Intervention de Jean-Baptiste Moreau

Réunion du mardi 17 juillet 2018 à 16h30
Commission des affaires économiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Baptiste Moreau, rapporteur :

J'ai l'honneur aujourd'hui de reprendre la parole devant vous en ma qualité de rapporteur du projet de loi pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous, pour une nouvelle lecture en commission des affaires économiques.

Avant de débuter, je précise à nouveau que je suis encore agriculteur mais que je ne suis plus président de coopérative – je suis membre du bureau et administrateur, mais inactif. Je précise cela car j'ai été accusé de conflit d'intérêts par un syndicat agricole, qui aurait sans doute préféré comme rapporteur quelqu'un qui ne connaît rien à l'agriculture pour continuer à lui asséner ses contre-vérités. J'ajoute que mes positions sur l'article 8, qui vise à réformer le fonctionnement des coopératives ne laissent aucun doute sur mon absence de parti pris.

Ce texte est la traduction législative des États généraux de l'alimentation. Nous avons déjà beaucoup travaillé pour l'enrichir, mais des corrections et des améliorations sont encore nécessaires pour répondre aux ambitions et aux objectifs fixés par les EGA.

Aujourd'hui, notre devoir est de donner encore plus de corps à ce texte : plus de moyens pour atteindre les objectifs fixés par le Président de la République lors du discours de Rungis, plus d'ambition pour revaloriser le travail de nos agriculteurs et créer les conditions d'une alimentation saine et durable pour chacun.

À la suite à la tenue des EGA, de juillet à décembre 2017, le projet de loi est passé en première lecture devant notre commission des affaires économiques en avril dernier. Il fut ensuite débattu en séance publique et adopté par l'Assemblée nationale le 30 mai dernier, par 339 voix pour et 84 voix contre, au terme de huit jours et huit nuits de débats. Dans un second temps, le texte tel que voté par l'Assemblée nationale fut examiné par le Sénat et adopté le 2 juillet, après avoir été très fortement modifié. La commission mixte paritaire, qui s'est réunie le mardi 10 juillet 2018, n'est pas arrivée à trouver un texte de compromis sur les dispositions restant en discussion.

Je regrette que nos deux chambres n'aient pas pu s'accorder, mais je veux profiter de ce moment pour saluer le travail collectif mis en oeuvre avec les sénateurs et les députés pendant la navette parlementaire et après le résultat de la CMP pour préparer cette nouvelle lecture. Nous avons échangé dans un esprit constructif, ce qui a permis des avancées intéressantes lors de la première lecture au Sénat, que je compte reprendre pour plusieurs d'entre elles. 493 amendements ont été déposés, dont 31 par le rapporteur, 132 par le groupe LaREM, 158 par Les Républicains, 72 par le groupe Nouvelle Gauche, 27 par La France insoumise et 13 par le groupe MODEM.

Néanmoins, si les apports de la navette parlementaire sont réels, le fait est que le Sénat a aussi considérablement modifié le projet de loi que nous avions construit dans l'esprit des EGA, en particulier sur des dispositions adoptées à l'initiative de la commission du développement durable et de l'aménagement du territoire de notre assemblée : beaucoup d'articles essentiels à la réussite de nos objectifs ont été supprimés.

Ces objectifs, je tiens ici à les rappeler, ce sont ceux que nous poursuivons depuis le début des EGA et qu'il nous incombe aujourd'hui de graver dans le marbre : d'abord, faire en sorte que chaque agriculteur puisse vivre dignement et sereinement du fruit de son travail ; ensuite, rétablir la confiance entre l'ensemble des membres des filières et de l'interprofession afin de sortir des postures et d'aller vers de véritables négociations et compromis ; enfin, répondre aux nouvelles attentes des consommateurs.

La version du texte voté au Sénat nous éloigne considérablement de la concrétisation de ces objectifs. Des lignes rouges ont été franchies, sur lesquelles il était impossible, lors de la CMP, de transiger.

