Tout d'abord, qui nous finance ? Ce sont les consommateurs, à l'exception de subsides publics qui ne représentent pas plus de 5 % de notre budget. Les tests que nous menons sont donc essentiellement financés par les abonnements à notre revue et son achat à l'unité dans les kiosques, ce qui nous permet d'être indépendants des financements publicitaires et donc des professionnels.
Les scientifiques avec lesquels nous travaillons s'expriment toujours dans le cadre d'instances officielles. Lorsque nous faisons, par exemple, des tests sur la présence d'additifs, c'est sur la base de publications d'instances scientifiques utilisées par l'ANSES en France, par l'EFSA au niveau européen ou par la FAO et l'OMS au niveau international. Je vous épargne l'énumération des sigles qui peuvent paraître barbares de ces instances, mais les scientifiques qui rédigent ces publications ou qui étudient la bibliographie sur un sujet sont reconnus à la fois comme indépendants et experts dans leur domaine.
Néanmoins, je comprends votre perplexité, qui provient de ce que, sur certains thèmes, je vous ai encouragés à écouter les scientifiques, tandis que sur d'autres j'ai insisté sur les déficiences de la connaissance scientifique. Mais la ligne de partage entre ces thématiques est nette : elle passe entre celles qui concernent la nutrition et celles qui relèvent de la problématique chimique.
Car le problème est, somme toute, un problème de financement. Mener des études sur la consommation alimentaire ou l'évolution sanitaire de cohortes, c'est-à-dire d'ensembles de personnes, prend certes du temps mais ne coûte pas très cher, en sorte que ces études peuvent être conduites par des scientifiques indépendants. Ainsi, pour des personnes comme Serge Hercberg qui possèdent une expertise mais aussi pour la direction générale de la santé (DGS), pour la ministre de la santé, il ne fait plus aucun doute, des études l'ayant prouvé, qu'une surconsommation de sel, de sucre ou d'acides gras saturés est, à long terme, mauvaise pour la santé en induisant des troubles métaboliques.
La situation est différente en ce qui concerne les nouvelles problématiques toxicologiques. La recherche toxicologique « à l'ancienne », telle qu'elle est menée depuis les années 1960, nous a permis d'atteindre un certain niveau de sécurité, les taux auxquels sont autorisées les différentes molécules étant suffisamment bas pour qu'ils n'aient pas directement des effets néfastes en empoisonnant notre organisme.
Mais la recherche sur les perturbateurs endocriniens potentiels ou leurs « effets cocktail » est, du point de vue méthodologique, extrêmement complexe. La réglementation européenne, et donc la réglementation française, autorise plusieurs centaines des molécules de pesticides. Or, vous vous souvenez qu'en mathématiques une combinaison de plusieurs dizaines de termes suffit pour atteindre des milliers de possibilités : imaginez ce que donnent des combinatoires avec des centaines de molécules ! Pour dépasser cette difficulté, il faut que des financements importants soient affectés à ces recherches. Car, au risque de me répéter, le problème est qu'actuellement les différentes autorités sanitaires comme l'ANSES et l'EFSA autorisent des molécules sur la base de publications qu'elles n'ont fait que lire, et qui sont des publications majoritairement financées par l'industrie.
Pour répondre à votre question sur la dose journalière admissible, son calcul se fonde sur cette toxicologie « à l'ancienne » qui permet un certain niveau de sécurité mais n'étudie pas les effets potentiels des molécules à de plus faibles doses.
Concernant le CSA, il faut au préalable indiquer que la démarche qui est la sienne est d'autorégulation : un groupe de professionnels, parce qu'il se juge plus efficace et plus rapide que la loi, définit des règles qu'il s'applique à lui-même. Une telle démarche est a priori rassurante. Mais si vous regardez quelles sont les instances décisionnaires du CSA, vous constaterez qu'il s'agit de professionnels des médias et d'annonceurs qui financent ces médias, ce qui n'est pas satisfaisant, car on imagine mal les représentants de grands groupes de l'industrie agroalimentaire s'interdire volontairement de faire de la publicité pour des produits gras, salés ou sucrés aux heures où ils peuvent toucher le plus de clients potentiels. Le fonctionnement du CSA peut donner l'impression d'être démocratique, car certaines associations de consommateurs sont présentes dans les instances associées à ce conseil supérieur. À l'UFC-QueChoisir, nous avons toujours refusé d'en faire partie car ces instances, qui sont des conseils de consommateurs, font des propositions mais n'ont pas de pouvoir décisionnaire.
Le CSA ne comporte aucun scientifique, aucun nutritionniste, et n'a donc pas d'expertise en matière d'alimentation. L'ANSES, qui possède en revanche une expertise dans ce domaine, fait depuis un grand nombre d'années des recommandations en faveur d'une réglementation. Pourquoi, lorsqu'à la faveur d'un débat dans l'un des deux hémicycles un amendement mettant en place une réglementation pourrait être voté, est-il soudain question du CSA, de chartes et de l'efficacité du volontariat ? Nous ne pouvons que nous demander si ce n'est pas pour éviter que vous adoptiez une disposition contraignante.