définis de longue date par les scientifiques, par l'ANSES, par les instances reconnues en matière sanitaire : ils consistent à diminuer la consommation de gras, de sel et de sucre. Ce sont ces objectifs qu'il nous faut, avec énergie, nous efforcer d'atteindre. Et nous devons aider le Nutri-Score, l'étiquetage simplifié officiel en France, à se développer dans notre pays et en Europe.
Certains pays européens et surtout la grande majorité des industriels sont opposés à la généralisation du Nutri-Score, qui présente, à leurs yeux, le défaut d'être immédiatement compréhensible. Leur lobbying intensif auprès de la Commission européenne l'a conduite à annoncer il y a une quinzaine de jours, oralement et non par écrit, que si un professionnel voulait utiliser le Nutri-Score dans un autre État membre que la France, il faudra obligatoirement que cet État membre le notifie à la Commission européenne et que celle-ci l'accepte. Cette procédure inventée ex nihilo diffère entièrement de celles habituellement suivies pour les autorisations. Ainsi, pour les allégations nutritionnelles – une allégation nutritionnelle, c'est par exemple la minuscule quantité de calcium ajoutée aux céréales du petit-déjeuner pour renforcer les os – la procédure est qu'une allégation portée par un État membre et validée par la Commission européenne est applicable dans tous les États membres.
La procédure mise en place pour le Nutri-Score, qui ne repose sur aucun texte réglementaire, oblige chaque État membre à faire une notification auprès de la Commission européenne, ce qui va ralentir considérablement son adoption au niveau européen. Comme vous le voyez, la guerre est loin d'être gagnée.