À l'article 1er, la validation des indicateurs de coûts de production et de prix par l'Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires, votée contre l'avis du rapporteur et du Gouvernement, est contraire aux recommandations de l'Autorité de la concurrence, à l'esprit des EGA et au discours de Rungis du Président de la République, qui appelait à responsabiliser les filières. S'il s'agit bien du texte adopté en séance publique à l'Assemblée nationale, c'est une fausse bonne idée, dont nous voulons la suppression, car une telle mesure contribuerait à déresponsabiliser les interprofessions, ce qui est tout sauf souhaitable compte tenu de l'esprit des États généraux de l'alimentation. Ce serait de plus totalement inefficace dans l'objectif de l'augmentation du prix payé au producteur.

Des dispositions « vertes » adoptées à l'initiative de la commission du développement durable et de l'aménagement du territoire de l'Assemblée nationale ont été supprimées par le Sénat, notamment la séparation des activités de vente et de conseil et l'interdiction des remises, ristournes, rabais pour les produits phytopharmaceutiques. Les sénateurs ont aussi voté la suppression de l'interdiction du réaménagement de tout bâtiment d'élevage de poules pondeuses en cage et la suppression de l'interdiction des bouteilles en plastique dans la restauration collective.

D'autres dispositions ont été fortement édulcorées, comme la hausse des seuils pour l'application d'un plan de diversification des protéines ou la suppression de l'expérimentation sur les contenants plastiques dans les cantines.

Au vu des objectifs que nous poursuivons depuis des mois dans l'esprit des EGA, une CMP conclusive était impossible dès lors que nous ne pouvions pas trouver de point d'entente sur ces questions.

Ces points sont, avec beaucoup d'autres, les raisons pour lesquelles nous nous retrouvons aujourd'hui en commission des affaires économiques pour une nouvelle lecture. Cette nouvelle lecture doit être pour nous l'occasion de recentrer le débat sur l'objectif premier des EGA : rééquilibrer les relations commerciales et redonner un revenu digne à nos agriculteurs. La nouvelle version du texte que nous allons voter devra garantir un réel équilibre pour une meilleure rémunération des agriculteurs et la mutation vers un modèle agricole plus durable et plus conforme aux attentes sociétales.

Dans ces discussions renouvelées, je vois une réelle opportunité d'aller plus loin que les ambitions affichées en première lecture, en particulier par le renforcement du rôle du médiateur des relations commerciales agricoles, à mon avis beaucoup plus efficace pour l'élaboration des indicateurs qu'une validation par un organisme public.

Cette deuxième lecture est aussi l'occasion de rappeler à chaque acteur de la chaîne alimentaire sa responsabilité pour atteindre les objectifs des EGA, communément partagés : aux agriculteurs de se regrouper en organisations de producteurs et en associations d'organisations de producteurs pour peser face à la grande distribution ; aux consommateurs de se transformer en « consom'acteurs » et de traduire leurs attentes dans leurs actes d'achat ; aux industriels de s'engager pour valoriser le travail des agriculteurs ; aux enseignes de la grande distribution enfin de s'engager à adopter des comportements vertueux dans les négociations commerciales, afin de répartir équitablement la valeur. À défaut, ces comportements seront sanctionnés, et dénoncés.

En tant que députés, c'est à nous que reviendra d'adopter le texte en lecture définitive pour qu'il soit opérationnel avant les prochaines négociations commerciales agricoles au mois d'octobre prochain : ce projet de loi et les deux mesures emblématiques que sont le seuil de revente à perte et l'encadrement des promotions seront bien appliquées lors des prochaines négociations commerciales, c'est indiscutable et indispensable.

À nous donc de travailler dans les prochaines heures, comme nous avons su le faire depuis le début de nos travaux, pour remettre l'agriculture française en marche avant. Les attentes de chacun des acteurs, de la fourche à la fourchette, sont grandes, et notre rôle nous oblige. J'ai confiance en la qualité de nos travaux à venir, dans la perspective de présenter un texte fort et ambitieux en séance publique.

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